Le livre à emmener à la plage

volpiComme chaque été, Hebdoscope vous propose une sélection d’ouvrages à lire durant vos vacances

Jorge Volpi, Les Bandits, Seuil, 2015

La crise économique comme on ne l’a jamais vu ou vécu. C’est l’histoire de Jorge Volpi – et oui comme l’auteur – financier devenu soudainement philanthrope qui, après avoir détourné quinze milliards de dollars, met à rédiger un livre de confessions pour dénoncer la plus grande escroquerie de ce nouveau siècle. Mais, à la différence de ces golden boys frustrés qui cherchent à régler leurs comptes, Jorge Volpi poursuit un autre but : celui de  faire la lumière sur le passé de son père, ancien employé du Trésor américain pendant la Seconde Guerre mondiale, espion soviétique mort avant sa naissance.

Lancé sur les traces du terrible secret entourant le passé de son père, Volpi va très vite se rendre compte que le présent et le passé ne font qu’un. Avec ce nouveau roman, l’écrivain réédite l’exploit d’A la recherche de Klingsor, couronné dans le monde entier, en faisant dialoguer plusieurs époques et en parvenant à mêler personnages historiques et personnages inventés, gage d’un roman historique réussi. Tôt au tard, le passé finit toujours par vous rattraper semble dire Volpi…

Laurent Pfaadt

Le livre à emmener à la place

RATLINES.inddComme chaque été, Hebdoscope vous propose une sélection d’ouvrages à lire durant vos
vacances

Stuart Neville, Ratlines, Rivages noir, 2015

La guerre s’est achevée et certains criminels de guerre nazis ont trouvé refuge en Irlande grâce à des filières d’exfiltration organisées par Otto Skorzeny, le commandant SS qui a fait évader Mussolini en 1943. Mais, à la veille de la visite du président des Etats-Unis, John Fitzgerald Kennedy, des morts suspectes viennent troubler la quiétude irlandaise car les victimes sont visiblement des anciens criminels de guerre.

Le ministère de la justice envoie l’un de ses meilleurs hommes, Albert Ryan pour faire la lumière sur ces meurtres mais surtout éviter que cette sombre histoire ne perturbe la visite présidentielle voire ne la menace.

Le roman de Stuart Neville se situe dans cette longue tradition de romans policiers sur fond de seconde guerre mondiale ou influencés par cette dernière et illustrés notamment par Jack Higgins ou Frederick Forsythe. Le héros, Albert Ryan, s’engouffre progressivement dans une intrigue où le meurtre d’un homme n’est bien souvent que la porte d’entrée d’une machination menant à un bouleversement géopolitique. L’auteur exploite à merveille les mythes de la survivance des réseaux nazis et de la compromission des Alliés. Après les fantômes de Belfast, Stuart Neville revient avec un nouveau thriller historique de haute volée car dans Ratlines les criminels ne sont pas forcément ceux que l’on croit…

Laurent Pfaadt

La Baltique, le temps d’une saison

gidon kremerVoyage dans les saisons de Philip Glass en compagnie de
Gidon Kremer

Ce disque c’est un peu la rencontre entre deux géants : Philip Glass, compositeur mondialement connu pour ses musiques de films (The Hours, le Rêve de Cassandre de Woody Allen) et ses œuvres inclassables comme l’opéra Akhnaten ou sa troisième symphonie et Gidon Kremer, l’un des plus grands violonistes du monde. A l’aise dans tous les répertoires, de Bach qu’il a magnifiquement interprété aux côtés notamment de l’Academy of St Martin-in-the-Fields, à John Adams, Gidon Kremer n’a jamais négligé la création contemporaine, bien au contraire.

Ce disque est un nouveau témoignage de l’attachement viscéral du virtuose aux œuvres de son temps. A la tête de « son » orchestre, la Kremerata Baltica qui réunit des musiciens des pays baltes – il est lui-même letton – et qui s’est spécialisé dans la création d’œuvres contemporaines, Gidon Kremer propose ainsi plusieurs œuvres de compositeurs de notre temps : Philip Glass, Giya Kancheli, Arvo Pärt et Shigeru Umebayashi.

Kremer a toujours eu un rapport particulier avec Philip Glass. Son enregistrement du premier concerto pour violon – il fut le premier à le graver chez Deutsche Grammophon en 1993 avec le Wiener Philharmoniker dirigé par Christoph von Dohnanyi – constitue déjà une référence. Il récidive avec ce deuxième concerto dans lequel le compositeur a voulu s’inspirer des Quatre saisons de Vivaldi, baptisé à juste titre The American Four Season. 

En plus d’être un hommage à l’œuvre du compositeur vénitien avec ces changements de rythmes (n’oublions pas qu’il s’agissait à l’origine de quatre concertos différents) et l’utilisation du clavier qui trace une continuité musicale toute symbolique, la musique de Glass constitue une réflexion sur la notion de temps.

Si les Quatre saisons de Vivaldi reposaient sur les changements de temps et de climat propres aux saisons, les saisons américaines de Glass se concentrent sur la temporalité même de la nature, de ce temps qui s’écoule lentement, inexorablement. Le maître de la musique répétitive qu’il est, utilise avec brio et à dessein son art dans une œuvre réussie qui questionne aussi bien l’évolution des êtres vivants que le renouvellement perpétuel de la nature.

Le violon de Gidon Kremer joue ainsi ce rôle de métronome qui évoque inlassablement le temps qui s’écoule comme dans un sablier, versant parfois dans le tragique pour évoquer le caractère unique des choses qui disparaissent.

D’ailleurs, le virtuose poursuit son exploration musicale en interprétant trois œuvres d’Arvo Pärt, de Giya Kancheli où l’instrument se fait la voix d’une longue plainte primitive (Ex Contrario) et enfin de Shigeru Umebayashi qui clôt avec son Yumeji’s theme utilisé par Wong Kar-Waï, ce voyage temporel passionnant.

New Seasons – Glass, Pärt, Kancheli, Umebayashi, Kremarata Baltica, Gidon Kremer, Deutsche Grammophon.

Laurent Pfaadt

Dans les plaines musicales d’Europe centrale

© Ivan Maly
© Ivan Maly

Le Chamber Orchestra of Europe triomphe à Bordeaux

Bien des exemples ont montré que l’addition de talents ne conduit pas toujours à l’excellence. Cela ne semble pas être le cas du Chamber Orchestra of Europe, orchestre itinérant fondé par Nikolas Harnoncourt et Claudio Abbado, qui a montré, une fois de plus, sa maîtrise parfaite d’un répertoire allant de Mozart à la période contemporaine. Composé de musiciens venus de prestigieux orchestres européens et de traditions musicales différentes, le COE démontre à chaque concert toute sa plasticité. C’est d’ailleurs cette ouverture d’esprit, ce dialogue musical interne permanent qui prévalait à sa création et qui attire les meilleurs solistes et les plus grands chefs de la planète.

Lors de cette étape bordelaise – qu’il retrouvera d’ailleurs en mai 2016 – la baguette était tenue par un fougueux cavalier, le chef russe Vladimir Jurowski, connu pour ses tempii rapide tandis que le soliste n’était autre que Radu Lupu.

Alternant pièces célèbres et découvertes, c’est à un voyage en Europe centrale que nous ont convié l’orchestre et son chef. Assurément, le double concerto pour cordes, piano et timbales de Bohuslav Martinu fut une découverte pour de nombreux spectateurs. Influencé par Roussel, l’œuvre d’une beauté stupéfiante, virevoltante est à la fois un concerto grosso, une sonate conduite en cela parfaitement par Helen Collyer, une messe et une marche funèbre. Mené par un superbe John Chimes, percussionniste tout jeune retraité de l’orchestre symphonique de la BBC, ce concerto fut une sorte de rivière furieuse oscillant au rythme des courants.

Un changement de piano plus tard et voilà que paraît le dernier empereur de cet empire Habsbourgeois de la musique, Radu Lupu. Ce fut réellement un grand moment de musique pour tous ceux qui assistèrent à ce 24e concerto de Mozart. Fascinant devant tant de détachement, la magie de Radu Lupu a éclairé cette soirée et a prouvé à cette jeune génération de pianistes qui maltraite tant de pianos que la douceur du toucher reste, quand elle est dispensée par les meilleurs, le plus bel hymne à la musique. Car, véritablement, dans ce dialogue qu’il a entretenu avec l’orchestre et ses merveilleux hautbois, flûte et bassons mais également avec Mozart lui-même, utilisant parfois sa main gauche comme pour dire au maître « Non, pas trop vite, attends encore un peu », c’est Amadeus lui-même qui écoutait Lupu.

Il fallait bien un entracte pour se remettre de nos émotions. Mais les musiciens du COE n’avaient pas fini de nous étonner notamment les vents et les cuivres avec cet incroyable sextuor de Janacek plein de vie. Il faut dire que les musiciens ont payé de leur personne, transmettant cette joie pleine d’allant. Truculent à souhait, l’œuvre dessine une palette colorée où certains instruments souvent noyés dans le tumulte de l’orchestration se révèlent pleinement. Ainsi en fut notamment de la clarinette basse dont le fabuleux duo avec le basson nous a transporté dans un imaginaire qui n’était pas loin du carnaval des animaux.

Il restait à Vladimir Jurowski à clore cette soirée avec la symphonie Prague qu’il conduisit comme une marche triomphale, avec un lyrisme tel qu’il emporta l’adhésion d’un public déjà convaincu et qui, à n’en point douter, avait déjà pris date avec ce chef et cet orchestre.

Laurent Pfaadt

Les démons du passé

Russland-Süd, Panzer IVUn ouvrage palpitant revient sur la bataille de Koursk

Défait en février 1943 à Stalingrad, Adolf Hitler ne s’avoua pas vaincu et lança dans le centre du pays à l’été 1943 une grande contre-offensive dans un lieu devenu mythique : Koursk.

En lisant l’ouvrage de Nicolas Pontic, Koursk : Staline défie Hitler, on a un peu l’impression d’être dans une salle d’Etat-major à déplacer des petits drapeaux sur une carte, à étudier la topographie ou à attendre un coup de fil de Berlin ou de Moscou pour nous prévenir de l’arrivée de renforts. L’ouvrage construit de façon très académique détaille les enjeux, les phases de la bataille du saillant de Koursk tout en effectuant une excellente montée en tension de l’issue finale.

Car Koursk, c’est la tentative d’Hitler pour reprendre l’avantage après Stalingrad. Et comme dans la bataille de la Moscova telle que la relate Tolstoï dans Guerre et Paix, le mythe s’est construit via l’opposition entre deux stratèges de génie, Erich von Manstein, « l’homme des situations inextricables » et Nicolaï Vatoutine, général russe impétueux défendant sa terre natale.

Avec cet ouvrage, Nicolas Pontic renouvelle aussi la connaissance historique et stratégique de la bataille, débarrassée des oripeaux mythiques qui ont prévalu jusqu’à une date récente. Ce qui est certain, c’est que Koursk a constitué l’aboutissement de la maturité stratégique des généraux soviétiques, balayés en 1941. « La bataille du saillant représente peut-être la première opération de guerre moderne de l’Armée rouge » écrit ainsi l’auteur.

Koursk, c’est également plusieurs batailles en une seule (Voronej, Orel) notamment celle, meurtrière, de la Prokhorovka, le 12 juillet 1943 au sud-est de Koursk où les T-34 Staline prouvèrent leur supériorité dans ce que l’on appela plu tard « la plus grand bataille de chars de l’histoire » où le sort du monde s’est joué comme ce fut le cas avant à Leningrad, Kharkov ou Stalingrad.

C’est d’ailleurs ce que racontent ces hommes et ces femmes, dans Grandeur et misère de l’armée rouge de Jean Lopez et de Lasha Otkhmezuri, déjà auteurs d’un excellent Joukov chez Perrin (2014). Ils furent ouvriers ou intellectuels et combattirent les fascistes durant cette grande guerre patriotique.

Ce conflit constitua chez ces survivants du feu un moment déterminant dans leur rapport au système soviétique et à son maître de l’époque, Staline. Sorte de catharsis, la guerre poussa les uns vers une défense inconditionnelle du régime et les autres vers la dissidence, cette nouvelle guerre « beaucoup plus dure et difficile » selon Elena Bonner, la compagne d’Andreï Sakharov, Prix Nobel de la Paix en 1975. Entre ces deux groupes, il y eut ces milliers d’hommes qui  perdirent leurs illusions et qui, après la guerre, pour de multiples raisons, se résignèrent. C’est le cas de Nikolaï Nikouline, qui s’illustra à Leningrad, Varsovie et Berlin et devint conservateur au musée de l’Ermitage à St Pétersbourg. Jusqu’à sa mort, il affirma que « ceux qui ont gagné la guerre, soit ils sont tombés sur le champ de bataille, soit, accablés par le poids de l’après-guerre, ils sont devenus alcooliques. »

Nicolas Pontic, Koursk : Staline défie Hitler, Tallandier, 2015

Jean Lopez et  Lasha Otkhmezuri, Grandeur et misère de l’Armée rouge, Perrin, coll. Tempus, 2015

Laurent Pfaadt

Chung transcende Mahler

ChungMyung-Whun Chung et l’Orchestre Philharmonique de Radio France rendent un hommage appuyé à Gustav Mahler

Il a mis longtemps à dompter Mahler, à s’en imprégner mais au fil du temps Myung-Whun Chung en est devenu l’un des plus grands interprètes. Disque après disque dont récemment dans la 9e avec le Seoul Philharmonic Orchestra, son autre phalange, concert après concert, le maestro coréen qui s’apprête à laisser son fauteuil à Mikko Franck a poli lentement ces diamants aux mille reflets que sont les symphonies de Mahler. Preuve en fut encore donnée à Toulouse lors d’un concert de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, à tel point que l’interprétation du concerto pour violon de Bruch par Gil Shaham passa presque au second plan.

Et pourtant que cette interprétation fut belle de la part de l’un des solistes les plus géniaux de la planète. Gil Shaham entra dans ce concerto avec sa passion habituelle et y délivra une interprétation merveilleuse. Entre la majesté de l’orchestre et la subtilité du violon se créa une osmose très belle qui se manifesta surtout dans les deux mouvements rapides. Sans forcer les tempii, l’orchestre accompagna le soliste dans un finale sans violence où se dégagea jusqu’à la dernière note la passion inhérente à cette œuvre de toute beauté.

Le public croyait avoir écouté une merveille – ce qui fut le cas – mais ne s’attendait pas à son retour de l’entracte au choc de la Cinquième de Mahler. Emmené par une excellente trompette solo en la personne d’Alexandre Baty qui ouvrit cette symphonie, l’Orchestre Philharmonique de Radio France brilla de mille feux. Une fois de plus, Chung délivra une interprétation en forme de prisme de lumière en révélant les différentes facettes musicales de cette œuvre

Avec minutie, il distilla les subtilités d’une orchestration de génie qui oscille entre l’incroyable force tellurique qui se dégage du monument mahlérien avec notamment les percussions du deuxième mouvement, et la déclaration d’amour faite à Alma qui trouve son aboutissement dans ce magnifique adagietto où la harpe répond aux contrebasses dans un long chant qui s’étira dans la halle aux grains comme une poussière d’étoile dans la nuit.

Que les équilibres sonores furent prodigieux comme lorsque les vents et l’alto se mirent à dialoguer ensemble dans le premier mouvement. Cette interprétation permit également à cette symphonie de retrouver sa place dans l’histoire de la musique, entre les apports de Bruckner et de Wagner – n’oublions pas que Chung est également un chef d’opéra qu’il manifesta dans la mise en valeur des motifs d’inspiration wagnérienne – et les influences sur Chostakovitch notamment.

Avec cette interprétation cristalline, les ovations ne furent pas feintes à l’égard de cet orchestre incroyable et de ce chef au talent unique.

Retrouvez la nouvelle saison des Grands interprètes de Toulouse qui fêtera cette année sa 30e édition sur www.grandsinterpretes.com

Laurent Pfaadt

Le livre à emmener à la plage

BelloComme chaque été, Hebdoscope vous propose une sélection d’ouvrages à lire durant vos vacances

Antoine Bello, les Producteurs, Gallimard, 2015

Antoine Bello est véritablement un auteur à part dans la galaxie des lettres françaises. Son roman les Producteurs qui poursuit l’œuvre entamée avec les Falsificateurs (2007) et les Eclaireurs (2009) et peut se lire indépendamment des autres, tient aussi bien du polar que du roman d’anticipation. Sorte de conte sur notre société hyper médiatisée, il emmène le lecteur au sein du Consortium de Falsification du Réél, organisation secrète chargée de donner à l’humanité les illusions nécessaires à sa stabilité. Le Consortium a créé tous les mythes de ces dernières années. Mais voici que certaines de ces créations lui échappent et menacent le Consortium lui-même. C’est le cas notamment d’Al-Qaida  qui était censé prévenir le développement de l’islamisme radical.

Pour prévenir ce danger qui risque de divulguer l’existence du Consortium et de ses mensonges, les héros de cette série, Sliv, Youssef et Maga recourent non pas à la violence mais à la surenchère en inventant de nouvelles illusions.

A la manière d’un Orwell, Antoine Bello dénonce avec maestria et truculence, cette société des médias, cette mondialisation de l’information en même temps qu’il exploite jusqu’à la décrédibiliser cette théorie du complot qui fait le lit de tant de fanatiques.

Laurent Pfaadt

Un festival qui se taille la part du lion

© Kristen Loken
© Kristen Loken

Lucerne sera, une fois de plus, le haut-lieu estival de la musique classique

Chaque été, tout le gotha de la musique classique se donne rendez-vous sur les bords du lac des Quatre-Cantons. Pendant près d’un mois (14 août au 13 septembre 2015), les meilleurs orchestres, les plus grands chefs et les solistes les plus talentueux seront à nouveau présents pour, à n’en point douter, des concerts d’anthologie.

Parmi les orchestres, le talent oscillera entre la fougue et la puissance, entre la légèreté et la monumentalité. Face aux rivages du lac, des vaisseaux amiraux tels que le Berliner Philharmoniker (01-02/09), le Royal Concertgebouw d’Amsterdam (28-29/08), l’Orchestre Philharmonique de Saint Pétersbourg (03-04/09) qui célèbrera le 40e anniversaire de la mort de Dimitri Chostakovitch avec l’interprétation de la 9e symphonie, la Staatskapelle de Dresde (07-08/09) et le Wiener Philharmoniker qui clôturera le festival avec le Rêve de Gérontius d’Elgar sous la baguette de Sir Simon Rattle côtoieront les jeunes ensembles de l’Orchestre du Divan occidental-oriental réunissant de jeunes musiciens venus du Proche-Orient (17/08), de l’Orchestre de Jeunes Gustav Mahler qui, sous la conduite d’Herbert Blomstedt (23/08) interprétera la 8e symphonie de Bruckner ou le Chamber Orchestra of Europe, fondé par Claudio Abbado et habitué à ce rendez-vous musical.

A la surface de l’eau se reflètera certainement l’éclat des cuivres de deux des plus grands orchestres américains, le San Francisco Symphony Orchestra dirigé par un Michael Tilson Thomas qui fera résonner l’Héroïque de Beethoven (09/09) et le Titan de Mahler (11/09), et le Boston Symphony Orchestra qui réveillera les Alpes voisines avec Une Vie de Héros (30/08) et Don Quichotte (31/08) de Richard Strauss. Le chef letton animera cette édition du festival à la tête de nombreuses formations et notamment le Lucerne Festival Orchestra qu’il conduira dans tous les répertoires.

Sur la scène, Bernard Haïtink, Daniele Gatti, Daniel Barenboim, Zubin Metha, Daniel Harding ou Christian Thielmann seront accompagnés d’une pléiade de virtuoses notamment Yuja Wang dans le concerto pour piano n°2 de Bartok, Yo-Yo Ma dans Don Quichotte, Maria Joao Pires dans le 23e concerto pour piano de Mozart, Isabelle Faust dans les concertos pour violon de Szymanowski, Mozart et Mendelssohn, Julia Fischer dans celui de Tchaïkovski ou Anja Harteros dans les quatre derniers lieder de Strauss.

La musique de chambre, l’opéra et la musique ancienne avec notamment les Arts florissants de William Christie complèteront cette affiche déjà riche. Enfin, outre la musique, les enfants pourront se divertir avec un spectacle de marionnettes autour du Carnaval des animaux tandis que les adultes écouteront Klaus Maria Brandauer réciter Shakespeare ou s’éclafferont lors d’une conférence sur l’humour juif. « Si vous voulez que vos rêves se réalisent, ne dormez pas » dit le proverbe juif. Nul doute que les spectateurs du festival de Lucerne suivront ce conseil à la lettre.

Lucerne Festival en été (14 août-13 septembre 2015) : retrouver tous les concerts et les informations pratiques sur www.lucernefestival.ch

Laurent Pfaadt

L’âme d’une nation

dvorakL’intégralité de l’œuvre d’Antonin Dvorak permet d’en mesurer (enfin) le génie

Ecouter Dvorak c’est comme lire Kafka, c’est entrer dans l’âme d’un peuple, dans ce qu’il a de plus intime, dans ses secrets, ses aspirations, ses peurs, ses rêves. Bien entendu, il y a Bedrich Smetana, Josef Suk ou Leos Janacek mais le plus grand représentant de la musique tchèque reste Antonin Dvorak. Car tout dans sa musique rappelle cette partie de l’Europe centrale qui se nomma Bohème,  Tchécoslovaquie ou République tchèque.

Très influencé par Brahms (musique de chambre, conception rythmique), Dvorak composa une oeuvre qui s’imprègnent profondément des légendes, des coutumes et des traditions tchèques qu’elles soient slaves, juive ou tsiganes et qui ont fait à l’époque le creuset de ce que l’on a appelé la Mitteleuropa. Ainsi le furiant, cette danse rapide à trois temps typiquement tchèque traverse l’ensemble de l’œuvre du compositeur, de cette 6e symphonie au deuxième quintette pour piano en passant par la Suite tchèque ou les Danses slaves interprétées par le Bamberg Symphony Orchestra sous la baguette d’Antal Dorati et qui constituent à n’en point douter l’un des meilleurs enregistrements de ce coffret.

Dans cette œuvre complète et protéiforme, Dvorak rendit également un formidable hommage à la terre, à la nature. Ces mélodies comme celle de l’Ondin laissent entendre la furie des eaux du Danube mais également la gaieté de cette campagne bucolique. Sa musique s’inspire également de ses airs populaires qui se traduisent par de brefs motifs notamment dans ses poèmes symphoniques.

Dvorak est également l’auteur d’une œuvre composite où ses expériences personnelles se mêlèrent à un héritage. La 9e symphonie dite du Nouveau Monde composée alors qu’il était directeur du conservatoire de New-York est un témoignage plus qu’éclatant de la culture amérindienne avec toujours cette dimension tellurique, ce rapport à la nature. Elle clôt une intégrale dirigée par Otmar Suitner à la tête de la Staatskapelle de Berlin. Autre exemple, son 12e quatuor dit « Américain » qui s’inspira de la musique noire américaine.

On écoutera avec bonheur le son si émouvant du Stradivarius de Zara Nelsova (Sarah Nelson) en particulier dans le premier mouvement du concerto pour violoncelle ou l’alto de Jan Talich, venu prêter main forte au quatuor Stamitz dans le quintette à cordes n°3 car Dvorak, outre son génie symphonique, fut également un très grand compositeur de musique de chambre.

On redécouvre également avec joie des œuvres oubliées ou rarement jouées tel le concerto pour piano, le poème symphonique du Pigeon des bois ou les merveilleux chants tziganes.

Ce coffret permet, comme à chaque fois avec Brilliant Classics, de redécouvrir l’extraordinaire fonds musical de ces orchestres et ensembles situés de l’autre côté du mur de Berlin, en Allemagne, en Pologne ou en République tchèque. Ainsi, l’enregistrement du Requiem par l’orchestre philharmonique de Varsovie dirigé par Antoni Wit qui n’est plus un inconnu en Europe est une divine surprise. Cette œuvre de toute beauté couronne la dimension vocale de l’œuvre du compositeur.

Ce coffret merveilleux permet donc de saisir dans sa globalité l’œuvre de ce compositeur, assurément l’un des plus grands génies de l’histoire de la musique qui appartient désormais au patrimoine de l’Europe.

Dvorak edition, Brilliant Classics, 2015

Laurent Pfaadt

Notre meilleur ennemi

WellingtonLe vainqueur de Napoléon
enfin à l’honneur

La France n’aime pas ses vainqueurs surtout lorsqu’il s’agit de celui qui mit un terme à la gloire de l’un de nos plus illustres héros, Napoléon Bonaparte. Car, Arthur Wellesley, duc de Wellington peut être considéré comme le grand oublié de l’historiographie napoléonienne française. Même le tsar Alexandre, allié puis ennemi de l’empereur, eut droit à plus d’égards. Et en ces temps de commémoration du bicentenaire de la défaite de Waterloo, son artisan faillit passer à la trappe.

C’était sans compter avec Antoine d’Arjuzon, auteur d’un remarquable Caulaincourt (Perrin, 2012) qui republie sa biographie du maréchal anglais (Perrin, 1998). Entré très jeune dans l’armée et après des classes aux Pays-Bas ou en Inde, Wellington se révéla durant les guerres napoléoniennes. Commandant les forces anglo-espagnoles au Portugal et en Espagne, il infligea aux Français et à leurs alliés, de lourdes défaites. L’auteur insiste d’ailleurs à juste titre sur les grandes qualités de stratège de Wellington. Ce dernier étudia en profondeur la tactique utilisée par Napoléon, la décortiqua pour mieux la contrer. « Il est capable de mobiliser son intelligence pour trouver la meilleure solution au problème qui e pose à lui (…) Minutie, patience et détermination ne le quitte jamais » écrit ainsi d’Arjuzon.

C’est avec ces qualités qui vainquirent de nombreux maréchaux de l’Empire qu’il se présenta face Napoléon en ce mois de juin 1815 sur la plaine de Waterloo. Les deux hommes nés la même année (1769) ne s’étaient jamais affrontés. Jour après jour, heure après heure, l’auteur nous conte l’affrontement de ces deux titans qui allait tourner à l’avantage du Britannique en ce 18 juin 1815. En dépit de sa victoire face à Napoléon qu’il respectait au demeurant, Wellington ne fut pas l’ennemi de la France comme en témoigne son opposition aux revendications territoriales prussiennes lors du congrès de Vienne en 1814 auquel il assista en tant qu’ambassadeur.

Devenu le héros de toute une nation, Wellington affronta une autre bataille autrement plus meurtrière : celle de la politique. Il s’y montra nettement moins brillant, piètre stratège. L’autre grand mérite de l’ouvrage est d’aller au-delà de la simple perspective historique franco-française et de montrer comment Wellington, et après lui Ulysse Grant puis Dwight Eisenhower, sut capitaliser sa popularité pour accéder aux plus hautes fonctions politiques. Membre du Parlement britannique dans ses jeunes années, il est nommé par le roi George IV, Premier ministre, en 1828. L’histoire militaire laisse alors la place à une histoire sociale, économique de la Grande-Bretagne où pendant près de trois années, le duc de Wellington fut dépassé par les évènements, ne pressentant pas « l’accélération des changements dans les domaines politiques, sociaux et économiques qui vont marquer le siècle » et qui allait faire de la Grande-Bretagne la première puissance du globe.

Malgré cet échec, cette biographie très complète est là pour rappeler que celui qui restera à jamais le vainqueur de Napoléon, appartient en compagnie de l’Empereur « au patrimoine historique de toute l’Europe ».

Antoine d’Arjuzon, Wellington, Perrin, 2015

Laurent Pfaadt