Le livre à emmener à la plage

4Comme chaque été, Hebdoscope vous propose une sélection de livres à
glisser dans votre valise

Viveca Sten, Les secrets de l’île,
Albin Michel

L’été risque de devenir subitement glacial lorsque vous vous aventurerez sur l’île de Sandhamm. Accompagné de l’inspecteur Thomas Andreasson, vous devrez faire preuve de sang-froid dans cette nouvelle enquête signée
Viveca Sten, nouvelle égérie du polar suédois que l’on compare
déjà à Camilla Lackberg. L’intrigue est assez bien ficelée :
découverte d’un corps, puis d’un second, enquête qui mène vers
une base militaire augurant d’un éventuel secret gouvernemental
caché depuis des décennies et qui remonte à la surface avec ces
morts, décor naturel hostile.

Même si la recette est bien connue, il faut dire qu’avec ces auteurs
scandinaves qui ont mis le polar nordique en tête des meilleures
ventes, cela marche toujours aussi bien. On est immédiatement
pris dans les rets de ce page-turner adapté en série pour Arte qui
ne nous lâche que la dernière page lue.

Laurent Pfaadt

Le livre à emmener à la plage

Comme chaque été, Hebdoscope vous propose une sélection de livres à glisser dans votre valise

Robert Charles Wilson, la trilogie Spin,
Folio SF

Embarquez pour un voyage interstellaire hors du commun !
Désormais réunie dans un seul volume, Spin de Robert Charles
Wilson, auteur récompensé par le prix Hugo, le Goncourt de SF,
raconte l’histoire de cette barrière qui entoure la Terre et qui la
condamne à brève échéance à l’extinction en raison de sa faculté à
empêcher l’énergie solaire de se répandre sur notre planète.
Comme dans tout succès de science-fiction, le sort de l’humanité
se retrouve entre les mains d’une poignée d’hommes et de
femmes : Tyler Dupree, Jason Lawton et sa sœur jumelle Diane
Lawton. Cette dernière effectue le trait d’union avec les deux
autres volumes de la série et vers Lise Adams et Turk Findley car
derrière la barrière et le nouveau monde baptisé Equatoria qui
servira bientôt de refuge à nos héros se cache le mystère des
Hypothétiques, ces extraterrestres qui détiennent la clef de
l’énigme de cette trilogie et que Jason Lawton avait tenté de
percer.

Construit astucieusement dans un perpétuel mouvement entre le passé et le présent, par le biais de flashbacks dans Spin ou de carnets secrets dans Vortex, Spin construit un puzzle qui, au fur et à mesure du récit avançant, devient plus clair et pousse à en savoir davantage. L’été ne sera donc pas de trop pour franchir les quelques millions d’années qui nous sépare d’Equatoria !

Laurent Pfaadt1

Le livre à emmener à la plage

3Comme chaque été, Hebdoscope vous propose une sélection de livres à glisser dans votre valise

Joël Schmidt, Germania,
Albin Michel

L’amour et la connaissance de
l’autre et de sa culture, voilà
comment résumer le nouvel
ouvrage de Joël Schmidt,
écrivain prolifique que l’on ne
présente plus. Il revient aujourd’hui avec une histoire familiale entre France et Allemagne qui rappelle un peu les deux Mathilde. Un couple franco-allemand et leur fils vont traverser la guerre, la haine et les préjugés de leurs concitoyens pour vivre leur rêve et leur
utopie. Car Germania, c’est un peu l’histoire d’une utopie, celle au final de la réconciliation entre deux ennemis irréductibles en même temps qu’il est une ode à cette culture allemande qui a donné tant de génies à l’Europe et qui a été pervertie par la peste nazie. Et ce que nous dit Joël Schmidt, c’est qu’au-delà des Adenauer, Monnet ou Schuman, cette utopie fut rendue possible par des femmes et des hommes tels que Karoline et Jean, les héros de ce roman.

A travers cette histoire familiale franco-allemande qui traverse
une grande partie du 20e siècle, c’est un peu l’histoire de notre
siècle passé qu’il nous raconte et de notre capacité à faire
triompher l’humanisme lorsqu’il est assis sur un héritage culturel.

Laurent Pfaadt

Le livre à emmener à la plage

2Comme chaque été, Hebdoscope vous propose une sélection de livres à glisser dans votre valise

Ioana Pârvulescu, La vie commence vendredi, Seuil

Nous sommes le 19 décembre 1897 à Bucarest. Dans cette ville que l’on surnomme le Paris oriental et qui s’apprête à fêter la nouvelle année surgit Dan Kretzu, un individu pour le moins bizarre. Devenu journaliste dans un grand quotidien roumain, il pénètre alors dans les salons de cette société bourgeoise que le développement urbain de Bucarest a rendu possible et dont il va en révéler les aspirations. Mais si notre héros intrigue, il suscite également la méfiance. Et très vite, le chef de la police de Bucarest se lance sur les traces de l’identité
de Kretzu.

Magnifique évocation de cette époque dans les marches de
l’empire austro-hongrois où toutes les utopies étaient possibles, la
vie commence vendredi
récompensé par le Prix de l’union
européenne pour la littérature en 2013 part sur les traces à la fois
de Proust, de Tolstoï et de son Anna Karénine et d’Alexandre
Dumas. L’action y est omniprésente. Des personnages hauts en
couleur, à commencer par notre Dan Kretzu, façonnent une
atmosphère tantôt fantastique tantôt policière dans un décor
historique magnifiquement restitué.

Laurent Pfaadt

Le livre à emmener à la plage

6Comme chaque été, Hebdoscope vous propose une sélection de livres à glisser dans votre valise

Roman Polanski, Roman par Polanski, Fayard

Il faut dire que cela faisait longtemps que l’on attendait ce livre ! Publié en 1984 et devenu introuvable depuis plusieurs années, l’autobiographie de l’un des plus grands réalisateurs de la planète est enfin disponible. Se lisant comme un roman qui arpente les grandes œuvres du réalisateur devenues des classiques du cinéma, de Répulsion (1965) à Tess (1979) en passant par Rosemary’s baby (1968) ou Chinatown (1974), on pénètre dans le secret de la création cinématographique.

Cette édition est augmentée de l’ajout de plusieurs chapitres
consacrés à ses films les plus récents notamment le Pianiste
(2002), Palme d’or à Cannes qui est certainement le film le plus
personnel de cet ancien enfant du ghetto de Cracovie. Des étoiles
de ses films en passant par les larmes de ses blessures notamment
l’assassinat de sa femme, Sharon Tate, par Charles Manson et ses
acolytes, ce livre est le voyage d’un homme dont le destin s’est
confondu avec l’histoire du cinéma.

Laurent Pfaadt

Le livre à emmener à la plage

5Comme chaque été, Hebdoscope vous propose une sélection de livres à glisser dans votre valise

Jo Walton, une demi-couronne,
Denoël

Dernier opus de la trilogie du
subtil changement Jo Walton, une
demi-couronne
, qui peut se lire
tout à fait indépendamment,
nous embarque dans une réalité
parallèle où la seconde guerre
mondiale n’aurait pas connue la même issue. Dans une Angleterre
dirigée par un gouvernement néo-fasciste, le chef de la police
secrète Peter Carmichael, se retrouve au milieu d’une enquête
partant d’un meurtre banal mais dont les ramifications mènent
très vite jusqu’au sommet d’un pouvoir qui voit le retour de
l’ancien roi Edouard VIII.

Une fois de plus, Jo Walton tisse avec maestria le fil de son récit
autour de plusieurs personnages fascinants. Outre Carmichael, on
suit également Elvira Royston cette fille qu’il a adopté et qui
l’accompagnera jusqu’au bout de son voyage dans cette nuit
brune. Au fur et à mesure que l’on avance dans ce subtil
changement d’époque, on quitte petit à petit cette uchronie pour
entrer d’une autre réalité, celle qui aurait très pu être la nôtre ou
qui pourrait l’être à l’avenir, si nous n’y prenons garde.

Laurent Pfaadt

La baguette et le marteau

Ressov © Lev Ressov
Ressov © Lev Ressov

L’intégrale de référence des
symphonies de Dimitri
Chostakovitch

C’est le coffret à posséder pour
tous ceux qui aiment le
compositeur soviétique,
l’angoisse de ses rythmes, la
frénésie de ses crescendos. A
l’occasion du 110e anniversaire
de sa naissance, l’historique
label soviétique puis russe
Melodiya, qui a fêté, voilà deux
ans, son demi-siècle d’existence
a regroupé les quinze
symphonies du compositeur dans un somptueux coffret. Mais, à la
différence des autres coffrets parus jusqu’à présent, ce dernier
regroupe des enregistrements soviétiques par les orchestres et
les chefs qui ont créé ces symphonies et ont côtoyé le maître,
produisant ainsi une alchimie immédiatement perceptible à
l’écoute.

On est tout de suite surpris par la quasi-absence d’Evgueni
Mravinski, le légendaire chef de l’orchestre philharmonique de
Leningrad qui a créé les 5e, 6e, 8e, 9e,10e et 12e symphonies. Cette
compilation place en revanche Kirill Kondrachine en tête des
grands interprètes du maître puisqu’il a créé les 4e et 13e
symphonies à la tête de l’orchestre philharmonique de Moscou.
Certaines interprétations sont tirées de son intégrale historique
chez Melodyia. On ne peut passer à côté de ces monuments, de
ces panthéons musicaux tant l’approche ainsi délivrée nous
permet presque d’entrer dans l’esprit de Chostakovitch.

Au contact de ce dernier, Mravinski comme Kondrachine ont su
saisir ce tranchant, cette âpreté propre aux symphonies. Si
Mravinski exacerbe la violence de Chostakovitch, notamment
dans ce premier mouvement de la 8e où il fait monter la tension
jusqu’à la rupture, presque jusqu’à l’insupportable avant que les
percussions ne sonnent un tocsin destructeur, Kondrachine
délivre quant à lui un son implacable créant dans chaque
symphonie un monstre échappant à son créateur. Il faut écouter
cette 4e d’anthologie datée de 1966 avec ses cordes chauffées à
blanc. La musique se mue ici en une sorte de Leviathan, marchant
sur un monde et sur ce régime qui a contraint le compositeur à
cacher cette symphonie pendant 25 ans. Dans son interprétation
officielle de la 13e datée de 1967, la musique délivrée par
Kondrachine pousse ses cris de terreur et de mort qui sont moins
ceux d’un orchestre que ceux d’un peuple confronté à
l’oppression, à la guerre et à l’imminence de son anéantissement.

A travers ces deux immenses chefs, on se rend compte que les
symphonies de Chostakovitch sont des volcans, tantôt
faussement endormis, tantôt explosifs. Si Kondrachine est cette
lave incandescente qui consume tout sur passage, les
interprétations de Mravinski sont faîtes de monolithes
basaltiques qui écrasent tout de leur monumentalité.

Comme dans ce premier mouvement de la 7e symphonie, les
symphonies se succèdent dans un crescendo de beautés. La 14e
symphonie par le Moscow Chamber Orchestra d’un Rudolf
Barshaï contraint quelques années plus tard à l’exil, témoigne d’un
souffle unique chargé d’émotions. Le coffret contient d’ailleurs
l’une des toutes premières versions de l’œuvre en novembre 1969
dans la grande salle du conservatoire de Moscou avec la soprano
Galina Vishnevskaya et la basse Mark Réchétine.

Il restait à conclure avec la 15e et dernière symphonie sous la
baguette du fils du compositeur, Maxim Chostakovitch à la tête de
l’orchestre symphonique de la radio de Moscou dans une version
inédite qui restitue à merveille la complexité sonore de cette
ultime symphonie, témoignage ultime d’une œuvre qui marqua à
jamais l’histoire de la musique.

Shostakovich: All Symphonies,
Melodiya, 2016

Laurent Pfaadt

Dans un état musical second

Jonathan Nott, Dirigent / 14.12.2008 / Koelner Philharmonie
Jonathan Nott, Dirigent,   Koelner Philharmonie

Mahler et Strauss au programme du TCE

Cela devait être un concert d’adieu. Après huit saisons passées à la tête de l’orchestre national de France, Daniele Gatti devait achever cette tournée d’adieux en offrant à « son » public parisien un fabuleux concert en compagnie de l’un des plus grands orchestres du monde, le Wiener Philharmoniker, et de l’un des meilleurs ténors, l’Allemand Jonas Kaufmann. Mais un vilain accident le contraignit à devoir céder sa place à Jonathan Nott, le tout nouveau chef de l’Orchestre de la Suisse Romande.

En ouverture de cette soirée, l’orchestre délivra un Coriolan plein de feu où la prégnance des cordes conféra à l’interprétation un air de tempête qui brisa la baguette du chef.

Puis, la soirée se poursuivit avec le poème symphonique Mort et transfiguration de Richard Strauss, composé en 1889. Sous la conduite de ce brillant chef qui nous avait déjà impressionné par le passé, le Wiener Philharmoniker déploya son incroyable puissance symphonique pour délivrer ces grandes pages musicales ponctuées d’envolées lyriques dont il est capable. Mais cet orchestre considéré comme un monstre sonore prouva qu’il est également capable de moments d’une rare intimité emprunte du souffle métaphysique de l’œuvre de Strauss. Cette alchimie donna ainsi vie à des sentiments presque humains tels que l’espoir ou la détresse notamment lors de la reprise du motif par les bois. Evidemment, Jonathan Nott y fut pour beaucoup en travaillant les tempii, tantôt en les étirant, tantôt en jouant habilement sur le couple cuivres/percussions. Tout cela contribua à la construction d’une atmosphère évanescente qui prépara le public à la deuxième partie de la soirée.

Le chef d’orchestre britannique, considéré comme l’une des plus
brillantes baguettes de sa génération, se sentit immédiatement à
l’aise dans ce Mahler qu’il maîtrise comme personne et qu’il a
magnifiquement gravé au disque avec l’orchestre symphonique de
Bamberg. Véritable horloger, Nott exploita à merveille toutes les
couleurs de l’orchestre pour les restituer dans l’interprétation
pleine de contrastes de cette magnifique symphonie chantée
qu’est le Chant de la terre.

Bien entendu, rien n’aurait été possible sans la voix de Jonas
Kaufmann au timbre si touchant. Exprimant la beauté de la nature
et en même temps la fragilité de l’homme, il fut secondé par des
bois (flûte notamment) de très haute volée, condition sina qua non
pour réussir dans Mahler. Ici, la finitude de toute chose ainsi que
l’immanence de la vie trouvèrent une résonance musicale conclue
par ce magnifique Abschied (adieu) d’un lyrisme de toute beauté.

Avec ce Chant de la terre, Nott et Kaufmann offrirent au public
parisien une très belle interprétation qui prouve que Mahler,
placé entre de bonnes mains, peut se révéler tout à fait abordable
pour un public peu sensibilisé à cette musique. Mais surtout, il
montre qu’il n’est pas donné à tout le monde de pénétrer le cœur
sombre et lumineux de Gustave Mahler, ce qui fut pourtant fait ce
soir-là.

Laurent Pfaadt

« Tan Dun est l’un des rares compositeurs ayant bâti des ponts entre l’Orient et l’Occident »

Seldis ©Renske Vrolijk
Seldis ©Renske Vrolijk

L’orchestre du Royal Concertgebouw
d’Amsterdam a
toujours accordé une
grande importance à la
création
contemporaine comme
en témoigne la
publication du
septième opus de sa
série Horizon. Outre les
œuvres de George Benjamin, Magnus Lindberg ou de Richard
Rijnvos, Horizon 7 est surtout marqué par le concerto pour
contrebasse The Wolf (« le Loup ») du compositeur chinois Tan Dun.
Rencontre avec son dédicataire, le contrebassiste de l’orchestre,
Dominique Seldis.

Comment qualifierez-vous la musique de Tan Dun ?

Tan Dun est l’un des rares compositeurs ayant bâti des ponts
entre l’Orient et l’Occident. Il comprend la musique occidentale,
les instruments et les musiciens occidentaux et, dans le même
temps, il entoure son écriture de cet héritage oriental qui lui est
propre pour produire de grands effets. C’est d’ailleurs pour cela
qu’il est tant aimé dans le monde.

Un concerto pour contrebasse est assez inhabituel. Pouvez-vous nous expliquer ses contraintes et ses spécificités ?

La contrebasse n’est pas un instrument solo et a été construit pour
jouer dans des orchestres mais les techniques d’interprétation, les
cordes, les instruments eux-mêmes ont évolué mais plus
important encore, c’est le jeu de l’instrument qui s’est développé
ces dernières années si bien que des opportunités sont nées pour
en jouer en solo.

L’instrument ne se projette pas autant qu’un violoncelle par
exemple et donc, l’orchestration et l’écriture musicale doivent être
légères pour ne pas étouffer le soliste. Enfin, techniquement et
physiquement, l’instrument est très exigeant.

Parlez-nous de la genèse du projet du Loup 

Le RCO souhaitait commander un concerto pour contrebasse et
m’a demandé si j’avais une préférence. J’ai immédiatement
suggéré le nom de Tan Dun mais pour être honnête, je n’ai jamais
pensé qu’il pourrait être intéressé. Et à ma grande surprise, il a dit
oui.

J’ai également été en mesure de créer l’œuvre qui fut enregistrée.
Cela cimenta une relation particulière entre Tan Dun et
l’orchestre. Il y avait des risques mais il en résulta un concerto
pour contrebasse qui a fermement pris place dans le répertoire
solo. Travailler avec Tan Dun sur ce projet constitua l’un des plus
grands moments de ma vie musicale qui sera d’ailleurs difficile à
surpasser !

Avez-vous été associé à la composition de l’œuvre ?

Oui, nous nous rencontrâmes plusieurs fois lorsqu’il élabora le
concerto notamment pour explorer les possibilités de
l’instrument. Je voulais quelque chose qui montre ce que la
contrebasse pouvait faire et non ce qu’elle ne pouvait ne pas faire.
L’intelligence de Tan Dun et sa vaste connaissance de chaque
instrument de l’orchestre ont fait le reste.

La partition complète du Loup n’arriva que peu de temps avant la
première de l’œuvre et même durant les répétitions, certaines
choses furent encore modifiées. Tan Dun est un non seulement un
grand compositeur mais également l’un des plus aimables que j’ai
connu. Une pure inspiration.

Laurent Pfaadt

Lecteurs d’alerte

FranzenLe nouveau roman de Jonathan Franzen explore avec brio le pouvoir des nouveaux médias 

Le mensonge partout et la quête utopique de la vérité. Voilà les deux piliers sur lesquels repose Purity, le
nouveau roman déjà appelé à devenir culte de Jonathan Franzen, l’auteur des Corrections (2001) et de Freedom (2010).

Comme un symbole, Purity, c’est le prénom de l’héroïne, cette
jeune femme un peu pommée mais non dénuée d’intelligence et
vivant dans un squat d’Oakland. Flanquée d’une mère un peu
barrée et s’ennuyant ferme dans son travail d’opératrice
téléphonique, Pip – elle se fait appelée ainsi car elle a honte de son
prénom – se retrouve très vite embrigadée dans l’univers du
Sunlight Project piloté un certain Andreas Wolf, avatar de Julian
Assange – naturellement en mieux – qui a grandi à Berlin Est. En
poursuivant la quête de l’identité de son père que lui refuse sa
mère, Pip plonge très vite dans cette aventure aussi bien
personnelle que professionnelle.

Dans Purity, tout le monde ment à tout le monde, c’est ce qui fait
au demeurant le charme de l’ouvrage puisqu’il rythme sa lecture
et incite le lecteur à toujours vouloir en savoir davantage. Cette
prison mentale entraînerales différents personnages dans une
course à l’abîme grâce à une arme de destruction massive :
internet dont Franzen démontre ici avec brio la puissance à la fois
salvatrice et destructrice.

Franzen poursuit également son exploration des rapports
familiaux et notamment de la filiation. Il analyse ainsi la
construction identitaire des deux héros principaux, marquée par
leurs rapports à la mère. Cette soif de reconnaissance maternelle
passe par une forme de mépris qui n’est au final que le reflet du
mépris qu’ils éprouvent pour eux-mêmes (c’est le fameux
solipsisme du malheur) et les conduisent sur le chemin de la
transgression. L’ouvrage pose également une autre question : Les
enfants sont-ils responsables des erreurs et des
dysfonctionnements de leurs géniteurs ? A toutes ces questions
on songe, en lisant Franzen, aux mots de Khalil Gibran : « ils sont les
fils et les filles de l’appel de la vie à elle-même. Ils viennent à travers
vous mais non de vous. »

Cette omniprésence de la mère est aussi rendu possible par une
quasi absence du père et une quête des origines qui les pousse à
travers leur engagement à faire de la vérité bien plus qu’une
obsession, une véritable idéologie. Ainsi Wolf, tout en méprisant la
RDA et sa terrible Stasi dont il fut un enfant gâté, a repris cette
idée totalisante du régime est-allemand qui voulait bannir toute
vie privée.

Et pour couronner le tout, l’ouvrage est admirablement servi par
l’écriture de Franzen. Tout en reprenant un procédé narratif sur
plusieurs dizaines d’années déjà expérimenté avec succès dans ses
romans précédents, Franzen construit une intrigue dont les
ramifications passent aisément les époques et les lieux avec de
nombreux passages magnifiques comme par exemple cet amour
scellé dans le meurtre entre Wolf et Annagret à la fin des années
1980 . Au final, ce livre est non seulement un grand roman mais
surtout une pierre supplémentaire à la constitution d’une œuvre
singulière appelée  faire date.

Laurent Pfaadt

Jonathan Franzen, Purity,
Editions de l’Olivier, 2016