Je n’ai pas peur

Celui qui prononce cette affirmation courageuse qui sert de titre au
spectacle est un petit bonhomme de 9 ans qui habite au sud de
l’Italie dans une famille modeste.le père est camionneur, ses
absences sont longues, son retour une fête.

Michele et sa petite soeur Barbara jouent avec les enfants du village
dont certains sont autoritaires mais Michele arrive à se défendre.

Sur le castelet, une simple planche suspendue par des chaînes les
marionnettes s’activent sous les mains expertes des trois
marionnettistes qui leur prêtent vie et voix. D’emblée nous sommes
partie prenante de cette histoire à épisodes au cours de laquelle
Michele en s’aventurant dans le sous-sol d’une maison abandonnée
découvre…un fantôme..un mort-vivant ou plutôt, il finit par le
comprendre, un enfant séquestré.

Il va tout faire pour l’aider et se démène joliment  pour lui rendre
visite  malgré les frissons qu’l en a de cette rencontre insolite.

Surtout il se met en tête de découvrir  le mobile de cet enlèvement.

Plein de ruse et de détermination, il finira par deviner qu’il y a là-
dessous une sale affaire à laquelle malheureusement son père se
trouve mêlé, tenu par un soi-disant ami qui impose sa présence et sa
loi à la maison.

Mais ce qui compte dans ce spectacle c’est l’étonnante capacité
qu’ont les marionnettes et les comédiens à nous faire entrer dans
cette histoire contée à la manière des films italiens des années 70.
Nous passons sans y prêter vraiment attention des marionnettes
aux acteurs car ils sont alternativement ou simultanément porteurs
du jeu. Nous suivons les péripéties qui nous alertent sur les risques
courus par Michele, petit bonhomme déterminé, curieux, audacieux
qui s’active de la belle manière pour la cause  juste à ses yeux.

Tenu en haleine par le rythme soutenu des différentes scènes et par
la qualité du jeu des protagonistes de la Cie Tro-Heol, le public
petits et grands confondus a chaleureusement applaudi ce
magnifique récit initiatique adapté du roman de Niccolo Ammanti
aux Editions Grasset.

Marie-Françoise Grislin

TJP Strasbourg – Centre Dramatique National d’Alsace

Majestic time

Leur entrée en scène est pleine d’énergie. Ils sont jeunes et beaux et
leur présence nous est comme la promesse d’un moment jouissif.

Nous ne serons pas déçus par leur prestation qui va remporter
l’adhésion enthousiaste d’un public jeune et attentif. C’est qu’il s’agit
d’une chorégraphie qui lui correspond, pleine d’authenticité, de
créativité, qui organise les rencontres de chacun avec tous. Parfois
elles se font en duo, mais le groupe l’emporte en général.

Ils sont dix  lancés dans une course éperdue autour du plateau avant
qu’ils ne s’arrêtent face à nous pour nous proposer des figures très
organisées, toujours dans un parfait ensemble, qu’ils battent des
bras ou se jettent sur le sol pour de virtuoses prestations inspirées
du hip hop.

La gestuelle est rapide, soignée, rythmée, soutenue par un florilège
d’extraits musicaux.

Parfois une voix off fait résonner des mots qui insèrent ce spectacle
dans une réflexion qui dénonce l’injustice, évoque la condition de la
femme, parle de la France et de ses multiples racines.

L’engagement est ainsi fortement présent dans cette création de
Majid Yahyaoui, un chorégraphe qui n’oublie pas ses débuts du côté
de l’Elsau mais qui a su faire son chemin en allant ailleurs pour
parfaire ses connaissances et ses pratiques.

La Cie MJD, riche des talents de ses jeunes interprètes offre un
travail éclatant de vie et de générosité.

Pole Sud, Strasbourg

Marie-Françoise Grislin

La prison, miroir de notre société

© THOMAS SAMSON / AFP

Etude monumentale
sur les prisons
françaises. Edifiant

Dans ses Souvenirs de
la maison des morts
,
Fiodor Dostoïevski
écrivait que « nous ne
pouvons juger du
degré de civilisation
d’une nation qu’en visitant ses prisons »
. Et c’est bien à travers ce
prisme que le lecteur doit aborder cet ouvrage d’une densité
incroyable appelé à faire date. L’auteur, Farhad Khosrokhavar,
directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales,
qui s’est imposé depuis plusieurs années comme l’un de nos plus
éminents spécialistes du djihadisme et des phénomènes de
radicalisation, s’est littéralement immergé dans l’univers carcéral de
quatre prisons : Fleury-Mérogis, Fresnes, Lille-Sequedin et Saint-
Maur. Il y a mené de nombreux entretiens avec des détenus mais
également avec le personnel carcéral. Et les conclusions qu’il en a
tirées sont proprement stupéfiantes.

Aujourd’hui, la population carcérale est estimée à 70 000 détenus
environ et malgré l’absence de statistiques officielles, certains
indicateurs laissent à penser qu’il y a entre 40% et 60% de détenus
musulmans. A l’intérieur de cette microsociété codifiée par des
règles définies qui permettent d’identifier la place de chacun,
l’auteur nous rappelle qu’il existe aussi l’appréciation de ces mêmes
règles en fonction de considérations ethniques, religieuses, de
charisme ou parfois de notoriété. Le propos de Khosrokhavar va
donc bien au-delà de la simple dichotomie entre détenus et
surveillants. Sous ses mots, on comprend que la prison est un huis
clos permanent où l’opacité est la règle et où chacun échafaude sa
stratégie de survie en se plaçant sous la tutelle d’une puissance,
religieuse ou physique. Pire encore, l’auteur montre que la prison
agit comme un miroir inversé de la société où les victimes
deviennent tortionnaires. Ainsi, chacun cherche sa place, en se
plaçant sous une protection ou en devenant quelqu’un de
respectable.

Au regard de l’actualité récente, les pages consacrées aux détenus
radicalisés étaient pour le moins attendues. Et il faut dire que l’on
n’a pas été déçu. L’auteur rappelle d’emblée que « la prison est
seulement un moment dans le dispositif global de radicalisation »
et
pointe du doigt les réseaux de radicalisation à l’œuvre à l’extérieur.
Mais surtout, il estime que se radicaliser ne fait pas de vous un
djihadiste. Distinguant plusieurs catégories de radicalisés en prison
(le radicalisé sans fard, le radicalisé dissimulateur et le radicalisable),
Farhad Khosrokhavar dissocie intelligemment le processus de
radicalisation et son motif qui est selon lui plus souvent guidé par
une soif de vengeance que par une conviction religieuse. Enfin, la
prison n’est pas l’école de la radicalisation car tous les musulmans
qui vont en prison ne se radicalisent pas.

Ce constat où certains a priori sont, à juste titre battus en brèche,
permet ensuite à l’auteur de tirer quelques leçons à destination des
pouvoirs publics. A l’heure où la France a été frappée par les
attentats les plus sanglants de son histoire, Farhad Khosrokhavar
prévient que l’emprisonnement de centaines de jeunes radicalisés
entre 17 et 30 ans constitue autant de cocottes minute prêtes à
exploser. Or, aujourd’hui rien n’est fait pour préparer leur
réinsertion dans la société car selon l’auteur « on ne s’améliore pas en
prison, on se déshumanise ».

Dostoïevski donc.

Laurent Pfaadt

Farhad Khosrokhavar,
Prisons de France. Violence, Radicalisation, Déshumanisation : quand les surveillants et les détenus parlent,
Chez Robert Laffont, 2016.

CD du mois

Photo Petra Hajská

Sol Gabetta,
Live,
Sony Classical

Sol Gabetta est l’une plus
brillante violoncelliste de
la planète. Elle nous
revient avec un disque
live consacré à Elgar et à
Martinu. Dans le
concerto du compositeur
britannique, sa
sensualité est
perceptible dès les
premières notes, amplifiée il est vrai par la puissance romanesque
du Berliner Philharmoniker placé sous la direction de Sir Simon
Rattle. Son violoncelle virevoltant nous emmène sur les traces d’une
Jacqueline du Pré dont l’interprétation reste encore aujourd’hui
indépassable.

La véritable surprise du disque est indubitablement le concerto
pour violoncelle du Bohuslav Martinu. Une fois de plus, Sol Gabetta
prend à bras-le-corps l’œuvre pour nous délivrer une interprétation
épique et pleine de couleurs tirées de cette tradition tchèque si
vivante. La violoncelliste est parfaitement secondée au pupitre par
Krzysztof Urbanski, actuel chef de l’orchestre symphonique
d’Indianapolis, qui conduit les Berliner vers des sommets. Avec lui,
Sol Gabetta emporte l’œuvre telle une rivière tantôt bucolique,
tantôt furieuse. Une œuvre à découvrir assurément.

Laurent Pfaadt

Livre du mois

Saul Bellow,
les Aventures d’Augie March,
Folio

Dans son dernier ouvrage, le
romancier américain Jonathan
Franzen le considérait comme le plus
grand roman américain. Quarante ans
après le prix Nobel de son auteur Saul
Bellow et soixante-trois ans après sa
rédaction, les Aventures d’Augie March
conservent toujours autant leur
magie. Parfaitement restituée par la
nouvelle traduction de Michel
Lederer issue du volume de la collection Quarto, le roman conte les
pérégrinations d’un personnage hors du commun, Augie March.

De Chicago à Paris en passant par le Mexique, le lecteur suit avec
délice, tantôt amusé, tantôt horrifié, cet enfant devenu cet homme
et sa quête toujours recommencée pour trouver sa place dans la
société américaine. Véritable roman d’apprentissage, il éblouit avec
ces scènes merveilleuses dans cette Chicago de la Grande
Dépression qui n’a jamais été aussi bien décrite et déploie une
formidable galerie de personnages tels que Grandma Lausch, cette
voisine qui fait office de grand-mère et qui donnera à Augie ses
premières armes pour affronter la vie. Les aventures d’Augie March
demeure encore aujourd’hui, à n’en point douter, LE grand roman
américain

Laurent Pfaadt

Tamestit enchante Bordeaux

Tamestit © Photo/Michal Kamaryt

Ravel, Bartók et
Dvorak étaient au
programme de
l’ONBA

Le folklore, ses
mélodies et ses
rythmes constituent
autant de sources
inépuisables d’inspiration pour les compositeurs depuis que la
musique a été codifiée. La preuve en fut une nouvelle fois donnée
par l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine à l’occasion d’un
concert où la programmation fit la part belle à ces compositeurs qui
ont puisé dans leur folklore national ou dans d’autres traditions
matière à leurs créations.

Maurice Ravel, qui nourrissait une passion pour la musique
espagnole, a ouvert ce concert avec sa Rapsodie espagnole.
L’incroyable alchimie entre les clarinettes, la harpe, les bassons ont
dessiné un rythme que les musiciens ont subtilement fait danser
comme un serpent dans une atmosphère onirique. L’ajout de
percussions, comme les castagnettes que d’autres compositeurs
comme Stravinsky ont su utilisé à bon escient ou le tambourin,
combinées à des bois virevoltants ont alors conféré des couleurs
éclatantes à cette interprétation.

Le meilleur restait encore à venir. Béla Bartók a plus qu’aucun autre
compositeur, recensé et transformé le folklore de son pays en une
matière musicale unique. Son concerto pour alto, demeuré inachevé
à sa mort et dédié au grand altiste William Primrose, en est un bel
exemple. Passionné par ce compositeur, Antoine Tamestit, l’un des
plus grands altistes mondiaux, trouvait là matière à son immense
talent. Délivrant au public toute la beauté d’une œuvre qui oscille
entre intimité, fièvre et oppression notamment dans ce magnifique
lento, Tamestit délivra une interprétation de très grande qualité. Le
soliste put compter sur la complicité du chef Sacha Goetzel,
directeur artistique de l’Orchestre Philharmonique de Borusan-
Istanbul, qui engagea des cordes affûtées pour soutenir l’altiste
français. Avec ce dernier, on se demande toujours qui, de
l’instrument ou du soliste, porte l’autre. Et dans ce concerto, on a
vraiment eu l’impression que l’alto berçait son interprète. Tamestit,
la tête posée sur son instrument, se contentait de sourire et
d’exécuter ce que lui commandait l’alto. Ni Antoine Tamestit, ni les
spectateurs à vrai dire ne voulurent quitter ces terres hongroises si
hospitalières et le plaisir se prolongea le temps de plusieurs duos de
Bartok en compagnie du soliste et de son ami d’enfance, le
violoncelle solo de l’orchestre, Alexis Descharmes.

Restait à parachever cette soirée, ce voyage européen à travers la
musique. L’orchestre et son chef avaient choisi une destination de
choix : la Bohème d’Antonin Dvorak. Et sa septième symphonie en
ré mineur comporte tous les ingrédients pour être à la fois épique et
colorée. Goetzel a su, une fois de plus, insuffler à l’orchestre cette
respiration typiquement tchèque que l’on retrouve notamment
dans le furiant du troisième mouvement ou dans ces apports
tziganes qui imprègnent les cordes et les bois tout en conservant
l’héritage brahmsien de cette symphonie. Avec des cors et des
trombones au ton juste et des cordes tranchantes, la septième
symphonie s’est alors déployée avec majesté dans l’auditorium où
chaque instrument a pris sa place et a raisonné avec clairvoyance.

Lentement alors, la musique, tel un feu grandissant, se répandit,
couronnant une merveilleuse soirée.

Laurent Pfaadt

Après le rouge, le noir

L’historien
américain, Timothy
Snyder, revient avec
un nouveau livre
choc

Timothy Snyder est
en quelque sorte un
lanceur d’alerte. Pas
au sens où nous
l’entendons, à la manière d’un Edward Snowden ou d’un Julian
Assange. Non, ce type de lanceur d’alerte est plutôt celui qui
ausculte l’histoire passée pour en tirer des leçons pour l’avenir. Et
comme cela ne va pas toujours de soi, Snyder le formalise dans un
livre.

Après l’incroyable Terre de Sang, l’Europe entre Hitler et Staline, le
nouveau livre de Timothy Snyder traite une nouvelle fois de
l’extermination des populations européennes pendant la seconde
mondiale en se focalisant sur l’Holocauste.

Il décortique parfaitement la mécanique intellectuelle qui anima
l’esprit d’Hitler et se diffusa dans l’ensemble des institutions du
Troisième Reich et de ses agents. Battant en brèche l’idéologie
purement raciale, Snyder insiste au contraire sur la rencontre entre
la science et la politique qui se matérialisa dans ce que l’on a appelé
depuis le « Lebensraum », cet espace vital nécessaire selon le Führer,
à l’Allemagne pour assurer sa survie et que l’auteur dénomme plus
justement « niche écologique ».

Cette définition éclaire alors tout son raisonnement. L’Allemagne se
transforme en un monstre qui se doit de consommer des territoires
via une expansion territoriale toujours renouvelée. Dans cette
logique, il faut tuer pour éviter d’être tué et s’emparer par la
conquête des terres nécessaires. Slaves et juifs firent notamment
les frais de cette logique. Toutes les institutions du Troisième Reich
s’employèrent à réaliser cet objectif notamment la SS, bras armé de
cette idéologie vouée à la destruction d’Etats identifiés comme
autant d’obstacles à la réalisation de cette stratégie.

C’est dans cette même logique qu’il faut, selon Snyder, analyser
l’Holocauste. L’historien montre ainsi que les juifs allemands avaient
plus de chances de survivre que les juifs citoyens d’Etats détruits. La
destruction des juifs d’Europe n’obéissait à une logique que parce
que l’antisémitisme représentait avant tout une composante de
cette lutte à mort pour le contrôle de cette terre noire. A ce titre,
l’auteur estime qu’Auschwitz est un symbole certes terrible de
l’Holocauste mais il est réducteur dans le sens où il empêche de
percevoir le phénomène dans sa globalité.

L’historien tire de cette démonstration des conclusions en forme
d’extrapolations sur les conflits récents ou à venir pour le contrôle
des ressources naturelles. L’idée de Lebensraum pourrait selon lui
retrouver une nouvelle actualité avec le changement climatique.
Pour l’instant, les conflits découlant de cette logique sont restés
localisés, comme par exemple le génocide rwandais expliqué par
l’épuisement des terres arables à la fin des années 80 et le déclin du
rendement des cultures au début des années 90, ou plus récemment
la destruction de l’état ukrainien par la Russie de Poutine. Mais
cette localisation ne saurait durer éternellement car selon Snyder «
l’holocauste n’est pas seulement histoire, il est aussi avertissement ».

Laurent Pfaadt

Timothy Snyder,
Terre noire: L’Holocauste, et pourquoi il peut se répéter,
coll. Bibliothèque des histoires,
Chez Gallimard, 2016

L’humanité du bout du monde

Guelassimov © George Seguin

Andrei Guelassimov signe un
nouveau roman très réussi

Un Gavroche soviétique qui fait les
400 coups dans sa ferme et un
prisonnier japonais qui conte
l’histoire millénaire de son pays
lointain. Voici les deux personnages
principaux du nouveau roman
d’Andrei Guelassimov, l’un des
auteurs les plus en vue de la
nouvelle littérature russe. Deux
personnages que tout sépare au
demeurant et qui pourtant sont
voisins dans cette Sibérie extrême-orientale.

Le jeune Petka, fasciné par la guerre et ses avions qui survolent sa
maison, et le médecin autodidacte Hirotaro Miyanaga enfermé dans
ce camp de prisonniers japonais nous racontent tous les deux cette
guerre oubliée d’Extrême-Orient, loin du continent européen.

Avec son écriture épique, le roman décrit merveilleusement, à
travers ces deux personnages, une guerre fantasmée. Celle-ci se
déroule à la fois dans les yeux d’un enfant mais également en secret
dans les cahiers d’Hirotaro, descendant d’un fameux samouraï. Les
chars T34 y côtoient les shoguns et les samouraïs.

On comprend alors que Petka et Hirotaro agissent pour exister,
pour ne pas être victime de cette aliénation dans laquelle toute
guerre enferme. Les bêtises de Petka sont autant de mains tendues
vers ces grands-parents qui représentent sa seule famille, lui, le «
bâtard » qui n’a pas de père. Les mots d’Hirotaro tracent un chemin
imaginaire vers ses enfants dont il se plaît à imaginer leurs
occupations, leurs vies, dans ce Japon prêt à recevoir l’apocalypse
car la guerre n’est pas encore achevée et les Américains n’ont pas
encore lâché leur bombe atomique sur cette Nagasaki servant de
décor au récit d’Hirotaro. On assiste avec tristesse à cette quête
sans espoir, celle de cet homme qui tente, via son récit, de préserver
un lien avec sa famille vouée à mourir et dont il ignorera la
disparition après l’explosion de la bombe, le 9 août 1945. Chez
Guelassimov, la vie et la mort se croisent en permanence. Vivre
malgré la mort, écrire pour ne pas mourir, vivre pour écrire.

Quête des origines, réflexions sur ce monde à venir que la bombe
atomique viendra bouleverser, les dieux de la steppe parlent de tout
cela avec brio.

Laurent Pfaadt

Andrei Guelassimov,
les dieux de la steppe,
Chez Actes Sud, 2016

La musique contre l’oppression

Adams © Jeff Roffman

Le violon est à
l’honneur de
plusieurs
compositions
contemporaines

Le violon inspire
toujours autant les
compositeurs de
notre époque. Et à
l’instar d’un Niccolo Paganini ou d’un Joseph Joachim, il se trouve
toujours autant d’interprètes réceptifs à ces nouvelles œuvres qui
seront amenées dans les décennies à venir à intégrer le répertoire
et à devenir des classiques.

Aujourd’hui, quelques-uns des plus grands compositeurs de notre
époque (John Adams, Wolfgang Rihm, Pascal Dusapin et Bruno
Montovani) consacrent à l’instrument roi plusieurs œuvres qu’il
nous est possible d’apprécier. Avec cette symphonie dramatique
pour violon et orchestre baptisé Shéhérazade 2, John Adams, rendu
célèbre pour ses opéras provocateurs Nixon in China ou The Death of
Klinghoffer
reste fidèle à lui-même. En choisissant de raconter le
destin d’une femme face à des fanatiques religieux, Adams a choisi
un engagement qui se traduit dans son orchestration par un
mouvement perpétuel. Comme dans l’œuvre de Rimski-Korsakov, le
violon est un protagoniste à part entière de l’œuvre. Son dialogue
permanent avec le cymbalum, sorte d’élément masculin de l’œuvre,
renforce ce côté narratif particulièrement explicite notamment lors
du second mouvement.

Pour traduire cet engagement, il fallait une artiste à la mesure du
défi proposé. Et il faut dire qu’Adams a trouvé en Leïla Josefowicz
qui compte parmi les plus grandes interprètes du monde, l’artiste
idoine. Sublime Shéhérazade, elle nous raconte avec son jeu
parfaitement maitrisé, cette histoire de femme qui lutte dans un
monde où l’aliénation vient tantôt des fanatiques, tantôt des
hommes. Leïla Josefowicz a présidé à la création mondiale de
l’œuvre à New York en mars 2015 puis en France ces dernières
semaines. On la retrouve avec brio sur ce disque en compagnie de
David Robertson, grand connaisseur de la musique d’Adams, à la
tête du St Louis Symphony.

Renaud Capuçon fait lui aussi partie de ces artistes dédicataires
d’oeuvres. Avec ce disque consacré à plusieurs concertos
contemporains, il nous montre sa sensibilité à des univers différents
en même temps qu’il nous prouve une fois de plus, la plasticité de
ses interprétations. Réunis sur un même disque, les univers de
Wolfgang Rihm, Pascal Dusapin ou Bruno Montovani diffèrent
assurément même si une forme d’anxiété musicale tend à les
rapprocher. Chez Rihm, l’angoisse est immédiatement perceptible.
Gedicht des Malers, le poème du peintre, est traversé par un
expressionnisme musical très marqué avec ses rythmes percutants.
D’ailleurs le compositeur a pensé l’œuvre en se référant au travail
du peintre Max Beckmann. Dans le concerto Aufgang de Pascal
Dusapin, le violon se fait moins nerveux et certains accords tendent
à rappeler parfois the Lark Ascending de Ralph Vaughan Williams. Le
compositeur britannique s’inspira d’un poème de George Meredith
dont ces quelques vers : « Elle s’élève et se met à tourner, Elle laisse
tomber la chaîne argentée du son, sans séparer ses nombreux anneaux,
avec force pépiements, sifflements, liaisons et tremblements »
ne
sauraient mieux décrire l’interprétation de Renaud Capuçon, bien
secondé par l’orchestre philharmonique de Radio-France et la
magnifique baguette de Myung-Whun Chung.

Les Jeux d’eau de Bruno Montovani referment ce disque. Pleine de
fureur, cette pièce est plus un torrent furieux que les tranquilles
vagues de Maurice Ravel. Une fois de plus, Capuçon secondé cette
fois-ci par Philippe Jordan et l’orchestre de l’opéra de Paris,
transcende cette pièce transformée en une apothéose sonore.

Laurent Pfaadt

John Adams, Shéhérazade 2, Leïla Josefowicz,
St Louis Symphony, dir. David Robertson,
Nonesuch, 2016

Capuçon : Rihm, Dusapin, Montovani,
21st century violins concertos,
Erato Warner Classics, 2016