Alan

La pièce de Mohamed Rouabhi, a été un bonheur de théâtre tel qu’on n’en avait pas connu au TNS depuis assez longtemps.

Il faut dire qu’elle a tout pour plaire avec ses trouvailles, son inventivité et sa dimension très humaine.

Alan vit seul, il ne cesse de nous le dire par l’intermédiaire d’une voix off ( celle de Mohamed Rouabhi) qui décrit ses activités faites du matin au soir de répétitions. Le matin, se lever, avaler son café, quitter l’appartement, prendre le bus, se retrouver au bureau et puis le soir c’est retour à la case départ. Tout semble si bien réglé que rien, semble-t-il ne peut arriver. Mais voilà que justement quelque chose se produit. Et la rupture dans ce déroulé obsessionnel crée l’histoire et fait théâtre.

Que se passe-t-il quand une porte qu’on est sûr d’avoir fermée se retrouve ouverte, que cette situation se renouvelle ? on est alors en droit de s’interroger et de se demander si un intrus à pénétrer dans sa maison  ou bien si on ne sait plus très bien ce que l’on fait, si on a peut-être une défaillance. Questionnement et inquiétude s’entremêlent et conduisent même à consulter. Sans résultat !

Spectateurs, nous assistons à cette cérémonie de l’intrusion et voyons l’arrivée  impromptue d’un être étrange portant sur un corps humain une tête de lapin, un être jeune, virevoltant  sur un petit scooter, grimpant sur les meubles, fouinant ici ou là.

Le soporifique bien-être d’Alan est mis à mal. D’abord, présence invisible et cachée, il se révèle enfin aux yeux d’Alan et en devient assez vite l’ami incontournable, un joyeux compagnon de vie. C’est alors que tout change. Le monde apparaît autrement à Alan  et il découvre que, Melle Jones, sa collègue de travail, est une personne bien intéressante dont il tombe amoureux. La réciprocité de leurs sentiments leur fait connaître le bonheur et la joie de vivre.

Le propos pourrait être banal s’il n’était accompagné d’une mise en scène originale.
En effet, si le décor est sobre, représentant avec une grande simplicité, tantôt le studio où vit Alan, tantôt le bureau où il travaille, une importance particulière est réservée aux portes, permettant d’accéder à ces différents lieux. Elles sont fermées, entrebâillées, ouvertes, symbolisant en quelque sorte l’ouverture d’esprit des protagonistes qui se modifie, se transforme au fil de l’histoire.

De plus, de petits films d’animation et des dessins très réussis, signés Stéphanie Sergeant, donnent à la narration une dimension ludique en nous embarquant dans les pensées, les fantasmes qui traversent l’esprit des personnages. C’est à la fois amusant et émouvant.

Sans aucune pesanteur une « morale » se dégage de cette fable : se laisser pénétrer par l’étranger, c’est s’ouvrir au monde et profiter d’un bonheur de vivre qui se trouve souvent à portée de main et qu’on ne perçoit pas tant qu’on reste replié sur soi et qu’on s’attache à la routine du quotidien.

Trois remarquables comédiens, Hervé Sika qui joue Alan, Marie Sergeant, Mademoiselle Jones et Lauren Pineau-Orcier qui fait l’étranger à tête de lapin mènent avec conviction cette réflexion sur la vie.

Le texte est publié aux éditions Actes Sud Papiers.

Marie-Françoise Grislin

L’air et la chair

© Luc Maechel

Bacon / Giacometti

C’est la première fois
qu’un musée
confronte le travail
d’Alberto Giacometti
(1901–1966) et de
Francis Bacon
(1909–1992). Un
dialogue audacieux
et envoûtant
présenté par la
Fondation Beyeler du 29 avril au 2 septembre avec une centaine
d’oeuvres de ces deux artistes majeurs du XXe siècle.

Suite de l’article de Luc Maechel :
Bacon/Giacometti : L’air et la chair

Parution papier hebdoscope,  juin 2018 n° 1051

Demain ne meurt jamais

Carré © Ralph Crane

John Le Carré
revient avec un
roman éblouissant
en forme de
testament

Peter Guillam,
ancienne pièce
maîtresse du Cirque,
surnom du
département des
opérations
clandestines des services secrets britanniques pendant la guerre
froide, devenu aujourd’hui un paisible sexagénaire, ne s’attendait
certainement pas à être tiré de sa retraite bretonne pour devoir
faire la lumière sur les morts, en 1961, de son ancien ami, Alec
Leamas et de la maîtresse de ce dernier, Elizabeth Gold, les
protagonistes de l’Espion qui venait du froid, publié en 1963.

Mais que veulent savoir ces jeunes agents aux surnoms stupides sur
une affaire vieille de plus d’un demi-siècle et sur cette opération de
désinformation de la Stasi baptisée Windfall et chargée d’identifier
le ou les traîtres infiltrés par les Soviétiques dans le Cirque, alors
dirigé de main de maître par George Smiley, le héros le plus célèbre
de John Le Carré ?

Tel est le point de départ du nouveau roman de l’ancien espion
devenu romancier à succès et qui, à près de 87 ans, a conservé tout
son talent et sa manière si unique de plonger son lecteur dans des
abysses psychologiques dont il ne sort qu’au prix de nuits blanches
et de séquelles psychologiques et littéraires irréversibles, à son
grand ravissement au demeurant.

Au fur et à mesure que le lecteur, suivant en cela les pas de Peter,
s’enfonce dans cette obscure forêt, ce passé des années 60 où se
joua le sort du monde, peuplé des spectres d’Alec, son ami,
d’Elizabeth Gold, d’Hans-Dieter Mundt, le maître-espion de la Stasi,
et surtout de Doris Gamp, la fameuse Tulip qu’il a aimé, ses
certitudes vacillent. Peter Guillam découvre alors que les gens en
qui il avait une totale confiance, n’étaient peut-être pas ceux qu’il
croyait, que la cause qu’il servait n’était finalement pas aussi juste
qu’il le pensait. Dans cette forêt en forme de miroir apparaissent ces
hommes et ces femmes qu’il a connu mais également les reflets
d’une autre réalité.

Une fois de plus, avec ce roman écrit avec maestria, John Le Carré
rappelle qu’il est, à l’image de George Smiley, son alter ego littéraire,
immortel, et que les espions, marionnettistes de leur temps, finissent
toujours par devenir les marionnettes d’une histoire passée dans les
mains de ces jeunes générations qui, par le biais de Bunny et de
Laura, demandent des comptes. Laissons le mot de la fin à George
Smiley : « Si j’ai été sans cœur, je l’ai été pour l’Europe. Si j’ai eu un idéal
hors d’atteinte, c’était de sortir l’Europe des ténèbres dans lesquelles elle
se trouvait pour l’emmener vers un nouvel âge de raison. Et je l’ai
toujours.»
L’histoire est ingrate pour ceux qui ont tenté de sauver le
monde à Berlin doivent se dire Peter Guillam, Jim Prideaux ou
George Smiley. Car elle laisse les héros de l’ombre, seuls, à ressasser
dans des caravanes ou dans les alcôves d’une bibliothèque leurs
exploits passés.

En refermant ce roman qui d’une certaine manière achève une
œuvre prodigieuse, on se demande si tout cela n’a pas été vain. Peut-
être sur l’échiquier géopolitique. Certainement pas en littérature.

Par Laurent Pfaadt

John le Carré, L’héritage des espions, Seuil, 320 p.

L’amour au temps de la peste brune

Jancar © Jože Suhadolnik/Delo

Quand l’amour défie
l’histoire. Un grand
roman de Drago
Jancar.

Drago Jancar est un
conteur né. Après les
magnifiques Cette
nuit-là, je l’ai vue
et Six
mois dans la vie de
Ciril
, tous publiés
chez Phébus, le grand écrivain, digne représentant, avec Boris Pahor,
des lettres slovènes, nous revient avec un grand roman qui plonge
dans les affres de la seconde guerre mondiale.

Maribor 1944. La ville slovène, autrefois partie de l’empire austro-
hongrois et peuplée en grande majorité de germanophones, a été
intégrée en 1919 au nouveau royaume de Yougoslavie. Ressemblant
à sa cousine Trieste, elle est imprégnée de ce multiculturalisme où
germanophones et slaves ont su vivre ensemble tant bien que mal.
Mais l’invasion nazie a bouleversé tout cela. De nombreux
groupuscules luttent contre l’occupant allemand, aidé par ces
populations germanophones qui ont acclamé les troupes du
Troisième Reich lorsque ces dernières pénétrèrent dans la ville et
s’emparèrent des postes clés en 1941

Certains comme Ludek vont trouver dans le basculement de
l’histoire matière à leurs revanches personnelles. Ludek est devenu
Ludwig, un haut gradé SS qui règne en maître sur son ancienne ville
natale et ne jure que par la pureté de la langue allemande. Il a le
pouvoir mais pas l’amour. Or, celui-ci vient à passer à sa portée, non
pas directement mais par le biais d’une ancienne connaissance,
Sonja, venue quémander à l’officier nazi, une grâce pour son
amoureux Valentin, un maquisard arrêté quelques mois plus tôt.
Sonja ne sait pas encore que cette rencontre allait marquer à jamais
leurs destins.

Une nouvelle fois, Jancar nous accompagne dans les rues de sa chère
Maribor, un peu à la manière d’un Claudio Magris. Le lecteur voyage
tantôt au bord de la Drave, tantôt dans les vallées de la Prohorje, ces
montagnes où nos amoureux se récitaient des poèmes bucoliques,
tantôt enfin dans ces cafés qui sont autant de ruines fumantes d’une
Mitteleuropa à jamais disparue et où se noue le destin funeste de
Sonja. A travers ces lieux et ses personnages, Jancar nous rappelle
avec la beauté de son écriture que la langue conduit toujours au
nationalisme lorsqu’elle se veut exclusive, lorsqu’elle se revendique
comme unique dépositaire d’une identité.

De cette domination linguistique naît alors la domination politique,
celle des êtres. Le geste de Sonja, écrit à l’encre de la poésie, aura un
goût amer. Jusqu’où est-on capable d’aller par amour ? Celui-ci a-t-il
besoin d’être sans cesse entretenu, de vivre par-dessus tout, malgré
tout ? Ou comme le dit Jancar, a-t-il lui aussi besoin de repos ? Sonja
devait se brûler en tentant de se résoudre ce dilemme, marquée
dans sa chair et son esprit par le fer de l’oppresseur. Et si la liberté,
surtout pendant cette période tragique où nos héros voyagèrent
parmi les ombres de Dachau, Buchenwald et Ravensbrück et
côtoyèrent la mort à tous les coins de rues de Maribor, n’était pas la
chose la plus importante au monde, celle qui vaut tous les sacrifices
y compris celui de l’amour ? C’est à travers ce prisme que le roman
de Jancar devient limpide. C’est avec un fusil dans le maquis que
Valentin défendit sa liberté tandis que Sonja choisit la liberté de son
cœur.

A travers les histoires de Sonja, Ludwig et Valentin, Drago Jancar
tire une réflexion sur les rapports géopolitiques qui ont ensanglanté
l’Europe au 20e siècle et dont les résurgences plus à l’Est font
toujours craindre le pire.

Par Laurent Pfaadt

Drago Jancar, Et l’amour aussi a besoin de repos, Phébus, 350 p.

Et Salonen dompta le titan

© Benjamin Ealoveg

Beethoven et
Mahler illuminèrent
le théâtre des
Champs-Élysées

Il faut bien
reconnaître qu’entre
le Philharmonia et
son directeur
musical, Esa-Pekka Salonen, la complicité est parfaite. L’orchestre
sait ce que veut son chef et celui-ci n’a, ni à apprivoiser, ni à
convaincre la phalange qu’il dirige. Cela donne des prestations bien
huilées, sans heurts où chaque son trouve sa juste place, celle
décidée par le chef, et où les équilibres sonores sont parfaitement
respectés. Ce fut le cas avec la seconde de Beethoven, symphonie
féminine qui associe le tempo orageux du maître de Bonn avec la
rondeur de sa conception, loin des cinquième ou septième
symphonies.

Ici donc l’ADN britannique du Philharmonia est parfaitement adapté
à l’œuvre et la baguette du chef, trempée dans la fougue
beethovenienne avec ce qu’il faut de violence contenue, fait mouche.
L’exécution ravit le public. Mais il manque une histoire, celle que
raconte parfois la rencontre entre un homme et un orchestre.

Pour cela, il a fallu attendre la première symphonie dite Titan de
Mahler. Car ce dernier ne supporte pas l’académisme. C’est toute la
différence entre romantisme et postromantisme. Salonen aurait pu
choisir d’user d’effets sonores pour contenter son auditoire. Mais
c’était mal connaître le chef car dès les premières notes, nous
embarquâmes dans un voyage musical prodigieux. Les tempos lents
de la symphonie furent d’une beauté stupéfiante lorsque les parties
plus rapides revêtirent, grâce à des cordes affûtées, un caractère
plus âpre notamment dans ce début si connu du second mouvement.
Le chef instilla à l’orchestre britannique un supplément d’âme
viennois mais une âme toute mahlérienne avec ce qu’il faut de doute
et de noirceur, bien aidé en cela par des percussions et des
clarinettes alertes.

Salonen réveilla ainsi le titan qui sommeillait dans l’œuvre grâce un
orchestre transformé en organisme vivant. On se surprit à retenir
son souffle pour savoir qui de l’orchestre ou du démon allait gagner
ce combat pour reprendre les mots de Zweig. Mais Salonen, devenu
entre-temps compositeur, comprit parfaitement le message de
Mahler et s’employa à dompter la créature musicale. Grâce au fil
musical qui ne fut d’ailleurs jamais une chaîne, tissé tantôt par la
flûte tantôt par cette harpe, merveilleuse étoile dans la nuit
mahlérienne, tantôt enfin par ces violoncelles, le charme opéra
parfaitement.

Vint alors le troisième mouvement qui s’ouvrit avec le thème de
Frère Jacques entamé par la contrebasse. L’histoire se poursuivit, le
titan sembla traverser ce siècle qui nous sépare de Mahler, au gré de
lamentos funèbres et d’explosions fracassantes. Puis il parvint, grâce
à Salonen et au Philharmonia, jusqu’à nous, jusqu’à cette salle au
nom prédestiné devenu le temps d’une soirée ce lieu où mythe et
réalité ne firent plus qu’un.

Par Laurent Pfaadt

A écouter : Esa-Pekka Salonen, The complete sony recordings,
Sony Classical, 2018

Un souffle venu du nord

Ksenija Sidorova,
star de l’accordéon,
était l’invitée de
l’Orchestre
Philharmonique du
Luxembourg

Il y a toujours
quelque chose
d’excitant à découvrir
de nouvelles œuvres,
de nouveaux
interprètes et des
instruments, disons,
moins fréquents. Car il faut bien le reconnaître : programmer un
compositeur inconnu – contemporain de surcroît – permet certes de
résoudre ces équations musicales mais représente un pari
commercial risqué. Ce type d’argument ne semble pas effrayer la
Philharmonie du Luxembourg comme en témoigne le concert donné
le 20 avril dernier. Et quand l’orchestre philharmonique du grand-
duché dirigé pour l’occasion par le chef estonien Paavo Järvi, artiste
en résidence, se rend complice d’une telle aventure, le résultat ne
peut que détonner.

Le chef commença par nous embarquer sur les terres musicales du
grand Sibelius, et nous délivra à travers le poème symphonique
assez peu connu, Chevauchée nocturne et Lever de soleil, un condensé
épique du génie finlandais où pointèrent passion et puissance
tellurique.

Arriva ensuite Ksenija Sidorova. L’accordéoniste entra dans l’œuvre
d’Erkki-Sven Tüür, Prophecy, comme un vent pénétrant dans une
maison abandonnée. L’œuvre du compositeur estonien, mêlant
abstraction et polystylisme, qui tend à ce titre à le rapprocher
d’Alfred Schnittke, est inquiétante, oppressante. A mesure que les
doigts de Sidorova, accompagnés magnifiquement par les bois
rivalisèrent de virtuosité, il se dégagea un sentiment d’urgence, de
course à l’abîme. Il se créa alors plus qu’un dialogue, une véritable
respiration où l’énergie de l’orchestre sembla comme aspirée par
l’accordéon pour être aussitôt renvoyée vers la phalange
luxembourgeoise. Un sentiment d’effervescence entretenu par des
percussions lumineuses lancées à la poursuite d’un accordéon jetant
dans la salle ses reflets irisés, gagna l’assistance. D’ailleurs, l’ovation
que le public réserva à la soliste fut à la mesure de sa magnifique
interprétation.

L’idylle entre l’orchestre, le chef et le public se poursuivit avec
Wagner et son Siegfried, interprété avec une légèreté bienveillante
grâce à des bois et des cuivres, notamment le cor solo, dont la
pudeur permit à la musique de gagner en profondeur.

Restait à conclure cette soirée. Puisant dans son incroyable maîtrise
beethovenienne, le chef emmena vers les sommets musicaux un OPL
qui n’en demandait pas mieux. Alliant puissance et précision, la
baguette vigilante du chef ne se laissa jamais aller à la facilité ni à des
effets sonores qui auraient, à n’en point douter, comblé le public,
mais auraient dénaturé cette quatrième symphonie. L’hommage
voulu par le compositeur à Haydn était à ce prix. Accompagné de
quelques instrumentistes très en verve notamment le basson, il
choisit l’excellence. Le résultat n’en fut que meilleur.

Par Laurent Pfaadt

Livre du mois

Michaël Uras, La Maison à droite de celle de ma grand-mère, Préludes, 320 p. 

Après l’incroyable succès de Aux
petits mots les grands remèdes
,
Michaël Uras revient avec ce
nouveau roman plein de ferveur et
d’humour avec comme décor, sa
Sardaigne natale. Mais cette fois-ci,
l’heure est grave : la grand-mère de
Giacomo, traducteur de son état, est
sur le point de passer de vie à
trépas. Ce dernier arrive alors sans
tarder. Mais il ne se doute pas, ou plutôt, il s’en doute trop, que son
arrivée ressemblera à tout sauf à un simple aller-retour pour dire
adieu à sa grand-mère.

Car sitôt arrivé, Giacomo replonge dans son histoire où gravite cette
incroyable galerie de personnages qu’Uras, avec son écriture légère
où transparaît immédiatement la bonne humeur, nous fait aimer dès
les premiers mots. Personnages hauts en couleur, scènes hilarantes,
le retour au pays de Giacomo s’apparentera moins à une veillée
funèbre qu’à une commedia dell’arte permanente ! Un condensé
d’optimisme !

Par Laurent Pfaadt

Michael Uras sera présent à la librairie La Libellule de Colmar le mercredi 25 mai à partir de 17h

Livre du mois

David Szalay, Ce qu’est l’homme, Albin Michel, 560 p.

Exercice de style autant que réflexion profonde sur la condition
masculine, ce livre ne devrait laisser aucun lecteur insensible. A
travers la succession de ces neuf
hommes de 17 à 73 ans répartis
sur l’ensemble du continent
européen, l’auteur construit assez
intelligemment un portrait presque
type de l’homme moderne avec ses
forces mais surtout ses fêlures
dans cette société contemporaine
qui les atomise et qui les
dépossède d’eux-mêmes.

Dans un récit mené de main de
maître – et l’on ne peut qu’être
impressionné par sa construction
narrative – chaque histoire peut se lire indépendamment telle une
nouvelle mais mises bout à bout, elles forment un seul et unique
livre. A travers ce dernier, David Szalay pose et nous pose la
question essentielle : qu’est-ce que la vie et quel sens a-t-elle pour
nous, aujourd’hui ? Son livre permet surtout de nous comprendre,
nous les hommes, un peu mieux. N’est-ce pas là, la fonction d’un
grand écrivain ? Assurément.

Par Laurent Pfaadt

CD du mois

Adam Laloum, Brahms, piano concertos, Orchestre symphonique de la Radio de Berlin, dir. Kazuki Yamada

Comme il est bon
d’écouter de jeunes
pianistes pour qui
puissance ne rime
pas avec
démonstration de
force et dont le
toucher révèle une
sensibilité sincère.
C’est ce que l’on
ressent dès les
premières notes de ces deux concertos pour pianos de Brahms, chefs d’oeuvre du
répertoire romantique et passage obligé de toute carrière
discographique, sous les doigts d’Adam Laloum.

Le vainqueur du concours international Clara Haskil 2009, lointain
successeur de Christoph Eschenbach, signe ici une version
magnifique où son jeu subtil confère à l’interprétation une grâce
rafraîchissante, particulièrement perceptible dans l’allegro
appasionnato du deuxième concerto. Et lorsque le tempo exige un
peu plus de dûreté comme dans le finale du premier concerto,
Laloum préfère prendre son temps et rendre ce moment unique. Il
faut dire qu’il est secondé par un Kazuki Yamada très inspiré à la
tête de l’orchestre de la radio de Berlin. Grâce à cette puissance
sonore qu’il distille parfaitement, il est le binôme parfait du soliste.
Ne pas céder à la facilité est toujours l’apanage des plus grands.

Par Laurent Pfaadt