Le colonel des Zouaves

Le roman D’Olivier Cadiot mis en scène par Ludovic Lagarde constitue  un spectacle-culte depuis sa création en 1997

Alors que les rires fusent dans le public, une partie de celui-ci reste interdit, comme s’il n’était pas dans le coup et s’interroge, essayant de trouver le fil conducteur d’un récit qui, à l’évidence ne cherche pas à en proposer. Ce qu’il nous est surtout demander, semble-t-il, c’est plutôt de regarder et là il faut reconnaître qu’on est magnifiquement ébloui du si grand talent de Laurent Poitrenaux, comédien attaché au TNS et que nous avons eu maintes fois l’occasion d’apprécier.

Sa performance durant une heure et demie nous confirme qu’il est un acteur formidable. Sa capacité à changer de postures, de mimiques, tout cela sur un espace très étriqué lui permet  d’incarner Robinson, le personnage complexe, principal sujet de ce  roman d’Olivier Cadiot. Un personnage qu’on nous donne à voir et à entendre comme  majordome dans une maison bourgeoise, hanté par le désir de perfection voulu pour chacun de ses gestes et qu’accompagne à l’appui un discours intérieur. Ce qu’il veut, c’est passer les plats, avec application, adresse et une certaine servilité de bon aloi.

Laurent Poitrenaux lui confère une teinte humoristique incontestable, mettant en évidence ses contradictions comme le fait de vouloir la perfection dans ses moindres gestes alors qu’il laisse  glisser malencontreusement le plat qu’il s’apprêtait à servir. De même  ses attitudes déférentes envers les bourgeois vont à l’encontre de sa façon de rapporter avec force minauderies leurs propos mondains, manière d’en souligner l’ insignifiance.

D’autres séquences viennent à se répéter comme pour rythmer le spectacle, ce sont les scènes de « courses » auxquelles le personnage s’astreint pour entretenir sa « forme », sa » santé ». Toujours rivé à son périmètre étriqué, le comédien  mime la course, l’effort, l’essoufflement, les arrêts, les contrôles de sa propre performance. C’est une véritable chorégraphie qu’il nous offre. Il s’y est entraîné avec la chorégraphe Odile Duboc.

Si d’autres évocations nous ont paru plutôt elliptiques, voire délirantes, Robinson laissant libre cours à ses fantasmes, il n’en reste pas moins vrai que tout le spectacle est marqué par cet hommage à l’imaginaire qui caractérise  aussi bien l’écriture d’Olivier Cadiot que le jeu de l’acteur, la mise en scène de Ludovic Lagarde, superbement servi par les lumières de Sébastien Michaud et par l’étonnant jeu de voix mis en place par Gilles Grand .

Un spectacle original et ludique comme on en voit peu.

Marie-Françoise Grislin

C’était au TNS le 14 Mai

Qui a tué mon père

C’est un titre troublant, qui fait un peu peur ou qui du moins interroge : à quel genre appartiendra la pièce ? confession, accusation, roman policier ?

En fait, elle sera politique.

Tout à la fin une sorte de « j’accuse » fait jaillir avec force les noms  connus et célèbres, de certaines personnalités politiques, présidents, hommes d’état qui ont marqué la vie de notre société ces dernières années : Jacques Chirac et son ministre Xavier Bertrand préconisant le déremboursement de certains médicaments, Nicolas Sarkozy, vitupérant contre les « assistés », François Hollande, Myriam El Khomri, Manuel Vals et leur loi « Travail », Emmanuel Macron, pointant l’index sur les « fainéants ».

C’est un fils qui les accuse et on n’échappe pas à ce procureur impitoyable qui les a démasqués à travers ces mesures qu’ils ont prises sans le moindre égard pour ceux qui en sont les victimes.

Comme ce père, accidenté du travail, mis en demeure de reprendre  une activité qui achève de détruire son corps déjà  bien mal en point.

La pièce, mise en scène et interprétée par Stanislas Nordey, créée Au Théâtre de La Colline  à Paris  a connu un énorme succès avant de nous être présentée, ici au TNS. Rien d’étonnant à cela quand on découvre qu’elle tricote subtilement des faits concrets, ayant trait aux conditions de travail et de vie d’une famille ouvrière avec ce qu’il faut appeler des ressentis personnels qui s’appuient sur le regard d’un enfant, puis sur celui d’un adolescent et de l’adulte qu’il devient.

De plus, l’ouvrage « Qui a tué mon père », écrit par Edouard Louis, ce jeune auteur que nous avons  déjà rencontré avec son premier écrit « En finir avec Eddy Bellegueule » est ici porté en scène par Stanislas Nordey de façon très sensible. Il nous en offre une sorte de lecture-interprétation qui révèle de façon juste toute la complexité d’une relation père-fils.

C’est le fils qui parle, évoquant diverses anecdotes qui mettent en évidence certains traits de caractère  de ce père qui lui paraît, durant son enfance, être quelqu’un de mystérieux, hanté par la masculinité, cachant son goût pour la danse, sa sensibilité, qui a fait le choix de travailler en usine plutôt que d’étudier, qui aime rouler vite, dépenser de l’argent à la foire mais qui défend ses enfants  avec violence parfois et reste souvent mutique.

La prestation de Stanislas Nordey Sert le texte de façon remarquable, qu’il s’agisse d’arpenter le plateau, de donner un rythme à sa parole, entre silence et vitupération, d’enlever veste et sweat-shirt comme pour montrer que peu à peu on enlève ce qui nous protège pour révéler ce qui nous touche de plus près, d’aller vers le plus intime. Qu’il s’agisse d’approcher ces mannequins qui représentent le père, de tourner autour et à la fin  d’en saisir un dans ses bras et de le porter avec tendresse. Tout cela donne à cette mise en scène un grand élan de vérité humaine. Si les thématiques abordées font partie de ce que notre société a encore du mal à aborder, les voici mises en lumière, incarnées dans le vécu de l’auteur comme dans le jeu du comédien qui se les approprie et lui confère le statut de témoignage bouleversant.

C’était le 2 mai au TNS

Marie-Françoise Grislin 

Dans le pays d’hiver

Silvia Costa, jeune metteure en scène italienne, collaboratrice de Romeo Castellucci nous a présenté un spectacle étrange, intitulé « Dans le pays d’hiver ».

Si elle s’inspire de six dialogues du « Leuco » de Cesare Pavese, auteur italien né en1908 et qui se suicide en 1987, ce ne seront pas à proprement parler les textes de cet écrivain que nous entendrons. En effet, Silvia Costa, influencée par sa formation de plasticienne, à l’instar de Romeo Castellucci, insiste sur ce qui est symboles et images pour nous arracher à tout réalisme et nous conduire sur les chemins d’un monde poétique, énigmatique qui se réfère à la mythologie.

D’ailleurs d’entrée de jeu nous sommes frappés par ce décor à l’antique avec ces colonnes et cette alcôve au fond de laquelle on aperçoit un animal, par cette femme couchée jambes repliées dans une pose sculpturale. Quand elle soulève le bras  c’est pour donner  de la main une impulsion à cette longue tige à pointe qui pend au-dessus d’elle et la transformer en une sorte de balancier. Il sera donc question de temps et de mesure. Quand la pointe en est retirée  elle se métamorphose en arme. Ainsi une attention constante est-elle portée aux objets.

Présenté par le Centre Dramatique National et Le Maillon le 3 Mai

Par Marie-Françoise Grislin

Dans le pays d’hiver de Silvia Costa

Silvia Costa, jeune metteure en scène italienne, collaboratrice de Romeo Castellucci, a présenté au Centre Dramatique National avec Le Maillon, un spectacle original, intitulé Dans le pays d’hiver ». Si elle s’est inspiré  de six des  » Dialogues avec Leuco » de Cesare Pavese (Le mystère, La bête, L’homme-Loup, La mère, Le déluge, Les dieux) ce ne seront pas  à proprement parler les textes de cet auteur italien que nous entendrons. En effet, influencée par sa formation de plasticienne, à l’instar  de Romeo Castellucci, elle insiste sur ce qui est symbole et images pour nous arracher à tout réalisme et nous emmener dans un monde allusif, poétique, énigmatique qui se réfère à la mythologie.

D’entrée de jeu notre attention se porte sur ces colonnes à l’antique, cette alcôve au fond de laquelle on aperçoit un animal, et au premier plan  une femme couchée dans une pose statutaire. Bientôt, elle lève un bras  et  d’un geste de la main donne une impulsion  à cette longue tige à pointe qui pend au-dessus d’elle, la transformant en balancier, puis en détachant la pointe elle devient épée de Damoclès. Ainsi,  nous indique-t-on, semble-t-il, que tout dans ce spectacle sera métamorphose, équilibre et mesure. Effectivement, les scènes se dérouleront d’une façon précise, avec une attention constante à l’allure, aux attitudes des trois protagonistes, danseuses et comédiennes, au port hiératique, aux poses sculpturales, Laura Dondoli, My prim et   Silvia Costa elle-même, instigatrice de ce spectacle qu’elle a mis en scène et scénographié.

Un spectacle essentiellement  visuel, esthétique  mais qui nous donne aussi l’occasion de nous pencher sur la condition humaine  de manière plutôt ludique  puisque  les dieux ne cessent de s’interroger, avec gravité, parfois ironie, toujours curiosité  sur leur sort comparé à celui des humains, ces êtres qui s’évertuent à se maintenir en vie et rêvent d’éternité  alors qu’eux, les dieux, voudraient connaître la mort pour goûter le prix de la vie et comment cela influence les pensées et la conduite des humains.

Il sera, par ailleurs, question d’amour maternel et pour illustrer ce propos  on fera sortir la louve romaine détenue au fond du pseudo sanctuaire, pour la placer au premier plan, et lui seront arrachés les nourrissons accrochés à ses mamelles peut-être pour les restituer à celle qui les a portés…

Si l’on se perd quelque peu à décrypter le sens qu’il faut donner à ses tableaux, toujours esthétiquement très soignés, on se laisse gagner par le plaisir de les contempler, séduits par leur inventivité, par la rigueur  de ce travail où les corps sont investis par un constant  rappel à la mythologie, non pas pour l’éclairer mais pour la déclarer encore et toujours pertinente.

Les costumes (Laura Dondoli), les maquillages, les grondements (Création sonore Nicolas Ratti) qui semblent jaillir des profondeurs de la terre contribuent à donner à cette représentation une atmosphère étrange, mystique par son côté ritualisé, solennel, voire, sacrificiel qui a subjugué le public.

C’était le 3 mai

Marie-Françoise Grislin