L’enfer du paradis…

Lesbos, la honte de l’Europe

En mission à Lesbos pour l’ONU en mai 2019, Jean Ziegler rapporte des faits têtus, impitoyables : d’un côté, le droit international et européen – revendication affichée de valeurs humanistes – et, en regard, la manière dont ces droits sont bafoués avec beaucoup de brutalité par les structures européennes en charge de la gestion des Réfugiés.

Par Luc Maechel

Jean Ziegler / Lesbos, la honte de l’Europe
Aux éditions Seuil, janvier 2020 (144 p.)

 

Propriétés privées

Le nom de Lionel Shriver s’est
imposé sur la scène littéraire
mondiale depuis l’adaptation
magistrale de son non moins
magistral roman, Il faut qu’on parle
de Kevin
(Belfond, 2006). A suivi
entre autres, la fascinante dystopie
familiale des Mandible (Belfond,
2017). Dans ces deux novella et ces
dix nouvelles baptisées Propriétés
privées
, Lionel Shriver montre cette
incroyable emprise qu’ont les
objets sur nous, sur nos relations
sociales et sur notre
comportement envers les autres.

Avec son style percutant si agréable à lire et si rythmé, Lionel
Shriver martèle nouvelle après nouvelle que ces propriétés
privées qu’elles soient objets de consommation, fabriquées
comme cet incroyable lustre en pied qui résume
métaphoriquement un personnage de sa naissance à sa mort, ou
de simples plantes définissent, psychologiquement et
physiquement ce que nous sommes. Témoignages tantôt
admirables, tantôt pathétiques de nos êtres dévorés par la
possession et le narcissisme, ces objets sont les marqueurs de
notre société en même temps que nos miroirs. Sans savoir que
nous ne sommes que les prisonniers pathétiques de cette société
de consommation. Et leurs reflets ne sont pas toujours agréables à
contempler. Mais que voulez-vous c’est le devoir d’un grand
écrivain…

Par Laurent Pfaadt

Lionel Shriver, Propriétés privées,
Chez Belfond, 456 p.

Nadia et Lili Boulanger

Des hommes au
service de femmes
compositrices,
voilà une
démarche
suffisamment rare
pour être souligner
avec force.
Cyrille Dubois et
Tristan Raës
rendent ainsi
hommage dans
leur
nouveau disque à
Nadia Boulanger, qui fut peut-être la plus grande pédagogue du
20e siècle – elle eut comme élèves entre autres Léonard
Bernstein ou Daniel Barenboïm – mais également, on le sait
moins, une magnifique compositrice. Ce que l’on sait encore
moins, c’est que Nadia eut une sœur, Lili, talent précoce mort
prématurément.

Enregistré dans le magnifique écrin vénitien du Palazzetto Bru
Zane qui abrite le centre de musique romantique, ce disque nous
emmène dans une sorte de songe, celui des ondines et autres
muses de cette musique française du début du 20e siècle que
domptèrent Fauré ou Debussy. Il en ressort une naïveté joyeuse
où la voix aux intonations parfois androgynes de Cyrille Dubois,
l’un de nos meilleurs ténors, se mêle à la légèreté d’un piano
rêveur notamment dans ces mélodies de Lili Boulanger,
indiscutablement plus fascinantes que celles de sa sœur.

Par Laurent Pfaadt

Nadia et Lili Boulanger :
Mélodies, 
Cyrille Dubois et Tristan Raës ,
Aparté

Paloma Kouider, Fanny Robillard

Enchanté par leur
disque précédent,
nous avions hâte
de retrouver le
duo. Après s’être
aventurées dans la
première moitié du
20e siècle, les deux
musiciennes
reviennent au
répertoire
romantique du 19e
siècle avec ces
œuvres de Brahms
et de Schumann. La complicité musicale des deux artistes saute
immédiatement aux yeux ou plutôt aux oreilles. Dans les
Schumann, l’entente est parfaite et permet au violon de Fanny
Robillard et au piano de Paloma Kouider d’avancer en symbiose et
non en rivalité. Dans la première sonate de Robert Schumann, le
jeu de chat et de la souris des deux instrumentistes est exquis et
prouve que le créateur de la symphonie rhénane fut aussi un
compositeur pour cordes.

Le point d’orgue est atteint avec la deuxième sonate de Brahms
dont l’interprétation toute en douceur lui confère une
atmosphère feutrée, de salon dirions-nous très agréable. A noter
la découverte de la sonate d’Albert Hermann Dietrich,
compositeur allemand et ami de Brahms dont on regrettera
qu’elle ne soit pas jouée dans son intégralité.

Par Laurent Pfaadt

Paloma Kouider, Fanny Robillard,
Brahms, Schumann,
Evidence Classics

Thomas Ades, Ades conducts Ades

Thomas Ades est
incontestablement
l’un des
compositeurs les
plus brillants de sa
génération, l’un
des plus éclairants.
Preuve en est une
fois de plus donnée
avec ce concerto
pour piano qu’il
dirige lui-même à
la tête de
l’orchestre
symphonique de Boston et enregistré pour la première fois. Dans
cette œuvre transparait à la fois les influences de Leonard
Bernstein avec ses rythmes jazzy et de Maurice Ravel, en
particulier le dernier mouvement du concerto en sol. Le piano est
porté admirablement par Kirill Gerstein qui a inspiré le
compositeur et a su utiliser sa merveilleuse maîtrise de Prokofiev
pour exprimer l’explosivité et les changements de rythmes de
l’œuvre.

La Totentanz répond à cette même logique, celle d’une fusion
entre différents mondes, au propre comme au figuré, et différents
styles où l’on perçoit toute l’idiosyncrasie musicale du
compositeur. Portée par la voix inquiétante de Mark Stone, cette
danse macabre emporte avec elle l’Or du Rhin de Wagner mais également Das Lied von der Erde de Gustav Mahler notamment
dans le dialogue des voix et bien évidemment ce Brahms si cher au
compositeur. Fascinant de bout en bout comme à chaque fois.

Par Laurent Pfaadt

Deutsche Grammophon

Une joie de courte durée

Riccardo Chailly
© Mathias Benguigui

Riccardo Chailly et
l’Orchestre de Paris ont
célébré Beethoven et sa
neuvième symphonie 

On n’a jamais entendu autant
d’hymnes à la joie à Paris
qu’en ce début d’année 2020.
La faute non pas à la crise des
valeurs européennes qui se
répand sur le continent mais
plutôt au début des festivités
du 450e anniversaire de la
naissance du génie de Bonn.

Hasard du calendrier, le concert de l’orchestre de Paris sous la
direction de Riccardo Chailly se tenait le soir même de l’entrée en
vigueur du Brexit. Un spectateur, galvanisé par l’émotion du
concert, lança même, au moment de quitter la salle, un vibrant «
No Brexit ! » comme un dernier appel à nos amis britanniques.

L’émotion avait été au préalable portée à son paroxysme par
l’excellence musicale déployée que n’aurait certainement pas
contesté un Wilhelm Furtwängler même si l’inoubliable interprète
de Beethoven aurait certainement eu quelques remarques à
formuler à son lointain disciple. Car ici, la force de la neuvième
symphonie ne résidait pas tant dans cette puissance orchestrale
et cette dimension épique que sublima le chef allemand jusqu’à la
rendre légendaire. Non, ici, pas d’emphase mais une force
tellurique tenant essentiellement au sens inné de l’harmonie que
le chef, Riccardo Chailly, l’une des meilleures baguettes du monde,
passé par le Concertgebouw d’Amsterdam et la Scala de Milan, a
su instiller à l’orchestre, entourant ainsi son interprétation d’une
magie qui opère à chaque fois.

Cela donna une symphonie vivante, pleine d’énergie et d’une
plasticité sonore assez incroyable que des vents très inspirés et
des percussions en verve ont modelé notamment dans le très
beau troisième mouvement. Un quatuor vocal de choix en
particulier la contralto Gerhild Romberger et le ténor Steve
Devislim, habitués à ces prises de rôle, accompagné d’un chœur de
l’Orchestre de Paris toujours aussi impérial, ont transformé le
final en apothéose. Tous pleuraient de joie, oubliant presque que,
de l’autre côté de la Manche, quelques-uns pleuraient pour
d’autres raisons.

Par Laurent Pfaadt

Programme de l’Orchestre de Paris à retrouver sur www.orchestredeparis.com