#Lecturesconfinement : ZOF de Jean-Christophe Berthain par Laurent Pfaadt

Trois lettres : ZOF pour Zone
d’Occupation Française, cet espace
allemand en forme de «soutien-gorge»
administré par la France au
lendemain de la défaite du Reich. Nid
d’espions en même temps que panier
de crabes, l’endroit est le terrain
privilégié de fonctionnaires véreux,
militaires revanchards et autres
crapules. Sous couvert de
dénazification, on y pratique la
chasse façon comte Zaroff et autres
humiliations dans un sinistre remake
de 1918.

C’est dans cette atmosphère douce-amère que débarque René
Valenton, gaulliste de la première heure, pour remettre un semblant
d’ordre avant la visite officielle du général de Gaulle. Aidé de son
acolyte alsacien Metzer, il va devoir démêler le vrai du faux dans
cette anarchie baroque. Jean-Christophe Berthain nous conduit
avec délice dans cette aventure à la OSS 117 où la tragédie des
blessures du passé côtoient l’incertitude d’un nouveau monde. Dans
cet opéra-bouffe où l’on croise collabos venus se refaire une
virginité, femmes énigmatiques et vrais-faux gaullistes mais
également Edgar Morin, Frédéric Joliot-Curie ou Pierre Bourdan,
toute cette histoire ne pourrait être qu’un divertissement plaisant si
derrière tout cela, l’auteur ne dressait pas subtilement le décor du
grand jeu à venir, celui où se mêlent quatrième république,
construction européenne et guerre froide.

ZOF de Jean-Christophe Berthain (Cherche-Midi)
par Laurent Pfaadt

#Lecturesconfinement : Sorel Éros. Palindrome de Jacques Perry-Salkow et Frédéric Schmitter par Karol Beffa

Maître incontesté
de
anagrammes,
Jacques Perry-
Salkow
 publie avec
son complice
Frédéric Schmitter
Sorel Éros, chez
Rivages
. Livre qui
certes peut sembler
mince, mais qui est le
fruit d’une 
gageure
extrême
. En
composant ce
roman-palindrome
de 10
001 lettres, nos deux auteurs ont battu le record jusqu’alors
détenu par Georges Perec et son palindrome de 5566 lettres,
imaginé en 1969. Il leur aura fallu dix-huit années de dur labeur.
Comme le note plaisamment l’oulipien Paul Fournel dans sa préface,
« c’est le nouveau jalon de l’art du palindrome […]. Il n’y en aura pas de
cette trempe de sitôt 
». Cette prouesse littéraire, on peut d’ailleurs la
lire comme un
e révérence à Pérecque l’on retrouve à plusieurs
titres au centre 
du roman. Symboliquement, bien sûr, mais aussi
l
ittéralement, dans la mesure ou la 10001e lettre, pivot autour
duquel s’articulent les deux parties du roman reflétées comme dans
un miroir, 
est un « W », lettre double et référence au célèbre ou le
Souvenir d’enfance
 du maître oulipienAilleurs, dans cet absolu
d’ambition poétique qu’est 
Sorel Éroson devine les fantômes de
Zweig, de Lewis Carroll ou de Shakespeare…

Karol Beffa est compositeur, pianiste et musicologue. Il a obtenu le
Prix René-Dumesnil de l’Académie des Beaux-Artset le Grand Prix
des Muses-France musique 
pour son György Ligeti (Fayard, 2016).
Dernier livre paru : Ravel. Un imaginaire musical, avec Aleksi
Cavaillez et Guillaume Métayer (Seuil/Delcourt
, 2019).  

Sorel Éros. P
alindrome
 de 
Jacques Perry-Salkow et
Frédéric Schmitter (Rivages)
par Karol Beffa

#Lecturesconfinement : Amrita de Patricia Reznikov par Chris Dercon

A few weeks ago I  received an email
from a friend in India: ˋHave you
come across ´Amrita’ , a novel in
French by Patricia Reznikov, just
published this year by Flammarion?
’. I was intrigued as I have been
working since many years on the
unique, artistic œuvre of exactly the
same Amrita . Amrita is  Amrita
Sher-Gil , a pioneering painter and
feminist,  who was born in 1913 in
Hungary and died tragically in India
in 1941, aged 28. The figure of
Amrita and her work became in
recent years immensily popular in India and beyond. Just like
Patricia Reznikov , Amrita studied at the Ecole des Beaux Arts in
Paris. Her exceptional painting skills won her a prize and
immediately  many fans at the Ecole . After 5 years in Paris,  the
indian- Hongarian family Sher-Gil returned in 1934 to India where
she became one of the inventors of modern Indian art. Throughout
her work Amrita loved depicting women in private moments, in her
later work expressing the indolence and loniless of Indian women
living in the rural areas. In much the same way as her contemporary
Frida Kahlo , Sher-Gil used her ambiguities of nationality and
sexuality, to question what and how an Indian artist, let alone a
female one, might be. Sher-Gil herself knew exactly what was at
stake when she declared in 1938 :´Europe belongs to Picasso,
Matisse and Braque and many others. India belongs only to me’
thereby boldly outlining her ambition to be the first truly modern
Indian painter. One can easily see why Reznikov is fascinated by the
life and times of Amrita Sher-Gil. She is not alone, also India’s most
important filmmaker Mira Nair is preparing her view on the
revolutionary role of Amrita, as an encouragement for thé
émancipation of  Indian women. It is interesting to note that in 2022
exhibitions are planned of the unique œuvre which Amrita left
behind, in Qatar and South Africa. Indeed, thé legacy of Amrita
Sher-Gil lives on. The indepth  research, rich interpretations and
story telling of Reznikov make the exceptional personality of Amrita
come alive and makes clear that a large exhibition especially in Paris
is long overdue. That’s what my friend, Amrita’s nephew ,leading
contemporary Indian artist Vivan Sundaram,in his mail was indeed
hinting at.

Chris Dercon est le président de la Réunion des
Musées Nationaux-Grand Palais
Amrita de Patricia Reznikov (Albin Michel)
par Chris Dercon

#Lecturesconfinement :Le monde d’hier de Stefan Zweig par Géraldine Schwarz

Alors que nous traversons une
époque tourmentée où il est aisé de
perdre ses repères et d’oublier les
valeurs que nous défendions il y a
encore peu, j’invite avec force à la
lecture d’une œuvre phare du XXe
siècle qui résonne fortement avec
aujourd’hui : Le Monde d’hier, les
mémoires de Stefan Zweig, l’un des
auteurs les plus lus de son temps.
L’écrivain autrichien décrit la
splendeur d’une Europe en ébullition
au début du XXe siècle, à l’apogée de
sa richesse et de sa culture, un monde
d’hier qui n’existe plus. Puis il fait le récit du suicide de l’Europe avec
la Première puis la Deuxième guerre mondiale et la barbarie du
nazisme qui anéantira sa famille. Témoin impuissant de ce tragique
naufrage, il préfère d’abord rester à l’écart de la politique,
souhaitant préserver sa pureté d’artiste, au-dessus des partis, libre
et inclassable. Mais l’évolution ne lui laisse plus le choix. En tant que
juif et intellectuel il est persécuté par les nazis. Ses livres sont
brûlés, il perd ses biens et est contraint à l’exil à Londres puis au
Brésil ou il se suicidera.
Le Monde d’hier est un testament que Zweig a légué aux futurs
générations pour qu’elles comprennent le monde au lieu de le subir,
qu’elles agissent au lieu de se victimiser. Pour qu’elles apprennent à
apprendre de l’histoire

Géraldine Schwarz est journaliste franco-allemande et écrivaine.
Son livre, Les Amnésiques (Flammarion) a remporté le prix du livre
européen en 2018


Le monde d’hier
de Stefan Zweig (Le livre de poche)
par Géraldine Schwarz

#Lecturesconfinement : La part d’ange en nous, Histoire de la violence et de son déclin Steven Pinker par Aïda Touihri

A l’échelle de l’univers, nous ne
sommes que poussière. Du point
de vue de l’histoire, nous
occupons une place tout aussi
modeste : si l’âge de l’univers était
rapporté à un calendrier d’une
année, l’apparition de l’Homo
Sapiens n’occuperait que les 10
dernières minutes… Or en histoire
comme en sciences, tout est
toujours relatif, et souvent la vie
n’est qu’une question d’angle. «
Prendre la vie du bon côté» «voir
les choses sous un
 meilleur jour»
sont des façons de relativiser bien des situations, y compris
 les pires.
Les récents attentats ont plongé le pays dans une sorte de torpeur
qui, ajoutée au confinement, ouvre de bien sombres perspectives…
Et pourtant, s’il y a un livre à lire pour retrouver foi en l’humanité,
c’est « La part d’ange en nous » de Steven Pinker. Ce professeur de
psychologie de Harvard s’est mis en tête, à travers ses recherches,
de démonter un mythe : contrairement à ce que l’on pourrait croire,
nous vivons l’époque la plus paisible de toute l’histoire de
l’Humanité ! La démonstration, étayée par des milliers d’études
étalées sur 30 ans, est absolument éclatante. Malgré le terrorisme,
malgré les guerres qui nous paraissent de plus en plus effroyables, la
violence n’a cessé de diminuer au cours des siècles. Les faits qu’il
expose sont incontestables, et les chiffres ne mentent jamais. Rien
qu’en France, sur un an, il y a aujourd’hui deux fois moins de
meurtres qu’il y a vingt ans. Alors pourquoi ne s’intéresser qu’au «
mauvais monde »? Déformation professionnelle pour ma part,
puisque la règle de base du journalisme voudrait qu’on ne traite que
des « trains qui n’arrivent pas à l’heure»… Ce livre questionne notre
raison, nous fait réfléchir, et surtout nous donne cet espoir qui peut
tout.
A lire absolument.
Aïda Touihri est journaliste et productrice. Elle a longtemps
présenté des
 JT et autres magazines d’actualité avant de produire
des programmes engagés pour la télévision.

La part d’ange en nous, Histoire de la violence et de son
 déclin

(Les Arènes) de Steven Pinker
par 
Aïda Touihri