#Lecturesconfinement : Mes Mémoires d’Alexandre Dumas par Christiane Rancé

Lire et relire Mes Mémoires d’Alexandre Dumas. Quelle vie ! Elle
dépasse en tout le prodige de ses propres romans. « Le maître du plus
vrai que le vrai »
 comme le qualifie Jean Cocteau ; celui qui a écrit,
avec Les Trois mousquetaires « le seul, et le plus beau roman sur
l’amitié jamais composé en langue française »
 comme le souligne
Jacques Laurent, nous fait entrer dans ses aventures tumultueuses
avec sa jeunesse éternelle et son enthousiasme inépuisable. Quels
voyages ! La Russie, le Caucase, l’Italie, l’Espagne l’Autriche,
l’Allemagne, en fait toute l’Europe, et le Maghreb. Quels
engagements ! Aux côtés de Victor Hugo en exil ou de Garibaldi
dans son expédition des Mille, en Sicile puis à Naples où il dirige les
fouilles de Pompéi… Quelles amours ! Quels délicieux scandales !
C’est joyeux, riche, souvent drôle,historique. On sort, de cette
autobiographie rajeuni, ragaillardi, émerveillé. « Mon père est un
grand enfant que j’ai eu quand j’étais tout petit »
 a dit son fils de ce
génie des lettres, de la vie et de l’enfance. Pour nous, il reste un
grand ami, et depuis notre plus jeune âge.
Christiane Rancé est journaliste,
éditrice et écrivaine. Auteure de
nombreux ouvrages, elle a
récemment publié le Dictionnaire
amoureux des saints
 (Plon, 2019)
Mes Mémoires d’Alexandre Dumas (Robert Laffont)
par Christiane Rancé 

#Lecturesconfinement : Absalon ! Absalon ! de William Faulkner par Olivier Sebban

En plein XIX siècle, Thomas Sutpen, un homme au passé trouble
venu dont ne sait où, débarque à Jefferson Mississippi
. Escorté de
ses esclaves, Sutpen défriche une centaine d’hectares de forêtafin
d
e bâtir une demeure au centre d’une plantation de coton.
Commence 
l’édification d’une dynastie frappée au coin du tragique,
du secret
 et de l’inceste, que la malédiction raciale du Vieux Sud,
finira par 
réduire en cendres. Dans un style somptueux, Faulkner
ressasse et repousse sans cesse la révélation d’une, énigme dont les
ramifications 
conduiront à l’anéantissement de l’orgueilà
l’extinction d’une descendance, à la ruine de la langue elle-même !

Olivier Sebban est écrivain, auteur
de plusieurs romans dont Sécessions (Rivages) en 2016
Absalon ! Absalon ! de
William Faulkner (Gallimard)
par Olivier Sebban 

#Lecturesconfinement : Floride, cœur révélateur des Etats-Unis de TD. Allman par Laurent Pfaadt

Le 3 novembre 2020, la Floride
renouvelait sa confiance à Donald
Trump. Etat de villégiature de
retraités fortunés, terre d’accueil
de réfugiés cubains fuyant la
dictature castriste, temple du culte
du corps, berceau de la culture de
l’orange et du divertissement à
l’américaine, le « Sunshine State »
personnifie le rêve américain et fait
office d’eldorado paisible et
cosmopolite. Oui mais à quel prix.

C’est ce que démontre Timothy D. Allman, plume acérée et bien connue du Monde diplomatique, dans
ce livre choc qui a connu un grand succès aux Etats-Unis et a été
nominé au National book Award. Car cette prospérité a eu un prix :
celui du sang. A grands renforts de faits historiques, Allman
s’aventure dans cette histoire occultée comme on s’enfonce dans un
marécage. Des génocides des indigènes par les conquistadors
espagnols et des indiens Séminoles par le futur président Jackson à
l’élection de Donald Trump en passant par le meurtre raciste de
Trayvon Martin en 2012, la confiscation de la démocratie par la cour
suprême au profit de George W. Bush et bien entendu l’esclavage, la
Floride est un concentré de ce qu’est devenu, aujourd’hui, les Etats-
Unis : une nation érigée et régie par la violence au moyen de crimes
tels que l’esclavage et le nettoyage ethnique.

L’ouvrage ne serait qu’un énième livre noir énumérant ces crimes
sauf qu’Allman montre que ces derniers n’ont servi qu’un objectif,
celui d’assurer le profit de leurs commanditaires et faire de la
Floride, des conquistadors espagnols aux cadres de Disney et autres
multinationales, un vaste espace privatif. Avec comme première
victime, la démocratie, garde-fou garantissant les libertés
individuelles des habitants. Au-delà du « Sunshine State », l’auteur
expose avec brio la floridianisation de l’Amérique, sorte de
processus insidieux qui tente de maintenir l’illusion d’une liberté que
l’on tente par tous les moyens, de réduire. Refermant le livre sur ce
constat glaçant, on se demande si la défaite de Donald Trump signe
le glas de cet engrenage ou si celui-ci est irréversible.

Floride, cœur révélateur des Etats-Unis de TD. Allman (Librairie Garnier)
par Laurent Pfaadt

#Lecturesconfinement : La Mort du roi Arthur par Pierre Mari

En ces temps de collapsologie plus ou moins bien inspirée, il faut
rappeler que l’un des plus grands récits d’effondrement jamais écrits
est sans nul doute La mort du roi Arthur, roman anonyme composé
vers 1230, qui achève le grand cycle du Lancelot-Graal. Amours
adultères de Guenièvre et Lancelot découverts et punis, combat à
mort de Gauvain et Lancelot, les preux jadis inséparables, trahison
d’Arthur par son neveu, envies, haines, jalousies : tous les
affrontements internes que le récit met en scène témoignent de la
condamnation qui frappe le monde arthurien. Une sorte de folie
empoigne tous ces héros qui ne maîtrisent plus leur destin, et vont
d’un égarement à l’autre. Jusqu’à cette fin extraordinaire où
Excalibur, l’épée de souveraineté, jadis instrument du sacre et de
l’élection, disparaît dans l’eau féerique. On a parfois médit du film de
John Boorman, Excalibur, mais il est peut-être, avec le Lancelot du
Lac
de Bresson, celui qui a le mieux mis en scène cette ruine d’un
royaume et d’un monde.

Pierre Mari est écrivain. Dernier livre
paru : En pays défait (Pierre-
Guillaume de Roux)
La Mort du roi Arthur (Livre de poche) par Pierre Mari

#Lecturesconfinement : Jacob, Jacobi de Jack-Alain Léger par Morgan Sportès

Jack-Alain Léger est un écrivain dont j’aurais aimé faire l’éloge. Ce
pseudonyme qu’il avait choisi, définit assez bien son style très
enlevé, ironique, percutant (et profond donc). Il n’en était pas pour
autant – et pour son malheur – plus « léger » que l’air. Il s’est jeté
récemment du 11ème étage de son appartement, à Paris. La gravité
du monde, et des choses, sur lui, l’a donc emporté. Son roman que je
préfère est Jacob, Jacobi. Préfiguration de sa fin, l’auteur-narrateur,
au fond du désespoir s’y retrouve confronté dans les toilettes d’un
café (scène qui m’avait frappé) à une porte frappée de l’inscription «
SANS ISSUE ? » On sait donc quelle « issue ultime » il aura trouvé à
son aventure littéraire. Encore un bel écrivain auquel notre petite
république des lettres n’a pas su rendre hommage. Lisez encore La
gloire est le deuil éclatant du bonheur
 ou Ali Le magnifique. Il a écrit
beaucoup. C’est une sorte de Mozart du point de vue de la forme. Et
les plumitifs d’entonner :Trop de notes !
Morgan Sportès est écrivain, auteur
de nombreux ouvrages dont L’Appât
(Seuil) et Tout, tout de suite(Fayard),
Prix Interallié en 2011. Dernier livre
paru : Si je t’oublie (Fayard, 2019)
Jacob, Jacobi de Jack-Alain Léger
(Pocket)
par Morgan Sportès

#Lecturesconfinement : Le bonheur, sa dent douce à la mort. Autobiographie philosophique de Barbara Cassin de l’Académie française par Laurent Pfaadt

C’est une drôle d’autobiographie que
celle de Barbara Cassin, récemment
élue à l’Académie française. Oui de
l’humour, il y en a dans cette enfance
passée auprès de parents peintres à
leurs heures, de cet grand-oncle
illustre qui lui propose de devenir
sténo ou de ces virées étudiantes et
de ces rencontres intellectuelles qui
appartiennent à un autre âge. Mais à
travers ces pages truculentes se
nichent également des leçons de vie
que l’on goûte, que l’on savoure. Qui a
dit que la philosophie était
mélancolie ? Certainement pas elle…

D’ailleurs, de la philosophie il est en évidemment question avec
Barbara Cassin. Tout le temps. Comme une boussole pour avancer.
La brillante helléniste nous convie avec bonheur à une navigation en
compagnie de Platon, de Parménide, de Protagoras ou d’Aristote
mais également de Leibniz, Kant, Heidegger et Lacan permettant
ainsi de remettre en perspective ce monde souvent privé de sens. Ce
voyage permet ainsi de tracer des fils d’Ariane entre leurs
enseignements et notre époque, entre la vie de Barbara Cassin et
aujourd’hui comme lorsqu’elle oppose Platon à Gorgias, l’une de ces
« sales ordures démagogues » dont la vérité n’était pas la
préoccupation première. Tiens…tiens…nous pensons à quelqu’un…

L’Académicienne ne serait pas immortelle si elle ne nous invitait pas
à chevaucher joyeusement la langue française, sur les barricades de
mai 68, dans les retraites passionnées de René Char ou en
compagnie d’Alain Rey. Cette langue qui autorise tout, celle qui
transforme des adolescents psychotiques en êtres sublimes, celle
qui réconcilie une nation, celle qui, enfin, permet toutes les libertés.
Car, à y regarder de plus près ou plutôt à y lire de plus près, ce livre
est un formidable plaidoyer pour la liberté, pour toutes les libertés.
En refermant le livre, on se sent mieux armé de ce courage qui nous
faisait peut-être défaut, prêt à « suivre ce qu’on attend pas »

Le bonheur, sa dent douce à la mort. Autobiographie philosophique de
Barbara Cassin de l’Académie française (Fayard)
par Laurent Pfaadt

#Lecturesconfinement : Royan, la professeure de français de Marie NDiaye par Jakuta Alikavazovic

« Je hais les bons parents qui croient tout comprendre »
Un monologue à la beauté implacable — la langue, le style, le monde
de Marie NDiaye sont là tout entiers, dans ces phrases de Gabrielle,
la professeure de français, à laquelle Nicole Garcia devait donner
corps à Avignon au printemps et à Paris à l’automne. On regrette
tant de ne pas avoir pu la voir, l’entendre, on espère vivement que
l’occasion se présentera une fois la crise sanitaire passée. En
attendant, ne vous privez pas de lire ce texte unique qu’est Royan : il
fait corps. Gabrielle et Daniella, l’élève qu’elle évoque avec une telle
ardeur, avec des sentiments si forts, si mêlés, vous briseront le cœur.
La justesse des phrases de Marie NDiaye, elle, vous redonnera du
souffle. Quand vous arriverez à la phrase « Sachez Madame que je suis
votre parafoudre »
, ayez une pensée fugitive pour moi : c’est là que j’ai
pleuré.
Jakuta Alikavazovic est écrivaine,
auteur notamment de Corps Volatils
(L’Olivier), Prix Goncourt du premier
roman 2007. Dernier livre paru :
L’Avancée de la nuit (L’Olivier/Points)
Royan, la professeure de français de Marie NDiaye (Gallimard)
par Jakuta Alikavazovic

#Lecturesconfinement : Un crime sans importance d’Irene Frain par Mohammed Aïssaoui

J’ai aimé le récit d’Irène Frain, Un crime sans importance (Editions du
Seuil). La romancière évoque l’assassinat d’une vieille dame
attaquée sauvagement chez elle. Cette vieille dame n’est autre que
sa sœur aînée, Denise, 79 ans. Irène Frain explique sa démarche :
«J’ai entrepris d’écrire ce livre quatorze mois après le meurtre, quand le
silence m’est devenu insupportable.»
 Suivent 250 pages qui illustrent à
merveille la puissance de la littérature, cette capacité à rendre la
voix à une sans-voix.
Mohammed Aïssaoui est
journaliste au Figaro littéraire et
écrivain, auteur notamment de
L’Affaire de l’esclave Furcy, Prix
Renaudot de l’essai 2010. Son
dernier ouvrage, Les Funambules
(Gallimard, 2020) a figuré sur la
liste des principaux prix.
Un crime sans importance d’Irene Frain (Seuil)
par Mohammed 
Aïssaoui