Knut Jacques & Morgane Le Corre

Composées alors que Mozart est reconnu comme l’un des génies de
son temps, ces sonates pour quatre mains forment à elles seules une
sorte de biographie musicale du compositeur.

Grâce à une interprétation tout en douceur de Knut Jacques et
Morgane Le Corre, mozartiens remarquables réunis au sein du duo
Pégase, il nous possible d’apprécier toute la beauté à la fois intrépide
et fragile de ces œuvres. L’utilisation d’un pianoforte Anton Walter –
l’un des facteurs favoris du génie – ainsi qu’une formidable prise de
son permettent ainsi de nous plonger dans une atmosphère presque
hors du temps, mystique qui nous révèle un Mozart avec ses doutes,
ses fragilités et en même son indéniable joie de vivre. Nos
interprètes n’ont vraiment rien à envier aux plus grands. Ecoutez
l’andante de la Sonate en fa majeur KV 497 et vous comprendrez.

Par Laurent Pfaadt

Mozart Piano 4 hands, Knut Jacques & Morgane Le Corre
Paraty

De fougue et de feu

Itmahrag d’Olivier Dubois

Olivier Dubois partage depuis longtemps sa vie entre Paris et Le
Caire. Pour sa nouvelle création, il s’est approprié le Mahraganat 
(« festivals » en arabe) qui a émergé dans l’ère post-Moubarak : le
corps et la voix de la jeunesse égyptienne qui s’invite aussi bien dans
les fêtes branchées que dans les mariages de quartiers. Avec force
haut-parleurs !

Un électro chaâbi (c’est-à-dire populaire) signé François Caffenne et
Ali elCaptin qui alterne les passages rythmés et énergiques et
d’autres plus planants, mais entêtants et répétitifs. Si un oud instille
par moments un parfum oriental, l’inspiration est plutôt occidentale.
Le dress code est très street. La fête est suggérée par une grande roue
avec les lignes des rayons, des diamètres, des cordes qui s’allument,
s’éteignent, clignotent, changent de couleur, quelquefois avec un
tempo de boîte de nuit.

Scandés – en arabe, mais on perçoit de l’anglais, du français (il n’y a
pas de sous-titres) –, des échanges corporellement plus statiques
assurent le passage d’un tableau à l’autre.

Ils sont sept, trois plutôt chanteurs, quatre plutôt danseurs. Tous ont
moins de 25 ans : une jeunesse vérité. De jeunes coqs qui se défient, se
jaugent, se liguent, font bandes (par moments on pense aux
affrontements de West Side Story). C’est festif et joyeux ou tendu (ces
pieds de micro qui deviennent des armes) avec une montée en
énergie et en spectaculaire jusqu’au final rougeoyant nimbé de
fumées où les percussions prennent la main car le feu et la fureur
évacuent la parole.

photo-François Stemmer, Mohamed Saleh

Si les chorégraphies d’Olivier Dubois sont habituellement plus
articulées, ces jeunes Égyptiens débordent d’énergie et
d’enthousiasme. Le projet a été monté en partenariat avec B’sarya for
Arts, Alexandrie, qui accompagne la jeune création égyptienne.
Plusieurs mois de formation (entre autres à la danse contemporaine)
ont permis à ces jeunes performeurs de passer de la rue à la scène.

La captation à la Filature date du 28 janvier et a été diffusée en ligne
le lendemain en clôture des Vagamondes 2021. 

avec Ali Abdelfattah, Mohand Qader, Moustafa Jimmy, Mohamed
Toto (danse),
Ali elCaptin, Ibrahim X, Shobra Elgeneral (musique live, chant)

direction artistique, scénographie, chorégraphie Olivier Dubois,
composition musicale François Caffenne, Ali elCaptin,
lumières Emmanuel Gary, Olivier Dubois


Par Luc Maechel

Aujourd’hui

Les souvenirs ressemblent à ces poussières d’étoiles, ces fragments
de vie qui virevoltent dans l’espace et le temps. Quelques fois, ils
s’agrègent, se reconstituent autour d’un être, étoile perdue ou astre
mort. Ce sentiment, le lecteur le partage immédiatement en
plongeant dans les mots de Dominique Fabre, cet écrivain de la
mémoire.

A travers le retour d’un homme sur les lieux de son passé, à l’ombre
de la carcasse de la gare Saint Lazare, se déploie une symphonie du
souvenir. Ces petits riens, ces choses sans importance, anodines se
rassemblent alors lentement, au gré des pages, pour former une
existence. Le talent de Dominique Fabre est là : transcender des
banalités pour en faire des expériences sensibles. La prose devient
poésie, la standardisation s’efface pour faire de ses personnages
atomisés, des êtres singuliers avec leurs joies, leurs douleurs, leurs
regrets, leurs frustrations. Le dialogue entre Fabrice et le narrateur
dans le café Malesherbes est à ce titre merveilleux.

Comme les étoiles, ses personnages et les rencontres qu’ils font
semblent invisibles. Mais il ne tient qu’à nous, qu’à eux, de lever la
tête vers le ciel pour voir ces mêmes étoiles et s’y raccrocher. Car,
elles sont là à nous attendre. Elles ont, en fait, toujours été là, avec
nous, parmi nous, avec leurs tristesses inavouées et leurs amitiés
bridées. On se trompe souvent mais on s’aime toujours. L’amour et le
chagrin, mirages urbains et émotionnels, guident les vies des
personnages. Il ne tient qu’à nous également d’écouter les
battements de cœur de ces mirages, « comme on épie derrière une
porte la conversation des parents, la conversation des enfants ». Avec ce
merveilleux récit, Dominique Fabre touche du doigt l’essence même
de la littérature : donner une voix à ceux qui n’en ont pas.
Finalement, ce livre est le nôtre. A nous tous. Anonymes ou pas.

Aujourd’hui offre ainsi un miroir au lecteur, celui de profiter de la vie
même dans son apparente laideur quotidienne. Et en ces temps de
crise, c’est peu dire.

Par Laurent Pfaadt

Dominique Fabre, Aujourd’hui
Chez Fayard, 272 p.