Drunk

Un homme libéré (magistral Mads Mikkelsen)

Drunk
Un film de Thomas Vinterberg

Le COVID est parvenu à repousser les sorties cinéma jusqu’au 19
mai 2021. Ce jour-là, les cinéphiles de l’Hexagone ont pu respirer à
nouveau, et se précipiter dans des salles obscures on ne peut plus
prêtes à les accueillir après de longs mois passés à peaufiner leur
réouverture. Auréolé de nombreux prix, le dernier film de Thomas
Vinterberg arrive enfin sur nos écrans, et le moins que l’on puisse
dire c’est qu’il offre une grande bouffée d’oxygène à ses spectateurs.

Les récompenses glanées par le film un peu partout sont
nombreuses, nous nous contenterons donc de ne citer que les plus
marquantes à nos yeux. Le César 2021 du Meilleur Film Étranger, et
l’Oscar 2021 du Meilleur Film International. Avec ce palmarès, le
film était donc fermement attendu par le plus grand nombre, rares
étant en effet les spectateurs ayant pu le visionner lors de sa brève
sortie, juste avant le second confinement en octobre dernier.

Drunk parle d’un cap, d’une crise existentielle que vont traverser quatre enseignants d’un lycée danois. Martin (Mads Mikkelsen),
Tommy (Thomas Bo Larson), Peter (Lars Ranthe) et Nikolaj (Magnus
Millang) forment un quatuor d’amis très soudés. Collègues depuis de
nombreuses années au sein du même établissement, ils ont laissé
leur quotidien les anesthésier peu à peu, la monotonie de leur petite
existence bien rangée ayant fait disparaître les ambitions qu’ils
avaient pu caresser dans leur jeunesse. Nikolaj est le plus jeune
d’entre-eux (les trois autres sont bien installés dans leur
cinquantaine). A l’occasion de son quarantième anniversaire, il
propose à ses amis de mener une expérience : démontrer la thèse
d’un chercheur norvégien selon laquelle il manquerait à l’homme
depuis sa naissance 0,5 gramme d’alcool par litre de sang dans le
corps afin de vivre pleinement son existence.

Empêtrés dans leur morne quotidien (en particulier Martin), sans
joie mais pourtant pas désagréable, les quatre comparses vont se
mettre d’accord pour tenter de prouver scientifiquement cette
théorie. Ils se donneront donc pour objectif de maintenir (sans la
dépasser) leur alcoolémie à 0,5g/l tout au long de la journée jusqu’à
20h00, tous les jours de la semaine sauf le week-end. Et de noter
scrupuleusement les effets de ce traitement dans un rapport
documenté.

Thomas Vinterberg (Festen, La Chasse, Kursk, pour n’en citer que
quelques uns) ouvre son film sur un groupe de jeunes participant à
une course autour d’un lac, dans laquelle le but est de parcourir la
distance tout en buvant les bouteilles de bières portées dans une caisse par les différentes équipes. Comme entrée en la matière,
difficile de faire plus direct. Les cinéastes d’Europe du Nord sont
connus pour leur côté sans fard ni fausse pudeur, Thomas
Vinterberg ne fait pas exception ici. Après cette introduction, il va
nous présenter ses quatre personnages principaux avec tout le
réalisme dont il est capable. Sa caméra s’intéressera au plus près de
la vie du quatuor, le metteur en scène cherchant à créer un lien fort
entre celui-ci et les spectateurs.

Martin a de gros problèmes de confiance en lui, et manque donc
d’autorité devant ses élèves. Transformé par l’ingestion régulière
d’une petite quantité d’alcool tout au long de la journée, il va se
(re)découvrir et parvenir à une forme d’équilibre dans sa vie
professionnelle et personnelle. Ses amis feront le même constat. Ce
serait donc véridique, une petite et régulière ingestion d’alcool
rendrait la vie plus vraie, plus réelle ? Mais le groupe décidera de
pousser un peu l’expérience, qui avait pourtant donné certains
résultats. Il s’agira d’atteindre le taux d’alcoolémie maximal pour
chacun. Au départ réticent, Martin se joindra à la suite de l’expérience, qui bien évidemment n’aura pas une fin heureuse.

Drunk est un film attachant, dans le sens où il fait preuve d’une grande humanité dans sa description de ce groupe d’amis. Alors bien
sûr, c’est peut-être le personnage de Martin qui retiendra la plus
l’attention des spectateurs, mais les trois autres ne sont pas oubliés
pour autant. Chaque personnage a droit à ses petits moments de
« gloire », chacun dans sa matière respective. L’attachement du
réalisateur à ses personnages est bien réel, il ne les idéalise pas, pas
plus qu’il ne les méprise. La sincérité de Drunk fait mouche en ce
sens où les événements auxquels nous assistons sont à la portée de
tous. Chacun assimilera la film à sa manière, impossible d’y être
indifférent.

Thomas Vinterberg a une fois encore réuni plusieurs de ses
collaborateurs les plus fidèles. Thomas Bo Larson signe sa quatrième
participation à un long-métrage du cinéaste danois, tandis
qu’Helene Reingaard Neumann (épouse du metteur en scène) et
Mads Mikkelsen apparaissent pour la seconde fois sous sa caméra.
Inoubliable bad guy (Le Chiffre) dans Casino Royale il y a une
quinzaine d’année, ce dernier a eu pour devise d’aborder plusieurs
genres. Après avoir été salué pour son interprétation glaçante du
personnage d’Hannibal Lecter dans la série Hannibal, il a été capable
d’alterner des rôles plus discret (voir son personnage de Lucas dans
La Chasse, du même Vinterberg). Les cinéphiles sont d’ailleurs
impatients de voir sa vision de Gellert Grindenwald dans la suite des
Animaux Fantastiques, suite au récent départ du génial Johnny
Depp.

Jérôme Magne

Tea Rooms

Il y a près de vingt ans, assis à la table d’un célèbre salon de thé
madrilène, j’observais les clients, les serveuses, les churros trempés
dans le chocolat chaud. Je pris une photo sépia. Cette image m’est
subitement revenue en mémoire en lisant l’ouvrage de Luisa Carnés, 
Tea Rooms. Petit bijou littéraire ressurgi du passé – merci à ces
éditeurs intrépides, chercheurs de trésors – le livre de cette
ouvrière espagnole autodidacte décrit à merveille une Espagne pré-
républicaine au bord du gouffre de la guerre civile avec ses codes et
ses injustices.

Véritable chronique sociale, écrit dans un style alerte, sec, ne
laissant que peu de respiration au lecteur, Tea Roomsraconte, à
travers Mathilde, le quotidien des employés d’un salon de thé. Tirée
de sa propre expérience, Luisa Carnes nous dépeint avec ironie et
férocité, les rapports de pouvoir, les petites mesquineries
quotidiennes qui régissent ce salon de thé mais également, à travers
lui, cette société espagnole des années 30 où se croisent ouvriers,
militaires, acteurs en vogue et dévots. Il y a dans ces pages le
déclassement des unes, la survie des autres et les rêves brisées de
toutes. A travers les yeux de ces gens qui doivent travailler pour
survivre, de ces invisibles d’une autre époque, l’auteur déploie une analyse à la fois sociologique, comportementaliste, anthropologique
et politique. Il y a celles qui construisent leurs personnages, celles
qui souhaitent fuir leurs conditions, celles qui s’avilissent devant
l’autorité et celles enfin qui usent de faux-semblants pour ne pas
disparaître. La modernité du texte saute immédiatement aux yeux 
avec cette exploitation des plus pauvres et ces femmes-objets
réduites à leur physique. Toute l’humanité est là. Et au milieu, cette
fracture, cette « ligne de partage » entre riches et pauvres. « Bien
qu’on ne sache pas encore la définir avec des mots, on la voit, on la sent à
tout moment » écrit Luisa Carnés. Comme un séisme, cette ligne de
partage plongera, quelques années plus tard, l’Espagne dans le
chaos. Et les rêves brisés de quelques-uns deviendront les
cauchemars de tous.

Par Laurent Pfaadt

Luisa Carnés, Tea Rooms
La Contre allée, 254 p.

Concertus Musicus Wien

Les dieux rassemblés sur l’Olympe de la musique. C’est un peu à cela
que ressemble ce magnifique disque. Bien évidemment, on ne
présente plus le Concertus Musicus Wien. L’une des plus
prestigieuses phalanges baroques s’aventure une fois de plus avec
brio dans le répertoire classique avec deux œuvres emblématiques
de cette période, la 5e symphonie de Franz Schubert et la 99de
Joseph Haydn. Immédiatement, la fidélité aux œuvres saute aux
yeux. Intimité – une formation orchestrale réduite – et chaleur de
l’interprétation liée à l’utilisation d’instruments d’époque donnent
l’impression de se trouver dans un salon viennois ou londonien. 

Stefan Gottfried avait la lourde tâche de succéder au pupitre à la
légende Harnoncourt dont il fut l’assistant. Et il faut dire qu’il s’en
tire avec les honneurs. Sa direction souple et alerte met
astucieusement les œuvres en valeur, surtout la 5e de Schubert
qu’Harnoncourt affectionnait particulièrement après une Inachevée
inquiétante, mystérieuse particulièrement réussie. La captation live
dans l’écrin du Musikverein de Vienne, haut lieu de la musique
viennoise, permet surtout, grâce au chef et ses musiciens, de les lier
et de comprendre l’influence qu’eut Haydn sur le jeune Schubert. Du
grand art assurément.

A écouter également : Schubert : (Un)finished, Symphony 7, Lieder,
Concertus Musicus Wien, dir. Stefan Gottfried, Aparté

Par Laurent Pfaadt

Schubert : symphonie n°5, Haydn : symphonie n°99, Concertus Musicus Wien, dir. Stefan Gottfried,
Chez Aparté

Rencontre

Iman Mersal

« C’est un livre qui s’attache à des individus et de groupes marginalisés,
effacés de la mémoire collective »

Lauréate du prestigieux Prix Sheikh Zayed Book Award 2021, l’un
des plus importants prix de littérature et de culture du monde arabe
pour son merveilleux ouvrage Sur les traces d’Enayat Zayyat (Actes
Sud), la romancière et poétesse égyptienne, Iman Mersal,
actuellement en résidence à l’IMERA de Marseille évoque, pour
Hebdoscope, l’histoire incroyable de cette jeune femme écrivaine
dans l’Egypte des années 60 et dont le suicide suscite toujours
autant de questions sur la place des femmes, les obstacles qu’elles
rencontrent et sur les sociétés dans lesquelles elles évoluent.

Iman Mersal
Copyright DR

– Quelles raisons vous ont poussé à vous lancer pendant plusieurs
années sur les traces d’Enayat Zayyat ?

Mon parcours sur les traces d’Enayat Zayyat est passé par plusieurs
phases et a eu plus d’une motivation, dont chacune me menait à la
suivante. En 1993 je suis tombée par hasard sur L’amour et le silence 
tandis que je cherchais un exemplaire bon marché des Miracles des
saints de Nabahani à Sour el-Ezbekiyya, le grand marché des
bouquinistes du Caire. En lisant le roman, j’ai été frappé par la forte
présence de cette écrivaine inconnue et par l’originalité de son
écriture, très différente de tout ce que des femmes avaient écrit en
arabe avant elle : elle parlait d’une quête intérieure, de l’insomnie, de
la dépression, des tentatives d’une jeune femme de bonne famille de
trouver un sens à sa vie à travers l’amitié, l’amour, le travail, la remise
en question de son appartenance de classe. De ses échecs répétés
également, comme si sa conscience se formait dans cette succession
d’essais et d’échecs. Comment expliquer que ce livre n’ait pas trouvé
sa place dans l’histoire du roman arabe ? Etait-ce pour des raisons politiques – il était paru en 1967, quatre ans après le suicide de son
autrice et quelques mois avant la défaite de la guerre des Six-Jours ?
Y avait-il aussi des raisons esthétiques ? Ces questions m’ont
longtemps hantée. Je glanais des informations ici et là, à telle ou telle
occasion, mais ce n’est qu’en 2014 que j’ai décidé de me lancer dans
une véritable enquête sur Enayat, en m’entretenant avec celles qui
l’avaient connue et en lisant ce qu’il restait de ses papiers
personnels. A partir de là, mes propres interrogations et mon
parcours personnel se sont mêlés à la vie et la mort d’Enayat. Il
m’arrivait de sentir que c’était elle qui me guidait sur les traces de
son questionnement autour de la place de l’individu dans le Caire
des années cinquante et des premières années soixante, lequel
faisait écho à mon propre questionnement sur la place de l’individu
dans le Caire des années quatre-vingt-dix, avant que je ne quitte
l’Egypte pour l’Amérique du Nord. Dès lors, ce n’est plus le seul
mobile littéraire qui me poussait vers elle, mais plutôt une sorte
d’intersection de la géographie et de l’histoire où nous nous
réunissions. A plus d’une reprise j’ai ressenti aussi une forme de
communication spirituelle avec elle – cela peut sembler romantique,
j’en suis bien consciente, mais pour moi c’était complètement
réaliste.

–  Pourquoi avoir choisi cette forme littéraire hybride, mêlant
documentaire, fiction et essai ? Pour projeter son histoire dans
notre époque ?

Sur les traces d’Enayat Zayyat suit la vie d’une écrivaine égyptienne
inconnue, morte en 1963, quatre ans avant la publication de son
unique roman. Je n’ai pas cherché à écrire une biographie
conventionnelle ou à réhabiliter une écrivaine injustement oubliée à qui mon livre aurait redonné une place dans une généalogie
littéraire. La recherche d’Enayat, dont la famille a brûlé les papiers
personnels, y compris le brouillon de son second roman, et au sujet
de qui l’archive collective n’a rien conservé, est une quête de
l’individualité marginalisée par le corps social dominant dans nos
sociétés arabes. Mon livre se refuse à présenter un récit unique
comme étant la vérité, de même qu’il refuse de parler au nom de son
héroïne ou de la traiter comme une victime. Le héros du récit, c’est la quête elle-même, c’est elle qui permet de créer un contexte où
différents genres littéraires voisinent et s’entrecroisent : le récit
romanesque, la recherche académique, l’enquête, les lectures, les
rencontres, la fiction pure. Il a fallu aussi intégrer des fragments
autobiographiques dans la mesure où ils interfèrent avec la vie
d’Enayat, à propos du Caire, de la dépression, de l’écriture, du
pouvoir du milieu littéraire. D’une manière générale, le livre se
refuse à choisir un genre littéraire prédéfini pour raconter une
histoire, ce sont ses questionnements et sa relation avec ce qu’il
cherche à raconter qui créent sa structure narrative et déterminent
la nature du ou des genres littéraires auxquels il recourt. En tant que
lectrice, je pense qu’un livre qui élargit et développe la définition
d’un genre littéraire est un livre fidèle aux questions qu’il aborde, un livre qui leur ressemble. 

– Lors de l’attribution du Prix Sheikh Zayed Book Award 2021, le
jury a vu dans votre livre « une source d’inspiration  pour les  
femmes  qui  cherchent  à  connaître  leur  identité ». Que signifie ce
prix pour vous ?

Quand j’ai appris que Sur les traces d’Enayat Zayyat avait obtenu ce
prix, ma première réaction a été la surprise. C’est la première fois
qu’une maison d’édition présente un de mes livres à un prix
littéraire. Je suis avant tout une poète, et d’une génération qui a
commencé à publier dans des revues et des maisons d’éditions
confidentielles dans les années quatre-vingt-dix, mais qui a tout de
même touché des lecteurs et laissé sa marque. Beaucoup ont écrit
que ce prix n’était pas pour moi seule mais pour ma génération, pour
les choix qu’elle a défendus avec constance. C’est aussi un grand prix
pour un livre de non fiction, ce qui devrait nous pousser à réfléchir à
l’importance qu’il y a pour la littérature arabe de sortir des limites
des deux genres dominants de longue date, à savoir le roman et la
poésie. Un motif de fierté particulier pour moi est que ce prix va à un
livre sur une écrivaine exclue du canon, inconnue, un livre écrit par
une femme et publié par une autre (Karam Youssef, la fondatrice de
Kutub Khan) – ce qui est nouveau pour le prix du Sheikh Zayed qui
allait plutôt jusqu’ici à des écrivains consacrés, et je suis la première
femme à l’obtenir.

–  Faut-il y lire également, à travers la figure Enayat Zayyat, un
modèle d’émancipation à suivre pour non seulement la femme
arabe, mais pour toutes les femmes ?

Je n’ai jamais voulu présenter Enayat Zayyat comme un modèle à
suivre pour les femmes. Mon propos n’est pas davantage de
présenter l’histoire de sa vie, de la naissance à la mort, pour affirmer
des opinions féministes ou mettre en avant un modèle de femme
écrivaine. Pour moi, c’est un livre qui s’attache à des individus et de
groupes marginalisés, effacés de la mémoire collective. Pas
seulement par son sujet, mais aussi par sa construction, par la
pluralité de ses langues – la langue historique, la langue
psychiatrique, la langue juridique, les dialogues oraux. C’est aussi
une tentative de faire revivre ce qu’il y a de plus beau dans les
biographies arabes anciennes: la diversité des sources, des genres
littéraires, l’art de la digression qui surprend toujours son lecteur
parce qu’elle est en fait au coeur du sujet. Sur les traces d’Enayat
Zayyat est une lecture dans la blessure du passé que nous portons
tous en nous, la récupération de tout un legs de stigmates
individuels et collectifs avec lesquels Enayat a vécu et est morte. Des
stigmates dont nous avons hérité et avec lesquels nous vivons,
hommes et femmes, mais que nous méritons de comprendre.

Par Laurent Pfaadt

Iman Mersal, Sur les traces d’Enayat  Zayyat,
chez Actes Sud, 288 p.

Europäische Kulturtage

Die Auseinandersetzung über die Versprechen Europas geht
auch nach den EKT weiter.

Jazz & Literatur „Gehen oder die Kunst, ein wildes und poetisches Leben zu führen“
Foto: Badisches Staatstheater

Viele digitale Produktionen sind weiterhin im Internet unter
www.europaeische-kulturtage.de abrufbar. Die Ausstellungen
bleiben bis zum Ende ihrer Laufzeit aufgebaut und können, wenn
Museen und Ausstellungshäuser wieder öffnen, vielleicht doch noch
persönlich vor Ort besichtigt werden.

Bleibend ist auch das zu den EKT erschienene Europa-Lesebuch mit
Statements, Essays und Interviews unter anderem von Ursula von
der Leyen, Katarina Barley, Stephan Harbarth, Rebecca Saunders,
Ilker çatak oder Fridays for Future. Das Buch kann unter
www.europaeische-kulturtage.de als pdf heruntergeladen oder
gedruckt unter ekt@kultur.karlsruhe.de bestellt werden.

EKT Karlsruhe
2.5. – 16.5.2021

RÉOUVERTURE DES MUSÉES !

Yan Pei-Ming
Au nom du père

Mercredi 19 mai 2021, la plupart des musées et lieux d’expositions
rouvriront après plus de six mois de fermeture forcée. Beaucoup ont
négocié avec les artistes et leurs partenaires pour repousser les
dates de décrochage de leurs expositions temporaires et permettre
au public de profiter des oeuvres et de préserver le travail des
commissaires, comme des équipes.

À Colmar, le musée Unterlinden peut enfin inaugurer la très belle
proposition élaborée par Frédérique Goerig-Hergott en lien avec
l’artiste, Yan Pei-Ming – Au nom du père. Visible jusqu’au 11
octobre. C’est la deuxième grande monographie d’un artiste
contemporain que les Unterlinden accueillent dans la nouvelle nef
de l’Ackerhof, lire notre article : Regards en abîme.

Quelques rues plus loin, l’Espace d’Art Contemporain André
Malraux ouvre enfin l’exposition monographique de Pierre
Muckensturm accrochée début novembre. Visible jusqu’au 26
septembre. Fantaisie orthogonale pourrait être un titre d’Erik Satie.
Sous ses figures d’apparence ascétique, il y a dans le travail de cet
artiste, le même humour pince-sans-rire et le même goût de la
parodie. Chez Satie, il y a la netteté du piano, chez Muckensturm,
celle de la ligne noire. Consulter la page consacrée à l’exposition avec deux vidéos et la notice de salle : Fantaisie orthogonale.

Nota : Malraux est fermé le lundi, les Unterlinden le mardi… Pensez-
y si vous faites le déplacement à Colmar.

Enfin le musée Würth à Erstein réouvre Christo et Jeanne-Claude,
Collection Würth inaugurée en juillet 2020. Visible jusqu’au 20
octobre. Les passionnantes coulisses et l’énorme travail en amont
des célèbres Emballages du couple à travers le monde, lire notre
article : L’éphémère éternel.

Réouverture des Musées

Ville de Strasbourg

Fermés depuis le 30 octobre 2020, les Musées de la Ville de
Strasbourg se réjouissent de pouvoir rouvrir leurs portes mercredi
19 mai 2021* et de présenter au public les expositions initialement
prévues à l’automne 2020 et au printemps 2021. Pour garantir les
meilleures conditions d’accès, un système de réservation en ligne a
été mis en place pour tous les visiteurs, qui bénéficieront de la

gratuité des musées jusqu’au 30 juin 2021.

Jeanne Barseghian, maire de Strasbourg, Anne Mistler, adjointe à la maire en charge des Arts et cultures et Paul Lang, directeur des Musées de la Ville de Strasbourg 

Réservation en ligne et gratuité des musées

En raison du contexte sanitaire, les musées ont mis en place un
système de réservation en ligne. Il est ainsi demandé à tous les
visiteurs de réserver un créneau de visite avant d’arriver dans les
musées en se rendant sur le site 
https://demarches.strasbourg.eu/reserver-billets-musees/  

La réservation en ligne d’un créneau horaire est obligatoire,
gratuite et modifiable. Elle est aussi nécessaire pour les personnes
bénéficiant de la gratuité.

Afin de célébrer le retour des visiteurs dans nos salles, l’ensemble
des musées est gratuit jusqu’au 30 juin 2021. À partir du 1er juillet,
la réservation d’un créneau horaire se fera en ligne et le paiement
aux caisses des musées.

Le Brutaliste

En refermant le livre de Matthieu Garrigou-Lagrange, je suis allé voir
ces trois tours de l’Amoreiras dans le quartier Compolide de
Lisbonne. Et là, il fallut bien en convenir, il s’agissait bien d’une dame
et de ses chevaliers. Trois tours comme des pièces d’échec. Les
échecs, ce jeu auquel s’adonna, toute sa vie durant, le Brutaliste,
Tomas Taveira de son véritable nom. Jamais peut-être un architecte
ne personnalisa si bien, à travers son œuvre et sa personnalité, un
courant architectural et un comportement. Jusqu’au nom. Jusqu’à
l’intime. Jusqu’à l’inconscient.

Cet architecte parti de rien gravit à coup d’audaces et de coup de
forces, les marches de ce Capitole moderne, jusqu’à se hisser au
firmament de la société portugaise, jusqu’à rayonner sur le monde
de l’architecture postmoderniste. Avec cette dame et ces deux
chevaliers, Matthieu Garrigou-Lagrange, voix bien connue des
auditeurs de France Culture, nous conduit dans les dédales de béton
de ce labyrinthe mental dans lequel le Brutaliste régna tel un
Minotaure assoiffé de désirs et de victoires. Rien ne l’arrêta jusqu’à
se filmer en train de violer un certain nombre de femmes,
prisonnières de ce labyrinthe et peut-être également de leurs
ambitions et de cette société des années 1980. Les scènes sexuelles
filmées offrent ainsi des flashbacks assez subtils où on peut presque
sentir la bande sursautée, le son entaché d’un grain malpropre. Il y a
quelque chose de Lynchien dans le montage littéraire de Matthieu
Garrigou-Lagrange, quelque chose qui rappelle Bret Easton Ellis
dans ce plaisir proche de la mort physique ou sociale comme on
étrangle sa partenaire pour parvenir à un niveau de jouissance
extrême, ce « quasi-suicide social » reliant Patrick Bateman au
Brutaliste.

L’Amoreiras Shopping Center avec son centre commercial démesuré
est aussi le reflet d’une époque, celle de la consommation à
outrance, sans limites, de l’argent, du pouvoir, des réseaux, de
l’affranchissement des règles y compris sexuelles. Et à travers le
comportement abject du Brutaliste, son ascension affranchie de
toute éthique et la révélation de ses méfaits par des médias peu
scrupuleuxl’auteur tend un miroir à cette société, portugaise ou
non, qui s’est édifiée et qui a engendré des monstres tels que le
Brutaliste. Il n’y a qu’à voir ces jeunes dans la deuxième partie du
livre qui, finalement, ne remettent pas en question, ou du bout des lèvres, ces pratiques. Non, l’important est le spectacle, le
voyeurisme. En cela, le lecteur peut se demander – et plus encore
dans ce pays catholique – si le Brutaliste n’est pas le produit de son
temps, comme Berlusconi par exemple dont la figure revient en
surbrillance dans ces pages.

Alors oui le Brutaliste est l’histoire d’une ambition dévorante, sans
limites, d’une vie fondée sur la provocation, la transgression. C’est une histoire sur le pouvoir absolu, sur ses dangers sur les êtres
lorsqu’il n’est pas tempéré par la morale, sur notre conception de la
virilité, sur enfin la chosification des êtres et des femmes plus
particulièrement. Mais Matthieu Garrigou-Lagrange nous dit aussi
qu’une société emportée par ses dérives, peut se ressaisir – à travers
la figure de Junior – qu’il y a des motifs d’espérer un retour du
balancier et que la Roche Tarpéienne est toujours proche du
Capitole, même pour l’architecte de ce dernier.

Par Laurent Pfaadt

Matthieu Garrigou-Lagrange, Le Brutaliste,
éditions de l’Olivier, 240 p.

Le soldat britannique

Soldats de la Wehrmacht contre combattants de l’Armée Rouge,
Forces Françaises Libres ou GI américains débarquant sur les plages
de Normandie et engagés dans une lutte à mort contre des soldats
japonais fanatisés, le mythe du soldat de la Seconde guerre mondiale
s’est largement construit en omettant le soldat britannique. Et
pourtant, celui-ci peut se prévaloir de faits d’armes d’importance : il
défit, dans le désert, le plus intrépide des généraux allemands et
évita aux Alliés de perdre la guerre où, selon les mots de Winston
Churchill, « jamais dans l’histoire des conflits tant de gens n’ont dû autant à si peu », en référence aux aviateurs de la Royal Air France qui
gagnèrent la bataille d’Angleterre.

Le livre de Benoît Rondeau répare enfin cette injustice, cet oubli de
l’historiographie française. Sur quoi se base-t-elle ? A l’impossibilité
de définir une identité ? L’auteur il montre qu’il n’y a pas un soldat
britannique mais des soldats britanniques, un soldat impérial entre
Irlandais, Ecossais, Kiwis Néo-Zélandais, Gurkhas du Népal
considérés comme l’élite de l’armée des Indes ou Juifs de Palestine.
Cela tient-il au respect profond et à l’honneur que ce soldat
manifesta à l’égard des lois de la guerre quand le conflit se définissait
par le nombre de massacres exercés de part et d’autre de la ligne de
front ? Peut-être même si les bombardements à outrance des villes
allemandes, dont certains peuvent être considérés comme des  
crimes de guerre notamment à Dresde en février 1945, ont été le
fait de la RAF.

Ces réponses se trouvent assurément dans le livre de Benoît
Rondeau. Explorant toutes les caractéristiques du soldat
britannique avec comme à son habitude, une extraordinaire
exhaustivité et reprenant sa méthode déjà exposée avec brio dans
son livre sur la Wehrmacht (Etre soldat de Hitler, Perrin, 2019),
l’auteur nous emmène dans les cercles d’officiers, les arsenaux, sur
mer et en compagnie des fameux génies de Bletchley Park qui
cassèrent les codes nazis. Le livre se lit presque comme un
dictionnaire, c’est-à-dire en l’ouvrant au chapitre souhaité. Il
fourmille d’anecdotes tantôt drôles comme ce piano amené par le
général Philip « Pip » Roberts sur lequel l’officier jouait du jazz lors de la campagne de Tunisie ou la découverte du harem du bey de
Tunis, tantôt tragiques comme l’entrée dans le camp de
concentration de Bergen-Belsen. Mais à chaque fois, elles servent à
cerner la mentalité du soldat et à appréhender la construction de
son mythe.

Sans faire un livre d’histoire de l’armée britannique durant le second
conflit mondial, l’auteur s’attache à suivre le soldat dans son
quotidien et parvient, assez subtilement à nous présenter, du point
de vue du soldat de base ou du général, les grands affrontements
(guerre du désert que connaît particulièrement bien l’auteur, les
campagnes d’Italie ou de Birmanie) dans lesquels les Britanniques
furent impliqués. Les lacunes ne sont pas omises comme les défaites
du début du conflit, le manque de coordination interarmes ou les
carences en sous-marins, Benoît Rondeau explore également dans
des chapitres passionnants la conception de la guerre propre aux
soldats britanniques – croyance dans la victoire finale au sein de la
troupe, nécessité de limiter les pertes humaines chez les officiers –  
ainsi que les rapports sociaux au sein de l’armée et avec l’ennemi. Au
final, la démonstration du livre important de Benoit Rondeau permet
de prendre toute la mesure de la contribution majeure de l’armée
britannique à la victoire finale.

Par Laurent Pfaadt

Benoît Rondeau, Le soldat britannique
Chez Perrin, 512 p.

Regards en abîme

Yan Pei-Ming aux Unterlinden  
Photo Luc Maechel

Yan Pei-Ming – Au nom du père

Après Corpus Baselitz en 2018, c’est la deuxième grande monographie
d’un artiste contemporain que les Unterlinden accueillent dans la
nouvelle nef de l’Ackerhof à l’initiative de la commissaire Frédérique
Goerig-Hergott, conservatrice en chef au Musée. Lors de l’inauguration,
l’artiste a rencontré la presse, mais regrettait que, jusqu’à nouvel ordre, le
public reste confiné à l’extérieur ou derrière ses écrans. Pouvoir approcher
intimement ses toiles, puis reprendre du recul est indispensable pour
appréhender son travail (et les si vastes espaces du musée s’y prêtent
aisément).

Par Luc Maechel

Parution dans le magazine hebdoscope n° 1072 Mai/juin 2021

Retrouvez la suite de l’article sur :

https://racinesnomades.net/regards/regards-en-abime/