La troisième griffe de Dieu

Andrea Cort. Voilà un nom que tout passager montant à bord d’un
futur vaisseau littéraire va devoir retenir. Car peu importe où vous
irez, il vous servira de comparatif aux personnages que vous
rencontrerez. Mais existe-t-il véritablement dans cette galaxie où le
capitalisme a définitivement gagné la partie, une autre Andrea Cort,
cette jeune femme avec certes des pensées macabres, mais
terriblement libre ?

Pour le savoir, il nous faut pénétrer dans la troisième griffe de Dieu,
deuxième épisode de cette trilogie qui peut se lire indépendamment
du premier tome, Emissaire des morts. Cependant, il n’est pas inutile
de relire les quatre nouvelles qui ouvrent ce dernier afin de se
pénétrer de la psychologie de notre héroïne. Andrea Cort, victime
d’un génocide et entrée comme avocate et enquêtrice dans le Corps
diplomatique, a pris du galon. Elle est devenue Procureur et jouit
maintenant d’une liberté plus grande. Son nouveau statut lui vaut
d’ailleurs d’être invitée sur la planète Xana pour y rencontrer les
Bettelhine, une famille de génocidaires et marchands d’armes sans
foi ni loi. D’ailleurs, dans ce monde ultracapitalisé, Xana est devenue
la propriété des Bettelhine qui y ont créé leurs propres lois et
agissent ainsi à leur guise. Mais dès son arrivée, quelqu’un tente de
supprimer Andrea Cort avec la fameuse troisième griffe de Dieu,
une ancienne arme de destruction massive. Bloquée en compagnie
des enfants Bettelhine et d’un certain nombre d’autres invités dans
un ascenseur spatial qui sert de décor à ce huis-clos étouffant
magnifiquement construit par Adam-Troy Castro, tout le monde,
suspect, s’observe.

Les lecteurs retrouveront une fois de plus avec plaisir, Andrea Cort,
mi-Spock, mi-Hercule Poirot dans cette aventure passionnante. Elle
fera tomber, un à un, les masques tout en révélant le but premier de
l’invitation des Bettelhine, jusqu’au dénouement final absolument
étonnant. Avec ce cycle, nul doute que le nom d’Andrea Cort a
rejoint les Dors Venabili et les Cordelia Vorkosigan au panthéon des
grands personnages de SF à ceci près : on ne sait pas encore quel
sera son destin. Réponse dans La Guerre des marionnettes, à
paraître prochainement…

A lire également : Adam-Troy Castro, Emissaire des morts, Albin Michel Imaginaire, 720 p.

Par Laurent Pfaadt

Adam-Troy Castro, La troisième griffe de Dieu,
Chez Albin Michel Imaginaire, 464 p.

Jeunes filles de fer et autres nouvelles

On ne souligne jamais assez l’importance de ces traducteurs de
langues peu usitées en Europe et de ces éditeurs indépendants qui
font entrer le monde entier dans nos bibliothèques.

La jeune maison d’édition Pacifica, fondée par le traducteur Renlai
Zhu appartient indubitablement, à l’instar de sa grande sœur
Philippe Picquier, à ces passeurs de mots et de talents asiatiques. En
nous proposant de lire pour la première fois en français, l’un des
maîtres chinois de la nouvelle, Zhao Benfu, c’est bien plus qu’un
cadeau qu’elle nous fait.

Zhao Benfu est l’auteur d’une œuvre importante dont ces dix
nouvelles n’offrent, à vrai dire, qu’un bref aperçu de son immense
talent. On y retrouve notamment Un monde sans voleurs que les
éditions Pacifica ont astucieusement glissé dans ce recueil et qui a
été l’objet d’une adaptation cinématographique avec l’acteur Andy
Lau, la star hongkongaise de Détective Dee.

Les stars, chez Zhao Benfu, sont ces antihéros, ces criminels, ces
bannis que le vent, tels des bambous ont fait plier du mauvais côté
du jardin de l’histoire. Il y a quelque chose qui oscille entre réalisme
magique et romantisme d’un temps ancien dans cette conviction que
l’héroïsme mêlé à la bonté doit gouverner le monde. Cela nous
change de ces récits pessimistes qui mettent en avant la face sombre
de notre humanité. Non ici, les mots de Benfu révèlent l’humanisme
du bourreau, l’altérité d’un soldat face à un déserteur.

L’homme ainsi décrit dans ces histoires qui ne sont pas des contes –
comme si les sentiments évoqués appartenaient à un autre temps ou
à une conception mythifiée de l’humanité – est considéré à sa juste
place, non pas première et prépondérante mais, au contraire, comme
faisant partie d’un tout et se reflétant dans l’humilité de deux
maîtres face au chant d’une alouette. Benfu ramène ainsi les
hommes à leur humilité primaire envers la nature et envers les êtres
vivants qui partagent cette dernière. Sa prose pleine de poésie,
véritable respiration salutaire dit l’essentiel et cela est en soi
magistral.

Par Laurent Pfaadt

Zhao Benfu, Jeunes filles de fer et autres nouvelles,
éditions Pacifica, 212 p.