The Deep House

Un film d’Alexandre Bustillo et Julien Maury

Depuis 14 ans, Alexandre Bustillo et Julien Maury réalisent des
films ensemble. Pour leur sixième collaboration, ils reviennent sur
grand écran avec une histoire de maison hantée, originale, car
tournée au fond d’un lac !

Les deux metteurs en scène sont fans de genre. Depuis leur tout
premier film, A l’intérieur, en 2007, ils n’ont cessé de prouver leur
amour du genre, faisant fi de tous les obstacles mis sur leur passage.
Pour donner vie à un cinéma qui leur ressemble, à la fois extrême et
proche de nous. Dans chacune de leurs œuvres le spectateur peut en
effet créer un lien avec l’un ou l’autre des personnages, aussi barrés
soient les événements auxquels ils sont confrontés. Et Dieu sait si les
deux compères n’ont pas leur pareil pour les placer dans des
circonstances à la fois extraordinaires et violentes. Livide, Aux yeux
des vivants, Leatherface et Kandisha ont succédé à A l’intérieur, et tous
ont eu à cœur d’inviter les spectateurs dans le grand train fantôme
de l’Horreur.

The Deep House n’est pas différent. Le film s’ouvre sur la ballade d’un
jeune couple, Ben et Tina, au fin fond de la forêt ukrainienne. Ils sont
venus visiter un sanatorium abandonné depuis longtemps, supposé
hanté. Car Ben ne rêve que d’une chose, faire décoller sa chaîne YouTube en filmant la découverte d’un lieu vraiment flippant. Filmé
caméra au poing, la visite du vieil hôpital leur procure bien quelques
frissons, mais rien de bien original. Ben en veut plus. Quelques mois
plus tard il tombera sur une info évoquant un endroit secret dans le
Sud de la France, un endroit reculé qui aurait été le théâtre d’un
drame il y a bien longtemps. Son sang ne fait qu’un tour. Il doit y aller.

Sur place sa première réaction est d’être déçu : le spot secret est
devenu un joli petit coin à touristes. Mais sa rencontre avec Pierre,
un villageois du coin un brin inquiétant, lui redonnera espoir. En
échange de quelques billets celui-ci leur proposera de les guider vers
une autre partie du lac, à quelques kilomètres de là. Là bas, au fond du lac, se trouverait une vieille maison en parfait état de
conservation…

Alexandre Bustillo et Julien Maury sont de très bons techniciens.
Leur manière de filmer la grande bâtisse immergée le démontre une
fois encore. Pour The Deep House, les deux cinéastes ont tenu à
filmer en « réel », c’est-à-dire en plaçant les comédiens sous l’eau,
plutôt que de tout filmer sur fond vert, en tournant au ralenti. Et le
résultat est là ! En procédant ainsi, ils nous permettent de croire à ce
qui arrive à Ben et Tina. Lorsque ces derniers pénètrent dans
l’immense maison et en parcourent les nombreuses pièces nous
sommes à leur côtés et ressentons la même claustrophobie. Les
réalisateurs jouent avec l’obscurité, le sable et l’eau trouble, et
chaque nouvelle pièce apporte son lot de frissons. Pas de jump scares inutiles, mais plutôt une peur savamment construites sous les
yeux des spectateurs.

Avant de découvrir le terrible secret de la maison engloutie, les deux
plongeurs font se faire des petites frayeurs, et s’opposer lors de
prises de bec liées à leur différence de tempérament. Pour
interpréter ces deux aventuriers souvent cachés derrière leur
masque de plongée, il fallait trouver des comédiens au visage
expressif et au regard intense, capable de traduire à l’écran
l’ensemble des émotions qui allaient traverser leur personnage.
Dans le rôle de Ben, James Jagger (fils de Mick) avait toutes les
qualités requises, après avoir connu une certaine reconnaissance
grâce à la série Vinyl, produite par Martin Scorcese et Mick Jagger. Il
donne à son personnage un côté effronté, jusqu’au boutiste, qui
s’oppose à Tina qui, bien que partageant son goût pour l’aventure,
est bien plus posée et prudente que lui. Dans le rôle de Tina, nous
retrouvons la mannequin-comédienne Camille Rowe, récemment vue dans le Rock’n Roll de Guillaume Canet et Je voudrais que
quelqu’un m’attende quelque part d’Arnaud Viard, et le toujours
impeccable Eric Savin n’a eu aucune difficulté à traduire toute l’ambiguïté du mystérieux Pierre.

Dans le dernier tiers du film, Alexandre Bustillo et Julien Maury
accélèrent le rythme, il leur faut arriver vite à la révélation finale.
C’est peut-être là le petit point faible du long-métrage, qui avait
parfaitement su nous embarquer avec lui jusque là. Mais ne boudons pas notre plaisir. The Deep House est une vrai proposition de cinéma
de genre, accomplie, maîtrisée et sincère. Le duo de réalisateurs confirme une fois encore tout le bien que l’on pense de lui.

Par Jérôme Magne


1794

On le croyait mort et surtout éloigné de cette gangrène politique et
économique qui ronge à petit feu la Suède. Un nouveau roi âgé de
quinze ans vient de monter sur le trône et son oncle, qui assure la
régence, a confié au baron de Reutersholm les rênes d’un pouvoir
qu’il exerce de façon autoritaire en se drapant dans une
pudibonderie écœurante. D’autant plus qu’un crime apparemment
sans importance – une jeune femme massacrée par des loups tout de
même – rappelle à Jean Michael Cardell, le vieux soldat au cuir épais
et manchot, que tout poison a besoin de son antidote. Car l’époux de
la jeune femme, un petit noble idéaliste qui s’est élevé contre la
traite des Noirs à St Barth, ne cesse de se tourmenter à propos de
cet assassinat et semble vouloir révéler quelques vérités. Débute
alors une enquête menée tambour battant à travers les affres de la
mort et les bas-fonds de Stockholm et de St Barth pour un voyage
sans retour dans la noirceur de l’âme humaine.

Après le fabuleux 1793, Niklas Natt Och Dag, lui-même issu de la
noblesse suédoise, récidive avec cette nouvelle enquête de génie où
l’on retrouve avec bonheur quelques personnages de son opus
précédent. En tout cas, tenez-vous le pour dit : l’Histoire constitue le
nouveau terrain de chasse de prédilection pour les loups du polar
scandinave, prêts à dévorer les tripes des lecteurs du monde entier.
Ames sensibles s’abstenir donc…

Par Laurent Pfaadt

Niklas Natt och Dag, 1794
Chez Sonatine éditions, 544 p.

Minuit à Atlanta

Voici venu le temps de retourner dans l’Atlanta des années 50 avec
nos flics afro-américains favoris, Tommie Smith en tête. Six ans ont
passé, de l’eau a coulé sous les ponts d’Atlanta ou plutôt des
cadavres. Lassé, Tommie Smith a quitté son uniforme de flic pour
celui de reporter dans le principal journal noir de la ville, l’Atlanta
Daily Times. Et comme si le crime s’acharnait à ne pas le laisser en
paix, son directeur, Arthur Bishop est retrouvé mort. Accusé, Smith
mène alors l’enquête, d’autant que cette dernière intéresse
beaucoup de monde et au premier chef le FBI tandis que d’autres
traînent les pieds – toujours les mêmes, ces flics blancs qui n’ont
jamais accepté cette unité de flics noirs – ce qui est d’autant plus
suspect.

L’enquête ne sera pas de tout repos car les esprits s’échauffent dans
ce sud des Etats-Unis secoué par les violences raciales. Dans
l’Alabama voisin, à Montgomery, Rosa Parks vient de monter dans un
bus déclenchant un tourbillon de violences dans tout le pays. Au
centre de ce cyclone qui se répand, Tommy Smith, aidé de son ancien
chef, McInnis, flic blanc qui reflète à merveille la schizophrénie
américaine face au problème des droits civiques, avance dans cette
enquête périlleuse dont les innombrables ramifications réserveront
bien des surprises aux lecteurs.

Avec la maestria qui est la sienne, Thomas Mullen nous embarque
une fois de plus dans ce roman noir génial, tissant à foison les
fausses pistes en mêlant évènements réels et personnages fictifs.
Manipulation, haine éculée et mensonges, avec Minuit à Atlanta,

Thomas Mullen marche assurément sur les pas du grand Ellroy.
A lire également : Thomas Mullen, Temps noirs, Rivages noir poche, 528 p.

Par Laurent Pfaadt

Thomas Mullen, Minuit à Atlanta
Rivages noir, 352 p.

L’oiseau bleu d’Erzeroum T1

Parmi les échos du génocide arménien dont celui, sublime, d’Edgar
Hilsenrath, qui ont traversé le siècle dernier, il faut désormais
ajouter la voix intime et personnelle de Patrick Manoukian, alias Ian
Manook. Habitués à suivre celles, mongole et islandaise, du crime,
l’un des maîtres français du polar nous invite cette fois-ci à se laisser
guider par celles de deux sœurs, Araxie et Haïganouch, et de leurs
incroyables destinées depuis cette fatidique année 1915 lorsque
l’Etat turc perpétra ce qui reste à ce jour l’un des plus importants
génocides du 20e siècle.

C’est d’ailleurs par des cris, ceux des victimes arméniennes, que
débute cette folle épopée qui va conduire nos deux jeunes enfants
et à travers eux, la myriade de personnages construits par Ian
Manook vers la liberté, des cols enneigés au Berlin des années 20 en
passant bien évidemment par la France de l’entre-deux guerres.
Puisant dans son histoire familiale et en particulier dans celle de sa
grand-mère Araxie, Ian Manook livre ainsi le premier tome d’une
trilogie magnifique où les larmes côtoient le rire, où la tragédie
rivalise avec la comédie et où la vengeance combat l’injustice.

Une grande aventure en somme…

Par Laurent Pfaadt

Ian Manook, L’oiseau bleu d’Erzeroum T1
Chez Albin Michel, 544 p.

De l’autre côté des croisades

Il est bien connu que l’Histoire est écrite par les vainqueurs. Mais la
justice finit toujours par triompher, dut elle attendre plusieurs
siècles. Il y a près de quarante ans, l’Académicien Amin Maalouf
publiait Les Croisades vues par les Arabes (JC Lattes, 1983), ouvrage
demeuré pourtant sans postérité.

Gabriel Martinez-Gros, l’un de nos plus grands spécialistes de l’Islam
et dont les travaux font autorité jusqu’au Moyen-Orient – il a été
ainsi nommé pour le Prix Sheikh Zayed Book Award – reprend le
flambeau pour nous offrir un essai historique à la fois palpitant et
d’une érudition stupéfiante. Suivant les pas d’Ibn Khaldoun, l’un des
plus grands penseurs non seulement arabes mais également du
Moyen-Age, il restitue l’épisode des croisades dans le temps long et
l’inscrit dans le phénomène plus global de l’effondrement de l’empire
islamique sous l’action conjointe des Mongols et, en Terre sainte, des
Francs. Mais surtout, en réorientant la focale depuis Damas ou
Bagdad, voire Pékin, il permet au lecteur de sortir de sa vision
autocentrée et européiste. Avec cette objectivité salutaire, il lui tend
un pont qui, sitôt franchi, le conduit bien au-delà du simple savoir.

Par Laurent Pfaadt

Gabriel Martinez-Gros, De l’autre côté des croisades, l’Islam entre croisés et mongols
Passés composés, 304p.

Une cathédrale à soi

A l’occasion de son 40e livre, l’un des monstres sacrés de la
littérature policière retrouve David Robicheaux, son héros fétiche,
dans cette 23e enquête qui revient sur la lutte fratricide que se
livrent les familles Balangie et Shondell. Une cathédrale à soi qui clôt
la trilogie de la Louisiane, remonte le temps, avant le 11 septembre
2001. David Robicheaux, ancien adjoint du shérif de New Iberia, pas
encore devenu détective, vient d’être suspendu. Et en suivant Isolde
Balangie, cette fille si attachante à la voix d’ange, Robicheaux
découvre la haine ancestrale que voue la famille de la fille à celle de
son petit ami chanteur, Johnny Shondell, menée par son oncle, le
terrible Mark Shondell. Ce dernier ne recule d’ailleurs devant rien
pour assurer sa puissance : corruption, prostitution et meurtres bien
évidemment.

On connait la suite. Avec sa satanée manie de s’enticher de cas
désespérés et de marginaux – sauver cette petite des griffes de
l’oncle de Johnny – et son sens si personnel, trop personnel de la justice, Robicheaux entre une fois de plus dans ce marais psychique
qu’il connait bien et qu’il redoute, en compagnie bien évidemment
de son fidèle compère, Clete Purcel. Racisme, déchéance, pourriture
sont les relents qui s’en dégagent. Il y croisera surtout un serpent,
cet assassin qui conduira Robicheaux au-delà de ses propres limites.
Une fois de plus, James Lee Burke emmène son lecteur dans ce
monde entre réalité et surnaturel où les morts et les vivants
partagent cette même barque naviguant sur ce Styx contemporain.

Dans ce grand shaker littéraire, mettez-y deux bonnes doses de
Shakespeare et de Faulkner, ajoutez une bonne rasade de whisky et
quelques jets d’humidité des bayous et de folie humaine et vous
obtiendrez cet excellent Burke, sorte de western contemporain à la
sauce Capulet et Montaigu.

A lire également de James Lee Burke, Robicheaux et New Iberia Blues (Rivages noir poche) qui façonnent avec Une cathédrale à soi, cette terrifiante trilogie.

Par Laurent Pfaadt

James Lee Burke, Un cathédrale à soi
Chez Rivages noir, 448 p.

La rivière des disparues

Deux sœurs issues d’un quartier mal famé de Philadelphie ont
chacune suivi des voies différentes : Mickey est devenue flic quand
la plus jeune, Kacey, est restée prisonnière de Kensington et de ses
démons. Schéma romanesque somme toute assez classique avec
frustrations sociales, passé familial compliqué, drogue et
prostitution.

Jusqu’au jour où Kacey disparaît et que des meurtres font régner la
terreur, obligeant Mickey à plonger dans ses ténèbres peuplés de
fantômes. Sous la plume magistrale de Liz Moore, le récit se densifie
et le lecteur se retrouve embarqué.

Véritable page-turner qui vous tiendra en haleine jusqu’à la dernière
page, ce thriller « haletant » selon les mots de l’un des maîtres du
genre, Dennis Lehane, va bien au-delà du simple roman policier. La
rivière des disparues est un grand livre sur la puissance des liens
familiaux, porté par des personnages comme tirés d’une tragédie
grecque et que vous n’oublierez pas de sitôt.

Par Laurent Pfaadt

Liz Moore, La rivière des disparues
Chez Buchet & Chastel, 416 p
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Demain et le jour d’après

Absolument emballé par son Terminus voilà deux années, en cours
d’adaptation au cinéma, on avait hâte de lire son nouveau roman
Demain et le jour d’après, déjà préempté par Hollywood et Niels
Blomkamp, réalisateur de District 9. Et il faut dire qu’on n’a pas été
déçu. Une fois de plus, Tom Sweterlitsch nous convie à un voyage
littéraire assez incroyable entre présent et futur.

Dans le présent, la ville de Pittsburgh a été rasée par un attentat
nucléaire. John Dominic Baxton, éditeur devenu enquêteur après
avoir perdu sa femme dans cet attentat, examine ce qu’on appelle
l’Archive qui permet, à l’aide des documents qui n’ont pas été
détruits, de revoir la ville avant l’attentat. Il y découvre, à sa grande
stupéfaction, qu’une jeune femme a été assassinée et que son
meurtrier a survécu à l’attentat. Se lançant alors dans une enquête
qui va l’emmener au-delà de sa propre histoire personnelle, le
lecteur plonge dans ce récit d’une construction romanesque
absolument bluffant. Si vous ne connaissez pas ce Christopher
Nolan des lettres, précipitez-vous de toute urgence sur Demain et le
jour d’après.

A lire également, Tom Sweterlisch, Terminus
(Le Livre de poche, 552 p.)

Par Laurent Pfaadt

Tom Sweterlitsch, Demain et le jour d’après
Chez Albin Michel Imaginaire, 416 p.