Une passion marocaine

Le Musée Mohammed VI d’Art Moderne et Contemporain de Rabat présentait une exposition dédiée au voyage marocain d’Eugène Delacroix

Eugène Delacroix
© Musée des beaux-arts de Dijon

Ses chevaux, ses cavaliers, sa touche orientaliste sont connus de
tous et restent à jamais attachés à son art. C’est ici, dans le royaume
du Maroc, entre mer et désert que la peinture d’Eugène Delacroix
prit forme. L’’exposition du Musée Mohammed VI d’Art Moderne et
Contemporain, élaborée en coopération avec les musées du Louvre
et Eugène Delacroix de Paris, revient ainsi sur le voyage qu’effectua
le peintre entre janvier et juin 1832 à l’occasion de l’ambassade
diplomatique du comte de Mornay, auprès du sultan Moulay-Abd-
Er-Rahman.

Si le fameux tableau du sultan est resté au musée des Augustins de
Toulouse, le visiteur reste fasciné par le travail préparatoire du
peintre, de l’esquisse venue du musée de Dijon (1832) aux eaux-
fortes et lithographies qui montrent son exceptionnel génie. Ces
dessins qui s’inscrivent dans la tradition des Daumier et Doré,
dévoilent un sens aigu de l’observation que le trait du peintre
restitue à merveille comme dans cette étude du bournous où chaque
fil se compte et s’admire. La lithographie de La Noce juive (1849),
certainement l’une des plus belles pièces de l’exposition, qui servit
de base au tableau du Louvre, se contemple sans fin, tant le trait, les
expressions des personnages et la composition appartiennent à la
fois à son temps et tracent une modernité artistique à venir.
D’ailleurs, les chevaux de Delacroix observés lors de fantasias et si
emblématiques de son art, impulsent dans les tableaux du Louvre
(Passage d’un gué, 1858) et Bordeaux (Cavalier de la garde du sultan,
1845), une sensation de mouvement qui inspira tant de peintres à
venir.

Car le musée Mohammed VI est avant tout une institution
consacrée à l’art moderne et contemporain et les commissaires ont
voulu inscrire Delacroix dans cette modernité qu’il a induit, tant
dans son alchimie picturale que dans ses compositions et dans
l’impact de l’expérience marocaine. Les œuvres d’Odilon Redon ou
d’Henri Matisse en témoignent assurément. Preuve que les voyages
continuent et continueront d’alimenter l’inconscient des artistes et
de visiteurs séduits par la beauté des coutumes et des paysages du
Maroc.

Par Laurent Pfaadt

« Delacroix, souvenirs d’un voyage au Maroc », Musée Mohammed VI d’Art Moderne et Contemporain de Rabat, jusqu’au 9 octobre 2021

Les légendes sont de retour…

Herbert Blomstedt et l’Orchestre Philharmonique de Vienne inauguraient la saison de la Philharmonie du Luxembourg

Herbert Blomstedt
© : Philharmonie Luxembourg / Sébastien Grébille

Avec les mythiques Wiener Philharmoniker et Herbert Blomstedt, la
Philharmonie du Luxembourg ouvrait en grande pompe, en ce 4
septembre 2021, sa saison après deux années d’orages et
d’inquiétudes. Il fallait donc bien le cor de la 4e symphonie de
Bruckner pour réveiller nos cœurs endoloris.

Tout commença avec la 8e Inachevée de Franz Schubert. Le chef
suédois, qui vient de fêter ses 94 ans, avait décidé de chevaucher la
tempête qui couvait encore au-dessus du Grand-Duché. Avec des
contrebasses ténébreuses à souhait, le ton était donné, celui d’un
orchestre résonnant comme un être vivant. Revêtu de son
traditionnel habit romantique, l’orchestre, au son si parfait dispensé
par des cordes battant comme un cœur, fut à nouveau à la hauteur
de sa réputation. Blomstedt, tel Hermès le messager, d’un petit geste
de la main, mi-caresse, mi-pichenette, chassa les nuages pour ouvrir
en grand la voûte céleste et inscrire sa symphonie dans quelque
chose qui prit des airs de destinée.

Avec Bruckner, le récit devint odyssée. D’Hermès, Herbert
Blomstedt se mua en Zeus, se saisissant du foudre pour le brandir
dans un premier mouvement tonitruant qui fit trembler une
Philharmonie transformée en Olympe au son de cuivres étincelants
polis par les années américaines du chef. Un sentiment d’achèvement se dégagea ensuite du deuxième mouvement comme
si l’orchestre tenait le monde dans ses bras et le berçait au son de ses
vents enchanteurs. Dieux et légendes se rencontraient avec
Blomstedt en aède post-romantique. Et lorsque retentit la coda,
apothéose et majesté pétrifièrent telle Méduse, une assistance et un
chef qui eut droit à une standing ovation plus que méritée.

La phalange viennoise ouvrit les traditionnels rendez-vous des
Grands Orchestres de la Philharmonie qui verra également se
succéder le London Symphony Orchestra ou la Filarmonia della
Scala menés par les plus grandes baguettes : Sir Simon Rattle, Valéry
Gergiev, Zubin Mehta ou Daniel Barenboïm. Face à ces monuments,
l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg et son désormais chef
emblématique, Gustavo Gimeno, fera résonner son expressivité et
sa couleur dans quelques grandes pages du répertoire. Il sera
accompagné par quelques solistes d’exception comme la « captivante
conteuse », Béatrice Rana qui se produira avec Rachmaninov pour la
première fois dans le Grand-Duché – elle reviendra une seconde fois
avec Yannick Nézet-Séguin et le Symphonieorchester des
Bayerischen Rundfunks – et l’irremplaçable Isabelle Faust, artiste en
résidence, dans le concerto méconnu de Britten. Pour tous ceux qui
préfèreront l’intimité d’une sonate ou d’un quatuor, le programme
leur réservera quelques belles surprises comme cette sonate pour
violoncelle et piano de Dimitri Chostakovitch par Gautier Capuçon
et Yulia Wang ou ce dialogue musical à travers les époques entre la
violoniste Patricia Kopatchinskaja et la violoncelliste Sol Gabetta qui
suscite déjà de magnifiques promesses. Le quatuor Belcea fera
résonner les accords de la célèbre Jeune Fille et la Mort de Schubert
tandis que les génies de demain, en particulier Isata Kanneh-Mason
ou Lucie Horsch à la flûte à bec nous conduiront sur les sentiers de
Gubaidulina, Mozart et Dvorak

Quelques-unes des plus belles voix de notre temps (Diana Damrau,
Cécilia Bartoli, Rolando Villazon ou Joyce Di Donato) viendront
enchanter nos nuits et répondront à celles, plus éclectiques de
Marcel Khalifé et de Gilberto Gil, et électriques de Damon Albarn
(ex-Blur et Gorillaz) et Pat Metheny pour composer au-dessus de
l’écrin de la Philharmonie, un ciel où les légendes de la musique continueront à s’écrire.

Par Laurent Pfaadt

Retrouvez toute la programmation de la Philharmonie sur :

https://www.philharmonie.lu/fr/

Bach, Sonatas et Partitas

D’abord l’instrument. Puis l’interprète. C’est ce que ressent
l’auditeur dès les premières notes de ce très beau disque signé Tedi
Papavrami, l’un des violonistes classiques les plus talentueux de sa
génération. Le violoniste albanais nous offre ainsi, dix-sept ans après
un premier enregistrement, un nouveau périple à travers ces chefs
d’œuvre de Jean-Sébastien Bach. Tantôt empreints de gravité
comme dans la troisième Partita, tantôt plus virevoltants (Première
partita), le violoniste avance avec humilité dans l’univers du génie.
Pas de vibrato mais une technicité pure, sans fioriture, bluffante
comme dans cette double de la Première Partita. C’est
véritablement un Bach aux multiples couleurs qui jaillit du violon
dans cet enregistrement dont il faut souligner la très belle prise de
son réalisée dans l’écrin de l’Arsenal de Metz. Des couleurs sans
vernis avec une interprétation qui sent le bois dont on fait les
orgues, les violons. D’abord l’instrument. Ensuite l’interprète donc.

Et puis vient la Chaconne, cet Everest du violon que Tedi Papavrami
transforme en Eden. Il y restitue à merveille la grande sensibilité
inhérente à l’œuvre qui lui donne ce caractère intemporel
absolument remarquable. Elle est une sorte de sablier que l’on
regarde se vider en prenant conscience que le temps perdu ne se rattrape jamais. Un pur moment de grâce.

Par Laurent Pfaadt

Tedi Papavrami, Bach, Sonatas et Partitas,
Chez Alpha Classics

Vivaldi, l’âge d’or, Le Concert Idéal

Après avoir traversé l’histoire de la musique d’Hildegarde de Bingen
à Alex Nante, Marianne Piketty et son ensemble, le Concert Idéal,
ont arrêté leur barque musicale dans la lagune de la Sérénissime.
Violon sous le bras, Marianne Piketty est allée à la rencontre du
mythique Vivaldi. Mais sa quête n’a pas eu pour but de trouver le
Vivaldi des Quatre Saisons mais plutôt celui des salons où
résonnaient encore les sonates et symphonies aujourd’hui oubliées
du prêtre roux.

Ce disque est le résultat de cette opiniâtreté et, il faut bien le dire,
de l’excellence musicale du Concert Idéal. Dès les premiers accords
de cette incroyable reconstitution du concerto pour violon et
violoncelle « per Chiaretta e Teresa » ou de cette sonate « al Santo
Sepolcro », on reste bouche bée devant l’alchimie musicale ainsi
produite. C’est un Vivaldi intime et sensible qui nous ait dévoilé
notamment dans le larghetto du concerto pour violon en si mineur
RV390. En compagnie d’autres compositeurs vénitiens dont le non
moins célèbre Tomaso Albinoni, passé à la postérité pour son
Adagio, le Concert Idéal nous offre ainsi quelques diamants ainsi que
les premiers enregistrements mondiaux d’œuvres appelées à figurer
au répertoire baroque dans les années à venir. Voguant sur les
canaux musicaux de Venise, le disque du Concert Idéal n’a ainsi
jamais aussi bien porté son nom…

Par Laurent Pfaadt

Vivaldi, l’âge d’or, Le Concert Idéal, Marianne Piketty,
Chez Evidence

Sainte-Livrade-sur-Lot célèbre le 9e art

Pour sa 7e édition, le festival de BD rendait hommage à Hermann, Grand Prix d’Angoulême 2016

Durant ses sept premières années d’existence, le festival de bande-
dessinée de Ste Livrade sur Lot n’a cessé de grandir jusqu’à devenir
incontournable non seulement pour les amateurs de BD et romans
graphiques qui ont tôt fait de la cité lot-et-garonnaise, une étape de
leur passion mais pour tous les passionnés de livres car comme s’est
plu à le rappeler le maire, grand amateur de BD et initiateur du
festival, Pierre Jean Pudal, « ce festival doit permettre d’attirer les
enfants des communes vers le livre. Car la BD n’est qu’une porte d’entrée
vers la culture. » Preuves de cet engouement, une fréquentation en
hausse et la présence importante d’officiels, président de
l’agglomération et sous-préfet en tête.

Côté auteurs, les fans n’ont pas attendu l’ouverture des portes pour
attraper une dédicace de la légende Hermann, créateur en autres de
Jeremiah, Duke ou Les Tours du Bois-Maury. A 83 ans, celui qui n’a rien
perdu de sa simplicité et fait figure de mentor pour un nombre
considérable de jeunes auteurs s’est dit « heureux d’être là ».
Hermann a ainsi pu mesurer les divers talents d’une jeune
génération emmenée en autres par Jules Stromboni, Patricia Lyfoung, auteure de la célèbre série La Rose écarlate (Delcourt), Lilian
Coquillaud  et Cyrille Pomès. C’est d’ailleurs ce dernier qui a
remporté le prix de cette septième édition pour son album 9603
kilomètres, l’odyssée de deux enfants (Futuropolis) écrit avec Stéphane
Marchetti.

Ainsi après le Falloujah, ma campagne perdue (Les Escales) de Halim
l’an passé, le jury du festival a, une nouvelle fois, décidé de
couronner un album engagé, racontant l’odyssée de deux
adolescents fuyant l’Afghanistan jusqu’en Angleterre. Basé sur un
travail entrepris par les deux auteurs dans la jungle de Calais, cet
album qui interpelle toutes les générations résonne étrangement
avec une actualité tragique. 

Autour du jeune lauréat et avec la volonté toujours renouvelée de
faire dialoguer les esthétiques, les organisateurs emmenés par la
directrice passionnée de la médiathèque Nelly Videira ont réunis
d’autres talents tels qu’Aude Salama et Denis Lapière, auteurs d’un
magnifique Martin Eden (Futuropolis), Renaud Farache qui livre une
très belle variation du Duel de Joseph Conrad (Duel, Casterman) ou
Timothée Leman dont le très beau Après le monde (Sarbacane) décrit
un monde postapocalyptique fascinant.

Autant dire que les bords du Lot ont, une nouvelle fois, fait couler
des rivières d’encre et de rêves…

Par Laurent Pfaadt

Le piano revient au musée

Annulé en 2020, le festival Piano au musée Würth est de retour
avec un programme tout en animalité

Les Métaboles

Privés l’an passé de festival, les amoureux du piano attendaient avec
impatience de pouvoir retrouver le très bel auditorium du musée
Würth et la programmation de cette nouvelle édition. Selon le
souhait des organisateurs, Marie-France Bertrand, la directrice du
Musée Würth et Olivier Erouart, le directeur artistique de Piano au
Musée Würth, il a été décidé de reprendre la programmation et les
artistes programmés l’an passé tout en les insérant dans la
thématique de l’exposition du musée, « Bestia. Les animaux dans la
collection Würth ».

C’est donc en compagnie d’animaux musicaux que les spectateurs
voyageront cette année dans l’histoire de la musique. Le concert de
Clément Lefebvre, lauréat du Concours International Long-Thibaud-
Crespin 2019, constituera, à n’en point douter le point d’orgue de
cette édition. Tel Saint François d’Assise, il dialoguera avec les Petites
Esquisses d’oiseaux d’Olivier Messiaen avant de nous livrer quelques
pièces connues telles Pavane pour une infante défunte ou le tombeau
de Couperin de Maurice Ravel. C’est dans un autre tombeau, celui du
compositeur alsacien Auguste Schirlé, dont on célèbrera le 50e
anniversaire de la mort, que nous convierons le violoniste Joseph
Offenstein et le pianiste Christian Finance.

Claire Désert, autre grand moment du festival, nous conduira dans
les Scènes de la forêt (Waldszenen) de Schuman ainsi que dans les
Préludes de Debussy pour des déambulations, sous ses doigts de fée,
qui promettent d’être oniriques. Celles-ci se poursuivront sous la
baguette de Manuel Mendoza, directeur musical d’EI Sistema-
France qui dirige l’Orchestre symphonique du Conservatoire de
Strasbourg depuis 2016, pour une interprétation du Carnaval des
animaux de Camille Saint-Saëns qui promet d’être haute en couleurs.

L’ensemble des Métaboles dirigé par Léo Warynski et accompagné
au piano par Yoan Héreau et Edoardo Torbianelli, fêtera leurs dix ans
d’existence au Musée Würth avec les Liebeslieder de Johannes
Brahms tandis que le célèbre trio Zadig qui triomphe dans le monde
entier fera une halte à Erstein pour nous emmener dans le répertoire romantique au son du fameux trio l’Archiduc de
Beethoven et des Saisons de Tchaïkovski. Restera au benjamin de
l’édition, Virgile Roche de s’attaquer de la plus belle des manières
aux monumentaux Tableaux d’une exposition de Moussorgski. La
Poule de Rameau sera devenue Baba Yaga et la musique se fera, à
n’en point douter, légende.

Par Laurent Pfaadt

Retrouvez toute la programmation de Piano au musée Wurth sur :

Les Intranquilles

un film de Joachim Lafosse

Les Intranquilles : Leïla Bekhti, Damien Bonnard, Gabriel Merz Chammah
Copyright LUXBOX

Après un détour par l’exploration des liens filiaux dans Continuer,
adapté du roman éponyme de Laurent Mauvignier, Joachim
Lafosse revient à l’espace clos du foyer familial non plus miné par
des rapports d’argent, comme dans L’économie du couple, mais par
la bipolarité, cette maladie qui fait alterner dépression et états
d’exaltation. Damien Bonnard et Leïla Bekhi s’aiment et se
déchirent et impressionnent par leur interprétation à fleur de
peau.

Quand Joachim Lafosse évoque la dépression, il cite deux films
majeurs Une femme sous influence (A Woman Under the Influence) de
John Cassavetes et Two Lovers de James Gray. Ses Intranquilles
racontent une période de la vie d’un couple et de leur enfant, un film
inspiré par la propre vie du réalisateur et par le livre de Gérard
Garouste : L’Intranquille, autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou. La
1ère séquence donne le ton. Le père, Damien, laisse les commandes
de son bateau à son petit garçon et le laisse seul au milieu d’un lac
tandis qu’il plonge et rejoint la rive lointaine à la nage. Séquence clef
qui met le spectateur dans un état d’inquiétude qui ne le lâchera
plus, intranquilité que Joachim Lafosse a vécu quand il était enfant.

Gabriel, l’enfant, a une maturité acquise à force d’être sur la
défensive et de vouloir se protéger ainsi que sa mère. Ils font bloc
tous les deux, non pas contre mais avec Damien qui fait peur et peut
se montrer aussi dangereux en période de crise qu’il peut être
charmant et drôle. Une virée en voiture avec ses parents qui
chantent à tue-tête une chanson de Bernard Lavilliers, moment de
complicité heureuse et amoureuse, témoigne que les souvenirs
d’enfance sont précieux, ceux qui évoquent le bonheur qui s’est
enfui. Joachim Lafosse a distillé ces moments rares. Tension et
émotion habitent son film. Damien Bonnard et Leïla Bekhti ont gardé leur prénom, comme pour approcher une vérité de leur
personnage. Ils campent des forces en présence. Les comédiens
portent le film, elle, mère courage, le corps/cœur lourd, n’ayant plus
le temps de s’occuper d’elle, lui, agité, le regard fiévreux, en
déséquilibre. Damien est peintre et elle est restauratrice de meubles
anciens, elle est aussi celle qui veille sur lui, se bat pour qu’il accepte
de se soigner. Joachim Lafosse a apprécié que ses interprètes
comprennent qu’il ne s’agissait pas d’un « film sur la maniaco-
dépression mais plutôt d’une interrogation sur la capacité et les
limites de l’engagement amoureux. » Le nom de la maladie est très
tardivement prononcé et Leïla n’est jamais dans une position
victimaire.

Comment concilier les agissements hors de contrôle de Damien
avec une vie de couple et de famille ? Comment garder intact l’élan
artistique dans les périodes de crises ? Pour Joachim Lafosse, si Van
Gogh avait été accompagné, peut-être aurait-il réalisé des tableaux
encore plus extraordinaires. Peindre en état de crise ne produit pas
forcément des chefs-d’œuvre. Comment contrôler l’intranquilité
sans la subir et au contraire en faire une force ? Le film n’apporte pas
de réponse. Alors que le personnage de Damien, jusqu’à la veille de
la préparation devait être un photographe, comme l’était le père du
réalisateur, il est devenu un peintre du fait qu’il avait fait les Beaux-
Arts. Les tableaux qu’il exécute à l’écran sont le fait de sa propre
contribution, conjuguée au talent de Piet Raemdonck, l’auteur des
tableaux qui sont comme des représentations de l’univers mental de
Damien, une réalité revisitée qu’il s’approprie à défaut d’avoir prise
sur le réel qui le déçoit. Le contraste est poignant entre la gestuelle
magnifique du peintre comme s’il dansait et le zombie qu’il devient
après un séjour en hôpital psychiatrique. Cruelle est cette seule
solution après une énième crise poussée à son paroxysme. Le film
est empreint de bout en bout de cette intranquilité et le tournage
s’en est nourri. Le film a été tourné chronologiquement et la fin s’est
écrite sur le plateau. L’amour a dit son dernier mot.

Par Elsa Nagel

L’union fait la force : une œuvre

Robert Becker & Dominique Haettel Fleurs fabuleuses pavot, peinture sur photo 21 x 31

Cette exposition se veut faire œuvre en associant différents
médiums, écritures, techniques et pratiques artistiques telles que :
une rencontre entre la calligraphie et la sculpture, la peinture et la
photographie, un cadavre exquis et un monochrome, une fleur des
champs et une fleur des villes…

Le tout est de réussir la scénographie, un beau pari.

Nous avons invité les artistes à unir leurs forces pour faire œuvre(s).
Ne pas rester seul, œuvrer ensemble pour créer des instants
propices à la rencontre : Une exposition. Ils ont répondu présent.

La rencontre entre Benoît Schwaller & Jean-Michel M. Pouey de
Juillacq : « […] Ce qui est remarquable, c’est que la directive, somme
toute très vague, et la récupération fortuite de deux cloches de
sonnerie d’école, aient conduit à réaliser ce chef-d’œuvre que Benoît
attendait de ma part sans pour autant en avoir esquissé le moindre
contour. D’un point de vue scientifique, cela relève du pur hasard,
car l’ensemble des projets de collaboration dans une œuvre
commune est très faible : un seul événement ! La probabilité de
tomber pile-poil dans le mille était donc extrêmement faible et
tendait vers zéro ! Peut-on alors avancer le mot « miracle » pour
qualifier le phénomène ou bien faut-il nous réjouir d’avoir échappé à
la catastrophe de l’échec ? On en viendrait presque à soupçonner
l’hypothèse de la possibilité d’une présomption d’existence de
Ptah, dieu des arts, mais cela reste bien évidemment encore à
démontrer ».

Les artistes
Karim Allaoui | Myrtille Béal & Brigitte Béguinot | Yaleika | Robert
Becker & Dominique Haettel | Louis Danicher | Moins12Prod |
Jean-Michel M.Pouey de Juillacq & Benoit Schwaller

Galerie Art’Course
67000 Strasbourg
www.galerieartcourse.com

Le Concert Idéal

Après avoir traversé l’histoire de la musique d’Hildegarde de Bingen
à Alex Nante, Marianne Piketty et son ensemble, le Concert Idéal,
ont arrêté leur barque musicale dans la lagune de la Sérénissime.
Violon sous le bras, Marianne Piketty est allée à la rencontre du
mythique Vivaldi. Mais sa quête n’a pas eu pour but de trouver le
Vivaldi des Quatre Saisons mais plutôt celui des salons où
résonnaient encore les sonates et symphonies aujourd’hui oubliées
du prêtre roux.

Ce disque est le résultat de cette opiniâtreté et, il faut bien le dire,
de l’excellence musicale du Concert Idéal. Dès les premiers accords
de cette incroyable reconstitution du concerto pour violon et
violoncelle « per Chiaretta e Teresa » ou de cette sonate « al Santo
Sepolcro », on reste bouche bée devant l’alchimie musicale ainsi
produite. C’est un Vivaldi intime et sensible qui nous ait dévoilé
notamment dans le larghetto du concerto pour violon en si mineur
RV390. En compagnie d’autres compositeurs vénitiens dont le non
moins célèbre Tomaso Albinoni, passé à la postérité pour son
Adagio, le Concert Idéal nous offre ainsi quelques diamants ainsi que
les premiers enregistrements mondiaux d’œuvres appelées à figurer
au répertoire baroque dans les années à venir. Voguant sur les
canaux musicaux de Venise, le disque du Concert Idéal n’a ainsi
jamais aussi bien porté son nom…

Par Laurent Pfaadt

Vivaldi, l’âge d’or, Le Concert Idéal, Marianne Piketty
Evidence

Au-delà de la mer

Après la beauté et le choc de Grâce, Paul Lynch nous emmène dans
son nouveau roman sur un vieux rafiot en plein océan Pacifique en
compagnie de Bolivar, pêcheur expérimenté, et du jeune Hector.
Bolivar a, contre l’avis de tous, décidé de prendre la mer. Et bientôt,
la tempête s’abat sur l’embarcation qui, privée de moteur, dérive.
Jour après jour, semaine après semaine, les deux hommes vont
devoir vivre ensemble et survivre.

Dans ce dialogue une fois de plus magnifiquement écrit, Paul Lynch
réduit notre civilisation à ces deux hommes pour dépeindre un
monde englouti par ses contradictions, d’une humanité rongée par
son autodestruction. Avec cette prose addictive que l’on chevauche
comme une vague, tantôt vertigineuse – les scènes de folie sont
absolument stupéfiantes – tantôt abyssale, Paul Lynch nous entraîne
au plus profond de l’océan, celui obscur qui réside au fond du cœur
de chaque homme. Tour à tour, la haine, la foi, la barbarie, la morale
ou plus surprenant le péril écologique – la grande surprise du livre –
sont pointés du doigt par Bolivar et Hector dont on ne finit par ne
plus savoir où se trouvent les portes de la mort et les interstices de la vie. « Que peut-on savoir de l’heure et des circonstances qui mènent un
homme à rencontrer sa vérité ? De la longueur de ce cheminement ? Tout
ce qui compte, c’est qu’il finisse par la trouver » écrit ainsi Paul Lynch.

D’un récit de survie, d’un roman d’aventures, Au-delà de la mer se
transforme alors en expérience métaphysique lorsque les deux
hommes dépassent la simple expérience sensible. L’auteur nous
dévoile alors avec fascination et, il faut bien le dire, horreur, le
dénuement progressif de l’âme humaine, débarrassée de ses
oripeaux conformistes et rangeant l’animalité au rang de
compliment. Être capable d’une telle chose en quelques 200 pages
relève non pas de la prouesse mais du génie.

Par Laurent Pfaadt

Paul Lynch, Au-delà de la mer, trad. Marina Boraso
Chez Albin Michel, 240 p.