Devenir imperceptible

Proposé par Musica et le TJP CDN ce spectacle ne manque pas
d’intriguer, d’interroger car nous sommes au carrefour d’une
expérience auditive et visuelle. C’est l’oeuvre de Clément
Vercelletto, musicien, compositeur, expérimentateur.

Une sorte d’aventure qui se joue dans la pénombre autour d’un
grand cercle d’écorces de pin et  qui convoque une silhouette qui
remue, se déplace pendant que résonnent des sons prégnants, aigus
puis que jaillit un chant d’oiseau accompagnant les pas du marcheur.
Retentit bientôt l’appel du cor des Alpes auquel se mélangent des
bruitages, des grésillements, des cris, tout un paysage sonore créé
par les différents instruments disséminés sue le plateau et utilisés
de façon originale, flûte harmonica, orgue, appeaux dressés en
totems colorés. Soudain surgit la danseuse. Ses gestes mécaniques la conduisent à jouer sur l’équilibre, le déséquilibre. Sa performance
suit un rythme de plus en plus rapide, ses contorsions la mènent à se
vautrer dans les copeaux pour y chercher une posture propice à
l’endormissement, une manière d’habiter ce lieu insolite d’unir la vie
et la matière.

La Cie « Les Sciences Naturelles » nous ont ainsi offert l’occasion
d’ouvrir grand nos yeux et nos oreilles et de faire courir notre
imaginaire.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 2O octobre

Musica et TJP CDN

Pour ce retour en salle, deux institutions ont collaboré pour nous présenter deux des spectacles inscrits dans leur programmation.

Trust me tomorrow par le Verdensteatret

Et si pour une fois nous commencions par la fin. Il se trouve que pour
ce spectacle, cela peut être éclairant. Lorsque nous sommes sur le
point de quitter la salle, les artistes nous invitent à faire un tour sur
le plateau pour y regarder de près une série d’installations, de
petites saynètes où l’on voit rassembler des tas de petits cailloux,
des mobiles, des bricolages, tout ce qui en dit long sur leurs
capacités inventives que l’on a pu apprécier durant leur prestation.
C’est là la marque de fabrique  de la compagnie norvégienne
Verdensteatret, célèbre pour ses productions originales.

Pendant une heure, en effet, nous avons quitté  notre monde, oublié
la salle et même ceux qui nous côtoient, absorbés par des images,
des sons étranges,  entremêlés. Nous sommes tantôt  plongés dans
une obscurité à peine trouée de quelques lueurs, tantôt  on nous
restitue une vision claire du plateau où pourront se produire
musiciens et danseurs.

Pas vraiment de fil pour nous guider, alors on se laisse conduire à
travers des propositions  pleines d’illusion d’optique, de silhouettes
comme simplement esquissées, difficiles à déterminer, d’un monde
animal bizarre, monde onirique, surréaliste. Pourquoi résister, on se
laisse entraîner, envoûter. Tout est si étrange et comme familier de
nos rêves. C’est à la fois inquiétant et jouissif comme ce dernier clin
d’oeil  qui ne manque pas d’humour avec l’apparition des
instruments  de musique blancs fabriqués en matière molle.

Après cette expérience sensorielle multiple, il nous a semblé difficile
de retrouver la simple, ordinaire et banale réalité.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 28 septembre  au Maillon

Célébration de Mark Tompkins

Le retour de Mark Tompkins à Pôle Sud, remis en raison du Covid
19 était très attendu par tous ceux qui ont suivi, ici même, les
étapes de sa carrière de chorégraphe, d’interprète et de
pédagogue.

Conduire sa vie, reconnaître le temps qui passe et le défier, jouer
avec cela, en jouir et inviter les autres à partager cette expérience,
finalement commune à tous, voilà ce qu’il montre dans sa dernière
création où il s’expose avec finesse et humour pour cette leçon de
vie.

C’est d’abord la silhouette d’un grand gamin, torse nu qui vient à
notre rencontre, disposant autour du bac à sable les petits jouets de
son enfance et confectionnant avec application, tout en
chantonnant et murmurant, une sorte de berceau pour y coucher
tendrement une petite souris. Elle exige une histoire pour s’endormir. Qu’à cela ne tienne, il se met à raconter  la célèbre
histoire des « Trois petits cochons ». L’enfance est là, improbable et
juste. un monde si tranquille, si doux dans lequel cependant on ne
peut s’attarder.

Commence alors l’évocation du périple d’une vie mouvementée qui
nécessite que notre conteur se relève, déploie sa longue silhouette
et s’adonne  à cet exercice de prestidigitateur qui consiste à faire
surgir les moments de grâce et de douleur qui ont marqué son
chemin de vie et ce à travers des chants, des danses, accompagnés
par deux complices musiciens pleins d’ardeur, des seconds rôles qui
prennent parfois le pas sur l’acteur, en proposant leurs propres
ébats comme ce superbe corps à corps, cette simili bagarre de
jeunes déchaînés. Pour cette performance ils ont quitté leurs
instruments, Maxime Dupuis son violoncelle et ses objets, Tom
Gareil son vibraphone et son synthétiseur ayant avec eux déjà fait la
preuve de leur talent. Ainsi jouent-ils, fraternellement, ensemble,
effaçant  les frontières entre danse, musique et  chant, manifestant 
l’engagement des corps, faisant fi des frontières de l’âge. Mark peut
bien s’enrager aussi, recroquevillé sur lui-même contre le
vieillissement qui le gagne. Il n’en reste pas là et joue à se déguiser,
s’entourer de lumière, rebondir, déployant un corps encore plein
d’élégance et de souplesse, adressant ainsi un pied de nez au temps
qui passe. Humour et tendresse sont au rendez-vous, marques
sensibles de sa vulnérabilité et de son obstination.

Ce spectacle dont Jean- Louis Badet signe une scénographie et des
costumes très pertinents, fut pour nous,  un moment de
retrouvailles, exceptionnel, plein de réflexion et d’humanité, une
véritable invitation à se réconcilier avec soi-même, à apprendre à
jouir du temps qui passe.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 29 septembre à Pôle Sud Strasbourg

Sous la direction de John Nelson

Les mercredi 13 et jeudi 14 octobre, le public de l’OPS retrouvait
un chef fort apprécié à Strasbourg, l’américain John Nelson, pour
un concert entièrement consacré à Berlioz, dont il est l’un des
grands interprètes actuels. Il accompagnait le ténor Michael
Spyres, bien connu également dans notre ville, et le très jeune
altiste Timothy Ridout dont c’était la première collaboration avec l’orchestre.

Damnation Faust
© Gregory_Massat

Après une ouverture de Béatrice et Bénédict laissant entendre un
orchestre bien sonnant, le cycle de mélodies pour ténor et orchestre
composé sur six poèmes de Théophile Gauthier et intitulé Les Nuits
d’été faisait résonner dans la salle Érasme la voix veloutée et
puissante du bariténor Michael Spyres. L’étendue de son spectre
vocal, offrant des aigus de haute volée et un grave de belle tenue,
convient particulièrement à cette partition qui exige beaucoup du
chanteur. Ces dernières années, Michael Spyres s’est fait connaître à
Strasbourg lors des soirées et des enregistrements, mondialement
salués, des Troyens et de La Damnation de Faust, sous la direction du
même John Nelson à la tête d’un OPS des grands soirs. Son
appropriation musicale du personnage de Faust et la qualité de sa
diction avaient été particulièrement remarquées. Le soir du 14
octobre,  ténor et  chef s’accordent dans une belle prestation suave
et chantante du cycle des Nuits d’été. Dans le contexte d’un
enregistrement et d’une prochaine publication discographique chez
Warner, les protagonistes auront probablement encore travaillé
l’atmosphère musicale et la diction du texte, durant les séances de
retouche effectuées les deux jours suivants.

Avec Harold en Italie, symphonie pour grand orchestre et alto
principal, on quitte l’atmosphère chambriste pour une formation 
plus large. Même si les musiciens jouent maintenant sans masques,
la situation sanitaire limite encore le nombre de pupitres sur scène
nous privant ainsi, deux semaines plus tôt, de la seconde symphonie
de Mahler sous la direction de Claus Peter Flor. Dans Harold, on
commence quand même à retrouver un quatuor à cordes consistant,
du type 14  – 12 – 10  – 8 – 6. Il faut, en revanche, se réjouir du
maintien sur estrades des cuivres et percussions, qui apporte
beaucoup de douceur et d’aération à la sonorité globale de
l’orchestre sonnant très beau, comme lors du premier concert de
Shokhakimov  au mois de septembre, quoi qu’on ait pu lire ça ou là.

Avec Nelson et le jeune altiste londonien  Timothy Ridout, la partie montagnes, est une des plus belles qui se puisse concevoir, prenante,
colorée (jeu de l’altiste et celui des bois et cuivres !) et
magnifiquement chantante. Les soulèvements orchestraux qui
suivent, peu faciles à négocier, bénéficient d’une bonne mise en
place. Le caractère processionnel de la Marche des pèlerins, titre du
second mouvement, est bien restitué, avec une fois encore un jeu
d’alto qui force l’admiration. Dans le troisième mouvement, La
sérénade d’un montagnard des Abruzzes à sa maîtresse, Nelson adopte
un ton tour à tour endiablé et élégiaque, particulièrement
enthousiasmant. Privilégiant la profondeur du chant, son
tempérament ne le pousse évidemment pas du côté de la démesure
et de l’explosion sonore dans l’épisode final, l’Orgie des brigands, qui
n’en sonne pas moins de façon idiomatique, avec une couleur
générale bien berliozienne.

John Nelson a entrepris un enregistrement intégral de l’œuvre de
Berlioz, d’abord chez Erato et Virgin, aujourd’hui chez Warner.
Commencé il y a vingt ans à Paris avec Benvenuto Cellini et le Te
Deum, il s’est poursuivi à Strasbourg, sous forme d’enregistrement
de concert, avec Les Troyens et La Damnation de Faust, en même
temps qu’à Londres pour le Requiem. Interrompu entre temps pour
les raisons que l’on sait, il a donc repris ici même cet automne et
continuera en juin prochain avec Roméo et Juliette. Bien que d’origine
américaine, Nelson inscrit sa passion pour Berlioz dans la suite de
celle de grands chefs anglais du passé récent ou lointain (Colin Davis,
Thomas Beecham) ou contemporain (John Eliott Gardiner). Au plan
du style, c’est de celui de Gardiner que se rapproche le lyrisme et
l’éloquente clarté de Nelson plus que de la froide et un peu
mécanique précision de Colin Davis. Au demeurant, Nelson joue
avec un orchestre moderne quand Gardiner use d’instruments
d’époque, de sonorité plus perçante. Il n’empêche que l’un et l’autre emploient avec bonheur exactement le même effectif orchestral
dans Harold en Italie.

Michel Le Gris

Augenblick

Heureux retour de ce Festival de films de pays germanophones
après la pause forcée de 2020. Avec sa bande annonce joyeuse aux
accents pop, Augenblick veut dépoussiérer l’image austère d’un
cinéma en langue allemande. Il fait la part belle aux échanges
transfrontaliers en notre région où le dialecte et le bilinguisme
sont essentiels. Avec ses jurys jeunes européens, jury lycéens et
jury étudiants, la jeunesse est au cœur d’un dispositif qui privilégie
le dialogue entre les pays. Le festival 2021 propose une sélection
riche par son nombre de films et leur diversité avec des projections
sur tout le territoire alsacien et l’occasion de rencontrer
réalisateurs et comédiens.

Hanna Schygulla dans Lili Marleen de R. W. Fassbinder

Elle faisait l’affiche de l’édition 2020, annulée pour cause de covid.
Hanna Schygulla est aujourd’hui l’invitée d’honneur de ce 17e
festival. Une rétrospective lui est consacrée avec quatre films de
Fassbinder et De l’autre côté de Fatih Akin, en présence de l’acteur
Baki Davrak. Elle animera le 13 novembre une master classe suivie
de la projection des Faussaires de V. Schlöndorff. Sera également
présent le réalisateur André Schäfer avec le documentaire qu’il lui a
consacré : Hanna Schygulla – une égérie libre, une exclusivité du
festival, en partenariat avec Arte. Le 14 novembre à 18h, au
MAMCS, l’actrice allemande présentera trois courts métrages
qu’elle a réalisés. La soirée alternera projections vidéo et chansons
par son amie et artiste italienne Etta Scollo.

Ich bin dein mensch de Maria Schrader fera l’ouverture du festival
(Prix Ours d’argent de la meilleure interprétation pour Maren
Eggert à la Berlinale 2021). Ce film fait partie des six films en
compétition dont trois seront accompagnés par les équipes. L’acteur
Daniel Brühl sera là, avec Next Door, son 1er long métrage, plein
d’autodérision, la rencontre entre une star du cinéma (D. Brülhl) et
un homme de condition modeste de l’Est (Peter Kurth). La
comédienne Katharina Lehrens accompagnera le film Seule la joie
de Henrika Kull où deux prostituées tombent amoureuses l’une de
l’autre. Enfin, Arman T. Riahi viendra présenter son film Fuchs im
Bau, sur des méthodes d’enseignement non conventionnelles dans
une prison pour adolescents à Vienne. de Dietrich Brüggemann
est un film sur l’amour et sa difficulté à durer. Wanda, mein Wunder
de Bettina Oberli mêle secrets de famille et relations
intrafamiliales sous le regard d’une jeune polonaise.

Le documentaire s’invite dans cette nouvelle édition avec cinq
films dont In Case You qui traite du harcèlement sexuel pendant un
casting de comédiennes. La réalisatrice Alison Kuhn présentera
son film (Prix Meilleur documentaire au Festival Max Ophüls
2021). Out of place sur l’exil en Roumanie de trois adolescents jugés
trop difficiles pour les centres éducatifs allemands sera également
accompagné par la réalisatrice Friederike Güssefeld. Hors
compétition, projection gratuite au cinéma St Exupéry dans la limite
des places disponibles de  Die Blumen von gestern, sorti en 2017 en
Allemagne, en Autriche et en Suisse, mais resté inédit en France
malgré ses nombreuses distinctions et prix. La projection sera suivie
d’un échange avec le réalisateur Chris Kraus qui continue de
revisiter l’histoire allemande de façon originale et sur un ton léger.

La compétition de courts métrages est également, comme avec les
documentaires, une nouveauté cette année. Au nombre de 11, ils
témoignent de la vitalité et de la grande diversité des films et des
genres. Répartis en deux programmes d’1h et demi, Olivier Broche
qui les a choisis, comédien et homme de théâtre, sélectionneur de
scénarii de courts métrages pendant 15 ans à Canal +, nous les
présentera avec passion et enthousiasme.

Les petits et les adolescents sont loin d’être oubliés avec une
sélection de huit films jeunesse dont La Taupe coiffée et autres petites
histoires qui regroupe huit courts métrages en VO non sous-titrés,
visibles dès 3 ans. Mais aussi, dès 14 ans, Le mur qui nous sépare,
d’après une histoire vraie, est une histoire d’amour dans l’Allemagne
de 1986, à Berlin, de part et d’autre de la ville divisée, avec la venue
du réalisateur Norbert Lechner.

Le tombeau hindou

Focus sur Fritz Lang avec Debra Paget sur l’affiche de cette 17ème
édition d’Augenblick, dans son rôle de Seetha, dans Le Tombeau
hindou. Il serait dommage de bouder son plaisir et ne pas voir ou
revoir ce film sur grand écran, ainsi que Le Tigre du Bengale avec
lequel il forme un dytique. Le diabolique Dr Mabuse sera également
projeté. Ces trois films de Fritz Lang feront l’objet d’une rencontre
avec le critique de cinéma Bernard Eisenschitz.

Copieux ? Vous avez dit copieux ? Trois avant-premières encore
sont à noter, ainsi qu’une séance spéciale placée sous le signe de
l’écologie, avec la présence du réalisateur Niklaus Hilber pour son
film Bruno Manser – La voix de la forêt tropicale, à la rencontre des
Penans, peuple nomade de la jungle de Bornéo … Ou comment le
cinéma germanophone nous emmène au cœur de la Malaisie !

Elsa Nagel

Comme pour les éditions précédentes, Augenblick propose au 15-20
ans, un concours de la meilleure critique pouvant porter sur tout film
de la programmation et dont le gagnant se verra récompensé par un
séjour à Berlin. A noter que la langue de la critique peut être le
français comme l’allemand.

17e Festival – du 9 au 26 novembre 2021