Lamenta

Troisième spectacle du Focus sur la Grèce, présenté par Le Maillon et Pôle- Sud CDCN  dédié  à la danse  contemporaine par les chorégraphes Koen Augustijnen et Rosalba Torres Guerrero qui se sont inspirés du « Miroloi », un rituel grec destiné à exprimer la séparation, la souffrance, le deuil.

Ils nous ont enchantés, bouleversés, eux, ce sont les danseurs que l’on va nommer pour les honorer tant ils nous ont séduits par la perfection de leur prestation Lamprini  Gholia, Christiana Kosiari, Konstantinos Chairetis,Petrina Giannakou, Dafni Stathatou, Athina Kyrousi, Taxiarchis Vasilakos, Alexandros Stavropoulos, Spyridon Christakis. Ils viennent  de différentes régions de Grèce, de ce pays tellement  humilié les années passées qu’il a besoin de reconquérir sa fierté, son authenticité.

Cela  se manifeste avec évidence par les spectacles qu’il produit dont celui-ci remarquable en tout point dont la direction artistique et musicale était assurée par Xanthoula Dakovanou. Cette fierté, dès leur entrée sur le plateau, ils  la manifestent  par le port de leurs costumes noirs et blancs, sobres et élégants, par leurs premiers gestes quand, dans un ensemble impeccable ils frappent le sol de leurs pieds, tapent dans les mains créant immédiatement une rythmique qui galvanise.

Par la suite l’un ou l’autre se détache du groupe pour exécuter une danse personnelle d’une fluidité,  d’une rapidité époustouflantes, volant au-dessus du sol, y plongeant, l’agrippant, y rampant. Nous sommes subjugués  par leur virtuosité. Puis le groupe se reforme pour une autre prestation  tout aussi intense et parfaite dans son exécution. C’est leurs corps qui s’engagent totalement, qui vibrent, qui parlent, allant même jusqu’à pousser des cris. Parfois les filles se jettent dans les bras des garçons qui les font tourbillonner, les enlacent avec force et tendresse. Les défis s’enchaînent multiples et comme improvisés et nous laissent muets d’admiration.

Les chants, la musique suscitent, soutiennent leurs mouvements. Puisés dans le répertoire des provinces de Grèce ou des Balkans ils nous touchent au coeur et au corps car ils crient l’humain, sa détresse, ses amours, ses deuils.

C’est un spectacle tellement vivant, fort, radical qu’il nous porte vers la vie et donne envie de témoigner que la beauté du geste artistique nous est, à coup sûr,  indispensable.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 14 octobre

(Somewhere) beyond the cherry trees

Si  » La Cerisaie  » de Tchékhov est une pièce culte, elle est aussi une pièce politique. Ne montre-t-elle pas de façon, certes pathétique mais aussi très objective la fin de cette classe aristocratique qui a, durant des décennies, exploité et rendu esclave des milliers de paysans pauvres mais aussi l’arrivée sur la scène politique d’une autre classe qui finit par sortir de la misère pour accéder à la dignité et prendre le pouvoir.

Ce qui est montré dans  » La Cerisaie  » a  valeur universelle et ne pouvait manquer de retenir l’attention des artistes grecs confrontés,  avec la crise que leur pays a traversée durant ces dernières années et qui n’est pas  résorbée, à cette problématique de la domination et du désir d’en sortir la tête haute.

C’est ainsi que pendant ces journées consacrées à La Grèce par Le  Maillon nous avons pu voir cette pièce de théâtre, une adaptation de la pièce de Tchékhov par une troupe de comédiens grecs dirigés par le metteur en scène Prodromos Tsinikoris qui, présent sur le plateau, livret à la main nous informe sur le propos, sur ses tenants et aboutissants actuels.

Les protagonistes de l’histoire nous les apercevons, confinés dans une pièce aux vitres embuées de laquelle  l’un après l’autre ils sortent pour jouer les scènes les plus typiques, les plus « héroïques » de cette histoire de famille ruinée, confrontée à une décision qui leur fait horreur  » vendre la cerisaie « , leur  » trésor  » pour rembourser leurs dettes, sachant qu’elle sera inéluctablement remplacée par des chalets destinés aux futurs touristes. C’est l’emblème du changement radical qui indique que la vie paisible de la campagne n’est plus de mise , que les terres mal entretenues ne sont plus rentables, qu’une autre manière de les gérer peut rapporter beaucoup plus d’argent et que c’est vers cela qu’il faut aller.

Une évidence, un sacrifice qui détruit le moral de la propriétaire incapable de faire face à cette dure réalité. On sait que c’est le métayer Lopakhine qui achète, bouleversant l’ordre social ancien, bouleversé lui-même d’y être parvenu.

Le rapport avec la situation vécue ces dernières années par les Grecs saute aux yeux, puisque, humiliés par les décisions de l’Union européenne, ils ont été mis en demeure de prendre des mesures drastiques et pour rembourser leurs dettes de mettre en vente une partie du domaine public.

Le metteur en scène, s’implique dans le jeu très engagé des comédiens pour  souligner la pertinence de cette audacieuse transposition de l’oeuvre d’Anton Tchekhov.

Marie-Françoise Grislin 

Metteur en scène grec, Prodromos Tsinikoris
Représentation du 8 octobre 

Focus sur la Grèce: un certain regard

Le Maillon et Pôle- Sud CDCN ont décidé de consacrer quelques
soirées aux productions venues de Grèce, un pays si meurtri et si
noble qu’on est attentif et curieux de recevoir ce qui,
probablement, a été pour eux, en ces temps de grands
dérangements, difficile à mettre sur pied, mais témoigne de leur
volonté de créer envers et contre tout.

Les premières soirées ont été dédiées à la danse contemporaine
telle que la conçoit Christos Papadopoulos, dans son spectacle
intitulé « Larsen C »

C’est en partant d’une image dévastatrice de ce qui s’est produit
dans l’Antarctique en 2017 où un énorme bloc de glace s’est détaché
de la plate-forme glaciaire Larsen que le chorégraphe a créé cette
oeuvre originale et pertinente. Il l’a confiée à un groupe de six
danseurs, trois filles et trois garçons, tous vêtus du même costume
noir.

Ils répètent inlassablement une gestuelle qui s’apparente à une
sorte de balancement, d’oscillation dans laquelle ils introduisent de
multiples et subtiles variations qui donnent à leurs mouvements,
accompagnés d’une musique répétitive un aspect hypnotique.

Nous entrons dans la perception d’un travail raffiné, exigeant des
interprètes une grande maîtrise de leurs corps. Une prestation toute
en retenue et en finesse pour ce message qui éclaire dans son
langage artistique la mise en garde contre la disparition inéluctable
et irrémédiable d’un environnement exceptionnel qui se prépare de
façon insidieuse en raison du réchauffement climatique.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 5 octobre