The Last Quartets

Franz Schubert laissa quinze quatuors. Le quinzième fut composé
quelques deux années avant sa mort. Quant au quatorzième, le
fameux « Jeune Fille et la Mort », il est l’une des pièces les plus
jouées du répertoire de musique de chambre.  La formation suisse
Aviv, célébrée dans le monde entier, a décidé de s’emparer de ces
deux dernières pièces où transpirent l’angoisse de la mort, pour
nous livrer une interprétation absolument prodigieuse et appelée à
faire date.

Si le 15e quatuor est pleinement restitué dans ses différents
contrastes et résonne de son émouvante mélancolie, la Jeune Fille et
la Mort, elle, est traversée par une beauté tragique. L’interprétation
nous dépeint ainsi l’angoisse du compositeur face à sa fin. Son
écoute donne le sentiment d’une course à l’abîme, d’une fatalité
inexorable et d’un homme confronté à l’inéluctabilité de sa destinée.
Si Aviv signifie le « printemps » en hébreu, l’auditeur avance dans un
hiver rythmé par des vents musicaux, ceux qui transpercent l’âme, là
où meure toute chose. Un vent dont l’écho des cordes nous
poursuivra longtemps…

Par Laurent Pfaadt

Schubert, The Last Quartets, Aviv Quartet,
Aparté

Le Petit fiancé, récits du ghetto de New York

La gloire littéraire est un héritage imprévisible, fluctuant. L’histoire
de la littérature regorge ainsi de tombeaux d’écrivains, certes
talentueux, mais oubliés. Cependant, il arrive parfois que quelques
éditeurs, ces Howard Carter des lettres, pénètrent ces mêmes
tombeaux et en exhument quelques trésors. Ainsi, dans le New York
juif du début du 20e siècle sommeillait Abraham Cahan. Arrivé en
1882 de sa Lituanie natale et fuyant l’antisémitisme tsariste,
Abraham Cahan imposa très vite son talent littéraire dans ce New
York yiddish qui allait voir éclore les Isaac Bashevis Singer et
Bernard Malamud.

Directeur de la revue en langue yiddish Forverts entre 1903 et 1946
qui compta plusieurs centaines de milliers de lecteurs, Abraham
Cahan décrivit ainsi dans ses œuvres le microcosme de cette
communauté. Ses récits du ghetto de New York, Le Petit fiancé et
Circonstances, magnifiquement traduits par Isabelle Rozenbaumas,
permettent aujourd’hui de plonger avec délice dans ces aventures
où le tragique côtoie le burlesque. Le récit de ces immigrants est
ainsi traversé par les déchirures de l’exil. Les personnages tragi-
comiques de Cahan peinent à masquer la nostalgie de leur terre
natale. Ils sont touchants car leur douleur est universelle. Un peu
comme dans un film de Woody Allen où la comédie à la fois burlesque, ici en l’occurrence la fierté déçue du futur beau-père du
fiancé, et cynique – comme peut l’être l’humour juif – rivalise avec la
pudeur de leurs sentiments. On rit et on pleure en même temps. Une
faille née de la privation des racines dans laquelle se cache la joie
d’êtres critiquant une Amérique qu’ils ne voudraient cependant
quitter sous aucun prétexte. Un dilemme qu’habille magnifiquement
la prose d’Abraham Cahan.

Par Laurent Pfaadt

Abraham Cahan, Le Petit fiancé, récits du ghetto de New York,
traduits par Isabelle Rozenbaumas,
Aux éditions ZOE, 192 p.