Sobriété bienheureuse

Françoise Ferreux – De la présence de la nature

Au rez-de-chaussée de l’Espace Malraux à Colmar, une Collection
(l’artiste revendique le mot) de sculptures en brins de lin cousus
avec du fil de coton. Aux murs de la mezzanine, des dessins au
feutre noir sur papier. Et deux choix exigeants : la sobriété et la
monochromie – grège en bas, noir en haut.

Avec ces quinze tables carrées spécialement conçues pour offrir aux
pièces une présentation horizontale, le White Cube prend des allures
de musée zoologique avec l’éventaire raisonné d’une naturaliste qui
aurait collecté des tests d’oursins, des coquilles de nautiles ou de
crustacés voire des bois flottés rejetés par le ressac et qu’elle aurait
patiemment répertoriés avant de les exposer. Le matériau est pour
beaucoup dans cette première impression : calcaire et sable avec la
brûlure du temps qu’évoque la teinte écrue du lin. Mais d’autres
similitudes surgissent et la fantaisie s’enflamme vers des spécimens
inédits minutieusement (re)constituées. Des sculptures molles que
le visiteur a envie de toucher (malheureusement c’est interdit, les
pièces étant fragiles).

Françoise Ferreux fabrique et invente (plutôt dans cet ordre) des
créatures, des organismes, des objets tout en fils de lin cousus
ensemble (celui en coton est invisible sauf certains nœuds). Pas de
tressage, ni de tissage. Et une évidente affinité avec ce textile
(depuis 2008) et son ancrage : les bandelettes des momies
égyptiennes étaient en lin et son usage était majoritaire jusqu’à sa
marginalisation au XIXe siècle par le coton plus propice à la
mécanisation.

D’en haut, le regard appréhende l’ensemble de la Collection. Sur un
des murs – les autres sont nus –, une citation de Marcel Conche
extraite du livre (2001) qui donne son titre à l’exposition.

L’artiste invoque volontiers ce philosophe (centenaire en mars) :
L’évidence de la Nature et l’évidence de la mort ne sont qu’une seule et
même évidence. Droit de vie, droit de mort… et Françoise Ferreux
assume ce provisoire. Ses sculptures peuvent se découdre, se
défaire. Néanmoins elle donne figure à l’infigurable et mesure à l’incommensurable. Un geste d’incarnation.

Ses dessins au feutre s’inscrivent dans la même démarche. Celui du
geste : une forme minuscule – boucle, hachure, maille, lignes
parallèles… – dont la répétition engendre les représentations –
microcosme ou macrocosme – avec plis et replis, textures végétales
ou minérales, cartographie ou drapés… Le faire précède le concept
et une énergique vie du trait sous-tend la maîtrise technique alors
que ses œuvres dégagent beaucoup de douceur.

Linné considérait que la connaissance scientifique nécessite de
nommer les choses. Aujourd’hui celles-ci disparaissent, alors
Françoise Ferreux dessine, coud, fantasme de nouveaux spécimens
pour compenser cet appauvrissement taxinomique. Avec une
exigeante modestie.

Par Luc Maechel

du 15 janvier au 13 mars 2022
Espace d’Art Contemporain André Malraux
4 rue Rapp – 68000 COLMAR
Tél. : 03 89 24 28 73
du mardi au dimanche de 14 h à 18 h, de 12 h à 17 h le jeudi
Entrée gratuite

Mailles

Par Dorothée Munyaneza de la Cie Kadidi

Dans le cadre  d’un nouveau focus initié par Le Maillon :  » Carte
noire : L’afro-féminisme sur scène « , un premier spectacle a eu lieu à
Pôle-Sud autour de la chorégraphe Dorothée Munyaneza d’origine
rwandaise qui vit en France Elle a réuni autour d’elle cinq
interprètes  pour témoigner à travers leurs prestations des luttes
contre les discriminations sexuelles et culturelles.

Le titre de ce spectacle est comme le signe de leur appartenance à la
croisée de divers pays et continents puisqu’elles d’ici et d’ailleurs
pour tisser les bribes de leur histoire, partager leur mémoire,
témoigner de la résistance face aux adversités de toutes origines. La
chorégraphe, elle-même, a un parcours qui l’a menée du Rwanda où
elle est née à l’Angleterre puis à la France où elle demeure
actuellement. Asmaa Jama, née au Maroc de parents somaliens vit à
Bristol. Elsa Mulder éthiopienne a été adoptée par des parents
néerlandais. Yinka Esi Graves est d’origine jamaïco-ghanéenne. Nido
Uwera d’origine rwandaise et burundaise vit à Paris e. Ife Day est
haïtienne.

Elles mènent ensemble une expérience artistique dans laquelle
chacune exprime son ressenti par rapport aux expériences néfastes
que les femmes comme elles et d’autres ont subi dans leur vie. C’est
ainsi que les clochettes que l’on entend régulièrement retentir
évoquent, pour Dorothée, celles qu’elle entendait dans son enfance
au Rwanda venant de l’église tenue par les Pères Blancs et
rappellent la christianisation des peuples africains lors de la
colonisation.

C’est bien sûr cela que nous voyons figurer sur le plateau alors
qu’elles cheminent l’une vers l’autre, se rassemblent, se dispersent,
entamant, développant leurs expressions dansées, chantées,
récitées rythmées comme  l’illustre ce flamenco martelé par Yinka
Esi Graves ou cette magnifique danse de la pluie. Sans oublier la
peur, la souffrance engendrées par les conflits comme l’évoquent ces
coups de feu qui les précipitent à terre.

Leur prestation souligne leur énergie, leur fierté, leur engagement
contre toutes les discriminations qui, aujourd’hui encore, ne cessent
de vouloir s’imposer.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 9 décembre2021 à Pôle-Sud

Y aller voir de plus près

Par Maguy Marin

La guerre est une terrible épreuve. La raconter, en ressusciter les
causes et les effets en constitue une autre tout aussi traumatisante.

Il semble que ce soit le but recherché par ce spectacle conçu par
Maguy Marin, difficile à suivre, à entendre, à supporter.

C’est à partir du célèbre ouvrage  » La guerre du Péloponèse  »  écrit
par le non moins célèbre Thucydide au vième siècle avant
Jésus-Christ qu’elle nous engage à réfléchir à ce phénomène
ravageur  (traduction de Jacqueline de Romilly).

Ce n’est pas par la danse qu’elle exprimera son point de vue, elle qui
s’est rendu célèbre par ses remarquables chorégraphies, comme
l’inoubliable  » May Be « , mais par le jeu complexe de la lecture,  de la
musique et de l’image. Pour ce faire, elle a requis quatre comédiens
qui, livre en main vont procéder à une lecture d’extraits du texte de
Thucydide, une lecture pratiquée à vive allure, soulignant par là que
le texte est très long ( en tout, pas loin de 800 pages!). C’est un texte
complexe en raison des noms des villes de la Grèce ancienne que
nous avons du mal à situer, malgré les cartes projetées sur les petits
écrans qui  se trouvent de part et d’autre du plateau, et des noms des
ces généraux, chefs de guerre ou de territoires qui se sont battus
pendant des décennies.

Dans cet ouvrage, Thucydide décrit avec précision comment les
peuples d’alors se sont dressés les uns contre les autres, fomentant
des alliances, les trahissant pour aboutir aux carnages que tout
conflit entraîne inexorablement. La guerre est donc ce fléau qui
habite l’humanité depuis fort longtemps et ce spectacle se veut par
son didactisme évident le souligner et par bien des aspects nous en
monter l’actualité.

Avec beaucoup de constance, les comédiens s’y emploient,
plongeant avec application dans la lecture, tout en frappant
énergiquement sur les tambours placés devant eux. Quand ils se
lèvent, c’est pour placer sur les supports dressés sur le plateau, de
petits panneaux explicatifs, portant des dates, des noms, des
repérages jugés sans doute nécessaires pour clarifier cet exposé
complexe.

De plus, leurs propos sont illustrés par des dessins d’enfants
projetés sur les petits écrans comme ces  petits bateaux, images des
nombreuses batailles navales qui ont eu lieu durant ces conflits.

Apparaissent aussi des photos de guerres récentes qui nous placent
devant la réalité actuelle, d’autant qu’on y voit aussi des vidéos
représentant les hommes et les femmes politiques de notre monde,
tous ceux et celles que nous reconnaissons pour avoir mené des
pourparlers qui n’ont pas empêché les conflits.

Dans ce spectacle, Maguy Marin en collaboration avec ses
interprètes, Antoine Besson, Kais Choubi, Daphné Koutsafti, Louise
Mariotte nous place face à cette sombre réalité qu’est la guerre dont
les causes sont de toute éternité, le goût du pouvoir, la force des
intérêts, les rivalités, le mépris de la vie humaine et le refus de
déconstruire tout cela pour aboutir à une paix durable entre les
peuples.

Une leçon d’histoire dure à entendre à l’instar des sons
assourdissants des tambours sur lesquels les comédiens frappent de
toute leur force, en les accompagnant de leurs cris  comme d’un
sombre avertissement.

Marie-Françoise Grilsin

Représentation du 12 janvier à Pôle-Sud