Conception et mise en scène Christoph Marthaler
Le comique est un genre qui se décline de diverses façons. Les deux acolytes recrutés par Christoph Marthaler, Graham F. Valentine et Martin Zeller, le pratiquent d’une manière originale et astucieuse par une gestuelle, un langage particulier où se mêlent parfois chants et borborygmes . Tous deux collaborent depuis de longues années avec le metteur en scène.
Sur le plateau la scénographie de Duri Bischoff offre un décor sobre,
constitué d’une petite antichambre vide avec un radiateur et une chaise, un
couloir ou une sorte de cour sur laquelle donnent des portes, closes dans un
premier temps mais qui seront ouvertes ou fermées au gré des passages nombreux
et intempestifs des habitants de ces lieux.
Le premier personnage, ici interprété par Martin Zeller,
s’installe dans l’antichambre avec son violoncelle et répète une partition guidé
par un enregistrement jusqu’au moment où il perçoit des bruits bizarres venus
des conduites qui arrivent au radiateur. En essayant d’y remédier il déclenche
un jet d’eau qui, bien sûr, le surprend.
Simultanément, son voisin, Graham Valentine surgit dans la cour et s’évertue en manipulant
un énorme trousseau de clés de trouver celle qui lui permettrait d’ouvrir sa
boîte aux lettres. Le trousseau ne cesse de lui échapper des mains. Avec
constance il le ramasse, le même petit jeu recommence avec mines de
circonstance de l’intéressé. Bel exemple de comique de répétition.
On enchaîne avec une scène ubuesque qui nous montre le
comédien, très digne frappant à une porte pour expliquer au locataire qui vient
lui ouvrir qu’il est là pour le cambrioler en tout bien tout honneur puisqu’il
fait métier de cambrioleur et que cela doit s’effectuer sans heurt ni violence,
le consentement du cambriolé étant requis. Ce dernier en rajoute proposant même
de déménager pour faciliter la tâche du cambrioleur qui se dit épuisé de devoir
monter les escaliers. Très professionnel, il explique à sa « victime »
qu’il a relevé son nom sur une liste où il est mentionné comme possédant une
somme importante ce qui se révélant faux le décourage, il s’esquive mais revient
à deux reprises pour s’assurer qu’on ne l’a pas trompé. Cette situation paradoxale qui dresse le
portrait du gentleman-cambrioleur est des plus jouissives et déclenche le rire
dans l’assistance.
Au gré de scènes que l’on peut qualifier d’absurdes le spectacle se poursuit, faisant apparaître puis disparaître ces drôles de voisins aux prises avec des situations inattendues auxquelles il font face avec une sorte de self-control pour le moins surprenant. La panne électrique vient-elle à se produire régulièrement on la répare sans désemparer. Par contre une lettre contenant des propos injurieux sera mise en mille morceaux que l’on recollera soigneusement avant finalement de la jeter. Durant ces délicates opérations le musicien nous gratifie de ces tentatives d’interprétation de morceaux classiques. ll s’interrompt de temps à autre pour demander de façon incongrue à son voisin s’il peut lui donner de la farine et du beurre.
Et puis toujours digne et imperturbable Graham Valentine ayant placé devant lui le radiateur en guise de pupitre se lance dans un long discours qu’il ponctue de mouvements d’humeur, le tout dans un idiome fait de sons et de syllabes apparentés à diverses langues connues mais ici devenant incompréhensibles et surréalistes.
Ce clin d’œil à ce que nous subissons parfois de la part de ceux qui cherchent à nous convaincre par leurs interventions lors des meetings ou des reportages télévisés montre que le spectacle n’est pas là que pour nous amuser mais qu’il nous confronte à travers ces descriptions à l’absurdité de notre monde .Quelle plus belle démonstration de cela que cette scène où le comédien parvenant enfin à ouvrir sa boîte aux lettres se rend compte qu’elle déverse sur lui qui n’en peut mais des dizaines de bibles et des tonnes d’offres publicitaires !
En conclusion, du vide bien rempli et plus d’idées qu’il n’y
paraît car ce provocateur qu’a toujours été Christoph Marthaler a su, avec la
complicité de ces deux excellents comédiens, nous mener par le rire à jeter un regard critique sur notre
quotidien.
Marie-Françoise Grislin
Représentation du 19 mai au Maillon