Envol géométrique

En quête d’espace
Marcelle Cahn au MAMCS

Même si elle était d’un naturel discret et modeste, Marcelle Cahn s’est beaucoup impliquée dans l’effervescence artistique d’avant et d’après-guerre. Sa réserve, son engagement pour le travail de ses collègues et des moments d’éclipse ne lui ont pas permis d’acquérir la notoriété qu’elle méritait. Trois musées qui ont beaucoup enrichi leurs collections grâce à elle lui rendent aujourd’hui hommage à travers cette exposition monographique. Le MAMCS en tout premier qui a bénéficié en 1980 d’une importante donation de l’artiste, avant Saint-Étienne et Rennes. L’itinéraire qu’a élaboré la commissaire Cécile Godefroy est fort logiquement chronologique avec plus de 400 pièces.


Née en 1895 à Strasbourg où elle prend ses premiers cours de dessin, Marcelle Cahn déménage à Berlin avec sa famille en 1915 en raison du premier conflit mondial. Elle y côtoie aussi bien des représentants de la Sécession (elle sera l’élève de Lovis Corinth) que les expressionnistes à la galerie Sturm. Quelques pièces attestent ces influences notamment une huile traitée en pleine pâte : Nu berlinois (1916). Des Cygnes, l’élan des Trois biches, figures très graciles, préfigurent la future légèreté de sa ligne et de sa touche (Cat. 37 & 38, 1914).

De 1920 à 1930, elle s’installe à Paris avec de fréquents séjours à Strasbourg. Elle y suivra les cours de Fernand Léger et d’Amédée Ozenfant dont elle gardera les couleurs plus sourdes et un goût pour l’épure. Si son geste reste figuratif, il articule désormais les volumes suivant les leçons du cubisme. La figure humaine entre en concurrence avec le décor : vases, raquettes, rames, rues… Elle participe à des expositions collectives et gagne l’estime de ses pairs : Guitare et éventail (1926) ou Femme à la raquette (1927). Avec les mêmes profonds aplats, elle peint ses premières Compositions abstraites (1925). Parallèlement les corps s’étirent (La Nageuse, 1930), deviennent fluides (Personnages (Profil bleu), vers 1948) cherchant sa voie dans cette tempête que nous appelons le progrès selon le mot de Walter Benjamin (1940).

Le mystère demeure sur son retour à Strasbourg en 1930 où elle cessera quasiment de peindre, se consacrant au dessin sur le motif… Cet ascétisme et cette discrétion se prolongeront à Toulouse où sa famille se réfugie en raison de la guerre et du risque de déportation.

Marcelle Cahn, Personnages (Profil bleu), vers 1948
© photo Luc Maechel

Dès 1946, elle retourne à Paris et s’installe en 1952 dans un logement-atelier rue Daguerre. Une année charnière avec sa première exposition personnelle et un changement de style. Avec des compositions d’une rigueur limpide affinée jusqu’à la transparence sur l’écrin de l’absolu blanc, elle tente de reconstruire un monde fragile, mais joyeux et coloré. Une période très prolixe où dominent les verticales et les horizontales qui s’élargissent en fins rectangles rompues quelquefois de cercles par l’ajout de pastilles, de sphères en surépaisseur. Des propositions composées à la fois d’une fugue graphique avec la subtile mise en résonance de couleurs délicatement choisies et de sa partition. Certaines évoquent des plans d’urbanisme, puis, vers 1960, quelques-unes semblent chercher la perspective avec des diagonales, des lignes de fuites quêtant la troisième dimension. Elle se concrétise dans sa série Spatials (1966-1976) avec leurs plans pliés ou rabattus et avec deux sculptures inaugurées en 1976.

Résidente à partir de 1969 à la Fondation Galignani à Neuilly (jusqu’à son décès en 1981), elle réalise de nombreux collages utilisant des objets quotidiens, des gommettes, des cartes postales… Une féerie plastique et ludique – faisant surgir un personnage d’une enveloppe (Cat. 227, 1977) – fruit d’un enthousiasme de gamine guillerette qui devise, assise sur son lit et entourée de ses découpages, avec Pierre Gisling en 1976 (film de Louis Barby pour la collection Clés du regard, 40 min, visible en fin de parcours) :
Je ne réfléchis jamais. Je fais quelque chose et puis je m’envole.

Par Luc Maechel

Commissariat : Cécile Godefroy
avec Barbara Forest (MAMCS) et Alexandre Quoi (MAMC+)

Musée d’Art moderne et contemporain (MAMCS)
du 29 avril au 31 juillet 2022
Tous les jours – sauf lundi – de 10h00 à 18h00
https://www.musees.strasbourg.eu/

DAS RHEINGOLD

Yannik Nézet-Séguin

RICHARD WAGNER, Rotterdam Philharmonie und Solisten

Eine Opernaufführung konzertant und gerade Wagners « Rheingold »dessen Libretto so dramatisch gestaltet ist wie keines Andere im « Ring des Nibelungen »konnte schon als eine Herausforderung gelten. Desto verblüffter war man am Ende der Vorstellung: man hat hier, richtiges Theater erlebt, ohne Kulissen, ohne Kostüme, aber mit    Sängern die ihre Rollen nicht nur sangen aber erlebten, und wahres Musiktheater schufen.

Schon die drei Rheintöchter verkörperten ihre Rollen ideal, mal anmutig, mal schnippisch. Die Stimmen vereinen sich in einen wahren Hörgenuss.

Woglinde wird von Erika Baikoff mit strahlender Höhe gesungen. Ihr ebenbürtig, Iris van Vijnen als Wellgunde und Maria Barakova als Flosshilde, mit schönen Mezzotönen.

Samuel Youn überzeugt als Alberich und spielt wie auf der Bühne. Aber mit seiner expressionistischen Auffassung der Rolle, strapaziert er seine schöne Baritonstimme die in dem Fluch des vierten Bildes bricht, wenn auch zugunsten der Dramatik.

Die wunderschön timbrierte, pastöse Stimme von Michael Wolle scheint für die Rolle des Göttervaters Wotan wie geschaffen und wird jeder Nuance der Partitur gerecht. 

Jamie Barton, mit schöner, ein wenig ungleicher Stimme, verleiht Fricka Autorität, lässt aber schon die Eifersucht erspüren.

Issachah Savage, ist eine Luxusbesetzung für Froh. Man möchte die wunderbare Tenorstimme des Künstlers in einer wichtigeren Rolle wieder hören.

Thomas Lehman singt einen strahlenden Donner mit beinahe Liedhafter Schönheit.

Stephen Milling ist ein Fasolt der Weltklasse. Mit wunderschönem Bass und sanftem Legato, gelingt es ihm ein beinahe sympatische Vision des Riesen zu gestalten, der wirklich in Freia verliebt ist.

Nicht auf selbem Niveau, Mikhail Petrenko als Fafner.

Freia wird von Christiane Karg mit jugendlichem Sopran verkörpert.

Thomas Ebenstein singt einen überzeugenden Mime, ohne je ins Kitschige zu entgleisen.

Die Urmutter Erda, wird von Wiebke Lemkuhl mit ihrer wunderbar timbrierten Altstimme gesungen.

Der Höhepunkt des Abends war jedoch die Leistung von Yannick Nézet-Séguin mit den fabelhaft spielenden Musiker des Rotterdam Philharmonic Orchestras, das zu den Besten Europas gelten kann.

Von den geheimnivollen Klänge des Vorspiels bis zum triumphalen Einzug der Götter in Walhall, spannt er einen Bogen der das ganze Werk durchzieht. Fabelhaft wie er die Einsätze den Sängern gibt und wie seine klare Gestik das Orchester beinahe verzaubert.

Die spontane « Ständing Ovation » des Publikums konnte als einen  Dank für den Dirigenten, die Solisten und das Orchester gelten.

Könnte man auf eine Walküre oder auf einen ganzen Ring hoffen ?

Jean-Claude HURSTEL

Les serpents

Texte de Marie NDiaye,mise en scène Jacques  Vincey

C’est devant une maison plantée, nous dit-on, au milieu des champs de maïs, dont la façade est ici représentée par un mur d’enceintes  (scénographie Mathieu Lorry-Dupuy) que se tient Madame Diss, exigeant de pouvoir entrer dans la maison pour réclamer de l’argent à son fils. Vêtue de son tailleur gris très strict, tenant serré contre elle son sac à main, elle a  l’allure d’une femme peu avenante. Ce que confirment les propos désobligeants qu’elle tient à l’épouse de son fils, France, venue lui expliquer qu’elle ne pourra entrer dans la maison , son fils s’y opposant fermement. Elle insiste, se disant acculée financièrement et ne cesse de reprocher à la jeune femme sa tenue négligée alors que celle- ci, se croyant prise en considération, elle, venue de rien, prétend-elle, se prend d’ un élan de reconnaissance et va jusqu’à lui proposer de l’ appeler « maman ». La mégère ne l’entend pas de cette oreille et la repousse durement. Le ton est donné.

C’est avec l’arrivée de la première épouse, Nancy, élégante dans sa tenue en cuir (costumes Olga Karpinsky), venue réclamer la vérité sur la mort de leur fils Jacky, que la cruauté de la mère et du fils va éclater.

L’insistance dont Nancy fait preuve pour savoir ce qui a conduit Jacky à la mort oblige Madame Diss à faire des révélations qu’elle livre au compte-goutte, monnayant chacune par l’exigence d’être payée. Elle extorque ainsi, argent liquide et chèques à  cette mère épouvantée d’apprendre qu’après son départ de la maison, l’enfant a été sans cesse battu, torturé, enfin enfermé dans une cage avec des serpents qui ont eu raison de sa vie.

La figure du monstre se dessine clairement alors que Madame Diss justifie ces abominations, prétendant même que père et fils y trouvaient leur compte, et culpabilisant Nancy, l’accusant d’avoir déserté le foyer et d’avoir ainsi déclenché ces actes vengeurs. Nous assistons à un face à face accablant entrecoupé par les demandes réitérées de rentrer dans la maison et de voir le fils. L’interdit est maintenu à grands cris par France de plus en plus terrifiée qui explique que le père prépare leurs deux enfants pour le feu d’artifice du 14 juillet, les maintenant assis immobiles sur des chaises et qu’il les dévorerait, elle comprise, si elles pénétraient dans la maison.

L’image de l’ogre est donc bien en place. On ne  le voit jamais apparaître mais on entend parfois ses grognements terrifiants, ses borborygmes, ses mugissements qui traversent les murs (son Alexandre Meyer et Frédéric Minière).

Sommes- nous dans l’univers du conte ou dans le fait divers sordide? Le fait est que notre imagination travaille et nourrit un sentiment d’angoisse et de révolte devant l’inacceptable.

Il faut pour aborder cet univers cruel de solides interprètes.

 Jacques Vincey a fait appel à Hélène Alexandridis qui campe avec conviction, d’abord une Madame Diss  redoutable de cynisme, sans scrupule, méprisante, attirée par les apparences , revendiquant une sexualité débridée, droite dans ses bottes puis qui nous la montre, dans la scène finale, échevelée, les habits en désordre, venant implorer le secours de la jeune femme, qu’entre temps, elle a jetée dans les bras de ses vieux amants.

Les deux épouses font figure d’héroïnes, Benedicte Cerruti  est une  Nancy plutôt femme forte, n’hésitant pas à échanger ses habits avec ceux de la nouvelle épouse pour aller affronter celui dont elle sait qu’il a tué leur fils de façon monstrueuse.

Tiphaine Raffier donne l’image d’une jeune femme naïve, soumise qui se débat pour survivre.

Le récit bouleversant de la fabrication des monstres et de leur pouvoir de nuisance.

Par Marie -Françoise Grislin

représentation du 27 avril au TNS, jusqu’au 5 mai   

Julie de Lespinasse

Mise en scène Christine Letailleur

Christine Letailleur, metteure en scène associée au TNS, passionnée du 18ème siècle (nous n’avons pas oublié sa très belle et pertinente mise en scène des « Liaisons dangereuses » de Choderlos de Laclos en 2015) crée au TNS une pièce inspirée de la biographie de Julie de Lespinasse de Pierre de Ségur et de ses lettres au colonel Guibert. Elle en présente une adaptation tout à fait sensible et bouleversante.

C’est que l’histoire de Julie de Lespinasse est en tout point remarquable. Née, bâtarde, dans une famille de la noblesse lyonnaise, elle devient, après le décès de sa mère, gouvernante des enfants de sa soeur et découvre que le mari de celle-ci fut l’amant de sa mère et donc son propre père. Cette terrible révélation la pousserait à entrer au couvent si ce n’est qu’alors, sa tante Madame du Deffand, la soeur de son père, la prend comme dame de compagnie et l’emmène à Paris.

Una autre vie commence pour elle avec, en particulier, la fréquentation des « Salons » où se retrouvent les « intellectuels » de l’époque, entre autres, Montesquieu, Voltaire, Marivaux, d’Alembert… Elle apprend beaucoup, son esprit, sa finesse séduisent. Elle finit par ouvrir son propre salon suivie par nombre de ces « messieurs » dont d’Alembert très amoureux d’elle.

C’est ainsi que la petite Julie, vouée à rester dans l’ombre devient cette femme éclairée qui échange sur un pied d’égalité avec  ceux qui, comme Condorcet, s’élèvent contre l’esclavage, l’obscurantisme et prônent l’égalité homme-femme.

Ce parcours  extraordinaire pour une femme de cette époque (nous sommes dans les années 1760-1770) nous est restitué au courant du spectacle par une voix off, moyen habile de donner à ce personnage toute son épaisseur et son authenticité. (voix off Alain Fromager)

Ce que  nous donne la scène c’est  ce grand moment de la vie amoureuse de Julie lorsqu’en 1774, elle fait la rencontre du colonel Guibert, en tombe follement amoureuse et se retire du monde. Elle a quarante ans, lui dix de moins. Il est beau, séduisant, intelligent. Il est la coqueluche des salons parisiens et plaît dans toute l’Europe car il écrit des traités innovants sur l’art de la guerre. Il est volage aussi, très souvent absent, alors Julie lui écrit.

Nous la voyons assise à son petit pupitre, griffonnant de sa plume, des mots qui expriment l’attente douloureuse de sa venue, l’impatience de recevoir des lettres, parfois les reproches d’une aussi longue absence puis des remords d’avoir osé lui en faire part. Elle va et vient dans ce huis clos qui l’emprisonne, observe derrière les vitres de la fenêtre son improbable arrivée.

Nous entendons cet amour qui fait vivre mais qui tue à petits feux à travers ces instants de bonheur, ces moments douloureux de fièvre anxieuse, les trahisons, les jalousies, les doutes, les espoirs qu’il suscite. Entre offenses et pardon, c’est un cheminement de soi à l’autre, de soi à soi pour le meilleur et pour le pire. Un jeu d’introspection dont témoigne ses lettres pleines de réflexions pertinentes concernant sa situation de femme qui se sent délaissée, qui est délaissée. Eclairs de lucidité, suivis de l’espoir fou d’un renouveau de cet amour qui la dévore.

Un remords la hante aussi, celui de cet amour qu’elle a connu juste avant de rencontrer Guibert, celui pour le marquis de Mora qui l’a sincèrement aimé et qui est mort de tuberculose pendant le voyage qu’il effectuait pour la revoir. De façon très habile Christine Letailleur le fait apparaître,  traversant le plateau d’un pas léger tel un spectre ou passant furtivement comme une ombre derrière la vitre de la fenêtre.

Les deux personnages se croisent sans jamais se rencontrer. Mora est interprété par le comédien Manuel Garcie-Kilian avec la componction qui sied à cette âme malheureuse.     

Apprenant l’éventuel mariage du colonel Guibert, Julie lui écrit encore pour le dissuader, pour lui démontrer que le mariage est une entrave à la liberté, (belle idée pour l’époque). Mais apprenant qu’il aura bel et bien lieu, elle sombre dans la folie, ingurgite des pilules d’opium, délire, se consume, croit entendre les cloches du mariage et s’imagine poursuivie par des nuées d’oiseaux. Une vidéo bien conduite par Stéphane Pougnand nous rend compte de ce moment d’hallucination. Enfin, ses souffrances la conduisent à la mort.

Ainsi, cette jeune femme émancipée, finit-elle par mourir d’amour comme bien d’autres femmes qui, comme elle, ont aimé, se sont données totalement à leur passion alors qu’elles étaient souvent trahies, abandonnées, pendant que l’homme, parcourant le monde, s’adonnait à ses plaisirs, allait et repartait comme un enfant gâté, sûr d’être pardonné et toujours aimé.

La belle Julie, la tendre Julie, dans sa superbe longue robe de satin, créée par Elisabeth Kinderstuth et réalisée par les ateliers du TNS, est magnifiquement, délicatement interprétée par Judith  Henry qui sait montrer avec justesse le désarroi, le chagrin, parfois la colère et le désespoir qui habitent cette amoureuse qui ne cesse de réécrire à la fin de ses lettres  » mon ami, je vous aime », ce leitmotiv épistolaire étant soutenu à maintes reprises par l’air envoûtant de l’opéra de Gluck « J’ai perdu mon Eurydice, rien n’égale mon malheur » ( son Emmanuel Léonard). La comédienne fait de Julie cet être exceptionnel dont la sincérité crée en nous une véritable empathie.

Une scénographie, signée Emmanuel Clolus et Christine Letailleur, très dépouillée, laisse toute la place au jeu de l’interprète, particulièrement soutenu par des jeux de lumière travaillés avec finesse et pertinence comme ces bougies portées sous les visages pour en souligner les expressions, cette semi-obscurité qui marque la nostalgie, rend plus lourde la solitude (Grégoire de Lafond).

Julie de Lespinasse se comparaît, dit-on à Phèdre. Cette mise en scène  et cette interprétation lui donnent incontestablement  sa dimension d’héroïne racinienne particulièrement émouvante.

Par Marie-Françoise Grislin

Représentation  du 25 avril

jusqu’au 5 mai au TNS