Requiem für Larissa

Compositeur ukrainien assez méconnu du grand public malgré une production conséquente Valentin Silvestrov a gagné en visibilité ces six derniers mois depuis l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes. Sa Prayer for Ukraine est ainsi devenue l’hymne ukrainien en exil.


A l’occasion de son 85e anniversaire, le label de la radio bavaroise réédite avec bonheur son « Requiem pour Larissa » donné lors d’un concert du Münchner Rundfunkorchester en juin 2011 sous la direction du violoniste et chef d’orchestre estonien, Andres Mustonen. Composé initialement en 1997-1999, ce requiem pour chœur et orchestre, sombre et lugubre, est une sorte de plainte sortie des tréfonds de la terre. Immédiatement, des images viennent à se former dans l’esprit de l’auditeur. Des spectres sortis des entrailles de la terre, hantant les vivants de leurs cris perçants.

La très belle interprétation de l’orchestre de la radio munichoise permet de contextualiser, à travers la musique du compositeur ukrainien, la souffrance du peuple ukrainien. Ce long chant funèbre décuple ainsi une émotion inhérente à l’essence de l’œuvre. A l’écoute d’un tel disque, on mesure plus que jamais la puissance du pouvoir de la musique.

Par Laurent Pfaadt

Valentin Silvestrov, Requiem für Larissa, Münchner Rundfunkorchester, dir. Andres Mustonen,
BR Klassik.

La plupart ne reviendront pas

Fils d’un industriel du textile, Eugenio Corti s’engagea à vingt ans dans l’armée italienne et demanda à être affecté, en 1942, sur le front russe. Sa littérature allait ainsi se nourrir de la guerre et de la débâcle des forces de l’Axe en URSS. Cette dernière, décrite dans La plupart ne reviendront pas, ouvrage paru en 1947 et que les éditions Noir sur Blanc republie aujourd’hui dans une nouvelle traduction revue et augmentée, servit de premier jet à son magnum opus, Le Cheval rouge, publié en 1983 et devenu depuis un monument de la littérature italienne.


Il y a dans ce récit glaçant de l’anéantissement de la 8e armée italienne lors de la grande contre-offensive du Don en 1943, des moments poignants, à la fois tragiques et héroïques. Ainsi seuls 30 000 des compagnons de Corti revinrent indemnes de la terrible retraite de l’hiver 1942-1943 où la Wehrmacht et leurs alliés notamment italiens furent repoussés, encerclés, anéantis. Mais surtout, derrière les mots, c’est le poids de l’Histoire sur les hommes qui donne à la prose de Corti toute sa force. Une volonté de relater, de ne pas trahir la mémoire des morts pour échafauder un monument littéraire dédié à ses compagnons d’infortune. C’est ce qui rend la littérature de Corti unique et consacra sa popularité de l’autre côté des Alpes. La plupart ne reviendront pas n’est pas uniquement un grand récit de guerre mais, à l’instar d’un Mario Rigoni Stern, une témoignage littéraire admirable célébrant les hommes dans la guerre.

Cette nouvelle édition vient ainsi consacrer à juste titre le retour d’un écrivain quelque peu oublié et pourtant fondamental dans la littérature du 20e siècle, à ranger indiscutablement aux côtés des Hemingway et Grossman.

Par Laurent Pfaadt

Eugenio Corti, La plupart ne reviendront pas
Aux éditions Noir sur Blanc, 320 p.

#Rentrée littéraire

Nous, les Allemands

Arrivé au terme de sa vie, Meissner, un ancien combattant de la Wehrmacht entame, depuis sa maison de retraite, un dialogue avec son petit-fils vivant à Londres où il entreprend de lui raconter ses années passées sur le front de l’Est. Il y servit pendant près de quatre ans, passant de son université de chimie et de l’exaltation qui suivit l’invasion de l’URSS à la déroute de l’armée allemande et du régime nazi qu’il servit. Meissner y évoque souvent la violence et les crimes commis, y compris à l’égard d’autres Allemands dans cette guerre qui était « une pure affaire de haine et d’annihilation ».


Face à ces crimes contre les populations russe et polonaise, face à cette complicité d’un homme ordinaire qui reconnaît lui-même que « si l’on n’était pas un héros, on se rendait complice par défaut », Alexandre Staritt n’apporte aucun jugement, préférant laisser le lecteur élaborer son propre jugement à travers un processus littéraire parfaitement abouti. Jusqu’à être au côté de Meissner à la barre du tribunal de l’Histoire où ce dernier récuse l’accusation de culpabilité, préférant celle de honte. La différence ? La honte « n’admet pas la réparation » se borne à répliquer Meissner car la honte permet d’avancer.

Le livre aborde ainsi avec une intelligence rare, la question cruciale de la transmission, à la fois privée mais également à l’échelle d’une nation, d’une mémoire entachée de crimes sans équivalents, d’une mémoire rongée par la faute collective. Car la reconstruction identitaire apaisée de Meissner et de l’Allemagne qui doit permettre aux générations suivantes de s’inscrire dans un destin futur commun, impose d’abord être purgée de tous les non-dits. En décortiquant la psyché de Meissner, Alexander Starritt rend ainsi intelligible la complexité de ces hommes ballotés entre culpabilité et fatalité. Meissner nous apparaît alors moins comme un criminel, un nazi aveuglé par l’idéologie mais plus comme un homme ordinaire emporté dans la tourmente de la guerre par un régime criminel auquel il tenta malgré tout de lui opposer sa conscience.

Reste la question douloureuse de l’appropriation de la culpabilité par son petit-fils, Callum, dont la germanité n’est qu’une composante d’une identité hybride forgée dans l’Europe d’après 1945 et la mondialisation des années 2000. Est-on coupable des crimes de ses aïeuls du seul fait d’appartenir à une communauté nationale ? Partage-t-on des valeurs communes avec certains de ses membres qui ont commis l’innommable ? Si le lecteur, en entamant ce livre pouvait y souscrire, il le referme en étant convaincu du contraire. Chacun, même s’il n’est qu’un rouage, peut disposer de sa conscience. Alexander Starritt montre ainsi avec ce livre brillant qui réduit en miettes toute tentative d’enfermer un peuple dans un manichéisme caricatural que, même dans les ténèbres les plus obscurs, chacun dispose toujours de son libre-arbitre. Magnifique leçon littéraire et humaine.

Par Laurent Pfaadt

Alexander Starritt, Nous, les Allemands
Aux éditions Belfond, 208 p.