Saison de l’OPS

Pièce musicale d’une grande beauté lyrique, le Requiem de Verdi est aussi une œuvre théâtrale aux allures de spectacle visuel séduisant généralement un large public. Donnée lors d’un unique concert le vendredi 9 septembre, l’œuvre fit plus que salle comble, bien de demandes n’ayant pu être satisfaites. Autour de l’orchestre et de son chef Aziz Shokhakimov, les parties vocales étaient assurées par le Chœur Philharmonique de Brno  associé à celui de l’Opéra du Rhin et par un quatuor de haut niveau composé de la soprano Serena Farnocchia, de la mezzo Jamie Barton, du ténor Benjamin Bernheim et de la basse Ain Anger.


Depuis sa création en 1874, la plupart des grands chefs d’orchestre ont aimé donner ce requiem. Deux tendances s’y sont fait entendre, celle des chefs lyriques privilégiant la beauté d’écriture du chant verdien et celle des symphonistes s’attachant davantage à la texture orchestrale. Parmi les grands chefs du passé, Herbert von Karajan excellait dans la synthèse de la dimension lyrique et de la puissance symphonique. Ici même à Strasbourg, on garde le souvenir des grandes prestations d’Alain Lombard dans les années 1970 et de celles de Jan Latham-Koenig au tournant du siècle.

Parfois, il se trouve aussi des chefs qui conduisent l’œuvre en sous-régime, installant un climat quelque peu anesthésié. On se souvient d’une interprétation de ce genre à l’Opéra de Paris en 2013, sous la houlette de Philippe Jordan. Ainsi qu’on peut l’imaginer, Aziz Shokhakimov se situe aux antipodes. Il ferait même partie de ceux qui, dans cette œuvre, pensent que mieux vaut une double dose de décibels et des tempos accélérés. Il n’y a rien là d’en-soi rédhibitoire, d’autant plus que les moments lyriques sont, quant à eux, joués avec une grande retenue sentimentale. Quelques-uns de ses collègues prestigieux l’ont d’ailleurs précédé dans cette voie. On pense notamment à d’autres grands chefs du passé comme Igor Markevitch ou Leonard Bernstein, ou plus anciens encore comme Arturo Toscanini, tous ayant enregistré de grandes versions à la fois décantées et dramatiques de l’œuvre, bénéficiant il est vrai d’un temps de préparation probablement supérieur à celui d’un concert. Celui du vendredi 9 septembre laissera, en tous cas, une impression contrastée avec une première partie certes très démonstrative mais quelque peu froide et désincarnée. On sent pourtant une indéniable volonté d’engagement mais aussi une certaine crispation d’ensemble. Chœurs et orchestre vont-ils jusqu’au bout des attentes du chef ? Quelques options surprennent : au tout début de l’œuvre, le bref Te decet hymnus, écrit a capella (sans accompagnement instrumental) gagne-t-il vraiment à être ainsi crié ? Si le début du Dies Irae ne manque pas de grandeur, le Tuba Mirum qui suit pâtit vraiment d’une fâcheuse précipitation, à la limite de la confusion. Toujours est-il que dès le début de la seconde moitié de l’œuvre, l’Offertorio fait entendre un changement bienvenu,avec une souplesse de jeu, une ferveur et une qualité de chant impressionnantes. Le Sanctus qui  suit estabsolument parfait dans la pureté de son style, l’Agnus Dei et le Lux Aeterna se révèlent  pleins de poésie et de magie. Quant au Libera me, c’est undes plus libérateurs qui soit. A ce sujet, la reprise de la musique du Dies Irae au milieu de ce dernier épisode donne la mesure de l’évolution du chœur comparée à sa même prestation, quelque peu crispée, au début de l’œuvre. La puissance sonore est toujours là, à la limite du cri, mais le chant rayonne bien davantage. Un concert prenant, mais inégal.

                                                                                   Michel Le Gris