TNS et MUSICA

Donnez-moi une raison de vous croire

C’est le spectacle qui doit marquer l’entrée dans la vie professionnelle du groupe 46 de l’école tu TNS et l’on en ressort saisi par sa totale pertinence.


Il résulte d’un magnifique travail de groupe qui a débuté par une belle concertation entre le musicien et en l’occurrence metteur en scène Mathieu Bauer et la jeune dramaturge Marion Stenton qui propose un texte largement inspiré de leurs recherches et nombreuses lectures, entre autres, de Kafka avec son texte sur l’Amérique en passant par des études économiques de chercheurs actuels comme Alain Supiot et David Graeber auteur de « Bureaucratie, l’utopie des règles »(chez Actes Sud).

Avant même de pénétrer dans la salle de spectacle, nous voici détenteur d’un tract qui annonce avec force détails alléchants que « Le Grand Théâtre d’Oklahoma » embauche et appelle les candidats ce jour pour la première et dernière fois. Chaque entrée de spectateur est saluée par une charmante réceptionniste installée côté cour qui vous rappelle « n’oubliez pas la photo » et vous prie aimablement de vous installer. Nous  voici donc traités en candidats ! toutefois cette opération réitérée l’épuise, elle soupire et l’idée de tout abandonner pour se livrer à sa passion qui est le chant lui revient régulièrement.

Cette première scène est un beau prélude pour la suite qui voit arriver les prétendus candidats, remplis d’espoir et pour qui commence une attente dans laquelle tout paraît dénué d’efficacité. C’est bien le monde kafkaïen tel qu’on le conçoit fait d’étrangeté et d’absurdité. Chacun se retrouve livré à ses obsessions, ses désirs difficiles à avouer, sa peur d’être encore une fois incompris, exclus, prêt du coup à accepter une proposition qui n’a rien à voir avec ce qu’il croit pouvoir faire comme c’est le cas pour celui embauché comme portier et n’en revient pas de cette proposition qu’il accepte malgré tout.

Le ras- le- bol s’installe chez nombre d’entre eux qui errent d’un bureau à l’autre remplissant encore une fois les formulaires obligatoires. Leurs allées et venues, leur dispersion, leur regroupement constitue parfois une sorte de ballet (regard chorégraphique de Thierry Thieù Niang).

 Des personnalités se dessinent avec leurs tics de langage créant un comique de répétition qui rend plus léger cette approche des situations en soi pénibles mais dont le burlesque finit par dominer. Il y a celui qui parlera de suicide en en proposant différents moyens, celui qui ne cesse de dire qu’il peut rester debout… celle dont le frère a détruit tous ses papiers…Quant à la cheffe, elle descend de son bureau situé dans les hauteurs, toujours joviale et sûre d’elle pour tenir les discours réconfortants et affirmer que cette entreprise ne questionne que pour trouver les meilleures réponses.

On pourrait dire que chacun s’accroche à sa partition à l’instar des musiciens qui ont installé leur petit orchestre à cour, participant, accompagnant ces déambulations d’une musique bien rythmée, composée par Sylvain Cartigny à la guitare et aux claviers, à laquelle s’ajoutent  des reprises d’airs connus et populaires, Mathieu Bauer n’étant pas en reste à la batterie et à la trompette pour relancer des actions farfelues sans oublier que la musique électro-acoustique de Jean Philippe Gross participe grandement à cette ponctuation de la narration.

Avec conviction, détermination, jouant de leur corps, de leur voix les comédiens nous ont fait une belle démonstration de leur capacité à nous plonger dans  ce monde redoutable du travail  qui abandonne plus de gens sur le bord de la route  qu’il  n’en recueille quoiqu’il en dise. Et le chant choral qu’ils entonnent pour clore la pièce qui dit « non » à la question « les choses ont-elles changé ? » démontre à quel point l’avenir est sombre et combien le choix de leur travail est d’une grande justesse.

Avec Carla Audebaud, Yann Del Puppo, Quentin Ehret, Kadir Ersoy, Gulliver Hecq, Simon Jacquard, Emilie Lehuraux, Aurore Levy, Pauline Vallé, Cindy Vincent, Sefa Yeboah
Les musiciens, Sylvain Cartigny, Mathieu Bauer, Jessica Maneveau, Antoine Hespel, Ninon Le Chevalier, Thomas Cany, Foucault De Malet.
Scénographie, Clara Hubert, Ninon Le Chevalier, Dimitri Lenin
Lumière, Zoé Robert
Son, Foucault De Malet
Régie lumière, Thomas Cany
Régie son, Margault Willkomm
Régie générale, Jessica Maneveau

Représentation du 23 Septembre

Par Marie-Françoise Grislin