#Rentrée littéraire

La rentrée littéraire des poches permet également de découvrir certains ouvrages couronnés ou ayant marqué l’actualité et les lecteurs. Petite séance de rattrapage


Clara Dupont-Monod, S’adapter, Le Livre de poche, 144 p.

Prix Femina, Goncourt des lycéens, le roman de Clara Dupont-Monod explore l’arrivée d’un enfant handicapé, « inadapté » dans une famille. Tour à tour, les membres de cette famille vont voir leur vie changer à jamais : l’aîné et sa bonté princière dont il restera prisonnier ; la cadette dont le désarroi constituera le moteur son épanouissement futur ; le dernier portant le deuil du frère disparu.

S’adapter est un livre qui replace les sentiments humains au cœur de nos vies. Un livre magnifique sur la construction identitaire de chacun, polie comme un bronze par les épreuves. Un livre sur ces échafaudages complexes et fragiles que sont les fratries. Un livre sur la famille, ce corps vivant en perpétuelle évolution, capable à la fois de fragilité et de résilience. Un livre d’une beauté absolue. Un livre qui fait du bien.

Anne Berest, La carte postale, Le Livre de poche, 576 p.

Un jour de 2003, une carte postale anonyme arrive dans la boîte aux lettres de la mère de l’auteure. Elle montre une photo de l’opéra Garnier. A côté sont inscrits les prénoms de membres de sa famille morts à Auschwitz en 1942. Cette carte va passer dix-huit ans dans un tiroir avant de ressurgir avec son cortège d’ombres. S’emparant de cette incroyable histoire, Anne Berest, auteure des Patriarches (Grasset, 2012) se lance alors dans une folle enquête pour construire un récit palpitant qui suit la vie des Rabinovitch avant et pendant la seconde guerre mondiale, entre Palestine et Auschwitz.

Prix Renaudot des lycéens 2021, Grand Prix des lectrices Elle, Grand Prix des Blogueurs littéraires, La carte postale se lit comme un roman, celui de la destinée d’une famille durant cette première partie du 20e siècle, dans cette Europe qui plongea, à l’image des Rabinovitch, dans les ténèbres. Un livre impossible à lâcher avant la dernière page. Sauf qu’à la différence d’un roman, tout est vrai.

Joyce Maynard, Où vivaient les gens heureux, 10/18, 600 p.

En matière de littérature étrangère, il ne faudra pas passer à côté du dernier livre de Joyce Maynard, Où vivaient les gens heureux. Grand prix de littérature américaine 2021, cette saga familiale s’étalant sur près de cinquante ans suit le destin d’Eleanor, illustratrice de livres pour enfants et de sa famille. Dans cette maison du New Hampshire, à l’ombre du grand frêne, cette famille grandit, avec ses hauts et ses bas.

Comme dans tout grand roman américain, la violence, sourde ou explosive, n’est jamais loin. Et lorsqu’elle surgit, le monde familial idéalisé d’Eleanor vole en éclats. Il faudra du courage, de la résilience à Eleanor et aux siens pour recoller les morceaux.

Ce livre est magnifique car il nous offre un miroir, celui de nos vies familiales traversées par ses joies et ses drames. Le lecteur est là. Il est tantôt Alison, la fille, tantôt Cam, le mari. Un livre qui nous fait prendre conscience de la brièveté de la vie, de l’impérieuse nécessité de partager du temps avec les siens. Un livre à relire à chaque âge de la vie. Un bijou du « grand roman américain » par l’une des plus belles plumes anglo-saxonnes.

Par Laurent Pfaadt

#Rentrée littéraire essais

Le Brassard

Il fut l’un des hommes les plus adulés de France. Il devint l’un des plus haïs. Alexandre Villaplane, capitaine de l’équipe de France de football lors de la première coupe du monde en Uruguay (1930) devenu un officier nazi pourchassant les résistants a tout du personnage de roman, alliant gloire et infamie et passant des sommets aux ténèbres. C’est cette dérive criminelle et à vrai dire pathétique que nous relate Luc Briand, magistrat, dans ce livre passionnant de bout en bout.


Né en Algérie, Alexandre Villaplane devient très vite un petit prodige du ballon rond à une époque où le football, encore confiné dans les habitudes de l’amateurisme, avance lentement vers le professionnalisme. Il sera pour ce minot un ascenseur social. Villaplane est talentueux, invente des gestes techniques comme la tête plongeante. La moitié du livre est ainsi une belle photographie d’un sport à l’orée de sa métamorphose à travers l’un de ses plus illustres représentants français. La rivalité avec le voisin anglais, inventeur du sport, est magnifiée et les anecdotes cocasses pimentent un récit qui ne se contente pas d’aligner les résultats. En suivant son héros, le lecteur passe des pelouses uruguayennes au stade de Colombes, des vestiaires crasseux de province aux tribunes sétoises ou antiboises.

Des tribunes des stades de football à ceux des champs de courses et des matchs truqués aux coffres-forts des casinos, il n’y a qu’un pas que franchit aisément un Alexandre Villaplane qui, enivré par la célébrité et les femmes, glisse lentement dans les bas-fonds de cet entre-deux-guerres riche en escrocs et en voyous. Quelques fois, à travers son héros, l’auteur tend un miroir à notre époque et à son monde footballistique éclaboussé par d’autres affaires. Autre temps mais même dérives.

Puis vient la guerre. Et celle-ci est, c’est bien connu, un accélérateur de crimes. L’escroc devient délateur, le voyou criminel. Et les balles que manie Villaplane ne sont plus en cuir mais en métal. Elles ne visent plus les lucarnes mais les têtes, celles de ces résistants qu’il va pourchasser d’abord en compagnie du sinistre Lafont de la Gestapo française puis sous l’uniforme SS. Le récit de Briand quitte alors les méandres du football français pour entrer dans ceux, marécageux, de la collaboration. La clairière remplace la pelouse et le sang, la sueur. A la tête de cette nouvelle équipe, la brigade nord-africaine à la solde d’un Ttroisième Reich en déroute, Villaplane fait régner la terreur en Dordogne.

Arrêté lors de la libération de Paris, Alexandre Villaplane est fusillé avec ses compagnons de la rue Lauriston au fort de Montrouge, le 12 décembre 1944. Il rêvait de marquer l’Histoire de son empreinte. Celle-ci se chargea de lui adresser un carton rouge. Luc Briand nous permet ainsi, grâce à ce livre passionnant, d’en refaire le match.

Par Laurent Pfaadt

Luc Briand, Le Brassard, Alexandre Villaplane, capitaine des Bleus et officier nazi
Aux éditions Plein Jour, 271 p.