The Silence

Une grande amitié et une vraie complicité ont sans doute présidé à la naissance de ce spectacle dans lequel avec audace, impétuosité, conviction et grande sensibilité, Stanislas Nordey porte sur le plateau du TNS un texte de Falk Richter, auteur associé au TNS, évoquant principalement les non-dits au sein des familles et le silence qui nous est trop souvent imposé sur les problèmes qui menacent notre société et l’avenir même de l’humanité.


Sur un mode incantatoire le spectacle s’ouvre en faisant répéter la formule « dans ma famille on n’a jamais parlé de… » au comédien qui arpente le plateau puis se met à l’écart pour suivre le film réalisé par Lion Bischof et qui rapporte l’entretien de Falk avec sa mère. Il a attendu la mort de son père pour revenir la voir après une longue absence démarrée lors de son coming out il y a trente ans. Il veut qu’elle lui parle de son enfance mais c’est surtout la sienne qu’elle relate, se gardant de parler du nazisme comme si elle n’avait pas été consciente de ce qu’il représentait. Mais Falk qui connaît certains éléments de l’histoire ne cesse de demander des précisions, des explications. Elle résiste. Lui sait que son père fut un homme violent, mobilisé à dix-huit ans, poursuivi toute sa vie par des cauchemars dus à la guerre, homme influent marié, qui a une liaison avec la mère de Falk, une jeune fille alors, avec laquelle il a deux enfants, situation qu’il dissimule à son épouse et sur laquelle pèse le silence. De cela il n’en a jamais été question. 

Falk veut que sa mère parle de la manière dont ont été élevés ses enfants. Lui a des souvenirs qu’il veut confronter aux siens mais elle dit ne pas se rappeler et ne cesse de répéter qu’ils étaient une famille heureuse et que les enfants ne manquaient de rien. Elle ira jusqu’à dire, sans état d’âme, que si elle interceptait son courrier et lisait ses lettres c’était pour éviter qu’il ait de mauvaises fréquentations et tourne mal. Elle avouera, en guise d’excuse pour la non-compréhension de l’homosexualité de son fils, qu’elle n’a reçu aucune éducation à la sexualité et que c’est son mari qui l’a initiée. Quant à celui-ci, à ce propos, il s’est montré d’une extrême violence, projetant son fils contre le mur, et ne reviendra jamais sur cet acte, même sur son lit de mort.

Autant de souvenirs contradictoires qui montrent à quel point la mémoire joue un rôle dans la construction de notre identité. Sur son homosexualité, Falk reviendra en évoquant cet autre coup qui lui fut porté par un inconnu en pleine rue quand il avait dix-huit ans. Encore une fois, comme lors de la rouste de son père « personne ne m’a aidé » précise-t-il.

Après cette partie très autobiographique le spectacle s’engage dans un mode plus fictionnel.

Le comédien devient un jeune Falk qui s’apprête à voyager, sac au dos et se remémore sa relation amoureuse avec un certain Constantin.

On revient alors à la mort du père qui déclenche l’envie de renouer avec cet ami d’enfance, Constantin et il s’ensuit une série de coups de téléphone pour le supplier de venir et d’accomplir les actes qu’ils se sont interdits de faire dans leur jeunesse bridée par les préjugés.

Enfin dans la dernière partie du spectacle, Falk Richter élargit son propos en abordant les questions sur lesquelles nous butons actuellement, celle de la souffrance animale, de la disparition des espèces, du dérèglement climatique, pour montrer l’hypocrisie des informations médiatisées   sur ces sujets et les non-dits qui en masquent la gravité , rappelant l’obligation de «  désapprendre les comportements destructeurs et apprendre l’empathie et l’action collective », la nécessité de se débarrasser du patriarcat, du racisme, de l’homophobie.

Le spectacle se terminera sur l’évocation du requin du Groenland dont nous parle, Stanislas Nordey déambulant entre les obstacles épars sur scène, coiffé d’une chapka et vêtu d’une combinaison en fourrure à l’image d’un anthropologue à la recherche du dernier spécimen vivant.

Ce spectacle, mis en scène par Falk Richter, lui-même, repose sur la prestation de Stanislas Nordey qui a su se prêter au jeu d’être et ne pas être Falk Richter et de mettre en valeur ce texte traduit par Anne Monfort « le plus personnel que j’ai jamais livré au public » reconnaît l’auteur dont, par ailleurs, nous avons pu voir représenter au TNS « Je suis Fassbinder » en 2016 et « I am Europe » en 2019 où déjà il faisait montre d’un engagement non dissimulé.

Un texte et un spectacle qui sonnent comme un avertissement à ne pas laisser  s’installer un silence qui dissimulerait le retour aux pires idéologies.

Marie-Françoise Grislin

Au TNS, représentation du 6 octobre