Un étendard littéraire

La collection Sindbad fête ses cinquante ans. L’occasion de revenir sur un demi-siècle de littérature arabe

« Amitié d’un jour, souvenir d’une minute » dit le proverbe arabe. Avec les éditions Sindbad, ces souvenirs se comptent en heures. Aujourd’hui intégrées aux éditions Actes Sud comme une évidence, Sindbad fête ses cinquante ans, seulement, tant les souvenirs de lecture se bousculent dans l’esprit des lecteurs que nous sommes.

Lorsqu’en 1972, Pierre Bernard fonde les éditions Sindbad avec comme ambition de faire découvrir les lettres du Proche et Moyen-Orient, auxquelles viendront s’ajouter la bibliothèque turque, il ne se doute pas qu’il ouvre, pour le plus grand plaisir des amoureux de littérature, une joyeuse boîte de Pandore. Sortiront de cette dernière quelques génies : les grands anciens de Rûmi à Ibn Arâbi en passant par Omar Khayyâm et Ibn Khaldun; et les modernes bien sûr : Mahmoud Darwich, Elias Sanbar, Adonis qui composa un poème pour Pierre Bernard et bien évidemment le grand Naguib Mahfouz, prix Nobel de littérature en 1988 qui dit de Pierre Bernard qu’il « avait l’âme d’un pionnier ». Car Bernard fut le premier à croire en l’écrivain égyptien quand la totalité du monde éditorial français se détournait de ce dernier.

Sindbad a également donné un écho à de nouvelles voix littéraires arabes qui prêchaient parfois dans le désert ou étaient plus entendues de l’autre côté de l’Atlantique. Sindbad s’est ainsi aventuré sur des terrains inconnus, instables avec des auteurs, des voix contestatrices promptes à briser quelques dogmes et à dévoiler les tabous de ces sociétés conservatrices. Ces auteurs ont ainsi trouvé dans cette collection des échos à leur immense courage. Hâpy (2022) de Taleb Alrefai qui évoque l’histoire de Rayyane, un transgenre koweïtien est un bon exemple de cette audace éditoriale. En 1995, Mohammed Dib referma le tombeau de Pierre Bernard, pharaon des lettres enseveli avec ses 160 livres. Mais ce dernier avait souhaité que sa pyramide resta ouverte et Sindbad, passé sous la bannière d’Actes Sud et de Farouk Mardam-Bey, enrichit le catalogue de la maison arlésienne de quelques 400 nouveaux titres jusqu’à aujourd’hui tout en demeurant fidèle à l’esprit originel de son fondateur.

De pyramide, Sindbad se mua en bibliothèque, comme celle qui jadis à Alexandrie, tenta de contenir entre ses murs une civilisation. Une bibliothèque qui a permis aux lecteurs français de découvrir les richesses et les subtilités de cette civilisation arabe plus que millénaire et de ses nuances quand tout le monde la pensait monolithe. Et si les auteurs de Sindbad demeurent les piliers de cette bibliothèque, elle a permis aux traducteurs, ces gardiens, ces passeurs de mots et d’idées de faire rayonner la langue française au-delà de nos frontières. Cet anniversaire est également le leur. Car ne nous méprenons pas, l’action de Sindbad constitua et constitue toujours l’étendard littéraire d’une France qui a construit, avec ses réussites et ses errements, une relation spéciale avec le monde arabe. Elle le doit d’abord à sa langue que des intellectuels courageux tels que Pierre Bernard ont su porter au firmament et à travers elle, les valeurs d’une France qui reste admirée dans le monde entier.

A travers Sindbad, cette langue est ainsi mise au service d’une entreprise de tolérance et de combat contre les préjugés et les stéréotypes. Elle a éclairé et éclaire toujours nos sociétés occidentales sur les évolutions à l’œuvre dans les sociétés arabes, plus encore après le 11 septembre 2001. Comme le rappelle à juste titre Farouk Mardam-Bey : « les événements qui se sont succédés ces trois dernières décennies, plaçant presque toujours le monde arabe et l’islam à l’avant-scène de la politique internationale, de même que les débats de société en France à propos de l’immigration ou du statut de l’islam dans la République, rendent l’existence de Sindbad plus nécessaire que jamais et lui assignent des tâches inédites. »

On ne peut que souscrire aux propos du directeur d’une collection qui en plus de nous léguer de magnifiques souvenirs, a tissé avec ses lecteurs une amitié indéfectible.

Parmi les innombrables trésors de cette bibliothèque citons :

Naguib Mahfouz, Passage des miracles, 1970

Naguib Mahfouz

Emblématique de la prose de Naguib Mahfouz, Passage des miracles est une ancienne impasse, l’Impasse du Mortier qui a fini par être percée après avoir traversé le temps. Dans ce livre qui fourmille de ces histoires que l’on se raconte, de ces personnages merveilleux et d’une ambiance à nulle autre pareille, Naguib Mahfouz évoque une Egypte partagée entre modernité et tradition. Entré dans la bibliothèque arabe de Pierre Bernard, le livre rejoint très vite les éditions Sindbad. Passage des miracles est aujourd’hui devenu un classique de la littérature arabe. Suivront la trilogie du Caire ou Les fils de la Médina, monuments d’une œuvre unique récompensée par le Prix Nobel en 1988.

Sonallah Ibrahim, Etoile d’août, 1974, nouvelle version 2022

A l’occasion de la construction du barrage d’Assouan en Egypte, un journaliste se rend sur le chantier pour couvrir l’évènement qui doit être l’occasion pour l’Egypte de renouer avec sa grandeur passée. Mais derrière ce décor à la démesure de son nouveau pharaon, Sonallah Ibrahim, emprisonné pour avoir appartenu au parti communiste et devenu l’une des phares de la nouvelle avant-garde littéraire égyptienne dépeint une société en pleine mutation qui sacrifie ses enfants. Dans ce livre magnifique, le lecteur parcourt une immense fresque composite entre peinture monumentale et croquis intimiste, à la manière d’un Michel-Ange dont il cite les carnets. La fresque de cette Egypte nassérienne sous influence soviétique où Ramsès côtoie Ubu roi.

Khaled Khalifa, Eloge de la haine, 2011

Si l’Egypte occupe une place importante dans la collection Sindbad, le Liban et la Syrie sont également présents avec quelques livres forts. Parmi ces derniers, Eloge de la haine de Khaled Khalifa, écrit à la veille de la guerre en Syrie. Le livre dresse le portrait d’une jeune femme anonyme d’Alep et de sa famille bourgeoise et conservatrice, balancée dans une Syrie prise dans l’étau de l’islamisme et de la dictature militaire. Avec sa narration nostalgique qui rappelle parfois le grand Mahfouz et donne toute la beauté à ce récit d’une jeunesse désenchantée prise entre deux maux et qui s’apprêtent à plonger dans l’enfer, Eloge de la haine, nominé pour le Prix international du roman arabe en 2008, est un livre à redécouvrir, assurément.

Najwa M. Barakat, Monsieur N, 2021

Parmi les meilleurs représentants du Liban, il faut évoquer la journaliste Najwa Barakat et son très beau Monsieur N. Le personnage principal, Monsieur N. est un écrivain ayant perdu l’inspiration et qui vit reclus dans un hôtel. Lorsqu’il sort, il se rend dans les quartiers mal famés de Beyrouth. Sa rencontre avec Loqmane, un seigneur de guerre, va changer son destin. Avec ce magnifique thriller psychologique à l’atmosphère hybride qui « rappelle à la fois le film Shutter Island et les livres de l’Argentin Jorge Luis Borges » selon le courrier de l’Atlas, Monsieur N. a marqué la rentrée littéraire 2021 jusqu’à être sélectionné pour le Prix Femina. Plongée en apnée dans les entrailles du Liban entre corruption et violence.

Iman Mersal, Sur les traces d’Ennayat Zayat, 2021

Dans ce livre magnifique qui a obtenu le Prix Sheikh Zayed Book Award, l’un des principaux prix littéraires du monde arabe, l’écrivaine égyptienne Iman Mersal suit la destinée d’Ennayat Zayat, jeune écrivaine prometteuse dans l’Egypte des années 60 et dont le suicide reste toujours un mystère. A travers son personnage, l’écrivaine et poétesse construit un livre en forme de miroir sur la place de la femme et plus généralement de l’individu dans les sociétés arabes contemporaines. Mon interview d’Iman Mersal : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/rencontre/

Par Laurent Pfaadt

Une saison au paradis

Un magnifique ouvrage revient sur l’épopée européenne victorieuse de l’Olympique de Marseille

Alors que le monde entier a les yeux tournés vers la coupe du monde au Qatar et que ceux des Français espèrent un troisième sacre, ces mêmes yeux ont admiré il y a trente ans, l’Olympique de Marseille dans sa quête vers le seul sacre européen d’un club français.

L’ouvrage signé Thierry Agnello, coordinateur à la direction marketing et médias de l’Olympique de Marseille et auteur de nombreux livres sur son club de coeur revient sur cette aventure à grands renforts de photos et d’archives qui immédiatement ressuscitent nos plus beaux souvenirs. Lorsque s’ouvre la saison 1992-1993, l’OM, champion de France en titre, lorgne vers un titre européen qui lui a injustement échappé lors de la finale 1991 face à l’Etoile rouge de Belgrade et reste sur une élimination prématurée l’année suivante face au Sparta Prague. Quelques mouvements ont marqué l’intersaison. Chris Waddle, l’insaisissable dribbleur a rejoint son Angleterre natale et Jean-Pierre Papin est allé grossir l’effectif du Milan AC pensant y trouver le Graal, tandis que l’OM a accueilli le vétéran allemand Rudi Völler, champion du monde avec l’Allemagne en 1990 et l’intraitable défenseur nantais Marcel Desailly.

Si les premiers pas de l’aventure européenne de Marseille sont des formalités contre le modeste club nord-irlandais de Glentoran, corrigé 8-0 puis contre le Dinamo Bucarest, les deux groupes de quatre où seul le vainqueur accède à la finale, s’annoncent plus relevés. Les olympiens se retrouvent ainsi avec le CSKA Moscou, tombeur du tenant du titre, le FC Barcelone, le Club Bruges et les Glasgow Rangers du redoutable Mark Hateley qui connaît bien l’OM pour l’avoir affronté avec Monaco.

Sous la houlette de « Raymond la science », le Belge Raymond Goethals, l’attaque croato-allemande bien servie par « l’autre Pelé » ghanéen dont les deux fils joueront des années plus tard pour l’OM fait des miracles. Alternant les portraits, de Didier Deschamps « le gagneur » à Jean-Philippe Durand ou Eric di Méco « le minot devenu légende », Thierry Agnello nous emmène ainsi dans les vestiaires et sur les différentes pelouses de ce groupe A, à Ibrox Park sous une pluie glaciale ou au Vélodrome face au CSKA Moscou. Ce 17 mars 1993, Frank Sauzée, général en chef de la Grande Armée marseillaise, expert en mines et canonnades, infligea avec son hat-trick une véritable bérézina à l’équipe moscovite. Un mois plus tard, à Bruges, l’OM scellait dès la 2e minute son destin et une nouvelle finale. « Je me rappelle parfaitement la fin de la rencontre. Nous avions tous la tête à Milan » se souvient Jean-Christophe Thomas, milieu de terrain.

La suite, tout le monde la connaît et le livre revient longuement sur le match de Munich, sur la mise au vert de l’équipe et la ferveur qui monta dans la cité phocéenne. Corner pour l’OM à la 44e et coup de tête magistral de Basile Boli. Le Milan AC de Baresi, Ancelotti (qui alignera plus tard comme entraîneur avec le Real quelques Champion’s league), d’un Papin parti trop tôt et d’un Van Basten qui jouait sans le savoir son dernier match, ne s’en remit jamais.

Restait au capitaine Didier Deschamps à brandir la coupe aux grandes oreilles. Dans celles-ci, notre sélectionneur y entendait déjà l’écho d’autres victoires. Mais cela est une autre histoire.

Par Laurent Pfaadt

A lire également :

Pour tout connaître de l’OM : Dictionnaire officiel de l’Olympique de Marseille, nouvelle édition, Hugo Sport, 2022

L’appel de Khalk’ru

Abraham Merritt (1884-1943) fut l’une de mes premières rencontres littéraires. Avec la Nef d’Ishtar (1923) tirée d’un sac poubelle enfermé dans le grenier d’un oncle fan de SF et qui comptait comme autres trésors Robert Bloch, Clifford D. Simak ou Alfred Van Vogt, j’entrai véritablement en littérature. L’atmosphère enchantée de la découverte de ce trésor, ces vieux J’ai Lu aux tranches colorées et aux illustrations signées Caza et d’autres, dignes des meilleurs films d’aventures correspondait parfaitement aux grands thèmes de cet auteur qui influença notamment le grand Lovecraft lui-même et les générations suivantes d’auteurs de fantasy tels que Michaël Moorcock, Fritz Leiber ou Robert Silverberg. « Au-delà de sa popularité, c’est surtout pour son rôle d’avant-gardiste, de précurseur que l’on se souvient de lui aujourd’hui. Pionnier d’un genre nouveau dont il définit les codes, il donne les bases de ce qu’on appellera par la suite l’heroic fantasy » écrit ainsi Thierry Fraysse, directeur éditorial de Callidor dans la postface de l’ouvrage.


C’est donc avec un immense plaisir que je relus – et oui, j’ai fini par lire tout Abraham Merritt – les habitants du mirage, roman publié en 1932 et qui retrouve aujourd’hui une seconde jeunesse, 90 ans plus tard, grâce aux éditions Callidor. Ces dernières, fondées en 2011, sont données pour mission de redonner vie, tel un Frankenstein littéraire, à ces pépites et auteurs oubliés ou indisponibles parmi lesquels Robert W. Chambers, célèbre feuilletoniste américain, Eric Rücker Eddison dont la trilogie de Zimiamvie s’apparenta au Seigneur des anneaux de notre époque ou la suffragette Stella Benson.

Les habitants du mirage se déroule en Alaska. Là-bas, un jeune vétéran de la Première guerre mondiale, Leif Langdon et son ami cherokee Jim, découvrent, au cours de leur expédition, une vallée perdue où vit un peuple reclus menacé par Dwayanu, l’un de ses anciens souverains morts. Ce dernier prend bientôt possession de l’esprit de Leif qui se retrouve embarqué dans cette aventure, tandis qu’au loin résonne l’appel du Khalk’ru, cette « invocation…ou plutôt (…) l’évocation d’un Être, d’un Pouvoir, d’une Force ». Civilisations perdues, monstres horribles, sorcellerie et femmes magnifiques avec notamment Evalie, le lecteur retrouve dans ces pages tous les ingrédients qui ont fait le succès de ces livres de la fin du 19e siècle et de la première moitié du 20e, entre fantastique et aventure, et portés par des écrivains restés célèbres tels que Conan Doyle avec sa saga du professeur Challenger et surtout Henry Rider Haggard et son roman She. A ce récit, Merritt y ajoute sa touche, sa peinture littéraire avec la résurgence de civilisations perdues – le lecteur aura la surprise de rencontrer des Ouïghours – et une distorsion du temps permettant le retour dans le présent de guerriers, grand prêtre et autres sorcières. Des personnages appelés à envahir cette nouvelle forme littéraire. En effet, la même année que Les habitants du mirage (1932) paraît la première aventure d’un autre héros au destin littéraire mondial, Conan le Barbare, de l’américain Robert E. Howard.

Dans cette nouvelle édition, le texte est accompagné d’illustrations signées Virgil Finlay, illustrateur américain qui travailla avec Merritt à The American Weekly, un supplément dominical appartenant au magnat de la presse Randolph Hearst, après une collaboration avec Weird Tales. Avec ses fonds blancs et noirs, et ayant recours à diverses techniques tirées de la gravure, les illustrations de Finlay traduisent à merveille l’animalité et le mystérieux de l’univers de Merritt. Ces illustrations donnent ainsi à l’ouvrage non seulement une nouvelle jeunesse mais également une dimension ancienne, fantastique.

Quatre-vingt-dix ans après sa parution, ce très beau livre permet ainsi de faire ressortir des greniers de la littérature un auteur injustement oublié et de faire rêver, en ces fêtes de fin d’année, des lecteurs qui ne l’ont jamais oublié.

Par Laurent Pfaadt

Abraham Merritt, Les habitants du mirage
Chez Callidor, 400 p.

Un ballon pour les inspirer

Alors que le monde semble s’être arrêté le temps d’une coupe du monde, que les guerres, les drames et les crises écologiques ont laissé leurs places sur les écrans de nos télévisions aux pelouses verdoyantes et à des gens heureux (enfin !), la littérature, elle, poursuit sa route. Et le sport le plus populaire de la planète n’échappe pas à l’emprise des lettres. Car qu’il s’agisse d’histoire, de géopolitique, de phénomènes de société, le football est immanquablement le reflet de leurs évolutions, de leurs drames et des comportements humains. A ce titre, le lecteur pourra se plonger dans le très bon livre de Jose Barroso, Jocelyn Lermusieaux et Samy Mouhoubi, Sphères d’influence (Hugo Doc) qui montre que le football a toujours été, bien avant la volonté du Qatar d’en faire un instrument de soft power, l’objet d’enjeux géopolitiques, de l’entre-deux-guerres à la lutte souterraine pour le mondial 2018 en Russie en passant par les innombrables histoires de la guerre froide et d’espions notamment dans cette Allemagne coupée en deux par un mur résistant comme un catenaccio italien.


Plus encore, le football est cet instant, ce moment d’incertitude où tout peut se jouer. Comme la vie en somme. « Le football comporte des plaines immenses, des heures mortes comme celle que nous venons de voir. Un fatras de vacarme, d’intentions qui ne se concrétisent pas, d’accidents, de coups du sort. Pendant les heures mortes tout peut se produire. Vraiment tout, ce n’est pas une expression exagérée. Et quand ça se produit, c’est brusquement la foudre qui tombe et qui modifie complètement le paysage » écrit ainsi l’écrivain brésilien Sergio Rodrigues dans son roman Dribble (Seuil, 2015) pour résumer le pouvoir de fascination de ce sport.

Nombreux ont été les écrivains qui se sont passionnés pour le ballon rond. D’Albert Camus qui lui vouait une passion débordante et affirmait que « tout ce que je sais de plus sûr à propos de la moralité et des obligations des hommes, c’est au football que je le dois » à Olivier Guez, prix Renaudot 2017 qui couvrit la coupe du monde 2018 en Russie pour le journal Le Monde en passant par François Bégaudeau et sa passion pour le FC Nantes, Mohamed Mbougar Sarr, prix Goncourt 2021 ou Jean Giraudoux, le football a très tôt passionné les écrivains. L’étranger n’échappe pas à cette passion : l’Angleterre, berceau du ballon rond bien évidemment avec Nick Hornby ou John King mais également le Brésil et l’Italie. Alors s’il vous reste quelques émotions à jeter dans votre bibliothèque, voici notre équipe type avec ses essais et ses romans pour un une-deux football et littérature durant ce mois : 

Gardien de but :

Peter Handke, L’angoisse du gardien de but au moment du penalty, Folio, 1982

Dans ce court roman aux allures de thriller, le prix Nobel de littérature 2019 suit un ancien gardien de but amateur viré de son entreprise qui entame une cavale après un crime. S’ensuit une série d’aventures jusqu’au jour où il se retrouve face à lui-même. Le gardien de but au moment du penalty est cet instant à la fois craint et stimulant où il faut prendre son risque, choisir son côté, son destin. Sans contre-pieds donc.

Défense :

David Peace, Rouge ou mort, Rivages, 2014

Défense d’un idéal, de valeurs, Rouge ou mort de David Peace, mondialement connu pour son quatuor du Yorkshire (Rivages), revient à Anfield, le stade mythique de Liverpool dans ces années 60 et 70 où le club tutoya les sommets européens grâce à son entraineur Bill Shankly. Mais au-delà du football, ce livre est surtout une aventure humaine incroyable, faîte d’abnégation et d’équité où tous les joueurs, de la superstar au remplaçant, gagnent le même salaire. Une époque où les Reds étaient admirés par des gueules noires et vis-versa. Une époque où un fossé moins profond qu’une galerie de mine séparait supporters et joueurs.

Coups de gueules (noires) et têtes piquées.

Mon article : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/du-sang-des-larmes-et-de-la-sueur/ h

Pepe Galvez, Guillem Escriche Ruis, Le match de la mort, Arènes BD, 2022

Se battre pour sa vie, tel fut le destin de cette équipe ukrainienne (et oui déjà !) face à une Wehrmacht impitoyable tant sur le terrain qu’en dehors. Alors que l’armée allemande vient d’envahir l’URSS, les occupants décident d’organiser un championnat regroupant les nationalités présentes dans leurs rangs et les locaux parmi lesquels la star du Dynamo Kiev, Aleksei Klimenko, qui, avec ses compagnons, créent le STAR, un club arborant le rouge de l’Ukraine indépendante. Le 6 août 1942, ils infligèrent au Troisième Reich leur plus humiliante défaite avant de le payer de leurs vies.

Les deux auteurs espagnols ressuscitent avec leurs couleurs froides frôlant le noir et blanc, cet évènement singulier de la seconde guerre mondiale pour montrer qu’un ballon rond peut redonner espoir à tout un peuple, qu’un ballon rond peut être une bombe de courage.

La mort subite pour de vrai.

Philippe Collin, Sébastien Goethals, La patrie des frères Werner, Futuropolis, 2020

Défense d’un système, d’une idéologie. Dans ce magnifique roman graphique, les deux auteurs du Voyage de Marcel Grob, relate l’histoire des deux frères Werner, Konrad et Andreas, footballeurs devenus agents de la Stasi. Bien décidés à prouver la supériorité de la RDA sur le frère ennemi de la RFA, ils se retrouvent lors de la coupe du monde 1974 lors du fameux match RFA-RDA au Volksparkstadion de Hambourg. Avec leurs faux airs de Gert Müller ou de Hans-Georg Schwarzenbeck grâce aux traits vifs et tranchants de Sébastien Goethals, les frères Werner vont être, le temps d’un match, les meneurs de jeu de la grande histoire car Andreas, à l’instar d’un Günther Guillaume, a infiltré le cœur d’un régime.

Contre-attaque fatale.

Milieu :

Luc Briand, Le Brassard, Alexandre Villaplane, capitaine des Bleus et officier nazi, Plein Jour, 2022

Uruguay 1930. Alexandre Villaplane conduit sur le terrain l’équipe de France à l’occasion de la première coupe du monde de l’histoire. Quatorze ans plus tard, le héros est devenu un traître, fusillé au fort de Montrouge. L’homme a toujours gravité dans le milieu mais celui des pelouses a très vite été remplacé par celui des bas-fonds et des jeux d’argent. Pour découvrir l’une des légendes noires du football français, rien de tel que de se plonger dans ce récit, celui d’une déchéance, celui d’un homme qui pensait que le football était synonyme d’impunité, celui d’une gloire devenue infamie.

Hors-jeu évident.

Mon article :http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/rentree-literaire-essais/

Ryszard Kapuściński, La guerre du foot et autres guerres et aventures, Plon, 2003

Les récits de l’écrivain et journaliste polonais Ryszard Kapuściński sont restés célèbres. Ayant arpenté le monde entier, ce Joseph Kessel de la deuxième partie du 20e siècle a décrit avec brio les grandes convulsions qui ont agité l’histoire contemporaine. Et celles-ci se sont parfois déclenchées sur un terrain de foot comme lors de ce match entre le Honduras et le Salvador qui décida de leur participation à la coupe du monde au Mexique en 1970.

Le 25 juin 1969, au stade aztèque de Mexico, sur fond de conflit larvé ayant entraîné la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays, le Salvador bat le Honduras déclenchant une guerre de cinq jours qui causa 3000 morts. Avec sa prose magnifique, Ryszard Kapuściński raconte ce conflit qu’il baptisa la guerre du foot.

La littérature aux premières loges.

Sergio Rodrigues, Dribble, Seuil, 2015

Murilo, journaliste sportif et véritable encyclopédie du football, décide, après vingt-six ans de brouille de renouer avec son fils. Mais ce dernier cultive toujours une haine tenace à l’égard de ce père qu’il rend responsable de la mort de sa mère. A l’occasion de leurs rencontres, le football sert de parabole aux explications entre les deux hommes où l’art du dribble, tantôt pour mystifier son adversaire, tantôt pour l’humilier, se déplace sur le terrain de la vie. En plus d’être un livre sur les rapports conflictuels entre les pères et leurs fils, Dribble est également un plaidoyer pour le foot et pour les émotions qu’il génère et qui nous façonnent inconsciemment. Peut-être l’un des plus beaux livres écrits sur le foot et sur son pouvoir.

Antijeu et carton rouge assurés.

Attaque :

Gigi Riva, le dernier penalty, une histoire de football et de guerre, Seuil, 2016

Un dernier match avant l’attaque. Coupe du monde 1990 en Italie, la Yougoslavie est battue aux tirs aux buts par l’Argentine après un penalty raté d’un joueur bosniaque. Il y a tout juste trente ans, bien avant l’Ukraine, l’Europe voyait en ex-Yougoslavie le retour de la guerre sur son sol avec son cortège d’horreurs : camps de concentration, crimes de guerre, épurations ethniques. Une nation volait en éclats et leurs supporters troquèrent leurs maillots pour des treillis, leurs cornes de brume pour des fusils. Le dernier penalty de Gigi Riva raconte tout cela.

Un livre sans arrêts de jeu.

Olivier Guez, Eloge de l’esquive, Grasset, 2014

Au Brésil, la geste footballistique est à la base de tout. De son histoire avec l’intégration des enfants métisses. De l’ascension sociale des pauvres permettant aux enfants des favelas de s’en sortir à grands coups de provocations, d’ambiguïtés et de simulations. L’esquive comme une philosophie. Celle qui se pratique sur le terrain se lit dans les comportements et vis-versa. Le football est plus qu’un sport, plus qu’une religion, c’est véritablement l’ADN d’une nation. On est loin de la discipline rectiligne d’une Allemagne. La vie, tout comme le football, est certes un jeu avec ses gagnants et ses perdants. Mais au Brésil, il n’est pas interdit d’y prendre du plaisir nous dit Olivier Guez.

Quand la feinte de corps devient une posture.

Par Laurent Pfaadt

Stefan Wul, franc-tireur de la SF

Il aurait eu 100 ans cette année. Son nom, Stefan Wul, reste toujours aussi mythique et continue toujours de fasciner jeunes et moins jeunes. A plus d’un titre. Il reste bien évidemment attaché à son œuvre maîtresse, Niourk, qui se transmet de génération en génération, se lit aussi bien en romans qu’en livres jeunesse et résonne aujourd’hui d’une nouvelle actualité.


On raconte que c’est en lisant une revue spécialisée que Pierre Pairault serait tombé sur ce pseudonyme relatif à un ingénieur atomiste de l’Oural. Pourtant, rien ne prédisposait ce Parisien à devenir un mythe de la science-fiction. Car la journée, il exerçait son métier fort respectable de chirurgien-dentiste. Et la nuit venant, celui qui écrivait depuis sa plus tendre enfance, partait vers des mondes inconnus et lointains ou sur une Terre irrémédiablement transformée.

A l’instar d’un Stephen King, il doit son entrée en littérature à son épouse au milieu des années 50. Nous sommes alors à la fin de cet âge d’or de la science-fiction anglo-saxonne et française. Alors qu’aux Etats-Unis triomphent Isaac Asimov, Theodore Sturgeon ou Clifford Simak, Stefan Wul décide quant à lui de tracer son propre chemin qui passe par des œuvres post-apocalyptiques désormais cultes. En 1957, il offre à la littérature de science-fiction, deux de ses chefs d’œuvre : Niourk et la magnifique quête de l’Enfant noir, banni des siens, à la recherche de la cité de Niourk sur une terre revenue à l’état primaire (Cuba est une chaîne de montagne et les océans ont été contaminés par la radio activité). Puis Oms en série autre anticipation d’une terre ravagée et dont les derniers survivants, les Oms, sont devenus les animaux de compagnie d’extraterrestres.

Après onze romans et quelques nouvelles entre 1956 et 1959 notamment Odyssée sous contrôle, un récit assez proche du Total Recall publié sept ans plus tard (1966) par Philip K. Dick, Stefan Wul fait un retour fracassant, vingt ans après Niourk, en 1977. Ce sera l’extraordinaire space-opera Noô bâti autour du personnage de Brice Le Creurer plongé dans une guerre impliquant des créatures mi-humaines, mi-oiseaux et publié dans la célèbre collection « Présence du futur » de Denoël. L’ouvrage obtiendra le prix Julia Verlanger qui depuis, a couronné des auteurs français et étrangers de talent comme Thomas Day, Laurent Genefort qui paya son tribut au maître en signant l’adaptation en BD de Noô, Clive Barker, Neil Gaiman ou Mary Robinette Kowal et son Vers les étoiles, prix Hugo et Nebula.

En offrant à ses lecteurs passés les terrifiantes conséquences d’un changement climatique qui faisait alors sourire, la prose de Stefan Wul frappe par son actualité et gagne assurément à être à nouveau découverte et relue. Son œuvre évoque également la mémoire de notre humanité et de ses réalisations mais également notre condition humaine. « Peu d’écrivains de genre ont cristallisé autour de leur nom tant d’éloges, de la part du public comme de celle de la critique. À quoi tient cette place à part ? Au talent, bien sûr. Mais un talent solitaire, faisant éclater le moule des productions contemporaines » estime ainsi Laurent Genefort dans la postface de l’intégrale des œuvres de Wul aux éditions Bragelonne.

Très vite son œuvre inspira les dessinateurs. D’Enki Bilal qui signa les illustrations du Niourk chez Folio Junior à Jean-David Morvan pour Oms en série, c’est probablement Olivier Vatine qui signa la plus belle adaptation, avec ses tons verts et ocres, de l’univers de Wul notamment avec Niourk. C’est au trait japonisant et tirant parfois vers le manga d’Alexis Sentenac que Laurent Genefort, grand fan de Wul, associa quant à lui sa plume pour donner des visages et des couleurs à l’univers de Noô dans une adaptation éclatante et fraîche qui aurait ravi son créateur.

Après Noô, la voix littéraire de Stefan Wul s’éteignit définitivement. Il est décédé le 26 novembre 2003. Aujourd’hui la commémoration du centenaire de sa naissance offre l’occasion de relire son œuvre et de prendre conscience que la science-fiction s’apparente bien souvent à une littérature de la clairvoyance.

Par Laurent Pfaadt

A lire :

Stefan Wul, l’intégrale, vol 1 et 2
Aux éditions Bragelonne

Olivier Vatine, Niourk l’intégrale
Ankama éditions (dans la série les univers de Stefan Wul)

Noô, Laurent Genefort et Alexis Sentenac
Comix Buro/Glénat