Dominique Missika est éditrice et
historienne. Elle a consacré de nombreux ouvrages aux femmes sous l’Occupation
notamment Berty Albrecht (Perrin, 2005), Les Inséparables. Simone
Veil et ses sœurs (Livre de poche, 2020) et Résistantes 1940-1944
(Gallimard, 2021). Pour Hebdoscope, elle revient sur ces dernières.
Vous êtes l’auteure d’un
ouvrage consacré aux Résistantes pendant la Seconde guerre mondiale. Quel rôle
ont joué les femmes dans cette dernière ?
Venues de tous les milieux et de
tous les horizons, elles ont hébergé des pourchassés, aviateurs alliés, évadés
des stalags, réfractaires du STO, familles juives, elles espionnent l’ennemi,
elles fabriquent des explosifs, les transportent, ravitaillent les maquis,
fabriquent des faux papiers. Aucune mission les effraie, les Allemands les
traiteront à l’égal des hommes, prison, torture et déportation. Les condamnées
à mort seront exécutées en Allemagne.
Comment analysez-vous le fait
qu’elles ont été les grandes oubliées de notre récit national. Par exemple, il
n’y a que six femmes parmi les 1038 compagnons de la Libération.
En effet, les résistantes ont été
peu récompensées. Six femmes Compagnons de la Libération sur 1038, c’est
vraiment très peu. Pour la Croix de la Résistance, 10 % sont données à des
femmes, et ainsi de suite. La Nation a eu du mal à leur octroyer des
décorations, si tenté qu’elles les aient demandées ou qu’on ait pensé à leur
donner. Souvent ce sont les maris, les chefs de famille, les pères qui ont été
récompensés, alors que les épouses, les sœurs et les filles se sont elles aussi
engagées. On les a laissées combattre, pas décider….
Est-ce que vous constatez une
évolution surtout depuis la panthéonisation de Germaine Tillion et Geneviève de
Gaulle-Anthonioz en 2015 ? Et si oui de quelle manière ?
L’entrée au Panthéon de Germaine Tillion et de Geneviève de Gaulle se déroule en 2015, celle de Jean Moulin en 1964. Il était temps. Je note au passage qu’au nom de la parité, on a fait entrer deux hommes, Pierre Brossolette et Jean Zay, qui certes avaient leur place au Panthéon, mais pourquoi ensemble ? De plus en plus, grâce aux études du genre, on prend en compte la présence et le rôle des femmes dans l’histoire de la Résistance. De même, je suis frappée par la mémoire très vive dans les régions, les villes ou les villages, à travers les musées de la résistance, de la curiosité des jeunes générations pour ce que les femmes ont accompli pendant la deuxième guerre mondiale. C’est très encourageant !
Les éditions des Syrtes
poursuivent la publication des œuvres de Demidov
Moins connu qu’Alexandre
Soljenitsyne et Varlam Charlamov dont il fut l’ami, Gueorgui Demidov peut être
considéré comme l’une des grandes voix littéraires du goulag. La parution de ce
deuxième opus de ses œuvres, après un premier en 2021, devrait certainement
contribuer à l’inscrire durablement dans la littérature mondiale.
Né à Saint Pétersbourg, Gueorgi Demidov
(1909-1988) fut, à l’instar d’un Soljenitsyne et plus tard d’un Sakharov,
physicien de formation, proche de Lev Landau, futur prix Nobel de physique. Condamné
sur la base du fameux article 58 du code pénal pour activités
contre-révolutionnaires dans le contexte des grandes purges touchant notamment
les chercheurs, Demidov fut envoyé à la Kolyma en 1938. Il y passa quatorze ans
et consigna son expérience dans de nombreux écrits qui restent encore
aujourd’hui pour la plupart inédits. Pendant longtemps, tout le monde, y
compris Demidov, les pensa perdus, confisqués par le KGB. Mais à l’occasion de
la perestroïka, après la mort de Demidov, ses écrits ressurgirent. Aujourd’hui,
ces cinq nouveaux récits centrés autour de la thématique de l’amour permettent
un peu plus de cerner l’œuvre de celui qui compara le goulag à un « Auschwitz
sans les chambres à gaz ».
Varlam Chalamov eut une profonde
admiration pour Demidov qu’il côtoya dans les camps.L’auteur des Récits
de la Kolyma (Verdier, 2003) disait que « c’était l’homme le plus
intelligent et le plus intègre qu’il ait rencontré ». Demidov mit
cette intégrité au service de son écriture afin de sortir des schèmes du
goulag, afin de garder en toute circonstance une totale objectivité, ce qui est
déjà en soi un miracle. Cela se ressent dans sa galerie de personnages où ces
derniers sont d’abord des zeks avant d’être des truands ou des professeurs.
Dire cela est profondément transgressif puisqu’il prend le système totalitaire
à son propre jeu en remettant en sorte « à zéro » le statut social de
l’individu pour lui donner un nouveau départ. L’écriture de Demidov se veut
ainsi profondément égalitaire.
Ce deuxième volume d’une œuvre
que les Syrtes ont entrepris de traduire intégralement s’aventure, à travers
une galerie de personnages qui lui permet de cerner les différentes facettes du
goulag, sur les voies de l’amour, celui qui peut exister dans un univers où
l’humanité n’existe plus, celui qui se veut fugace, celui qui résiste à toute logique
comme chez cette étudiante éprise de son professeur qui décide de l’accompagner
dans sa relégation (La décembriste).
Ici l’amour est une sorte de juge
de paix. Il se rencontre parfois, dans cet univers hors du temps, là où on ne
l’attend pas, comme dans les larmes des yeux bleus d’une criminelle, en
l’occurrence la magnifique et bien-nommée Ninka Verse-ta-larme (La chevalière).
Avec Demidov, les criminels sont des détenus comme les autres, moins coupables
à ses yeux que ceux qui décident de leur sort.
Si « Demidov réhabilite
la passion comme principale ressource du récit » écrivent Luba
Jurgenson, universitaire et grande spécialiste de Chalamov et Nicolas Werth,
président de la section française de l’association Memorial et chroniqueur au
Monde des livres, l’écrivain place avant tout l’amour en repère de vie dans cet
univers qui abolit les frontières sociales, psychologiques tout en redonnant un
sens à la vie de ces êtres privés d’humanitas tel que l’entendait Cicéron.
A la différence d’un Chalamov qui trempe sa plume dans les ténèbres de l’homme, celle de Demidov, au contraire, est porteuse d’espoir. Autant le noir de Chalamov est un granit poli par le vent sibérien et se veut inaltérable dans son fatalisme, autant celui de Demidov, avec l’humanisme qui le caractérise, est un noir qui brille d’un sombre éclat, réfléchi par une lumière mentale, ici en l’occurrence l’amour. C’est merveilleux et bouleversant à la fois.
Par Laurent Pfaadt
Gueorgui Demidov, L’amour derrière les barbelés, récits du goulag, éditions des Syrtes, 404 p.
A lire également : Doubar et autres récits du goulag, éditions des Syrtes, 288 p.
Le magnifique livre de Rebecca
Donner rappelle le rôle prépondérant que jouèrent les femmes dans les réseaux
de Résistance.
La mémoire de celles qui ont
combattu le nazisme renaît enfin de ses cendres. Mais pour cela, il a fallu
attendre plus de soixante-dix ans. La production éditoriale de ces dernières
années tente ainsi de réparer cette injustice si l’on en croit les récentes publications
(essais, romans, bande-dessinées) qui leur sont consacrées.
Dernière arrivée, Mildred,
l’histoire absolument magnifique de l’aïeule de Rebecca Donner, journaliste et
écrivaine canadienne. All the frequent troubles pour our days, du nom
d’un poème de Goethe, baptisé simplement Mildred en français et couronné
de multiples prix, arrive enfin en France. Il devrait rencontrer le même succès
qu’aux Etats-Unis tant ce petit bijou de narrative non-fiction est prenant. Le livre
raconte l’histoire de Mildred Harnack, universitaire américaine (elle est née
dans le Midwest) qui infiltra le Troisième Reich pour le compte des services
secrets soviétiques avant d’être trahie. Arrêtée par la Gestapo, elle fut
guillotinée le 16 février 1943.
Mais Mildred n’est pas
qu’une simple biographie. C’est un collage, presque à la manière des
surréalistes, un collage fait de rapports de police, de services secrets que
l’autrice est allée puiser dans les archives, de documents personnels,
familiaux comme ces lettres bouleversantes d’Arvid von Harnack, le grand amour
de Mildred, de cartes postales et de photos. Bâti comme un réseau de
résistance, le livre suit plusieurs fils : celui de Don, douze ans et
courrier de Mildred, « l’enfant au cartable bleu », que Mildred
aimait remplir de livres, celui de l’amour entre Arvid et Mildred ou celui de
l’Orchestre rouge que dirigea Arvid et Harro Schutze-Boysen dont la femme, Libertas
trahit Mildred « par égoïsme ». Et tous convergent vers
Mildred dont la figure hanta et hantera longtemps survivants et lecteurs. Arvid
von Harnack fut pendu quelques mois avant Mildred dont la condamnation fut
commuée en exécution par Hitler lui-même. Jusqu’à la fin, elle conserva la
lettre d’adieu d’Arvid : « Tu es dans mon cœur. Tu y seras
toujours. » Jusqu’à la fin, elle conserva le volume des poèmes de
Goethe que lui récitait Arvid et qui donne son titre au livre.
En ce mois de février 1943, la
guillotine était encore humide du sang de Mildred lorsque s’avancèrent Sophie
Scholl et son frère Hans. Le public connaît un peu mieux les chefs du réseau de
résistance catholique allemand de la Rose blanche grâce au film de Marc
Rothemund (2005). Le jeune public lui, peut à son tour redécouvrir cette femme dans
la très belle bande-dessinée de Jean-François Vivier, Beniamino Delvecchio et
Francesco Rizzato. Fer de lance de ce mouvement de résistance, Sophie Scholl, étudiante
de 21 ans à l’université de Munich distribua tracts appelant à lutter contre la
guerre, surtout après la défaite de Stalingrad, et le nazisme tandis qu’elle
inscrivait sur les murs de l’université des slogans hostiles à ce dernier. La
BD montre ainsi parfaitement les actions de Sophie et de son frère Hans,
l’angoisse du danger encouru ainsi que leur courage.
A l’autre bout de l’Europe, dans une
Varsovie occupée, écrasée se dressa Maria-Sabina Devrim durant l’insurrection
de 1944. Accompagnant L’insurgée de Varsovie de Jean-Pierre Pécau et
Dragan Paunovic, les auteurs de cette BD pleine de fougue, le lecteur plonge
dans la furie des combats qui opposèrent Antoni Chruściel, Marek Edelman et
Maria-Sabina Devrim et une Wehrmacht aidée des SS et des unités de police
(Gestapo, Kripo) dans ce combat de David contre Goliath.
En France, les femmes furent
également nombreuses à s’investir dans les réseaux de Résistance même si « les
résistantes ont été peu récompensées » estime Dominique Missika,
auteure d’un ouvrage de référence sur les résistantes (voir interview).
Derrière les Berty Albrecht, Lucie Aubrac, Geneviève de Gaulle-Anthonioz et
Marie-Madeleine Fourcade, une pléiade d’amazones s’activèrent contre les nazis.
Parmi elles Laure Moulin, sœur du mythique Jean et sujet du livre remarquable
de Thomas Rabino. Sortant cette figure de l’éclipse mémorielle qu’elle a
entretenue, l’auteur nous rappelle qu’elle fut, à l’instar d’un Daniel Cordier,
l’une de ces petites mains qui permirent au grand héros de remplir sa tâche
pour le général de Gaulle. Cette ancienne professeure d’anglais se fit également
l’ardente défenseuse à la fois de la mémoire de son frère – elle enquêta pour
découvrir le nom du traître de Caluire – mais également, d’une certaine
manière, de celle de ces femmes entrées en résistance.
Le roman, lui, n’est pas en reste
puisque plusieurs publications récentes ou à venir célèbrent le courage
d’héroïnes de la Résistance. Robert Harris, auteur de l’inoubliable Fatherland
et de romans adaptés par Roman Polanski revient avec V2 à ses premiers
amours en compagnie de Kay Caton-Walsh, officier de la Women’s Auxiliary Air
Force, cette force auxiliaire féminine dépendant de la RAF. Notre héroïne est
ainsi recrutée par le SOE, les services secrets britanniques, puis expédiée en
Belgique pour tenter de détruire le site de production des fameux V2, ces
missiles censés inverser en faveur du Reich, le cours de la guerre. Grâce à son
extraordinaire talent de conteur, Robert Harris nous parachute littéralement en
pleine Europe occupée au côté de Kay dans un palpitant mélange d’action et
d’espionnage. A savourer au coin du feu un bon cognac à la main.
En janvier paraîtra un roman tout
à fait singulier, Le mystère de la femme sans tête (Seuil) de la
journaliste Myriam Leroy, auteur d’Ariane (Points, 2019). Ce livre nous
emmène sur les traces d’une jeune femme communiste lettone, Marina Chafroff,
décapitée par les nazis après un meurtre et une tentative de meurtre sur deux
officiers nazis en plein Bruxelles. En remontant l’énigme de cette femme,
l’auteure relate ainsi l’histoire méconnue de la première femme condamnée à
mort et exécutée par les nazis en Belgique occupée tout en abordant l’un de ses
thèmes favoris, les violences faîtes aux femmes.
« Dès l’instant où vous aurez foi en vous-même, vous saurez comment vivre » écrivit Johann Wolfgang Goethe. Avec Mildred, Sophie, Maria, Laure et les autres, jamais cette phrase du grand poète allemand n’eut autant de sens.
Par Laurent Pfaadt
A lire :
Rebecca Donner, Mildred, éditions
Héloïse d’Ormesson, 528 p.
Jean-François Vivier, Beniamino
Delvecchio, Francesco Rizzato, La Rose Blanche, Des étudiants contre Hitler,
Plein vent, 48 p.
Jean-Pierre Pécau, Dragan
Paunovic, L’insurgée de Varsovie, coll. Histoire et destins, éditions Delcourt,
60 p.
Qui est Hjalmar Schacht, le fameux banquier du Reich, l’homme qui a permis de financer la guerre d’Adolf Hitler jusqu’à l’absurde, jusqu’à la folie ? Pour le savoir, rien de mieux que d’entrer dans cette superbe bande-dessinée, belle réussite tant scénaristiquement qu’esthétiquement et signée Cyrille Ternon, auteur entre autres de La Conjuration des vengeurs (Glénat) et ses deux scénaristes, Pierre Boisserie et Philippe Guillaume.
Assez astucieusement, la BD
avance sur deux fronts en se servant d’un fil rouge, celui d’un agent du Mossad
interpellant Schacht dans un avion reliant Calcutta à Rome. L’Israélien
souhaite avoir des informations sur Rolf Lübke qui fut le secrétaire de Schacht
lorsque ce dernier était président à vie de la Reichsbank. Tout en se demandant
ce qu’est devenu Lübke, personnage fictif marié avec une femme juive et dont
les enfants sont également juifs, les auteurs déploient par flashbacks la vie
de Hjalmar Schacht.
Economiste de renom, Schacht fut
nommé en 1923 à la tête d’une Reichsbank qui tentait de faire face aux
conditions exorbitantes des Alliés et d’un traité de Versailles imposé à
l’Allemagne en 1919. Schacht élabora des solutions économiques viables mais
subit l’intransigeance et le mépris d’une France bien décidée à faire payer
l’Allemagne. La crise de 1929 et l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933 qu’il
critiqua ruinèrent ses efforts. En s’aventurant avec brio dans l’intimité de
leur personnage, les auteurs montrent que l’ambition et la vanité de Schacht
poussèrent ce dernier à soutenir un Hitler bien décidé à orienter l’économie
allemande vers un réarmement, prélude à la guerre. Schacht, devenu ministre
d’Etat, s’opposa cependant à cette stratégie et se vit bientôt démis de ses
fonctions.
Les scènes historiques, en
particulier les entrevues avec Hitler, sont parfaitement réussies car nourries
de recherches iconographiques qui crédibilisent l’histoire. Il y a même parfois
un petit côté Blake et Mortimer dans le traitement des villes et des
automobiles. Les auteurs réussissent également à allier sérieux historique et
pédagogie lorsqu’il s’agit d’expliciter les mécanismes économiques. Le
scénario, lui, ne pâtit d’aucune faiblesse. Dès que le récit biographique
semble s’étirer, il bascule dans la quête de Rolf Lübke. Pour connaître la fin
de cette énigme, le lecteur doit alors patienter jusqu’aux dernières pages.
Entre-temps, Schacht tenta de comploter contre Hitler avant de comparaître
devant le tribunal de Nuremberg qui l’acquitta, non loin d’un Goering qui le
détestait cordialement.
Le banquier du Reich est une indéniable réussite. En mêlant avec talent, récit fictionnel et sérieux historique, rythme narratif et qualité du dessin, il permet de rendre intelligible à la fois un personnage complexe et la réalité économique de l’Allemagne durant la première moitié du 20e siècle. Le tout en assurant un incroyable plaisir de lecture.
Par Laurent Pfaadt
Cyrille Ternon, Pierre Boisserie, Philippe Guillaume, Le banquier du Reich coffret 2 tomes, Glénat
A l’issue des matchs de groupes qui ont vu surprises et confirmations, hauts-le-cœurs et soupirs, espoirs et résignations, voici venu le temps des matchs à éliminations directes avec leurs lots de prolongations et de tirs (aux buts !). Légendes immortelles (Ronaldo, Messi, Modric) ou en devenir (Mbappé, Foden, Pedri, Vinicius), nul doute qu’elles continueront d’inspirer les écrivains. Dans cette quinzaine qui nous conduira jusqu’à la finale, Hebdoscope poursuit son exploration des travées littéraires et autres couloirs de librairies avec cette nouvelle sélection d’étoiles de papier.
Luigi Carletti, Six femmes au foot Liana Levi, 2013
L’Italie est la grande absente de
cette coupe du monde. Si les tifosis milanaises n’auront d’yeux que pour
Olivier Giroud ou Lautaro Martinez, celles venues au stade San Siro dans le
roman de Luigi Carletti ont un autre compte à régler que la couleur du maillot.
Celui d’un homme qui doit assister au derby milanais. Entre défense d’un
honneur bafoué, contre-attaques ravageuses et bottes secrètes, ce thriller ne
vous laissera aucun repos. Dans l’enceinte du stade du Milan AC et de l’Inter
Milan sont réunies tous les problèmes et les maux de l’Italie contemporaine. Le
foot n’est ici que le concentré d’une société à la dérive. Sous les clameurs de
la foule en délire, personne ne vous entendra crier.
Le 12e homme est une
femme.
Yamina Benhamed Daho, Poule D Gallimard/l’Arbalète, 2014
Si vous croyez que la place des
femmes est en tribune alors lisez Poule D ! Ce joyeux roman raconte
l’histoire de Mina qui, à trente-deux ans, décide d’apprendre le foot dans un
club de banlieue parisienne. Là-bas, elle fait la connaissance d’autres filles
venues de milieux et d’horizons divers. Mina se prête vite au jeu mais, en
spectatrice avertie, elle déchante rapidement. Si le ton est truculent à
souhait, celui-ci cache en réalité une profonde réflexion sur comment le foot,
sport le plus populaire du monde, affecte notre psyché. Ce livre qui a remporté
le prix littéraire des lycéens, apprentis et stagiaires d’Île-de-France en 2016
montre que le football est un creuset du vivre-ensemble. Mais Yamina Benhamed
Daho pointe surtout du doigt avec son regard neuf et décentré de femme, les
petites mesquineries du football amateur où le plaisir et la passion ont cédé
la place à un calque de la vie.
Dédoublement fatal.
Nick Hornby, Carton jaune 10/18, 2010
Il fut une époque où l’Emirates
Stadium pas n’existait et où les Gunners, les joueurs d’Arsenal, le plus
frenchy des clubs de Londres, jouaient à quelques centaines de mètres de là,
dans leur antre d’Highbury. Ils drainaient alors des fans par dizaines de
milliers qui, de génération en génération, se transmettaient la passion des
hommes en rouge et blanc. L’écrivain britannique Nick Hornby fut de ceux-là.
Dans cette autobiographie qui dépasse de loin les strictes limites du terrain pour
s’aventurer dans les vies privées des supporters et en premier lieu du
narrateur, Nick Hornby raconte avec délice le rapport que chaque fan entretient
avec le foot et comment il vit avec. Car en plus d’être une religion, le foot peut
être une drogue. Douce bien évidemment.
Dopage littéraire assuré.
Luis Sepulveda, Ingrédients pour une vie de passions formidables Métailié, 2014
Comme Lionel Messi, il fut lui aussi,
dans son Chili voisin, un petit garçon qui rêvait de football, ce sport aux airs
de religion avec comme premier supporter le pape François. Ce petit garçon,
Luis Sepulveda, auteur de l’un des gestes techniques littéraires les plus beaux
du monde, Le Vieux qui lisait des romans d’amour (Métailié, 1992) et
disparu en 2020, raconte ainsi dans ce livre pétillant comment la passion du
football a nourri ses rêves d’enfants notamment lors de la coupe du monde 1962
chez lui, au Chili, où l’équipe nationale portée par tout un peuple, atteignit
les demi-finales avant d’être vaincue par le Brésil des Garrincha et Vava. Le
football a ainsi conduit Sepulveda vers ses premiers amours puis vers la poésie
et la littérature. Le Chili a peut-être perdu une star du football mais a gagné
un grand écrivain tandis que de l’autre côté des Andes, un autre poète du
ballon rond, argentin celui-là, s’apprête à tirer sa révérence.
Deux artistes du ballon rond.
Yōichi Takahashi, Captain Tsubasa Nobi-Nobi
Habitué aux 8e de
finale depuis vingt ans, la présence du Japon à ce stade est une demi-surprise.
Après que Goethe puis Cervantes se sont fait hara-kiri face à la sélection
nippone, celle-ci peut compter sur des milliers de Japonais pour les pousser le
plus loin possible. Des jeunes et moins jeunes qui ont été nourris par Captain
Tsubasa que l’on connaît en France sous le nom d’Olive et Tom, un manga devenu
un dessin animé et un jeu vidéo à succès. Cette histoire composée de 37 volumes
et publiée entre 1981 et 1988 raconte l’ascension d’un jeune garçon, Tsubasa
Ozora (Olive Atton), lancé dans son rêve de gagner la coupe du monde pour le
Japon. Ses matchs contre d’autres écoles et notamment celle de Kojirō Hyūga, le
fameux Mark Landers, tinrent ainsi en haleine des milliers de jeunes lecteurs
et téléspectateurs.
En 2000, Yōichi Takahashi dessina
Captain Tsubasa – Millenium Dream où il imaginait une finale Japon-Brésil en
finale des JO de Sydney. Les héros de sa série jouaient alors aux côtés d’Hidetoshi
Nakata et Shinji Ono, les stars de l’époque.
« Ils sont venus pour
gagner ! » comme le dit la chanson
Eduardo Galeano, le football, ombre et lumière Lux, 2014
Avec un nom porté par des
footballeurs argentin, brésilien, paraguayen et colombien, que vous êtes une
Copa America à vous tout seul, pas étonnant que l’écrivain uruguayen Eduardo
Galeano, auteur de l’inoubliable Veines ouvertes de l’Amérique latine
(Lux, 2014) et mort en 2015, s’est senti inconsciemment obligé d’écrire sur le
sport-roi. Mais avec lui, pas de simulations, ni de feintes. Son écriture nous
emmène avec cet essai passionnant dans ses plus beaux souvenirs de football
mais surtout dans ses rêves brisés par le pouvoir de l’argent.
Avec cet Uruguayen, la
littérature est à l’image du football de son pays. Rugueux et sans concession.
Raymond Reding, Françoise Hugues, Eric Castel, Novedi puis Dupuis
Bien avant Ousmane Dembélé et Jules Koundé, d’autres Français se sont imposés dans l’équipe du FC Barcelone. Parmi eux, Eric Castel, héros de la bande-dessinée créé par Raymond Reding (1920-1999) en 1979 pour le magazine Super As. Transféré de l’Inter Milan où il ne joue plus, Eric Castel arrive au Barça. Là-bas, dans l’antre du camp Nou, il va faire triompher le club catalan en marquant but sur but. Le dessin de Reding et les couleurs de Françoise Hugues s’inscrivent dans cette tradition franco-belge qui a également donné le Michel Vaillant d’un Jean Graton dont Reding fut l’ami. Les amoureux du foot retrouveront les joutes sportives de ces années 80 où triomphaient alors de grands clubs quelque peu oubliés aujourd’hui comme le RSC Anderlecht ou le FC Cologne. Mais à travers l’amitié de Castel et de Pablito Vera et ses copains, les Pablitos, une bande de gamins fans de foot, cette BD est une formidable ode au football comme générateur de rêves d’enfants.
Grâce à l’invitation de Pôle Sud et du Maillon, Bruno Beltrao avec les danseurs de sa compagnie « Grupo de Rua » nous emmène au Brésil, un Brésil qui vient tout juste de sortir d’une période sombre avec l’extrême- droite au pouvoir. C’est durant ce temps de paralysie du pays et des restrictions des libertés que le chorégraphe a élaboré cette pièce qui traduit un véritable esprit de résistance.
Danseurs, performers hors pair venus du Brésil et témoignant
dans cette danse d’un véritable engagement.
Le plateau est leur territoire, vaste comme leur pays parfois plongé dans la pénombre (lumières Renato Machado). Ce n’est pas seulement le lieu de leur prestation mais celui où en solo, duo, ensemble ils en font le lieu des confrontations, des heurts, des étreintes, le lieu où les corps s’expriment de mille façons par la virtuosité, les gestes extrêmes, bras et jambes au maximum de leur extension, de leur tension, marche avec le corps renversé et à la limite d’un déséquilibre toujours maîtrisé. Impressionnante, la rapidité avec laquelle ils surgissent dans cet espace qu’ils traversent parfois à grandes enjambées et donnent lieu à des course folles.
C’est le heurt des corps propulsés les uns vers les autres,
qui s’attendent, se cherchent, se bousculent, s’agrippent par le cou, les
cheveux, s’empoignent avec vigueur. Ils peuvent sauter, tournoyer, s’affaler au
gré des circonstances dont ils possèdent la clé qui nous échappe souvent mais
que l’on devine proche de leur vécu ou de celui dont ils veulent évoquer les
moments difficiles dans ces Favelas bien connues pour être des lieux de
violence sans concession qui exigent du courage, de l’énergie pour survivre au
milieu des surveillances policières, des rivalités entre bandes de trafiquants
prêts à s’entretuer.
Dans ces costumes blancs pour les uns, noirs pour les autres, une seule danseuse apparaîtra en rouge, toujours bien adaptés à leur silhouette et permettant la liberté de mouvement dont ils font grand usage dans cette prestation(costumes Marcelo Sommer) les danseurs, Wallyson Amorim, Camila Dias, Renann Fontoura, Eduardo Hermanson, Alci Junior, Silvia Kamyla, Samuel Duarte, Leonardo Laureano, AntonioCarlos Silva, Leandro Rodrigues, se lancent et s’élancent dans cette chorégraphie qui mêle le hip hop réinterprété par Beltraoe et la danse contemporaine pour créer une œuvre d’art vivante et pas muséal, hors des sentiers battus, avec l’apport de la bande son bruitiste bien évocatrice d’une ambiance urbaine de circonstance et de la musique signée Lucas Mercier/ARPX ,Jonathan Uliel, Saldanha, Ryoji Ikeda.
La liberté des corps pour déjouer l’oppression, mettre toute son énergie, sa virtuosité à jouer la violence pour la dénoncer, tel est le sens de cette chorégraphie que nous avons ressentie comme un manifeste particulièrement pertinent au vu de l’actualité .