Un sentiment de vie

C’est un très beau texte de Claudine Galea magistralement interprété par une grande comédienne Valérie Dréville, toutes deux artistes associées au TNS, toutes deux bien connues et appréciées de son public et remarquablement mis en scène par Emilie Charriot connue pour sa mise en scène de « King Kong Théorie » de Virginie Despentes et « Passion simple «  D’Annie Ernaux.


 Claudine Galea est une autrice prolixe qui a publié des romans, des texte de théâtre, des albums jeunesse et reçu de nombreux prix. Autrice sensible, nous nous rappelons de sa pièce « Au bord » en 2021, mise en scène par Stanislas Nordey qui évoquait la photo d’une soldate américaine tenant en laisse un prisonnier irakien. Un moment de théâtre très fort.

Dans « Un sentiment de vie » Claudine Galea revient sur son histoire personnelle, évoquant de façon juste et sensible l’amour qu’elle portait à son père. Se souvenir de ceux qu’on a aimés et qui nous ont aimés, ce qui ne s’est pas toujours clairement exprimé et occasionne, c’est bien connu, le regret de ne pas avoir plus nettement montré ses sentiments.

Le « trop tard » cherche alors à s’extérioriser. L’écriture en constitue souvent un des moyens, elle sait porter ce ressenti à jamais disparu mais quelque part toujours présent, enfoui voulant aller vers la lumière.

Claudine Galea a beaucoup aimé son père et presque pourrait-on dire en suivant ses propos, détesté sa mère. Pour revenir sur cet amour elle prend des chemins de traverse, ceux que l’écriture lui permet. Et la voilà qui commence par passer par Falk, Falk Richter, comme elle auteur associé au TNS, venu à plusieurs reprises y présenter ses pièces. Ainsi s’y sont-ils croisés.

Un texte de lui l’a particulièrement marquée, celui intitulé « My secret garden » dans lequel il parle de son père qui, durant la guerre n’était pas du « bon côté ». Quelque chose de similaire est inscrit dans sa vie puisque son père à elle, ancien militaire né en Algérie comme son père et son grand-père n’était pas pour l’indépendance, contrairement à sa mère communiste, anticolonialiste qui la soutenait. Grand différend entre ces deux êtres dont elle est issue, dans cette famille qui se disait « normale » où l’on parlait plus facilement de politique que d’amour, où les garçons ne pleuraient pas, mais où les filles le pouvaient. La grande histoire et la petite entremêlées.

Ecrire sur son père, une sorte de nécessité qui la bouleverse car c’est un peu emprunter son corps, opérer une forme de transmutation qui permet de se rapprocher au plus près de celui qu’on voudrait encore saisir, avec lequel on désire encore et toujours une vraie proximité mais que la mort a emporté.

UN très grand moment dans cette évocation des souvenirs est celui de leurs déplacements en voiture. Quand elle était enfant ils chantaient alors « Noël blanc » préféré à « Petit papa Noël » et puis lorsqu’il a été atteint par un cancer, il lui fait remarquer que c’est elle maintenant qui le conduit. En route pour l’hôpital où il doit subir une opération des dents et du palais, ils écoutent « la voix », celle de Frank Sinatra qu’il a toujours adoré et dont maintenant il ne pourra plus siffler les airs comme il le faisait si souvent.

Parce que la vie n’a rien d’autre que la vie ce monologue s’achève en un long poème qui rappelle ces nombreux artistes qui, s’ils sont partis volontairement ont témoigné jusqu’à l’extrême de ce «  sentiment de vie » qui les hantait  et les conduisait  « à la recherche des rêves perdus » et qui nous » ont laissé des œuvres mémorables. Nombreux seront cités, Virginia Woolf,, Sarah Kane  entre autres et Lenz qui, selon l’autrice en constitue l’exemple même , lui qui, dit-elle. « Traverse la neige pour parler à quelqu’un » lui qui l’incite à écrire « Ecris avec Lenz avec le trop avec l’excès de Lenz » dit-elle.

Nous donner à connaître tout cela sans pathos, sur le ton de la confidence, de la révélation vivante, exige de la part de la comédienne une grande maîtrise de ses attitudes, juste quelques allées et venues sur le plateau parfaitement nu, habillée très simplement d’un pantalon et d’un pull (Emile Loiseau) et de sa voix parfois très discrète parfois teintée d’émotion entre des silences habités de souvenirs. Un simple sourire, le regard posé sur nous qui sommes restés dans la lumière (Edouard Hugli ) pour être au plus proche de ses paroles. Tant d’authenticité nous touche profondément.

Marie-Francoise Grislin

Représentation du 17 janvier TNS

En salle jusqu’au 27 janvier 2023