Seuls dans Berlin

Le journaliste et écrivain allemand raconte l’arrivée des nazis à travers les destins d’intellectuels allemands. Passionnant.

Avant 1933, ils constituèrent la fierté de l’Allemagne, portant, en dignes héritiers du grand Goethe, la culture allemande à des sommets. Après 1933, leurs livres furent brûlés sur d’immenses autodafés qui allaient se propager à l’ensemble de l’Europe. Ils s’appelaient Berthold Brecht, Thomas Mann, Erich Maria Remarque, Hans Fallada et bien d’autres.


C’est cette histoire, une histoire d’écrivains qui a fini par se confondre avec celle de tout un peuple que nous raconte Uwe Wittstock dans ce livre passionnant. En suivant les chemins de ces écrivains, journalistes et intellectuels, l’écrivaine nous raconte cette Allemagne qui s’est donnée au Führer, de cette Allemagne qui a poussé ses plus brillants esprits à l’exil et à la mort.

C’est cette histoire, une histoire d’écrivains qui a fini par se confondre avec celle de tout un peuple que nous raconte Uwe Wittstock dans ce livre passionnant. En suivant les chemins de ces écrivains, journalistes et intellectuels, l’écrivain nous raconte cette Allemagne qui s’est donnée au Führer, de cette Allemagne qui a poussé ses plus brillants esprits à l’exil et à la mort.

Du 28 janvier au 15 mars 1933, Uwe Wittstock nous entraîne ainsi dans ce cyclone infernal qui ravagea l’Allemagne. Quelques jours avant le fameux 30 janvier, ce « règne de l’enfer », les journaux antinazis comme la Weltbühne de Carl von Ossietzky ou le Berliner Tagesblatt de Theodore Wolff, plus libéral, pressentent le pire. Déjà, les premiers écrivains, sans attendre, quittent Berlin. C’est le cas d’Erich Maria Remarque, écrivain pacifiste honni par Hitler après son roman culte A l’ouest rien de nouveau publié en 1929, qui traverse la frontière suisse, le 29 janvier. D’autres, malgré les menaces et le danger, persistent à vouloir rester et témoigner. Gabriele Tergit, grande chroniqueuse judiciaire et Carl von Ossietzky, sont de ceux-là car ils souhaitent voir « l’histoire en marche ».

Uwe Wittstock, lui, est partout. Dans les rues, les salles de rédaction, les appartements. Avec ses airs de thriller haletant passant des officiels du nouveau régime aux intellectuels traqués, le livre avance dans une nuit noire, oppressante, éclairée par les flambeaux des SA qui viennent arrêter les ennemis du régime pour les jeter dans des prisons berlinoises vite saturées, ou par les lumières de cette gare d’Anhalt, dernière lueur d’espoir dans ce brouillard tombé sur le pays, cette gare devenue le lieu de départ de tous ceux comme Alfred Döblin qui se précipitent dans les trains pour fuir le nazisme. « Après le départ, il se place devant la fenêtre du couloir et observe les lumières de la ville qui glissent devant lui. Il les aime beaucoup. Combien de fois est-il arrivé ici, à la gare d’Anhalt, combien de fois a-t-il vu les mêmes lumières et a-t-il poussé un soupir de soulagement en constatant qu’il était enfin revenu chez lui. Berlin est la ville de sa vie. Voilà qu’il la quitte sans savoir s’il y reviendra jamais » écrit Uwe Wittstock. Dans les rues qui mène à la gare, peut-être Döblin croisa-t-il Ulrich Alexander Boschwitz, jeune écrivain dont le roman Le voyageur évoquera quelques années plus tard, ces autres Allemands, juifs comme Otto Silbermann, son héros, qui tentèrent par tous les moyens, de fuir ce pays qui n’est plus le leur. Qui errent dans cette nuit noire dans laquelle s’enfonce une démocratie allemande qui ne se réveillera que douze ans plus tard.

Nous connaissons tous cette histoire et pourtant, grâce au talent d’Uwe Wittstock, elle reprend vie aux côtés de ces hommes qui courent, traqués par les séides du régime bruns ou qui marchent, parfois sans le savoir comme la famille Mann, au bord de l’abîme. Le 28 février 1933 est promulgué le décret pour la protection du peuple et de l’Etat légalisant ainsi le régime répressif nazi. Quelques heures plus tôt, Carl von Ossietzky a été arrêté chez lui. Il a eu juste le temps de dire à sa femme Maud : « je reviens vite ». Déjà les premières pierres de Dachau, ce camp qui a capturé la nuit et le brouillard sont posées tandis que les autodafés s’allument pour détruire les œuvres de Brecht ou de Remarque. Gabriele Tergit qui souhaitait voir l’histoire en marche finit par partir le 5 mars pour éviter d’être broyée par cette dernière. Quant à Carl von Ossietzky, devenu prix Nobel de la paix, de prisons en hôpitaux, il succombera à une tuberculose en 1938. Quelques mois plus tard, dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, de nouveaux incendies ravageront synagogues et commerces juifs. La panique de Silbermann, le héros de Boschwitz, a gagné toute la ville. « Là où on brûle des livres, on finit par brûler des hommes » avait dit un siècle plus tôt Heinrich Heine, l’un des plus illustres écrivains allemands. Sans se douter que ce feu consumerait les plus grands génies à venir.

Du 28 janvier au 15 mars 1933, Uwe Wittstock nous entraîne ainsi dans ce cyclone infernal qui ravagea l’Allemagne. Quelques jours avant le fameux 30 janvier, ce « règne de l’enfer », les journaux antinazis comme la Weltbühne de Carl von Ossietzky ou le Berliner Tagesblatt de Theodore Wolff, plus libéral, pressentent le pire. Déjà, les premiers écrivains, sans attendre, quittent Berlin. C’est le cas d’Erich Maria Remarque, écrivain pacifiste honni par Hitler après son roman culte A l’ouest rien de nouveau publié en 1929, qui traverse la frontière suisse, le 29 janvier. D’autres, malgré les menaces et le danger, persistent à vouloir rester et témoigner. Gabriele Tergit, grande chroniqueuse judiciaire et Carl von Ossietzky, sont de ceux-là car ils souhaitent voir « l’histoire en marche ».

Uwe Wittstock, elle, est partout. Dans les rues, les salles de rédaction, les appartements. Avec ses airs de thriller haletant passant des officiels du nouveau régime aux intellectuels traqués, le livre avance dans une nuit noire, oppressante, éclairée par les flambeaux des SA qui viennent arrêter les ennemis du régime pour les jeter dans des prisons berlinoises vite saturées, ou par les lumières de cette gare d’Anhalt, dernière lueur d’espoir dans ce brouillard tombé sur le pays, cette gare devenue le lieu de départ de tous ceux comme Alfred Döblin qui se précipitent dans les trains pour fuir le nazisme. « Après le départ, il se place devant la fenêtre du couloir et observe les lumières de la ville qui glissent devant lui. Il les aime beaucoup. Combien de fois est-il arrivé ici, à la gare d’Anhalt, combien de fois a-t-il vu les mêmes lumières et a-t-il poussé un soupir de soulagement en constatant qu’il était enfin revenu chez lui. Berlin est la ville de sa vie. Voilà qu’il la quitte sans savoir s’il y reviendra jamais » écrit Uwe Wittstock. Dans les rues qui mène à la gare, peut-être Döblin croisa-t-il Ulrich Alexander Boschwitz, jeune écrivain dont le roman Le voyageur évoquera quelques années plus tard, ces autres Allemands, juifs comme Otto Silbermann, son héros, qui tentèrent par tous les moyens, de fuir ce pays qui n’est plus le leur. Qui errent dans cette nuit noire dans laquelle s’enfonce une démocratie allemande qui ne se réveillera que douze ans plus tard.

Nous connaissons tous cette histoire et pourtant, grâce au talent d’Uwe Wittstock, elle reprend vie aux côtés de ces hommes qui courent, traqués par les séides du régime bruns ou qui marchent, parfois sans le savoir comme la famille Mann, au bord de l’abîme. Le 28 février 1933 est promulgué le décret pour la protection du peuple et de l’Etat légalisant ainsi le régime répressif nazi. Quelques heures plus tôt, Carl von Ossietzky a été arrêté chez lui. Il a eu juste le temps de dire à sa femme Maud : « je reviens vite ». Déjà les premières pierres de Dachau, ce camp qui a capturé la nuit et le brouillard sont posées tandis que les autodafés s’allument pour détruire les œuvres de Brecht ou de Remarque. Gabriele Tergit qui souhaitait voir l’histoire en marche finit par partir le 5 mars pour éviter d’être broyée par cette dernière. Quant à Carl von Ossietzky, devenu prix Nobel de la paix, de prisons en hôpitaux, il succombera à une tuberculose en 1938. Quelques mois plus tard, dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, de nouveaux incendies ravageront synagogues et commerces juifs. La panique de Silbermann, le héros de Boschwitz, a gagné toute la ville. « Là où on brûle des livres, on finit par brûler des hommes » avait dit un siècle plus tôt Heinrich Heine, l’un des plus illustres écrivains allemands. Sans se douter que ce feu consumerait les plus grands génies à venir.

Par Laurent Pfaadt

Uwe Wittstock, Février 1933, l’hiver de la littérature, trad. Olivier Mannoni
Chez Grasset, 448 p.

A lire également : Ulrich Alexander Boschwitz, Le voyageur,
trad. Daniel Mirsky
Le Livre de Poche, 336 p.

Le bal des pyromanes

Il y a 90 ans les nazis arrivaient au pouvoir. Un anniversaire en forme d’avertissement

Un enfant se réveillant d’un cauchemar en pleine nuit. Au-dessus de son lit, à travers la fenêtre, dansent les flammes ravageant le Reichstag. Nous sommes dans la nuit du 27 au 28 février 1933, quelques semaines après l’arrivée démocratique des nazis au pouvoir et cet enfant n’est autre que le fils de l’ambassadeur de France à Berlin, André-François Poncet. Pour comprendre cet évènement, il convient de revenir près d’un an en arrière, le 1er juin 1932 exactement. Ce jour-là, le chancelier Heinrich Brüning vient de démissionner après avoir interdit les SA et les SS, ces groupes paramilitaires du parti nazi d’Adolf Hitler.


Hitler et Hindenbourg
© Getty Images

On ne le rappelle jamais assez mais Hitler est arrivé au pouvoir démocratiquement, nommé par le vieux président Hindenburg. Dans une Allemagne écrasée par le traité de Versailles et terrassée par la crise économique de 1929 qui a vu passer en dix-huit mois le nombre de chômeurs de 3,5 à 6 millions, le parti hitlérien a gagné les cœurs. En 1928, il totalisait 2,6% des voix. Aux élections du 31 juillet 1932, le parti qui compte alors 1,5 millions d’adhérents a atteint 37,3% des voix. Entre-temps, Hitler a été défait par le maréchal Hindenburg à l’élection présidentielle mais n’a pas renoncé à s’emparer du pouvoir.

Dans l’ombre du vieux maréchal, deux hommes complotent alors : Kurt von Schleicher et Franz von Papen. Tous deux vont servir de marchepieds à Hitler en le sous-estimant, en pensant pouvoir utiliser les idées nationalistes du tribun nazi à leur profit. Von Papen est nommé chancelier le 1er juin 1932 tandis que von Schleicher, deus ex machina du vieux président, occupe le poste de ministre de la Défense et tente de convaincre Hitler d’accepter le poste de vice-chancelier. Mais ce dernier, flairant le piège, refuse. « Hitler avait refusé une participation au gouvernement, mais accepté de tolérer un cabinet présidentiel réorienté à droite, et négocié en contrepartie la promesse qu’on organiserait de nouvelles élections au Reichstag et qu’on lèverait l’interdiction de la SA et de la SS. Hitler pouvait être heureux de cet arrangement : sans s’engager fermement, il avait gardé tous les atouts en main » écrit ainsi Volker Ullrich dans sa monumentale biographie d’Adolf Hitler et qui publiera en mars 8 jours en mai, la dernière semaine du Reich, récit enlevé des derniers jours du régime nazi (Passés composés).

Nazis et communistes œuvrent alors pour détruire le régime tandis que dans la rue, les violences redoublent. Les élections se succèdent sans parvenir à résoudre les crises politiques et économiques. Les électeurs sont fatigués tandis que dans les arcanes du pouvoir, les manœuvres se poursuivent précipitant l’Allemagne dans l’abîme.

Cette stratégie du pire constitua le baiser de la mort à la République de Weimar. Von Schleicher n’y survivra pas, exécuté lors de la nuit des longs couteaux en 1934 tandis que Von Papen récoltera une infamie historique en étant jugé et acquitté lors du procès de Nuremberg en compagnie des principaux dirigeants nazis puis condamné à plusieurs années de travaux forcés par un tribunal de dénazification de l’Allemagne de l’Ouest.

Le 6 novembre 1932 se tiennent de nouvelles élections législatives. Le parti nazi, avec 250 députés et 34,1% est certes en recul, mais il demeure le premier parti d’Allemagne. « Hitler a perdu son pari, mais les nazis demeurent le premier parti de la Chambre. « Qui a gagné ? » se demande le Vossische Zeitung le mardi matin, pour en conclure que personne n’est sorti vainqueur de l’élection (…) La crise continue » écrit Paul Jankowski, historien américain qui revient sur cet hiver 1932-1933 qui changea la face du monde.

La machine infernale est pourtant bien lancée et rien de l’arrêtera. Après la crise économique, les manœuvres politiciennes achevant une République de Weimar à l’agonie et ce que Christian Baechler appela dans son livre éponyme, La trahison des élites (Passés composés, 2021) qui vient d’obtenir le prix Guizot de l’Académie française récompensant un ouvrage d’histoire générale, le fruit est mûr pour l’ancien caporal. Le 30 janvier 1933, Hindenburg se résout à appeler Hitler à la chancellerie. « Le vieillard est là, debout, appuyé sur sa canne, saisi par la puissance du phénomène qu’il a, lui-même, déclenché. A la fenêtre voisine, se tient Hitler, salué par un jaillissement d’acclamations, par une tempête de cris » relate alors André-François Poncet qui assista à la scène.

A cet instant, tout le monde pense que l’arrivée du Führer sera une expérience sans lendemain, un feu de paille qui malheureusement emportera le Reichstag, l’Allemagne et l’Europe entière. Les cendres du Parlement allemand sont encore chaudes lorsque les nazis se mettent à brûler les livres d’écrivains honnis tels que Brecht, Remarque ou Döblin tel que l’a magnifiquement raconté Uwe Wittstock dans son livre Février 1933 (Grasset, voir article Seuls dans Berlin). Aux livres succéderont les hommes. On connait la suite…

Par Laurent Pfaadt

Notre sélection :

André François-Poncet, Souvenirs d’une ambassade à Berlin, 1931-1938, Tempus, 480 p. 2018

Volker Ullrich, Adolf Hitler, une biographie. L’ascension, 1889-1939, Gallimard, 1232 p. 2017

Paul Jankovski, Tous contre tous, L’hiver 1933 et les origines de la Seconde Guerre mondiale, Passés composés, 384 p. 2022

Christian Baechler, La trahison des élites allemandes, Essai sur le rôle de la bourgeoisie culturelle (1770-1945), Passés composés, 648 p. 2021

Jean-Paul Bled, Hindenburg, l’homme qui a conduit Hitler au pouvoir, Tallandier, 336 p. 2020

Benjamin Carter Hett, Comment meurt une démocratie, la fin de la République de Weimar et l’ascension d’Hitler, L’Artilleur, 512 p. 2022 

Voir mon article : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/comment-meurt-une-democratie/

Harlem Shuffle

Poursuivant son écriture de l’histoire afro-américaine qu’il décline selon des formes narratives différentes, le double prix Pulitzer, Colson Whitehead plonge avec son nouveau roman dans l’encrier noir d’un Chester Himes pour nous livrer cette nouvelle histoire passionnante.


Terminés les champs de coton de la Géorgie ou les maisons de correction de Floride. Colson Whitehead est de retour chez lui, à New York et plus précisément à Harlem où il vécut jusqu’à l’âge de 6 ans avant de descendre vers East village, ce quartier mal famé devenu bohème. Ray Carney, le héros de Harlem Shuffle rêve lui-aussi de quitter son quartier pour matérialiser ce changement social auquel il aspire.

Acheter pour lui et sa femme Elisabeth, issue de la bourgeoisie de Harlem, un bel appartement, symbolise cette frontière qu’il souhaite franchir. Mais nous sommes au début des années 60 et à cette époque, à Harlem, difficile d’échapper à son destin, surtout quand la couleur de votre peau vous le rappelle tous les jours. Alors Ray s’occupe de ses affaires, dans son magasin de meubles d’occasion où il revend des meubles volés. Il s’arrange avec la loi quand Elisabeth se bat pour la faire respecter et obtenir des droits pour les siens. Et puis, il y a Freddie, ce cousin voyou, le mauvais génie de Ray qui le ramène toujours du mauvais côté de la frontière, et surtout dans cet hôtel Theresa, objet de toutes les convoitises.

En compagnie de Colson Whitehead, le lecteur s’installe avec ce nouveau roman dans une loge de cette opérette tragi-comique haute en couleurs et en rebondissements où se côtoient harlequins et banquiers corrompus et où résonnent airs échappés de l’Apollo Theater et magouilles en tout genre

Que le lecteur s’installe confortablement car le spectacle ne fait que commencer…

Par Laurent Pfaadt

Colson Whitehead, Harlem Shuffle,
Chez Albin Michel, 419 p
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Odile et l’eau

Texte et interprétation Anne Brochet au TNS

Tenir un journal de piscine, voilà le défi que l’actrice et autrice Anne Brochet s’est lancé à elle-même et qu’elle a relevé en prenant consciencieusement  des notes durant  ces nombreux passages dans une banale piscine municipale.


Avec la complicité de la chorégraphe Joëlle Bouvier elle en monte un spectacle qui a tout pour plaire, une leçon aquatique d’existentialisme.

Du décor au jeu, rien que du raffiné, du pertinent, du ludique, autant dire une parenthèse enchantée, lumineuse pour rompre avec la grisaille du temps hivernal et le sombre quotidien de l’actualité.

Magnifique présence du corps, glissant, nageant, rêvant, observant, avec malice ceux qui fréquentent ce milieu particulier, la piscine avec ses obligations, ses rituels, ses plaisirs, ce qu’elle apporte de contentement et d’évasion.

Tout cela est dit, montré, mimé en parfaite connivence avec le public qui assiste, amusé, à ces ébats et ne peut que ressentir une empathie non dissimulée à l’égard de ce personnage songeur, plein de vigueur et de finesse.

Avec la collaboration de Joëlle Bouvier, Anne Brochet a choisi de donner beaucoup d’expressivité à son jeu et offre une étude fouillée, précise de la gestuelle d’une nageuse. La grâce, l’élégance qu’elle confère à ses mouvements les apparentent à ceux d’une danseuse, quelque peu excentrique malgré tout, avec parfois ses palmes au pied, son bonnet, ses lunettes de plongée mais toujours revêtue de ses très beaux maillots de bain dessinés par Anne Autran, et puis, épisodiquement, avec sa queue de petite sirène quand son imagination l’entraîne à se prendre pour elle.

La prestation est d’autant plus fascinante qu’elle se déroule dans un lieu où les objets typiques de l’univers des piscines, échelle métallique, plots de plongée, bouée semblent disposés de façon aléatoire à côté d’un grand rectangle bleu sur lequel la lumière changeante dessine comme les méandres de l’eau. Autant d’éléments qui soulignent ce que la scénographie présente de magique, avec son écran en forme de vague pour surfeur sur lequel de magnifiques images de mer, d’animaux marins seront projetées en adéquation avec les déplacements de la nageuse qui semble participer à cette vie multiple et foisonnante dont les myriades de protozoaires en constituent le plus bel exemple.

Tout au long du spectacle, à l’instar de la nageuse on découvre combien l’eau est révélatrice de souvenirs, de désirs jusque-là à peine conscientisés. Et l’on rencontre cette femme esseulée depuis que ses enfants devenus adultes sont partis, que sa mère est décédée, que son amoureux, Nicolas l’a quittée. Quelque peu désœuvrée, certes, mais avec des projets comme celui d’aller voir les piscines de Californie ou de s’amouracher là-bas d’un bel Indien. Drôle et réconfortant.

Ce « seul en scène » est un spectacle sensible, harmonieux, une perle d’eau douce à conserver parmi nos souvenirs des moments heureux de théâtre.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 2 février

En salle jusqu’au 10 février