Société en chantier

C’est dans le cadre d’un « temps fort » proposé  du 18 mars au 2 avril autour du thème « Le monde du travail aujourd’hui » que Le Maillon nous a proposé des spectacles qui feront date .


Avec Stefan Kaegi et Rimini Protokoll à l’affiche on sait qu’on va vers l’aventure, vers l’originalité et l’intelligence et cela nous plaît et cela nous tente, bien sûr. D’avoir été emmenés dans les différents lieux signifiants de ce périple destiné à nous immerger dans le monde de l’entreprise nous a autant intrigués que secoués.

Tout a commencé, en ce qui  concerne le groupe  d’une dizaine  de personnes auquel j’appartenais, par l’intervention de l’entomologiste qui, s’appuyant sur des photos et des dessins, nous a fait pénétrer dans le monde des fourmis pour montrer comment  ces petites bêtes mettaient en œuvre pour vivre, une remarquable organisation qui, comparée à celle des humains, paraît  plus rationnelle, plus efficace, on aurait envie de dire « mieux pensée » à tous les niveaux  qu’il s’agisse de la  construction  de l’habitat, de la recherche de nourriture, de la répartition des tâches… Une introduction pertinente au vu de la suite des autres  lieux  qui seront ensuite proposés.

Car, dans la grande salle du Maillon c’est une sorte de chantier qui a été reconstitué avec ses escaliers en fer, ses passerelles, ses estrades, ses chemins balisés, ses piles de briques et de panneaux d’agglomérés.  

Par groupes nous sommes invités à rencontrer des experts, entrepreneur, urbaniste, avocat, entre autres qui nous informent des différentes problématiques qui se posent lorsqu’il est question de mettre, en place ou de réaliser des transformations ou des constructions dans un lieu donné ou dans l’espace urbain.

Casques sur la tête, écouteurs sur les oreilles, nous nous transformons en visiteurs attentifs, consciencieux, prêts à encaisser leurs démonstrations, leurs explications.

Et nous sommes même sollicités à exécuter des travaux pratiques, ici, trimballer des briques ou des panneaux de bois, ailleurs, sous la conduite de l’ouvrière chinoise, faire et refaire les gestes de pelletage ou de forage avec le marteau-piqueur, plus loin enfermés dans un bureau nous sommes invités à choisir un projet d’investissement pour lequel on nous a donné de gros billets de banque(faux naturellement !)…

Ainsi sommes-nous autant spectateurs qu’acteurs. Les sujets les plus délicats, les plus complexes sont abordés comme les problèmes de corruption ou de malversation, de rapports de pouvoir, de rivalité ils sont rendus audibles et cet ensemble de situations nous conduit inévitablement à  cette prise de conscience politique que montrant que dans ce monde, les intérêts privés  prennent le pas sur le bien public qui, seul devrait prévaloir.

La démonstration à la fois concrète et ludique de Stefan Kaegi nous a enthousiasmés et convaincus qu’un théâtre engagé peut être une vraie source de joie.

Marie-Françoise Grislin

 Représentation du 24 mars au Maillon

Le Prix Sheikh Zayed 2023 dévoile ses finalistes

Bien décidé à bâtir un soft power qui passe par la culture, les Emirats Arabes Unis ont déployé depuis plusieurs années de nombreux efforts dans ce domaine comme en témoignent le Louvre Abu Dhabi ou l’attention portée à l’architecture avec notamment les oeuvres de Zahia Hadid, d’Abdulmajid Karanouh et Aedas Arquitectos. En matière de promotion des lettres et de la culture arabe, le Sheikh Zayed Book Award organisé par le Centre de langue arabe d’Abu Dhabi sous les auspices du département de la culture et du tourisme d’Abu Dhabi est très vite devenu non seulement le prix le plus doté du Proche et Moyen Orient (près de 200 000 euros) mais également l’une des principales récompenses littéraires du monde en matière de littérature et de culture arabes. « Que représente le prix ? Précisément de sortir, comme le veulent les jeunes dirigeants des pays du Golfe aujourd’hui, d’une certaine image de la région, attachée au pétrole et à rien d’autre. L’Arabie et le Golfe veulent reconquérir la place qui leur revient assez naturellement dans la culture arabe » affirme ainsi l’historien Gabriel Martinez-Gros, nommé pour la deuxième année consécutive dans la catégorie culture arabe dans une autre langue.


Pour sa 17e édition, parmi les 3151 candidatures provenant de 60 pays dont la France, les membres du jury du Sheikh Zayed Book Award ont dévoilé leurs finalistes 2023 dans les six catégories du Prix :  Littérature, Jeune auteur, Édition et Technologie, Traduction, Culture Arabe dans une autre langue et Critique littéraire et artistique.

Dans la catégorie reine, celle de la littérature, trois écrivains se disputeront le prix. Le grand poète irakien, Ali Ja’far al-Allaq, figure de la littérature arabe et membre de l’union générale des écrivains arabes, auteur d’Ila Ayn Ayyathouha Al Kaseedah (« Whereto, O Poem? » Une Autobiographie, Alan Publishers and Distributors, 2022) affrontera deux femmes : l’égyptienne Reem Bassiouney qui rêvera de succéder à Iman Mersal, couronnée en 2021, et dont Al-Qata’i : Thoulatheyat Ibn Tulun (Al-Qata’i’ – La trilogie d’Ibn Tulun, Nadhet Misr, 2022), vaste fresque sur les Mamelouks se situant à la fin du 19e et au début du 20e a été récompensée par le prix Naguib Mahfouz, et la libanaise Alawiya Sobh avec Ifrah ya Qulbi (Réjouis-toi, ô mon cœur, Dar Al-Adab, 2022), que les lecteurs français ont découvert, il y a une quinzaine d’années chez Gallimard, avec Maryam ou le passé décomposé aura à cœur de défendre les couleurs du Liban, à l’heure du centenaire de la publication du Prophète de Khalil Gibran.

Dans la catégorie jeune auteur, trois auteurs sont en liste : l’irakienne Shahd Al-Rawi pour Fawka Jisr Al Joumhoureyah (Sur le Pont de la République, Dar Alhikma en 2020), l’égyptien Ahmed Lotfi avec Al Wahl wa Al Noujoom (La saleté et les étoiles, Aseer AlKotb, 2022) et l’algérien Said Khatibi et sa Nehayat Al Sahra’a (La fin du désert, Hachette Antoine / Nofal, 2022).

Les Français seront également bien représentés notamment dans les catégories culture arabe dans une autre langue, traduction et édition. Dans la catégorie culture arabe dans une autre langue, Gabriel Martinez-Gros, déjà nominé en 2021 pour L’Empire Islamique:  VIIe  –  XIe  siècle  (Passés composés, 2019) est à nouveau présent pour son ouvrage, toujours chez Passés composés, De l’autre côté des croisades (2021) que nous avions chroniqué. « Je ne peux que m’en satisfaire et contribuer à les aider dans ce mouvement d’innovation, qui tranche avec notre monde un peu frileux et conservateur » estime ainsi ce dernier. Il est cette année accompagné d’un autre compatriote, Mathieu Tillier, professeur d’histoire de l’Islam médiéval à la Sorbonne qui a publié en 2017, L’invention du cadi. La justice des musulmans, des juifs et des chrétiens aux premiers siècles de l’Islam (Editions de la Sorbonne).

La nouvelle présence de Sindbad, éditeur de plusieurs Sheikh Zayed Book Award notamment Iman Mersal en 2021 que nous avions interviewé, dans la catégorie édition récompense à la fois l’immense travail de « passeur » de la littérature arabe en France de Farouk Mardam-Bey mais également l’ouverture artistique des Emirats arabes unis pour les différentes esthétiques littéraires diffusées par Sindbad.

Enfin dans la catégorie Traduction, la sélection de la traduction de l’essai de l’écrivain et psychanalyste Michel Schneider, Voleurs De Mots : Essai Sur Le Plagiat, La Psychanalyse et La Pensée (Gallimard, coll. Tel, 2011) par l’un des meilleurs traducteurs tunisiens, Abdelaziz Chebil, vient compléter une 17e édition où la France sera bien représentée.

Son Altesse Sheikh Hazza bin Zayed bin Sultan Al Nahyan remettant le prix littérature à l’écrivain marocain Bensalem Himmich
crédits : Sheikh Zayed Book Award

Ces nominations révèlent en tout cas l’engagement du jury en faveur d’intellectuelles ayant placées la place de la femme dans les sociétés arabes au cœur de leurs œuvres. Ainsi tant Reem Bassiouney que Alawiya Sobh ont construit des portraits de femmes prisonnières des carcans sociaux de leurs pays. Quant à Jalila Tritar, nommée dans la catégorie critique littéraire et artistique pour Mara’i an-Nisaa’: Dirasat fi Kitabat al-That an-Nisaa’iya al-Aarabiya (Le point de vue des femmes: Études sur les écrits personnels des femmes arabes, La Maison Tunisienne Du Livre en 2021), elle a fait de la place de la femme dans la littérature, la matrice de son oeuvre. Une autre façon de dire que de ce côté-ci du monde, la culture a de beaux jours devant elle.

Par Laurent Pfaadt

Retrouvez les premiers nominés du Sheikh Zayed Book Award sur : https://www.zayedaward.ae/en/media.center/news.aspx

Plus aller plus loin, Hebdoscope vous propose de relire quelques-unes de ses chroniques consacrées à certains nominés et anciens prix :

Gabriel Martinez-Gros : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/de-lautre-cote-des-croisades/

Les éditions Sindbad (Actes Sud) : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/un-etendard-litteraire/

Iman Mersal : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/rencontre/

« Une aventure humaine, intellectuelle et entrepreneuriale »

Nicolas Gras-Payen est éditeur. Passé par les éditions Tallandier puis Perrin dont il devint en 2012, le directeur littéraire, il fonde en 2019, la maison d’édition Passés composés consacrée à l’histoire. Il est également directeur du « pôle Histoire » de Belin Editeur depuis 2018. Pour Hebdoscope, il revient sur cette aventure éditoriale.

Voilà quatre ans que Passés composés existe. Quel bilan en tirez-vous ?

Je crois que nous pouvons être satisfait du chemin parcouru, tant par la qualité des autrices et auteurs qui nous ont fait confiance que par le soutien des libraires et des médias. Notre proposition éditoriale a rencontré un bel écho et je crois que nous avons su fédérer autour d’une ambition intellectuelle cohérente appuyée sur une logique commerciale efficace.

La maison d’édition a-t-elle trouvé sa place parmi les lecteurs ?

Oui, incontestablement. C’est bien sûr visible par la réception de nos best-sellers, de Barbarossa à l’Infographie de la Rome Antique ou de la Révolution, en passant par les biographies de Louis XIV ou Gengis Khan. Mais, tout aussi important, les lectrices et lecteurs d’histoire nous ont aussi fait confiance pour des livres plus complexes commercialement parlant mais absolument nécessaire à la vitalité de l’histoire.

Vous avez fait le choix de sujets parfois pointus, spécialisés et confiés à des historiens inconnus, en publiant leur sujet de recherche. Passés composés s’est-elle également donnée pour mission de révéler de jeunes talents, les historiens de demain ?

En réalité c’est incontournable selon nous pour deux raisons finalement assez évidentes. D’une part ce sont les jeunes auteurs qui portent la modernité des sujets par les questions qu’ils posent. Ne pas être à leur écoute nous condamnerait à republier en permanence sur les mêmes sujets avec les mêmes approches. D’autre part, il existe de formidables talents parmi la nouvelle génération d’historiennes et d’historiens qui seront les auteurs connus de demain. Mais si personne ne leur fait confiance pour se lancer, comment émergeraient-ils ? Néanmoins nous tentons de garder un équilibre entre les générations, les historiens plus matures ont bien sûr un savoir-faire et une réflexion dont l’histoire ne peut se passer.

Dans le même temps, vous publiez des ouvrages un peu plus
« grand public » ou sur des sujets moins convenus comme les impôts ou la pilule…

Tout à fait, c’est la logique que je viens d’évoquer. Elle correspond d’ailleurs aux différents publics de l’histoire, certains lecteurs entrant dans un livre en ayant déjà de larges connaissances quand d’autres sont dans une démarche de découverte. Bien sûr, l’histoire étant un monde, il y a aura toujours des thèmes à découvrir d’où notre attention à l’originalité des sujets.

Si vous ne deviez garder qu’un seul souvenir de ces quatre années…

Un seul me paraît bien difficile, cette aventure étant humaine, intellectuelle et entrepreneuriale, nous avons connu bien des joies depuis 4 ans.

Par Laurent Pfaadt

Mendelssohn

Le quatuor Van Kuijk, célébré dans le monde entier, achève son intégrale des quatuors de Mendelssohn. Ce deuxième opus est indiscutablement dans la même veine que le premier et témoigne d’une remarquable maestria musicale, faîte de force et de sensibilité.


Si l’opus 44 n°2 est profondément vivifiant grâce à un rythme exaltant et une énergie assez incroyable où les musiciens ne font qu’un, le 3e est remarquable d’intelligence musicale. Mais le point d’orgue de ce disque réside indiscutablement dans cet opus 80 qui ouvre cet enregistrement, cette jeune fille à la mort mendelssohnienne composée d’une traite durant l’été 1847, cet été où Felix perdit sa sœur Fanny. Une œuvre en forme de cri de désespoir scandé par les archers en forme de chœur antique, emportant tout sur son passage dans cette tragédie musicale. L’apothéose d’une intégrale appelée à faire date. 

Par Laurent Pfaadt

Mendelssohn, Complete String Quartets vol.2, Quatuor Van Kuijk,
Outhere

Dernières nouvelles de Yougoslavie

Dans ce siècle de déchirements et de sang que fut le 20e, l’ex Yougoslavie produisit, dans le sillage d’Ivo Andric, quelques grandes voix littéraires


Lorsqu’on évoque les lettres yougoslaves, un nom vient immédiatement à l’esprit : Ivo Andric, le maître, auteur de l’inoubliable Pont sur la Drina, prix Nobel de littérature en 1961 dont paraît ces jours-ci La chronique de Belgrade. En partie inédites, ses huit nouvelles offrent un voyage incroyable dans une Belgrade entre le début du 20e siècle et la fin de la seconde guerre mondiale, entre scènes de guerre et récits cocasses. Tout le génie d’Andric est là : dans cette capacité incroyable à dépeindre une époque et un pays à travers des personnages différents, ces « petites gens » comme il les appelle. Il y a indiscutablement quelque chose des Gens de Dublin de Joyce dans ces nouvelles, en ce sens qu’elles dévoilent, de la longue nouvelle Zeko en passant par Steven Karajan ou les femmes qui jalonnent ces récits, la vision d’une société à travers des personnages aux caractères si différents. Une société qui avance vers la guerre et tente de conserver malgré tout une humanité face à la barbarie. Si La chronique de Belgrade est une ode à ses habitants, la ville, de la Save qui se jette dans le Danube à la place Terazije et ses pendus en passant par la maison de rue Toltojeva, est elle-même un personnage à part entière qui se transforme, se métamorphose, s’enlaidit ou au contraire, se pare de ses plus beaux atours. 

A sa mort en 1975, Andric laissa un certain nombre d’héritiers littéraires. Son nom devint un prix récompensant un auteur de langue serbe qui fut attribué à Danilo Kis en 1983, traçant ainsi une sorte de filiation entre non seulement ce dernier et Andric mais également avec James Joyce. Pourtant, Danilo Kis demeure aujourd’hui oublié. Dans Extrait de naissance, titre de la biographie que lui consacre Mark Thompson, journaliste britannique qui a couvert les guerres d’ex-Yougoslavie, l’auteur du Sablier reprend vie. Évoquant sa vie notamment en France où il arriva dès 1962, d’abord à Strasbourg puis à Paris ainsi que son œuvre, Mark Thompson a construit un objet littéraire unique, récompensé par le prix suisse Jan Michalski de littérature (2015) et échappant aux cadres de la biographie pour décrire un écrivain tout aussi unique qui « aimait dire qu’il s’était entraîné à être écrivain bien avant d’en devenir un » et pour qui Le pont sur la Drina était le livre absolu. 

Cette première vision littéraire de l’écrivain serbe offre également à travers la lecture de son œuvre une profonde réflexion sur les deux grands totalitarismes qui secouèrent le 20e siècle. Le nazisme notamment pour celui qui allait immortaliser la Shoah dans cet inoubliable roman qui, longtemps, fut inédit, Psaume 44, l’un de ses premiers écrits avec ce bébé de deux mois dont les pleurs, au moment de passer les barbelés avec sa mère et de gagner la liberté signent à la fois un cri d’espoir et une condamnation à mort.  Le 22 février dernier, Kis aurait célébré ses 88 ans. Avec le slovène Boris Pahor, longtemps doyen des écrivains et disparu l’an dernier et Claudio Magris, son cadet de quelques années, Kis fut certainement l’un des plus illustres représentants d’une Mitteleuropa désormais bien lointaine, admiré de nombreux écrivains parmi lesquels Milan Kundera ou Susan Sontag et dont le nom fut évoqué pour le Nobel. 

De la tragédie au rire, il n’y a qu’un pas que franchit allègrement l’écrivain croate Ante Tomic dans Qu’est-ce qu’un homme sans moustache ? comédie absolument savoureuse qui s’attarde sur la vie de Don Stipan, curé alcoolique repenti, personnage comme échappé des rues du Belgrade d’Andric ou de l’univers d’un Emil Kusturica. Après Kresimir Aspic dans Miracle à la combe aux aspics (éditions Noir sur Blanc, 2021), Ante Tomic s’attache une nouvelle fois à un personnage excentrique, ce curé pas comme les autres autour duquel gravitent d’autres personnages tout aussi loufoques, ces hommes et ces femmes de ces contrées balkaniques qu’il décrit avec une langue aussi délicieuse qu’un agneau rôti. Ici le rire constitue autant un ravissement littéraire qu’une arme pour conjurer les souvenirs toujours vivaces d’une autre guerre.

Les frontières du rire ne furent malheureusement pas, en ex-Yougoslavie, les seules à être franchies. Et les braises de ce nationalisme encore ardent qui vint à bout de ce pays crée en 1918, ne permettent toujours pas aux plaies de la guerre d’être cicatrisées. Il faut pour cela le baume de ces nouvelles voix de papier, comme celle de Faruk Serhic, jeune auteur bosniaque qui a décidé d’entrer avec son livre, Le livre de l’Una, prix de littérature européenne, dans ces mêmes variations funestes de la Bosnie que peignit en son temps Ivo Andric. Le héros de Serhic, un vétéran bosniaque de la guerre d’ex Yougoslavie qu’aurait pu rencontrer Mark Thompson dans ce livre absolument magnifique, choisit l’hypnose pour combattre les fantômes de la guerre et exorciser ses traumatismes. A la manière de l’Una, cette rivière qui s’écoule et au bord de laquelle il aimait, enfant, pêcher, notre héros remonte le courant de sa vie. L’Una de Serhic comme la Save d’Andric sont ces rivières d’ex-Yougoslavie qui charrient les corps, les souvenirs et les destins. Elles sont aussi ces chemins de mémoire faits de sédiments sanglants et de bulles de rire avec leurs cours paisibles et leurs furieuses cataractes.

« Une grande tendresse unit Ivo Andric aux hommes, mais il ne recule pas devant la description de l’horreur et de la violence, ni devant ce qui, à ses yeux, apporte surtout la preuve de la réalité du mal dans la vie. Il ouvre, en quelque sorte, la chronique du monde à une page inconnue et s’adresse à nous du plus profond de l’âme tourmentée des peuples slaves du sud » avait dit Anders Osterling en remettant le prix Nobel à Ivo Andric. C’est ce que l’on ressent assurément à la lecture du Livre de l’Una.

Par Laurent Pfaddt

Ivo Andric, La chronique de Belgrade, traduit du serbe par Alain Cappon,
éditions des Syrtes, 192 p.
Mark Thompson, Extrait de naissance, l’histoire de Danilo Kis, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Pascale Delpech,

éditions Noir sur Blanc, 608 p.

Ante Tomić, Qu’est-ce qu’un homme sans moustache ? traduit du croate par Marko Despot, éditions Noir sur Blanc,
éditions Noir sur Blanc, 208 p.

Faruk Serhic, Le Livre de l’Una, traduit du bosnien par Olivier Lannuzel,
Agullo Editions, 256 p.

Adrénaline à Adelaïde

Dimanche 2 avril 2023 se tiendra une nouvelle édition du Grand Prix d’Australie, étape désormais incontournable et régulière du championnat du monde de Formule 1, au même titre que Monza, Spa Francorchamps ou Suzuka. Des millions de spectateurs et téléspectateurs verront s’affronter les Ferrari, McLaren ou Williams et sitôt la course achevée ou pour se préparer à ce nouveau choc de bolides, plongeront dans l’album Paddock de Philippe et Jean Graton, nouvelle aventure de Michel Vaillant ayant pour décor le Grand Prix d’Australie qui se tenait alors encore dans la ville d’Adelaïde.


Nous sommes donc le 13 novembre 1994. Le titre doit se jouer entre Damon Hill, Michael Schumacher et un certain…Michel Vaillant bien évidemment. Le décès d’Ayrton Senna quelques mois plutôt et dont Jean Graton rend hommage à la fin de son album, remplacé par Nigel Mansell qui reprend du service à 41 ans a rebattu les cartes y compris au sein de l’équipe Williams Renault. Mais cette dernière est secouée par un nouveau drame : le carburant destiné à ses F1 a été déversé tandis que des parieurs spéculent sur la participation de leur champion. Dans le même temps, la Benetton de Schumacher est victime d’un sabotage à la glue. Les regards se tournent alors vers l’écurie Vaillante Elf qui semble profiter de la situation. D’ailleurs, Tim, le jeune apprenti de Michel Vaillant est très vite accusé. Il n’en faut pas moins pour mettre la pression sur notre héros à quelques heures du départ tandis que Françoise, l’épouse de Michel, mène l’enquête et affronte tous les dangers et les serpents qui règnent dans le paddock. 

Comme à chaque fois, Jean Graton aidé de son fils Philippe qui s’est immergé dans l’écurie Williams pour écrire ce 58e album de la série paru en 1995, n’a pas son pareil pour mêler suspense criminel et tension sur la piste. Car bientôt arrive ce 35e tour qui allait rester dans toutes les mémoires, celui de l’accrochage entre la Williams de Damon Hill et la Benetton de Michael Schumacher et allait valoir à ce dernier son premier titre de champion du monde. 

Le lecteur côtoie ainsi pour son plus grand bonheur personnages de fiction et grands noms de la F1. Ensemble, ils construisent une magnifique aventure dans ce qui reste l’un des meilleurs albums de la série consacré à la F1 et que vous n’êtes pas près d’oublier.

Par Laurent Pfaadt

Philippe et Jean Graton, Paddock, Michel Vaillant, Graton,
48 p. 1995

Scream VI

Un film de Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett

Un an à peine après son retour, Ghostface revient semer la mort, mais quitte le cocon douillet de la petite ville californienne (et fictionnelle) de Woodsboro, pour l’animation perpétuelle de la Big Apple.

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Scream-3-1.jpg.


Commencée il y a 26 années sous la caméra du regretté Wes Craven, la célèbre franchise revient dans les salles obscures pour la sixième fois, pour le plus grand bonheur des amateurs de whodunit et de meurtres à l’arme blanche. Pour varier les « plaisirs », les scénaristes ont décidé de planter l’histoire dans l’univers foisonnant de la ville qui ne dort jamais. À chaque coin de rue New York offre au récit un cadre idéal, propice à la suspicion et l’angoisse. Véritable fourmilière géante, la ville est ici un personnage à part entière, qui ne laisse aucun répit à ses supposés héros.

L’ouverture du film est tellement classique : la sonnerie d’un téléphone ! Au-delà de la figure imposée, cette première scène démontre la sincérité des réalisateurs. Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett sont parfaitement conscients du poids de l’histoire : il y a les éléments incontournables, et ceux dont on peut s’affranchir. Dans la catégorie des premiers, le téléphone (et sa sonnerie, si possible bien stridente) en est un, les gentils héros/survivants des épisodes passés en sont un autre, de même que les nouveaux venus, forcément suspects, même s’ils ont l’air totalement sincères et inoffensifs. Les ingrédients principaux ne changent pas, mais la recette subit à chaque nouvel opus de subtiles variations. Certaines sont heureuses, d’autres non.

Les commentaires méta sur le genre sont bien là, ils ouvrent même le bal, avec le personnage de la prof de fac qui attend patiemment son rendez-vous au bar d’un restaurant banché de la ville. Celle-ci est (évidemment) enseignante de cinéma, avec une spécialisation sur le sous-genre du slasher. Pour sa seconde collaboration avec le duo de metteurs en scène (elle incarnait le personnage principal de leur sympathique comédie d’horreur Wedding Nightmare il y a 3 ans), Samara Weaving apparaît le temps de quelques scènes introductives bien développées, avant de devoir tirer brutalement sa révérence.
Le premier meurtre surprendra par son issue. Et la suite plus encore ! Le concept de tueurs multiples, copycat ou non, a déjà été utilisé au cinéma. Il est ici employé avec une grande ironie, qui sera constante tout au long de l’histoire (jusqu’à la scène post-générique). Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett ne se contentent pas de faire un film dans le film, ils dépassent à certaines occasions le cadre rigide du sous-genre, sans lui manquer de respect. Certains fans n’ont évidemment pas été d’accord avec l’usage qu’ils font des armes à feu (Ghostface ne peut que se servir d’une arme blanche, selon eux, alors imaginez-le armé d’un fusil à pompe !!!), et certains personnages importants ont parfois l’irritante capacité de ressusciter, et pourtant, ce sixième épisode de la saga est une réussite.

Soumis à un cahier des charges assez strict, Scream VI s’en sort avec les honneurs. Les rebondissements sont nombreux, les mise à morts aussi, et le concept du slasher prend parfois de la hauteur -évidemment pour souffler le chaud et le froid- pour le plus grand bonheur de son public.

Certaines scènes se distinguent, comme celles, anxiogènes, se déroulant dans le métro bondé de New York, ou dans un ancien cinéma de quartier abandonnée, véritable sanctuaire à la mémoire des sanglants événements des films précédents. Le concept de famille est développé de manière intéressante, puisqu’au-delà du duo composé des sœurs Carpenter, Samantha (Melissa Barrera) et Tara (la comédienne Jenna Ortega, la « Mercredi » de la série Netflix du même nom), Mindy (Jasmin Savoy Brown) et Chad (Mason Gooding, fils du comédien Cuba Gooding Jr) sont à nouveau de la partie, formant avec les deux héroïnes une bien étrange famille de survivants, depuis les tragiques événements du précédent film. La psychologie complexe de Samantha est à nouveau scrutée à la loupe, ses liens avec le tueur originel refaisant surface dès les premières scènes.

Petit plus du film, déjà utilisé l’année dernière, Scream VI fait en effet revenir le personnage de Billy Loomis en deux occasions, offrant aux nostalgiques de la première heure de quoi raviver d’agréables souvenirs. C’est donc naturellement lorsque Samantha est mise à rude épreuve que le visage familier de Skeet Ulrich réapparaît, lui permettant de trouver les ressources de se défendre et faire face à son agresseur. Issu du passé, Billy Loomis lui explique que sans lui la jeune femme ne serait peut-être pas celle qu’elle est aujourd’hui. Elle ne peut renier ses origines, pas plus qu’elle n’est responsable des tueries de l’époque. Le personnage de Samatha donne une orientation un peu différente au concept d’héroïne développé dans les quatre premiers films. Elle n’est en effet ici pas uniquement la jeune femme en détresse de l’histoire, elle est aussi la fille d’un homme très perturbé, dont les pulsions meurtrières ont marqué la petite bourgade de Woodsboro il y a un quart de siècle. Une dernière petite précision, ne quittez pas trop vite la salle au moment du générique, un petit clin d’œil vous attend juste après, illustrant parfaitement l’ironie du concept et le recul qu’a le film sur lui-même…

Jérôme Magne

Le Bleu du Caftan

Un film de Maryam Touzani

Adam, le précédent film de Maryam Touzani, a remporté une trentaine de prix à travers le monde mais sorti au début du Covid, il n’a pas rencontré le public qu’il méritait. Déjà Lubna Azabal s’y imposait et dans Le Bleu du Caftan, elle irradie par sa présence aux côtés de Saleh Bakri, acteur palestinien au regard plein d’humanité et Ayoub Missioui, un jeune marocain qui devrait connaître un bel avenir. Co-écrit et produit par Nabil Ayouch, Le Bleu du Caftan qui a raflé entre autres le prix du jury au festival du film de Marrakech et le prix FIPRESCI à Cannes, est un film sensible sur la question de l’homosexualité vécue comme un tabou et brise les clichés sur la femme dite opprimée en terre musulmane.


Dans la vieille médina de Salé, ville marocaine sur l’Atlantique, un tailleur perpétue la tradition de la confection du caftan, longue robe brodée de fil d’or portée à l’occasion des fêtes. Halim est un maalem, un maître artisan. Film très sensuel, le tissu entre ses mains prend corps, épouse le corps. Il est dit que l’âme du maalem est dans le caftan qu’il a confectionné, ne comptant pas ses heures. Le film est un hommage à cet artisanat qui se perd et prend son temps pour montrer les gestes, l’aiguille qui travaille le fil d’or qui prend forme en des circonvolutions, boucles et boutons.  

Mais les temps sont durs ! Difficile de concurrencer la couture industrielle avec machines quand un caftan nécessite des semaines de travail. La femme de Halim, Mina, tient la boutique et s’occupe de la vente. Youssef, un jeune apprenti, se présente à leur service. Chacun cache un lourd secret dont l’amour aura raison dans cette société de non-dits où les personnages évoluent.

L’idée de son film date des repérages pour Adam. La rencontre d’un homme, un coiffeur, a été déterminante, ravivant chez la réalisatrice des souvenirs de couples croisés quand elle était petite puis adolescente, comprenant après-coup leur relation tissée de non-dits pour sauver les apparences. Comment ces couples vivaient-ils leur secret ? Comme l’amour inconditionnel scellait-il leur relation de manière indéfectible ? Halim parle peu et cache son homosexualité. Les cabines individuelles du hammam offre un abri à ses désirs. En un seul plan, Maryam Touzani revisite l’image des backrooms. Rien n’est montré, tout est dit. Mina devine l’attirance de Halim pour Youssef. Elle sait depuis toujours l’amour de son homme pour les garçons. Mais Le Bleu du Caftan est plus riche, plus subtil que ce pitch réducteur. L’Amour circule entre les trois personnages au-delà des rapports préétablis et établis. Un moment où ils dansent tous les trois sublime leur relation à la fois amoureuse, fraternelle voire filiale. Mina est la femme de Halim mais elle est aussi la mère qui remplace celle qu’il a perdue quand elle l’a mis au monde, la sœur, l’amie complice. C’est Mina qui l’a demandé en mariage, c’est elle qui initie leurs étreintes. Elle est entrepreneuse, rebelle dans une société où il est mal vu qu’une femme s’attable à un café, révoltée contre l’ordre établi qui est une entrave à la liberté d’aimer en public. En creux se dessine le portrait de cette femme si pleine d’amour pour Halim et qui ne veut que son bonheur et lui dira « Donne-toi le droit d’aimer », comme un Sésame pour l’avenir. Maryam Touzani espère changer les regards sur l’homosexualité qui n’est pas un tabou qu’au Maroc. Elle croit au pouvoir du cinéma, à celui des histoires racontées avec vérité et conviction. On veut le croire avec elle.

Elsa Nagel

Mineur non accompagné

Conçu, présenté et interprété par Sonia Chambretto et Yoann Thommerel, c’est un spectacle qui nous met au fait d’une situation sociale à bien des égards délicate et rude puisqu’elle touche à ces enfants, adolescents plus ou moins en déshérence dans notre pays, des jeunes qui ont quitté leur pays en raison de la guerre ou de la pauvreté et que la France accepte d’héberger jusqu’à leurs dix-huit ans. Après ils doivent se débrouiller… Si la plupart des spectateurs connaissent cette situation, il n’en reste pas moins que cette manière de nous la faire revivre collectivement par la représentation théâtrale lui confère une dimension politique nécessaire à une prise de conscience sans doute plus efficace que le simple fait d’en avoir entendu parler et éveille notre attention sur ce problème de l’accueil des jeunes migrants soumis à des contrôles médicaux destinés à prouver qu’ils sont mineurs ou non puis à leur placement dans des centres d’accueil. « L’hospitalité à la française »


En prenant la décision de s’immerger dans trois de ces centres en Normandie où ces mineurs ont été regroupés, les auteurs sont en mesure de leur donner la parole et de nous rendre témoins de leurs attentes, de ces multiples envies ou besoins qui, selon eux, pourraient améliorer la vie de tous les jours. Rien, de larmoyant cependant malgré la précarité de leurs conditions de vie qui transparaissent en filigrane car ces centres disposent de  peu  de moyens.

 Les comédiens, en training, plantés devant leur micro, rapportent leurs propos qu’ils lisent sur ces grandes tablettes blanches disposées sur le plateau, en se jetant des regards complices et sans se départir d’un sourire bienveillant. On sent qu’ils ont été proches d’eux et qu’ils cautionnent leurs dires. Paroles des jeunes mais aussi des éducateurs qui les ont côtoyés et pris en charge.

L’idée de ces tablettes, comme de grandes feuilles paraît vraiment pertinente car elle assure une authenticité à ces propos. De plus quand elles sont soulevées pour être prises en main pour lecture, elles laissent apparaître les emplacements délimitant le terrain de jeu semblable à un probable terrain de foot, le sport préféré des jeunes Pour souligner cette préférence énoncée par ailleurs divers ballons de foot sont éparpillés sur le plateau, certains neufs, d’autres usés ou crevés (Scénographie Marine Brosse). Ce quotidien nous est aussi rapporté par la vidéo de Simon Anquetil et des photos prises par les jeunes, agrandies  et projetées en fond de scène (Maxence Rifflet et Michaël Quemener)   et qui confirment l’aspect documentaire de cette prestation.Ce spectacle est issu de la transcription d’un travail d’enquête basé sur des questionnaires, mode d’investigation dans lequel les auteurs se sont spécialisés depuis quelques années à propos des mécanismes d’exclusion et qui les a poussés à créer le G.I.G (groupe d’information sur les ghettos), né  il y a cinq ans en Seine-Saint-Denis, l’Inspiration provenant de leur connaissance du GIP (groupe d’information sur les prisons) fondé e 1971 par des intellectuels pour donner la parole aux détenus et justement à partir de questions concernant leur condition de vie en détention.

Toute question entraîne une prise de conscience, oblige à une réflexion. Ainsi est né un ouvrage « Le questionnaire élémentaire » et ce spectacle qui s’inscrit dans une trilogie « La trilogie des frontières invisibles »   dont le premier volet intitulé « Ilôts » a été créé en mars 2O21 à la Comédie de Caen  et qui sera suivi d’un troisième volet  portant sur les relations amoureuses.

Pour Sonia Chiambretto et Yoann Thommerel il s’agit de « créer des espaces de circulation de la parole ». Ce spectacle y est manifestement parvenu puisqu’il nous a donné à entendre  à travers une mise en récit bien construite la parole de ces jeunes réfugiés avec lesquels on voudrait partager une solidarité plus efficace.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 17 mars

En salle jusqu’au mars 25

Le succès des séries Netflix nous fait dire qu’il y a une vraie appétence du public pour le genre

« Le succès des séries Netflix nous fait dire qu’il y a une vraie appétence du public pour le genre »

Elsa Delachair est éditrice chez 10/18, responsable de cette nouvelle collection imaginée avec le magazine Society.

1. Comment est née l’idée de cette nouvelle collection ?

Les éditions 10/18 et Society travaillaient déjà ensemble sur un podcast, appelé « Histoires d’Amérique » consacré au catalogue de la maison : des émissions sur nos grands auteurs (Toni Morrison, Jim Harrison, Richard Price etc). Et quand, à l’été 2020, Society a rencontré un immense succès avec le double numéro sur Xavier Dupont de Ligonnès, nous avons commencé à réfléchir ensemble à cette collection. L’idée était de conserver les Etats-Unis comme territoire d’exploration, mais non plus à travers ses grands auteurs mais plutôt à travers ses faits divers.

2. Les grandes affaires criminelles en livre de poche sont une tradition éditoriale de longue date…

Oui, mais plutôt sous l’angle de la fiction j’imagine. Ou du moins de la reprise en poche de livres qui ont eu un succès en grand format d’abord. Là, la dimension originale du projet tient à l’association d’une maison d’édition à un journal, pour sortir des histoires inédites au prix et au format poche. 

3. Les succès de Mindhunter ou de Dahmer sur Netflix plus récemment vous ont-ils convaincu qu’il y avait un regain d’intérêt pour les tueurs en série ?

Notre collection n’est pas une collection consacrée aux serial killers, c’est une collection consacrée aux faits divers, ce qui recouvre beaucoup de type de criminalités. Les serial killers en sont bien sûr un des aspects. Mais sur les 2 premiers livres qui sortent, seul un des deux est consacré à un tueur en série. Le 2e est une histoire d’enlèvement d’enfants et de son traitement judiciaire dans une Amérique patriarcale. 

Sur les 4 livres qui paraîtront cette année, seul un est consacré à un tueur. Mais bien entendu, le succès des séries Netflix nous fait dire qu’il y a une vraie appétence du public pour le genre.

4. Votre collection se veut un voyage dans l’Amérique mais également dit quelque chose socialement de ce pays, de sa violence notamment

Cette collection a pour point de départ de cartographier les affaires criminelles d’un pays, immense, complexe et hétérogène. Nous choisissons un fait divers par état, et nous l’explorons grâce à la voix du journaliste qui retranscrits à la fois les faits criminels mais aussi l’ambiance, la géographie, l’histoire des lieux. Il est évident que les faits divers racontent bien plus que le simple crime dont ils sont l’objet : les faits divers sont de véritables reflets sociologiques, politiques, historiques. 

5. Vous avez choisi un format assez court, deux cents pages max qui rappellent un peu les romans dits de gare…

C’est une volonté de départ : des livres courts, pas chers, qui se lisent comme des polars. Ils sont construits comme des polars, se lisent rapidement, les chapitres sont calibrés pour être lus en une séquence de lecture minimum. Nous voulions faire une collection grand public et de qualité. Le travail des journalistes est profondément documenté (par des recherches bibliographiques, d’archives, et de terrain également) : c’est une véritable démarche, ils ont d’abord effectué une partie des recherches depuis la France puis sont partis plusieurs semaines enquêter sur les lieux des affaires. C’est donc une approche très sourcée du simple fait que les auteurs soient journalistes. Cela aussi, c’était l’un des points de départ du projet.

6. Pouvez-vous nous dire quels serial killers les lecteurs seront-ils être amenés à croiser dans les prochains numéros ?

Alors, comme décrit plus haut, ce ne seront pas des serial killers à proprement parler. L’Inconnu de Cleveland, qui paraîtra en juin, s’intéresse à un personnage très énigmatique qui s’est suicidé au début des années 2000 et dont l’identité très trouble et le fait qu’il ait cherché systématiquement à disparaître des radars a conduit les enquêteurs à s’interroger sur le profil de cet homme : que cherchait-il à cacher ? Son histoire, qui se passe en Ohio, nous conduira bien sûr sur les pas d’un tueur très célèbre.

Et la 4e affaire, qui paraîtra en octobre, s’intéressera à un avocat au-dessus de tout soupçon, accusé du double meurtre de sa femme et de son fils et au procès-fleuve qui vient de se dérouler en Caroline du Sud.

Laurent Pfaadt