Le wagon manquant

Avec Convoi pour Samarcande, l’écrivaine s’affirme définitivement comme l’une des grandes voix de la littérature russe

Zouleikha ouvre les yeux et Les enfants de la Volga (Noir sur Blanc, 2017 et 2021), célébrés à juste titre par la critique – le second été sacré Meilleur livre étranger en 2021 – et le public (un million d’exemplaires vendus pour le premier) ne furent donc pas des succès sans lendemain, bien au contraire. Ils constituent la matrice d’une œuvre majestueuse appelée à demeurer tant dans la littérature russe que mondiale. Celle d’une Gouzel Iakhina devenue désormais incontournable.


Avec ce troisième roman, Convoi pour Samarcande qui raconte l’expédition vers l’Ouzbékistan soviétique des années 20 de cinq cents enfants fuyant la famine depuis Kazan, Gouzel Iakhina s’établit désormais durablement dans le paysage littéraire européen après avoir conquis les lettres russes. Car Gouzel Iakhina écrit à l’ancienne avec moult détails et descriptions comme cette scène incroyable d’une Blanche nettoyant le sol d’un wagon. Cela donne des livres denses qui mettent du temps à être lus, à contre-courant de ces ouvrages qui sortent par milliers chaque année et qu’il faut consommer en quelques jours, en quelques heures. Quelques jours, c’est justement l’autonomie dont dispose le héros, Deïev, officier de l’armée rouge, en matière de vivres alors le voyage doit durer un mois et demi.

Nous voilà donc prévenu par l’auteur qui nous conseille de prendre notre temps. Pour suivre son héros qui doit trouver des solutions parfois improbables comme réquisitionner mille bottes dans une caserne. Pour s’orienter également dans cette cathédrale littéraire à la solide charpente narrative illuminée par ces vitraux éblouissants qui filtrent ou colorent une lumière qui change selon qu’elle éclaire des personnages tantôt attachants, tantôt détestables. Et en premier lieu Deïev. Un homme qui rappelle l’Ignatov de Zouleikha ouvre les yeux. Un homme du système qui a tué mais qui, désormais, doit sauver. Un homme à la recherche d’une rédemption. On a hâte de voir ce que Iakhina, dans un prochain roman, fera d’un sbire de Nikolaï Iejov sous la Grande terreur stalinienne.

Maîtrisant parfaitement les codes du roman, l’autrice nous emmène alors, après la magie des Enfants de la Volga dans ce roman d’aventures qui en rappelle d’autres car comment ne pas voir l’ombre d’un Kessel dans ces paysages traversés ou dans ces rencontres improbables. Appuyé sur une solide documentation qui relate cette fameuse famine, Gouzel Iakhina se pose littérairement et historiquement comme le chaînon manquant, le wagon entre un Tolstoï et un Grossman, en digne héritière de la grande tradition littéraire russe avec ces descriptions enlevées et ces personnages ambigus touchés par la grâce d’une humanité retrouvée au contact d’enfants.

Magnifiquement traduit une fois de plus par Maud Mabillard, Convoi pour Samarcande est ce nouveau diamant venu de l’Est tiré du trésor inépuisable des éditions Noir sur Blanc. Les jurés du prix Médicis étranger ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en sélectionnant Convoi pour Samarcande dans leur première liste tandis que les libraires plébiscitent déjà le livre. Car quelque chose nous dit que ce voyage-là risque bel et bien d’être couronné de succès.

Par Laurent Pfaadt

Gouzel Iakhina, Convoi pour Samarcande, traduit du russe par Maud Mabillard
Aux éditions Noir sur Blanc, 480 p.

Dans la cour des grands

Le célèbre guitariste de blues Greg Koch était, avec son trio, de passage dans le nord de l’Alsace

Pour ceux qui aiment le blues, le nom de Greg Koch n’est pas inconnu. L’un des guitaristes les plus talentueux du blues-rock qui fut invité à jouer aux cent ans du célèbre Les Paul et accompagna notamment Joe Bonamassa, fit escale en cette fin septembre dans le nord de l’Alsace à l’occasion de la tournée européenne du Koch Marshall trio, sa formation qui comprend son fils aîné Dylan à la batterie et l’incroyable Toby Lee Marshall à l’orgue Hammond. Et pour tous ceux qui se demandèrent où se trouvait la basse, Greg Koch répondit qu’elle était dans la main gauche de Marshall, comme un shérif armé de deux pistolets et prêt à dégainer…

Greg Koch
© Sanaa Rachiq

Avant de retrouver New York et le Texas, le trio assura le show. Greg Koch convia ainsi un public enthousiaste à un incroyable voyage dans les racines du blues et du rock où il fut question, entre autres, de ce Jimmy Hendrix qu’il affectionne tant, de Muddy Waters ou de Led Zeppelin avec son très beau Since I’ve Been Loving You. Entre ces hommages appuyés, le trio livra quelques morceaux tirés de ses différents albums et notamment de son dernier opus, Orange Roominations, album composé de nombreux live streams très suivis pendant le confinement comme Thurst Bucket, qui complétèrent une setlist où figuraient également Welchz Grape et Daddy Long Legs. Les riffs rugissants tirés de sa Reverend ainsi que la transe d’un Toby Marshall très en forme et une batterie passionnée, enflammèrent une salle qui n’en demandait pas tant et qui apprécia cette proximité avec un artiste qui, le temps d’un concert, donna l’impression de se trouver à Nashville ou à Memphis.

Par Laurent Pfaadt

A écouter : Koch Marshall Trio, Orange Roominations,
Mascot Label

ZeitGenuss

ZeitGenuss – le festival de musique de notre temps a été créé par 2013 par la ville et la Haute école de musique de Karlsruhe. Le
festival se concentre sur la musique du XXe et XXIème siècle, la
recherche de formes de mondes sonores expressifs et inédits.


La dixième version du festival se déroulera du 12 au 15 octobre 2023 et se déroulera sur les scènes de la ville. Il est organisé par le quatuor de guitares ALEPH, qui fête cette année ses trente ans d’existence.

A l’occasion de cet anniversaire, il invite des musiciens et des compositeurs appréciés à Karlsruhe pour un concert.

© Sabine Haymann

Andrés Hernández Alba et Wolfgang Sehringer ont fondé pendant leurs études le quatuor de guitares ALEPH et ont été rejoint en 2009 par Tillmann Reinbeck et Christian Wernicke

En échange intensif avec des compositeurs, ingénieurs du son et acousticiens, ils travaillent le langage musical et les techniques de jeu du 20e et 21e siècles. Ce quatuor de guitares créé plus de 65 œuvres de compositeurs contemporains.

Le concert anniversaire sera l’occasion d’entendre des miniatures très particulières pour ALEPH – des messages d’anniversaire musicaux, composés pour l’occasion écrites pour cette occasion par des compositeurs avec lesquels le quatuor a eu collaboration artistique. Les œuvres de ces compositeurs constituent en quelque sorte le noyau créatif des concerts du festival au ZKM.

Le quatuor de guitares ALEPH a invité pour ces concerts des musiciens de renommée internationale qui se consacrent à la musique de chambre avec un dévouement total :

  • la soprano Daisy Press de New York City,
  • Pony Says de Stuttgart et
  • le trio hambourgeois Catch.

De Karlsruhe même, seront présents :

  •  LAB51 (composé de la chanteuse Johanna Vargas et de la pianiste Magdalena Cerezo Falces),
  • Le CoroPiccolo Karlsruhe et son chef d’orchestre Christian-Markus Raiser,
  • L’ensemble TEMA, associé au festival depuis le début,
  • L’Ensemble für Neue Musik de l’École supérieure de musique dirigé par Manuel Nawri et
  • La Badische Staatskapelle dirigée par Ulrich Wagner et ses NachtKlänge.

ZeitGenuss 2023 prend possession de plusieurs endroits de la ville. Comme le quatuor ALEPH coopère depuis 2007 avec ZKM|Hertz-Labor, la plupart des représentations se dérouleront au Zentrum für Kunst und Medien (ZKM). Les autres salles de concert sont le Wolfgang-Rihm-Forum de la Haute école de musique de Karlsruhe, l’église la ville sur la place du marché, le Studio du Badisches Staatstheater et le tout nouveau Jazzclub dans le Kaiserpassage.

INFOS

Du 12 au 15 octobre, Karlsruhe
www.karlsruhe.de/zeitgenuss
www.hfm.eu