Une colombe face à l’aigle

Xavier Maréchaux signe une biographie réussie de Pie VII, le pape qui tint tête à Napoléon

Dans l’histoire de la papauté et peut-être pour l’éternité, il restera sur le tableau de David comme le pape qui assista impuissant au sacre d’un Napoléon Bonaparte avec qui il entretint des relations tendues. Celles-ci traversent la biographie réussie que lui consacre Xavier Maréchaux, professeur à la State University de New York, une biographie bizarrement absente de l’historiographie napoléonienne. Comme bannie.


Rien ne prédestinait cet enfant de la petite noblesse de Romagne né en 1742 à tenir tête à l’homme le plus puissant du monde, celui qui mit à genoux rois et empires. Avant de devenir pape, Barnaba Chiaramonti fut évêque d’Imola, près de Bologne puis cardinal grâce à son prédécesseur, Pie VI dont il fut proche. Xavier Maréchaux montre ainsi parfaitement l’ascension de cet homme auprès d’un souverain pontife qui subit de plein fouet la Révolution française et l’Empire. On spécula sur une éventuelle rencontre entre Bonaparte et Chiaramonti à Imola durant la campagne d’Italie le 2 février 1797. L’auteur y apporte une réponse définitive. Non, ils ne se sont pas rencontrés, Chiaramonti étant à Rome à cette date. Pourtant, ce dernier était ouvert aux idéaux de la Révolution, célébrant même dans son homélie de Nöel 1797, l’alliance entre catholicisme et démocratie.

Devenu pape sous le nom de Pie VII, Barnaba Chiaramonti mit son énergie à préserver l’autorité du Saint-Siège, sur son territoire puis sur les fidèles de cette France, « fille aînée de l’Église ». Modéré, le pape se voulut homme de compromis et Pie VII et Napoléon inaugurèrent une « entente cordiale » selon Xavier Maréchaux qui se manifesta notamment par le concordat du 15 juillet 1801 qui allait régir les rapports entre l’Église et l’État, un concordat conclut après de longues négociations  parfaitement relatées par l’auteur entre l’abbé Bernier et le secrétaire d’État (Premier Ministre) de Pie VII, Ercole Consalvi. Xavier Maréchaux remet d’ailleurs en lumière la figure de celui qui fut réellement l’ombre du pape. Consalvi joua également un rôle important lors d’un congrès de Vienne marqué notamment par sa passe d’armes avec Talleyrand au sujet des légations perdues par le Vatican en 1797.

Et puis il y eut le sacre, le 2 décembre 1804. Le pape, venu uniquement pour obtenir l’abrogation des articles organiques du concordat, fut acclamé par le peuple de Paris, sensible à sa simplicité et sa bonté. Ce sacrifice ne suffit pas à lui épargner les attaques de Napoléon bien décidé à briser le pouvoir temporel d’un Saint-Siège qu’il envahit. Pie VII résista avant d’être arrêté par l’intermédiaire d’un général Radet traitant le souverain pontife avec beaucoup de déférence. « Je suis sensible à vos bons sentiments. Mais je regrette qu’ils se manifestent à propos d’une mission qui ne vous méritera certainement pas la bénédiction du ciel » lui répliqua un Pie VII qui, après cinq années de détention, allait retrouver Rome.

La biographie certes très universitaire de Xavier Maréchaux évite cependant les travers de l’ennui et permet de montrer, outre la trajectoire d’un homme ordinaire plongé dans une époque extraordinaire, que la rencontre entre l’aigle et la colombe constitua une occasion historique manquée et entraîna « un schisme entre les idéaux de la Révolution et l’Église catholique ». Il fallut attendre près de quatre-vingt ans et Léon XIII pour que les choses évoluent.

Par Laurent Pfaadt

Xavier Maréchaux, Pie VII, le pape qui défia Napoléon
Passés composés, 312 p.

Marseille, fille de Poséidon

Entre calanques et football, la ville rayonne sur la Méditerranée

Ici, les eaux de Poséidon guident le destin des hommes, d’où qu’ils viennent et cela depuis plus de 2600 ans, depuis que les Phocéens, les habitants de la cité ionienne de Phocée, fondèrent la colonie de Massalia. De la Méditerranée qui a dessiné ses côtes amenant à elle des peuples qui ont trouvé refuge dans son sein et formant aujourd’hui cette ville-monde à nulle autre pareille, à l’Arménie où ils furent des milliers à prier la Bonne Mère, cette Vierge dressée sur l’Ararat qui abandonna ses fils et ses filles en 1915 en passant par un archipel d’îles océaniques se regardant dans ce miroir maritime, Marseille possède la mer dans son ADN. Elle imprègne les hommes, leurs paysages, leurs cultures et même leurs voix avec cet accent qui module comme un chant de sirènes qui se veut à la fois enchanteur et aigre-doux.


Iles du Frioul (copyright Laurent Pfaadt)

Avec son trident, le dieu de la mer a dessiné les côtes et ses fameuses calanques qui, dit-on, se méritent. Il a morcelé ces falaises de calcaire et de poudingue qui s’étendent le long des flancs blancs comme de l’albâtre antique de Marseille notamment au sud de la ville dans un parc national des Calanques aux allures de paradis. Il a sculpté les merveilleuses îles du Frioul qui servaient autrefois de quarantaine aux voyageurs suspectés d’apporter la peste avant de devenir le refuge de Marseillais fuyant l’agitation nerveuse de la ville.

A Marseille, Poséidon a son temple : le MUCEM, le musée des civilisations de l’Europe et de la  Méditerranée où il a enfermé ses fils qui ont fait de ce lieu à l’architecture résolument contemporaine l’écrin de la culture marseillaise. Sur ces côtes, il a également amené les muses qui ont inspiré ces autres dieux de papier comme Alexandre Dumas qui fit du château d’If le lieu immortel de son Comte de Monte-Cristo et Marcel Pagnol qui inscrivit les collines d’Aubagne dans la mémoire littéraire française. Des muses qui se penchèrent également sur la musique en particulier sur le berceau du rap avec le mythique groupe IAM et plus récemment JUL et SCH mais également Massilia Sound System, Patrick Fiori ou Soprano.

Le cœur du dieu bat indiscutablement à l’Orange Vélodrome où chaque résultat des hommes en bleu et blanc est commenté dans les bars et les rues, à commencer sur la fameuse Canebière, cette artère qui traverse le centre ville et donne le pouls d’une passion divine. Ici, le football n’est pas un sport, c’est une religion et les joueurs sont vénérés tels des demi-dieux grecs. Ils ont d’ailleurs été nombreux, anciens et actuels joueurs du club à rappeler, durant cette semaine olympique, l’Iliade footballistique de la ville où l’arrivée de la flamme ne fut qu’un fleuve traversant la mythique Troie du ballon rond, un Pactole tant touristique dans lequel se sont baignés des générations entières de Marseillais qui ont gravé leurs rêves sur les murs de la ville.

Victoire de l’OM contre Lorient (copyright OM)

Il n’y a qu’à se rendre au stade pour s’en rendre compte. Dès l’entrée du métro, on ressent la communion d’une armée transgénérationnelle prête à la guerre. A l’occasion du dernier match à domicile d’une saison marquée par une demi-finale de coupe d’Europe, haut lieu de batailles homériques conjuguant Thermopyles – elle est à ce jour la seule équipe française à avoir gagné la coupe d’Europe des clubs champions, exploit qu’elle ne manque pas de rappeler avec son fameux « A jamais les premiers » – et Marathon, l’OM recevait de modestes Bretons condamnés aux enfers de la Ligue 1. Poséidon fut ce soir-là aidé d’un Hadès pourtant bien versatile avec les Olympiens cette saison. Le spectacle fut tout autant sur le terrain que dans les tribunes où les principaux groupes de supporters (South Winners, Dodger’s, Ultras) se répondirent aux cris de « Aux armes, nous sommes les Marseillais. Et nous allons gagner. » Et dans cette arène transformée en chaudron, Poséidon avait cédé, le temps d’un exploit, son trident à ces demi-dieux du ballon rond qui surent, cette fois-ci, en faire bon usage.

Par Laurent Pfaadt

Pour retrouver toutes les infos sur Marseille : https://www.marseille-tourisme.com/

Pour voir un match de l’OM à l’Orange Vélodrome : https://www.om.fr

Boucherie casher

Les puits de Nuremberg évoque un projet méconnu : une vengeance à grande échelle par des juifs victimes de la Shoah

Quand on s’appelle Marat, on a une fâcheuse tendance à vouloir faire couler le sang en abondance. Et celui que répand le journaliste et écrivain polonais Emil Marat dans son nouveau livre est à peine pensable et concerne six millions d’Allemands ! Non, pas six millions de juifs tués dans les chambres à gaz mais six millions d’Allemands.


Pour comprendre une telle chose, il faut entrer dans l’incroyable roman d’Emil Marat, nommé au prix Nike – le Goncourt polonais – en 2019 pour un livre précédent. L’histoire commence en Lituanie et plus précisément à Wilno, aujourd’hui Vilnius. Là-bas, les SS sous la férule du sinistre Franz Murer, le « boucher de Vilnius » commettent de nombreuses exactions et exterminent le ghetto de la ville. Parmi les juifs enfermés là-bas, Abba Kovner qui, avec quelques amis, parviennent à s’échapper et tentent d’organiser, en vain, une révolte.

Ayant survécu à la Shoah, Kovner ne renonce pas à demander justice. Et même s’il témoigne au procès Eichmann en 1961, en vertu de la loi du talion, cet « œil pour œil, dent pour dent » tiré de la Torah, sa justice se nomme vengeance. Un mort pour un mort. Donc six millions d’Allemands. Pour mettre en œuvre son projet, il fonde le groupe Nakam (« vengeance ») en hébreux. C’est à ce moment que notre écrivain déguisé en révolutionnaire sanguinaire se glisse dans la grande histoire pour nous conter par le menu et avec un rythme effréné conférant au livre des allures de thriller, le projet fou de Kovner et de ses compagnons.

Car l’idée de ce dernier est rien de moins que d’empoisonner les réseaux d’eau de la ville de Nuremberg, ce lieu où a débuté l’épopée génocidaire du Troisième Reich et où celle-ci doit prendre fin, si possible dans le sang à l’occasion du procès des principaux dirigeants nazis en 1946. Les villes de Hambourg et de Munich doivent aussi être touchées.

Près de cinquante hommes et femmes venus de l’Europe entière vont intégrer le groupe Nakam. Emil Marat les suit, transportant le poison depuis la Palestine, échafaudant leurs plans. Il construit ainsi un roman qui se lit d’une traite et fait la lumière sur cet épisode resté secret mais qui n’a cependant pas abouti. Kovner est arrêté à Toulon, la faute à un traître infiltré dans le groupe Nakam. Un traître qui a sauvé des millions d’Allemands. Un traître dont le nom est resté secret jusqu’à ce jour. Pour connaître l’épilogue de cette énigme insondable comme un puits, il faut lire ce livre fascinant, une tragédie avortée qui rappelle ces vers d’Andromaque de Racine: « ma vengeance est perdue s’il ignore en mourant que c’est moi qui le tue » Jean-Paul Marat n’aurait pas dit mieux.

Par Laurent Pfaadt

Emil Marat, Les puits de Nuremberg, traduit du Polonais par Katia Vandenborre
Aux éditions Noir sur Blanc, 400 p.