Festival international de musique de Wissembourg

Le festival de musique de Wissembourg, dont les concerts ont lieu durant la seconde quinzaine du mois d’août, fêtait cette année son vingtième anniversaire. Sa relative confidentialité dissimule la haute qualité des artistes conviés et des programmes, tous axés sur la musique de chambre. En témoigne le concert entendu le samedi 24, donné par le Trio Miroir et le pianiste Simon Bürki dans un programme éclectique avec des œuvres de Beethoven, Fauré et Rachmaninov, que l’on n’a pas toujours l’occasion d’entendre.


Photo Michel Le Gris

Sise au pied des Vosges du nord, la petite ville de Wissembourg, outre son abbatiale avec son très bel orgue du 18ème siècle, possède aussi un accueillant auditorium d’environ six cents places et sa scène parfaitement adaptée à la musique de chambre. L’acoustique y est légèrement mate, avantageant plutôt la clarté des lignes instrumentales que leur volupté. Le Trio Miroir, qui s’y produisait samedi 24 août au soir, se compose de trois musiciens de haut vol : le violoncelliste Christophe Morin, officiant, entre autres activités, dans cette formation d’élite qu’est le Mahler Chamber Orchestra, Grégoire Vecchioni, jeune altiste à l’Orchestre de l’Opéra de Paris et Charlotte Juillard, violon supersolo à l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg depuis 2014, très active en matière de musique de chambre, créatrice et première violoniste du quatuor Zaïde de 2009 à 2017.

Le trio n°1 de l’opus 9 de Ludwig van Beethoven ouvrait le concert. Il fait parti d’un ensemble de trois trios pour cordes écrit par le jeune Beethoven dans les années 1796-98 et que le compositeur jugeait, en ce temps-là, comme ‘’la meilleure de ses œuvres’’. Son maître Joseph Haydn estima cependant, lors de leur première audition, que le n°3 de cet opus 9 ferait mieux de ne pas être publié, du fait d’audaces excessives risquant de le rendre insaisissable par ses contemporains. Vu le caractère ombrageux du jeune Beethoven, les relations entre l’élève et le maître n’en furent évidemment pas améliorées. Si le troisième de l’opus 9 est en effet le plus novateur, le numéro 1 entendu l’autre soir reste mélodiquement le plus beau et le plus étonnement varié. Le Trio Miroir en aura donné une fort belle exécution, techniquement parfaite et musicalement pleine d’allant, de spontanéité et de vitalité, assortie à une grande justesse de style.

L’une des belles découvertes de ce concert fut l’audition du très jeune pianiste suisse, Simon Bürki, bardé de premiers prix dans les concours, qui nous offrit une sélection des Préludes de Sergueï Rachmaninov, surement le chef d’oeuvre du compositeur et grand pianiste russe. La maîtrise technique dans cette musique difficile entre toutes et l’engagement subjectif que déploient ce jeune homme, le caractère naturel des nuances et la tenue des fortissimi dont cette musique abonde mais qu’il ne laissa jamais dégénérer en effet tapageur furent un réel moment de bonheur musical.

Composé en 1887, soit dix ans après son premier et mélodieux quatuor avec piano, le second des quatuors de Gabriel Fauré est d’un style tout autre, bien plus audacieux et novateur, rompant par ailleurs avec l’ambiance intimiste dans laquelle baigne généralement sa musique. Cette œuvre d’une bonne trentaine de minutes réparties en quatre mouvements débute par un allegro très modéré, suivi d’un scherzo d’une grande vivacité, d’un mouvement lent introspectif et d’un allegro molto s’achevant de manière quasi-convulsive . Rien à voir avec l’ambiance contemplative du quintette avec piano que Fauré composera ultérieurement ! Simon Bürki et les membres du Trio Miroir, excellement réunis pour cette seconde partie du concert, ont bien fait entendre tous les contrastes et les changements d’atmosphère qui scandent cette œuvre, à la fois tendue, méditative, mystérieuse, inquiète et finissant dans l’agitation.

Michel Le Gris

Un été avec les Dumas

Le Comte de Monte-Cristo par Nicolas Bernard

Plus que mon Dumas préféré, mon roman préféré ! Comment ne pas vibrer devant l’incroyable destinée d’Edmond Dantès, victime innocente d’une trahison perfide, revenu d’entre les morts sous les traits d’un mystérieux aristocrate, détenteur d’une fortune aussi démesurée que sa rancœur ? Dumas ne cesse de nous surprendre : on croit démarrer une aventure maritime, on embraye sur une injustice politique, avant d’être jeté dans le roman carcéral, qui se transforme en récit d’évasion, puis en chasse au trésor, en attendant la vengeance elle-même, mécanique froide de destruction pure – c’est-à-dire qu’elle n’épargne rien, pas même les enfants. Au rythme effréné de ce jeu de massacre, le lecteur se prend à douter : Dantès n’a-t-il fui son cachot que pour se murer dans la haine ? C’est de soi-même qu’il faut parfois s’évader, pour mieux se retrouver, semble nous dire Dumas. Intemporel. 

Nicolas Bernard est avocat et écrivain.
Dernier livre paru : Oradour-sur-Glane, 10 juin 1944, Histoire d’un massacre dans l’Europe nazie,

aux éditions Tallandier, 400 p.

Des rêves devenus films

Une magnifique rétrospective sur James Cameron permet de plonger dans ses films et dans sa vision de nos sociétés modernes

Qui ne connaît pas James Cameron ? Avatar, Terminator, Titanic ou Aliens, le retour sont devenus des monuments du cinéma, parties intégrantes de son patrimoine. Des blockbusters à regarder en famille qui nous poursuivent jusque dans nos rêves. Mais dire que cela serait commettre une injustice à l’égard de ce réalisateur qui développa bien plus qu’une simple succession de films à succès.


James Cameron Portrait de Rose, avril 1992, Avatar Alliance Foundation
© James Cameron

En réalité, on connaît assez mal les ressorts du cinéma de James Cameron. Raison de plus pour se plonger, grâce à la merveilleuse exposition que lui consacre la Cinémathèque française, dans ces abysses cinématographiques que le réalisateur affectionne tant.

Profondément influencé par l’âge d’or de la littérature de science-fiction notamment Isaac Asimov et Arthur C. Clarke mais également les comics, le jeune James Cameron s’appuya sur l’interprétation de ses rêves pour élaborer ses premières œuvres illustrées par les dessins tirés notamment de l’Avatar Alliance Foundation qui contribua grandement à l’organisation de cette exposition mais également pour jeter les bases de ses succès futurs comme on construit une bibliothèque mentale dans laquelle il puisa. « Les rêves sont des images, mais je suis persuadé qu’il recèlent des éléments narratifs codés permettant d’en comprendre le sens. Ces images ne viennent pas de nulle part, elles s’accompagnent d’un codage inconscient, presque comme des sous-titres que le rêveur peut lire » explique ainsi le réalisateur canadien. Intégrant l’atelier de maquettes du roi de la série B, Roger Corman, tout en dessinant un certain nombre d’affiches, James Cameron débuta véritablement comme réalisateur avec Piranha 2, les tueurs volants en 1981 avant d’enchaîner trois ans plus tard avec Terminator. Une fois encore, ses rêves jouèrent un rôle de matrices créatrices. Alors qu’il se rendait à Rome pour la postproduction de Piranha 2, James Cameron tomba malade. « A cause de la fièvre, j’ai rêvé d’un squelette en chrome qui émergeait d’un mur de feu (…) Pour moi, ce rêve signifiait que ce robot avait l’air humain au départ, mais que le feu avait fait fondre sa peau. C’est de là que vient Terminator » explique-t-il dans le catalogue de l’exposition, complément indispensable à cette dernière où le réalisateur raconte la fabrication de ses chefs d’œuvres.

Terminator

Ce film marqua bien évidemment une étape cruciale tant dans sa carrière que dans le développement de sa vision artistique et philosophique. Terminator et sa suite désormais culte Terminator 2 : le jugement dernier, sorti en 1991, fascinent toujours autant jeunes spectateurs de l’époque devenu quadragénaires et adolescents qui se pressent devant le storyboard du film ou le bras mécanique du T-800 incarné à l’écran par Arnold Schwarzenegger. Cette communion des générations autour du film s’explique aussi bien par la qualité artistique de la saga mais également, dans notre époque habituée à vivre avec smartphones et réseaux sociaux, par son côté visionnaire. Ainsi lorsque James Cameron dépeignit, il y a quarante ans, les règnes à venir de la robotique ou de l’intelligence artificielle ainsi que leurs dérives tout en affirmant cependant que le problème n’est pas tant la technologie que l’usage que l’humain en fait, il ne se doutait pas que la compagnie Skynet de Terminator ressemblerait à l’X d’un Elon Musk. Un film de science-fiction qui a, aujourd’hui, des allures de réalité ou en tout cas, de proche avenir. Un film qui questionne également l’évolution à venir des facultés humaines sous l’effet de la technologie.

L’exploration du cosmos (Aliens, le retour) et des profondeurs (Abyss) répondent à ce même impératif chez le réalisateur canadien avec plusieurs questions : que faisons-nous de nos découvertes ? Pour assurer uniquement notre domination ? En incluant de la plus belle des manières la dimension écologique à son cinéma avec Avatar, il parachève une œuvre à la fois artistique et philosophique emprunte cependant d’une forme de pessimisme sur l’avenir de l’humanité.

Occupant une partie importante de l’exposition où se pressent ces nouvelles générations fascinées qui attendent avec impatience le troisième opus de la saga en 2025, Avatar embarque littéralement le visiteur. On a l’impression d’être sur Pandora avec sa galerie de personnages, ses décors en jeux de lumières et les différents processus de création parfaitement décortiqués. Une atmosphère exposée de la plus belles des manières et servies, comme à chaque fois, par des objets tirés de collections américaines comme le scénario original de Titanic ou de musées tel celui du cinéma et de la miniature de Lyon pour permettre aux visiteurs d’entrer en contact, en immersion avec le cinéma du maître. Et comme point d’orgue la reconstitution d’une pièce du mythique paquebot où l’on se retrouve presque à toucher une Kate Winslet plus belle que jamais. Comme dans un rêve.

Par Laurent Pfaadt

L’art de James Cameron, La Cinémathèque française,
jusqu’au 5 janvier 2025

A lire le catalogue de l’exposition : Tech Noir, l’art de James Cameron, la Cinémathèque française, Huginn & Muninn/Dargaud

Retrouvez toutes les informations ainsi que la rétrospective des films de James Cameron sur : https://www.cinematheque.fr/cycle/james-cameron-1215.html

Rentrée littéraire

Malgré-nous, Malgré quoi ? pouvait-on encore entendre dans la bouche de certains confrères il y a quelques années à propos de l’incorporation de force des Alsaciens-Mosellans dans la Wehrmacht et la Waffen SS durant la seconde guerre mondiale. La faute à un tabou de l’histoire française jamais purgé, passé sous silence y compris par des victimes soucieuses de retrouver cette même histoire nationale dont ils furent privés.


Des traumatismes que les victimes ont avec leurs silences emportés dans la tombe tout en les transmettant aux générations suivantes désireuses pourtant d’en savoir plus, de connaître leurs passés pour mieux se construire. C’était sans compter intellectuels et hommes de lettres bien décidés à briser ces silences afin d’offrir à la fois aux mânes de leurs morts, à l’histoire de France et à eux-mêmes quelque repos salvateur.

De féroces soldats, le nouveau roman de Joël Egloff, prix Inter 2005 pour L’Etourdissement est une de ces offrandes. Dans ce récit personnel intimiste et bouleversant, il raconte à hauteur d’adolescent, l’histoire de son père, écrasé par la grande roue de l’Histoire, en même temps que celle de sa chère Moselle devenue territoire du Reich. Une roue qui déferla en 1940 lorsque la France, vaincue, vit ses enfants partir vers le Nord puis revenir dans une province dévastée qui bientôt, envoya ses enfants servir un uniforme qui n’était pas le leur. A travers sa famille, l’auteur montre magnifiquement ce pays battu et pourtant solidaire et surtout ces êtres privés de tout qui développèrent une résilience incroyable et manifestèrent un courage exemplaire en trouvant refuge notamment dans cette citadelle identitaire qu’est leur langue, le platt. Il expose également cette angoisse qui grandit avant de devenir cauchemar lorsque l’incorporation de force fut décidée en 1942 et devient une réalité pour lui, le 5 octobre 1943.

« Même si le mot t’est encore inconnu, à dater de ce jour et pour le restant de ta vie, comme cent trente mille autres, désormais tu es un « Malgré-nous » » écrit Joël Egloff dont le père est alors incorporé dans une SS – malédiction de l’âge – expédiée dans les Ardennes et en Hongrie pour servir de chair à canon à un régime à l’agonie. Dix-huit ans pour découvrir une guerre et déjà une vie derrière soi sans savoir si elle va se poursuivre. Il y a là, dans le miroir de l’Histoire, un adolescent au contact de la guerre et un autre écoutant les souvenirs d’un père. Et dans leurs reflets, l’expérience du feu par ce même père face aux cendres du souvenir d’un fils qui souhaite, tel un phénix, ressusciter et traverser ce même miroir pour être là, avec lui.

Ces féroces soldats sont bien plus qu’un simple roman, qu’un simple témoignage familial. C’est une  pierre de plus dans le jardin de la reconnaissance de cette injustice qui, de l’Alsace à la Pologne en passant par la Belgique, le Luxembourg et bien entendu la Moselle, continue à planer au-dessus des mémoires de ces hommes et de ces femmes obligés de servir un régime qu’ils n’ont pas choisi. Le père de Joël Egloff survécut. D’autres n’eurent pas cette chance. Grâce au destin, il nous laisse ce livre précieux.

Par Laurent Pfaadt

Joël Egloff, Ces féroces soldats
Aux éditions Buchet Chastel, 240 p.