Rentrée littéraire Premiers romans

Marie Kelbert, Le Buzuk, éditions Viviane Hamy, 240 p.

Mamie fait de la résistance. Joséphine ange gardien et un Rex aux allures de saucisse. Mettez tout cela dans un shaker, secouez le bien et vous obtiendrez le Buzuk, premier roman de Marie Kelbert, sexagénaire avertie. Le Buzuk – ver en breton – est le nom de ce teckel que notre héroïne, Joséphine, a hérité de son défunt mari.

Un conseil tout d’abord avant de vous lancer dans la lecture de ce roman : ne privez pas votre mère de ses petits-enfants car ce livre aura pour vous des airs non pas de dystopie mais d’autofiction ! Car votre mère risque, comme notre héroïne en culottes longues, de se trouver une autre guerre à mener. Et si à deux pas de chez vous, on s’apprête à rejouer l’Austerlitz environnemental, comptez sur Joséphine pour se muer en impératrice de Saint-Anne revenu de Sainte-Hélène sur son destrier à courtes pattes et à la tête de grognards façon ZAD.

C’est donc parti pour la retraitée non pas de Russie mais du Finistère en lutte avec son armée de briques et de dreadlocks contre la construction d’un golf au beau milieu du Finistère. Les gâteaux au chocolat et autres cookies vont avoir un petit goût fumé aux gaz lacrymogènes bien évidemment. On ne sait pas si Jacques – son défunt mari parce qu’il en faut un bien évidemment pour construire tout triomphe – se retourne dans sa tombe lorsqu’elle vient lui narrer ses aventures mais s’il l’a fait, c’est pour voir sa chère Couette de plûmes se transformer en combat de coqs.

Le Buzuk est donc un bonbon façon tête brûlée avec sa dose de saccharose et ses combats remplis de cannabis et d’hélium qui, grâce à la plume avertie et cocasse de l’autrice, finissent comme la célèbre friandise, par nous exploser en bouche. Pour notre plus grand plaisir bien évidemment !

Anouk Schavelzon, Le bleu n’abîme pas, Seuil, 240 p.

Changement radical d’ambiance avec l’émouvant premier roman d’Anouk Schavelzon. Le bleu n’abîme pas est un miroir littéraire que tend l’autrice à notre perception de l’exotisme fait de fantasmes et de stéréotypes. Autoportrait trempé dans la fiction, il raconte l’histoire de Luna, une jeune femme de vingt ans aux multiples identités qui vit dans le douzième arrondissement de Paris et confronte son métissage à la société française. S’ouvrant par l’agression de cette dernière dans une boîte de nuit où elle est renvoyée à son seul corps, le roman se déroule ensuite comme un piège qui engloutit son héroïne et va jusqu’à enfermer cette dernière dans une prison identitaire. Une assignation à perpétuité qu’elle va tenter de combattre.

Questionnement incisif sur l’altérité, Le bleu n’abîme pas interpelle en réalité notre vision de l’autre, la différence et surtout sur notre capacité à s’affranchir de notre instinct de domination façonné inconsciemment par l’histoire pour considérer l’autre pour ce qu’il est : notre alter ego humain. Un roman qui parlera assurément à toutes celles à qui on demande en permanence : « tu viens d’où ? » et qui s’évertuent ou renoncent, de guerre lasse, à répondre « de France ». Faut-il trahir ses origines pour vivre libre ? Aimer ses bourreaux pour avoir la paix et gagner sa place ? Ce roman est en réalité une clé pour ouvrir la porte de cette prison. Il revient au lecteur de la tourner. La porte s’ouvrira-t-elle ? L’avenir nous le dira.

Bénédicte Dupré La Tour, Terres Promises, Le Panseur, 320 p.

C’est véritablement la belle surprise de cette rentrée littéraire côté premiers romans. D’ailleurs la critique ne s’y est pas trompé puisque le livre de Bénédicte Dupré La Tour, autrice vivant à Lyon mais née en Argentine, collectionne les nominations notamment celle du Prix du roman Fnac. A-t-elle puisé dans sa terre natale ce souffle épique qui traverse de part en part comme une volée de flèches indiennes ce roman magnifique ? C’est fort probable. Car au son du vent de l’histoire et des grandes plaines résonnent à la fois ceux des balles de Colt et du destin de chacun des personnages de Terres promises.

Alors embarquez pour le Far West de ce XIXe siècle avec un roman choral extraordinaire où chaque chapitre a sa propre histoire et finit par rejoindre les autres, par s’emboîter dans un ensemble comme la charpente d’une église du Nouveau monde dont on suit, poutre après poutre, la construction. Parvenu au sommet, le lecteur découvre alors l’horizon et reste stupéfait de tant de beauté. Auparavant, il a trouvé ce qu’il recherchait : sept personnages inoubliables indispensables à tout fresque où chacun aura son préféré, de vastes étendues, des duels et surtout de la poésie. Quand les femmes se mettent à dégainer le Colt littéraire, ça déménage et en même temps, elles transforment la violence en chants, tantôt de sirènes tantôt de muses. Céline Minard le fit avec Failli être flingué (Rivages, 2013). Désormais, dans les saloons littéraires où se distribuent les prix à coups de pokers menteurs, il faudra compter avec Bénédicte Dupré La Tour et sa prose qui ne bluffe pas.

Par Laurent Pfaadt

Peinture sans frontières

Le Musée Granet met à l’honneur le peintre baroque Jean Daret

Aujourd’hui quasiment oublié, le peintre bruxellois Jean Daret (1614-1668) attendait sa résurrection  depuis longtemps. Quatre siècles plus tard et malgré une réapparition partielle en 1978, la voici enfin arrivée grâce à cette première monographie magnifique que lui consacre le musée Granet d’Aix-en-Provence, cette ville qu’il plaça sur la carte de la peinture européenne du XVIIe siècle, une ville qui, à cette époque, concentrait un certain nombre de centres de pouvoir propres à attirer  des artistes importants comme Nicolas Pinson et Louis-Abraham van Loo.


Escalier hôtel Chateaurenard
© Ville d’Aix

Né bruxellois dans ces Pays-Bas espagnols dont il tira sa formation et dans ce siècle qui donna quelques génies immortels tels Philippe de Champaigne, bruxellois comme lui et qui eut sur Daret une influence majeure et Le Caravage qu’il vit lors d’un voyage à Rome, Jean Daret s’imposa très vite comme l’artiste majeur de ce Grand Siècle en Provence. L’exposition qui réunit une centaine d’œuvres du peintre sur les 195 répertoriées parfois issues de collections particulières ou de la Horvitz collection, du nom du collectionneur américain, Jeffrey Horvitz qui possède notamment la plus importante collection privée de dessins français en dehors de l’Europe mais également de communes plus ou moins grandes ayant confié au musée leurs trésors, réussit ainsi à offrir aux visiteurs une vision globale et exhaustive de l’art de Jean Daret.

Jean Daret, Lamentation, Musée des Beaux Arts Marseille
©Ville de Marseille

La richesse ainsi que la variété des œuvres présentées permettent donc de tracer un panorama pictural, une palette qui se décline à l’échelle européenne, à l’aise aussi bien dans les scènes religieuses, ce qui valut d’ailleurs à Jean Daret de nombreuses commandes d’édifices religieux, que dans l’art du portrait où il montra un talent reconnu de tous notamment de Pierre Maurel de Pontevès, intendant général des finances en la généralité d’Aix qui lui passa un certain nombre de commandes. Ainsi La Crucifixion avec la Vierge des sept douleurs (1640) ou L’Assomption témoignent d’une utilisation éclatante des couleurs, en particulier de ces rouges et bleus qu’il affectionna tant et que l’on retrouve notamment dans ses drapés de la vierge qui témoignent d’une admiration pour Rubens et Carrache. Et lorsqu’il finit par mêler les deux, ses portraits de saints notamment ceux réalisés pour la chapelle Notre-Dame-de-Consolation d’Aix-en-Provence en particulier Saint Sidoine et Saint Zacharie avec leurs alliances d’ocre et d’or, confinent au sublime.

Pourtant, le talent de Daret fut également son talon d’Achille, celui de ne pouvoir être rangé dans une école, dans un courant artistique. La multitude d’influences que son art absorba – clair-obscur, baroque, classicisme, peinture italienne, hollandaise – le laissa finalement aux marges et devint selon Jane MacAvock, historienne de l’art et coordinatrice du très beau catalogue qui tient lieu de monographie de référence, ce « peintre insaisissable ».

Pour autant et l’exposition le montrant brillamment, Daret cultiva un style qui lui fut propre  symbolisé par sa Mort de saint Joseph (1649) qui, installé à côté de toiles similaires de ses contemporains (Nicolas Mignard, Reynaud Levieux) frappe par son énergie, par ce mouvement qui lui donne une vivacité stupéfiante. Un côté vivant presque avant-gardiste à l’image de ce Portrait de Robert de Pille en chasseur (1661), premier portrait connu de chasseur de la peinture française et qui rappelle assurément les grands maîtres hollandais. Une peinture qui devait ravir jusqu’au roi Soleil lors de la venue de ce dernier à Aix-en-Provence en 1660 où le monarque put ainsi admirer l’exceptionnel escalier en trompe l’œil de l’hôtel de Châteaurenard, point d’orgue d’une exposition qui se déploie hors les murs. Comme pour rappeler que ce peintre n’eut pas de frontières.

Par Laurent Pfaadt

Jean Daret, Peintre du roi en Provence, Musée Granet,
Aix-en-Provence
Jusqu’au 29 septembre 2024.

A lire le catalogue : Jean Daret (1614-1668) : Peintre du Roi en Provence, Lienart, 272 p.

Rentrée littéraire

Arturo Perez-Reverte, L’Italien, traduit de l’espagnol
par Robert Amutio
Aux Editions Gallimard, « Du monde entier », 438 p.

Un héros s’échouant sur une plage et recueillit par une princesse. Cela vous rappelle-t-il quelqu’un ? Ulysse bien entendu. Et voici que l’un des plus grands conteurs de romans d’aventures s’emparant du mythe, le transpose dans une autre guerre – le second conflit mondial – et sur un autre rocher, Gibraltar, dans ce sud de l’Espagne où notre marin a pris depuis longtemps ses quartiers littéraires pour nous offrir son nouveau roman.


Le célèbre auteur espagnol nous raconte ainsi l’histoire de cette guerre sous-marine qui opposa forces de l’Axe en particulier italiennes et la perfide Albion qui régnait alors sur ce caillou devenu un nid d’espions. Chargés de saboter les navires anglais, quelques plongeurs italiens, à bord de maiale, ces torpilles vivantes sur lesquelles ces hommes prenaient place, sont chargés, pour le compte du Duce de mettre en échec, dans cette partie de Méditerranée, la flotte anglaise. Pourtant, les risques sont grands : accidents, noyades, captures ou morts. C’est ce qui aurait dû arriver au sottocapo Teseo Lombardo, un homme façonné par « des siècles de soleil et de mer Mediterranée » et  d’« innombrables tempêtes, guerres, pêches, et naufrages, des navires échoués sur le sable sous le ciel étoilé, des feux de bois flotté » Mourir en contemplant une dernière fois dans le ciel l’Orsia Maggiore, la Grande Ourse, cette constellation qui a donné son nom de son unité. Son destin croisa cependant une autre étoile, celle de l’énigmatique Elena Arbues et allait torpiller son cœur. Avec cette nouvelle figure féminine à la fois mystérieuse et digne, Arturo Perez-Reverte complète sa merveilleuse galerie littéraire. Aux côtés de la comédienne Maria de Castro et de l’espionne du NKVD Eva, il faudra désormais se souvenir de la libraire de Gibraltar.

Arturo Perez-Reverte a découvert cette histoire il y a plusieurs décennies. Il n’était alors qu’un brillant journaliste. Mais il a conservé ce précieux matériel qu’il a su mettre en scène en même temps que son personnage et son enquête dans ce récit qui mêle plusieurs voix et plusieurs époques. Enveloppé dans un art du récit qu’il maîtrise désormais à merveille, il livre un roman d’aventures et d’amour passionnant et très réussi.

Par Laurent Pfaadt