Un film de Claire Burger
Originaire de Forbach en Moselle, à la frontière allemande, la réalisatrice de Party Girl et de C’est ça l’amour a grandi avec cette double culture. Cependant, c’est l’Allemagne de l’Est qui l’a intéressée avec un personnage incarnant la jeunesse de ce pays passé à l’économie libérale depuis la chute du mur et devenu l’enjeu de l’extrême droite. Elle interroge les aspirations de la jeunesse d’aujourd’hui avec deux jeunes filles, l’une de Leipzig, l’autre de Strasbourg.
Fanny arrive à la gare de Leipzig, venue en voyage d’étude. Fanny dira à sa mère au téléphone : « Ma correspondante ne me correspond pas ! » Mais les deux adolescentes vont finir par s’apprivoiser et surtout susciter l’admiration l’une pour l’autre – Lena très politisée et Fanny riche de récits qui fascinent Lena. Elle a notamment une grande sœur qu’elle ne connaît pas, activiste, membre du Black Bloc. Les deux filles apprennent à se connaître, entre les cours auxquels Fanny participe pour perfectionner son allemand et les fêtes où elles vivent leurs premiers émois amoureux. Puis c’est Lena qui vient passer quelque temps dans la famille de Fanny. Fanny est une élève harcelée, la cible de moqueries de ses camarades de classe, Lena essuie leur ignorance et leur bêtise en tant qu’allemande. Quant aux adultes avec leurs malheureux secrets, ils sont démissionnaires de leurs idéaux de jeunesse. Reste la sœur de Fanny. Elles partent à sa recherche.
Récit d’apprentissage, le film s’achève sur ces questions : « Où allez-vous ? Qui êtes-vous ? », paroles de Possession chantée par Rebeka Warrior du groupe Kompromat. Car Langue étrangère interroge les aspirations des deux jeunes filles, leur peur de l’avenir et la déception que leur inspirent les adultes, en l’occurrence leurs parents qui ont trahi leurs rêves de jeunesse, la mère de Lena, impériale Nina Hoss et la mère de Fanny, Chiara Mastroianni, au jeu toujours juste. Lena, particulièrement mature, a une conscience aigüe de la crise politique européenne mais également de toutes les dérives d’une société qui court à sa perte. Quel combat mener ? Pourquoi n’en mener qu’un ? Parler des jeunes d’aujourd’hui est complexe car tous n’ont pas les préoccupations de Lena. Pourtant, la jeunesse est de plus en plus mobilisée dans les manifs et pour des causes différentes remarque Claire Burger : « Je me suis nourrie de mes souvenirs d’adolescente lors de mes séjours à l’étranger, en essayant de les réactualiser, de les mettre à la page avec une réflexion sur ce que vit la jeunesse d’aujourd’hui : la guerre à nos portes, la crise climatique, la montée du populisme, l’ère de la post-vérité… »
La période de l’adolescence c’est aussi les affres amoureuses et le désir d’être aimée. Fanny est-elle une menteuse ? Une manipulatrice ? Mais Lena croit dans ses récits. « Le mythomane se fond avec l’autre, il raconte ce à quoi l’autre veut croire, il invente de la fiction. » Fanny embarque Lena dans son scénario et Lena veut bien se laisser embarquer. Les deux comédiennes jouent leur partition en belle alchimie. Lilith Grasmug et Josefa Heinsius devraient faire parler d’elles dans le cinéma à venir.
Elsa Nagel