Varsovie célèbre la musique africaine

Le continent africain était à l’honneur de la 20e édition du
Cross-Culture Warsaw Festival

Depuis vingt ans, le Cross-Culture Warsaw Festival pilotée par la Stoleczena Estrada est devenu le rendez-vous incontournable de la world music dans la capitale polonaise. Des plus connus comme Youssou N’Dour, Boubacar Traoré ou Femi Kuti aux plus confidentiels, tous les artistes louent la qualité de ce festival ainsi que l’attention portée aux artistes. Avec comme moteur la tolérance et l’ouverture d’esprit, ce festival a ainsi fidélisé un public qui répond, chaque année, présent, toujours aussi friand de ce choc des esthétiques tant attendu.


Copyright Radek Zawadski

A l’occasion de son vingtième anniversaire, le festival n’a pas failli à sa réputation et a donné rendez-vous aux spectateurs pour un voyage fortement teinté de couleurs musicales africaines. Il a cependant échu à Duk-soo Kim et à l’ensemble Sinawi d’ouvrir cet arc-en-ciel musical avec leurs rythmes chamaniques et la voix de pythie de sa chanteuse comme pour annoncer l’écho de cet océan rythmique prêt à déferler dans ce palais de la culture transformé en navire musical. Et avant d’atteindre les gradins du théâtre, les alizés du festival ont traversé les îles d’un Cap Vert habitué à faire escale dans ce port musical, cette fois-ci en compagnie d’Elida Almeida qui, en digne héritière de la grande Cesaria Evora, séduisit des spectateurs qui n’en demandaient pas tant. Drapée dans une magnifique robe orange, elle a ainsi délivré sur des rythmes chaloupés entretenus par une basse et une batterie très en verve, les titres de ses divers albums que le public a repris avec joie.

Elida Almeida et Radek Zawadski Bonga
Copyright Radek Zawadski

Il était dit que nos marins seraient napolitains, jouant de la mandoline sur le pont d’un navire dénommé le Suonno d’Ajere, et revisitant la chanson traditionnelle et populaire de Naples. Et il était également dit que la figure de proue de ce navire serait une sirène dénommée Irène Scarpato enveloppée dans sa robe de lumière et battue par des flots de guitare et de mandoline. Avec sa voix plongeant dans les graves, mélancolique à souhait et capable de chanter tant la tragédie que la comédie, elle a émerveillé une Varsovie qui, pourtant, s’y connaît en matière de sirène. « Nous sommes en même temps si comiques et si dramatiques » s’est-elle plu à rappeler. Tantôt Nausicaa receuillant son Ulysse, tantôt mégère invectivant le passant depuis son balcon de la cité parthénopéenne, le Suonno d’Ajere fut un rêve musical éveillé.

Il fallut pourtant reprendre ses esprits, sortir de notre rêve car au loin, dans le crépuscule du samedi, une tempête était sur le point d’éclater. Une tempête bienveillante qui secoua les passagers de notre navire. Une tempête venue d’Angola et nommée…Bonga. Mondialement connu notamment pour sa chanson Mona Ki Ngi Xica, Bonga, celui qui a récemment fêté ses 82 ans et demeure une légende dans son pays – l’ambassadeur d’Angola en Pologne avait fait pour l’occasion le déplacement –  est alors monté sur scène, accompagné de son dikanza, ce bambou strié frotté par une baguette et a distillé un semba dont il demeure assurément le maître et qu’il a magnifié sur Homen do Saco ou Recordando Pio. Il n’a fallu que quelques titres endiablés teintés de rumba congolaise ou de zouk antillais pour embarquer une salle qui, très vite s’est mise à se mutiner dans des travées transformées en un pont où régna une joyeuse anarchie. Les révoltés du Bounty ont ainsi laissé la place aux possédés du Bonga qui, aux cris de Capo Lobo, ont sonné la charge et n’ont quitté leur navire qu’à regret après avoir épuisé le capitaine.

Ainsi dévasté par tant d’émotions, il ne restait plus qu’au groupe algérien Lemma et à Cheikh Lo qui suppléa brillamment Oumou Sangaré, de clore cette vingtième édition qui, comme les précédentes, restera longtemps dans toutes les mémoires.

Par Laurent Pfaadt

Une ville traversée par le long fleuve de l’histoire

Si Varsovie a été quasiment détruite à l’issue de la seconde guerre mondiale, l’histoire y est demeurée omniprésente

Une ville pareille à un fleuve. Avec sa source souvent teintée de sang et son estuaire qui regarde fièrement vers l’avenir. Les habitants de Varsovie ont l’habitude de dire que l’histoire réside sous leurs pieds, dans la terre mêlée de cendres et de ruines desquelles ont été tirées le béton de ces gratte-ciel qui se dressent aujourd’hui fièrement tels la Varso tower, qui, du haut de ses 310 mètres, est la plus haute tour d’Europe. Du béton mais également le métal de ces anciennes usines d’électricité ou de produits de placage et d’argent reconverties en endroits branchés où se masse la jeunesse polonaise contribuant ainsi à faire de la ville la destination touristique préférée des Européens en 2023. Sur la Nowy Swiat, la « Voie Royale », l’une des grandes artères de la ville où les pierogis, les fameux raviolis, côtoient le khachapuri géorgien, ce pain plat cuit à la poêle et garni d’un mélange de fromages et les fast food, l’histoire irrigue depuis toujours et en permanence une ville à nulle autre pareille, à l’image de cette Vistule qui la traverse et la construit. Des pierres qui hier, édifiaient des usines, sont celles qui pavent le chemin de ces jeunes Européens.

Une ville à l’identité juive encore très marquée et symbolisée par le musée Polin, institution culturelle retraçant brillamment et à grands renforts de pédagogie l’histoire des juifs de Pologne qui a fêté cette année son dixième anniversaire et qui se trouvait en plein ghetto. Ici près de 300 000 juifs y furent regroupés avant d’être déportés depuis la sinistre Umschlagplatz vers le camp d’extermination de Treblinka situé à une cinquantaine de kilomètres au nord de la capitale polonaise. Situé en pleine forêt, le site mérite assurément un détour pour la solennité de ce lieu hérissé de 17 000 pierres tombales où près de 900 000 juifs périrent entre 1942 et 1943.

A l’image des remous du fleuve, Varsovie peut être capricieuse, rebelle. Elle l’a démontré à plusieurs reprises : par deux fois contre l’occupant allemand : en 1943 avec la révolte du ghetto puis en août 1944 avec sa fameuse insurrection qui a fêté son 80e anniversaire mais également face au communisme avec Solidarnosc et quelques espions tels Ryszard Kuklinski qui a donné son nom à un nouveau musée de la guerre froide. Ayant rejoint l’Union Européenne, les cataractes de l’histoire sont alors devenues musées tels celui de l’insurrection de Varsovie avec, grâce à une scénographie parfaitement réussie entre mitraillettes Sten et presses clandestines, de magnifiques reconstitutions de rues ou d’égouts – sans les odeurs on vous rassure – où circulaient les insurgés.

Polish History Museum
copyright Polish History Museum

Ces musées, à l’image des affluents de l’immense fleuve de histoire, ont fini par converger vers de nouvelles institutions telles que le musée de l’histoire polonaise, immense palais futuriste – la troisième saison de la série Fondation sur Apple TV y a été tournée – regroupant espace muséal, bibliothèque, salles de conférences, de musique – un auditorium capable d’accueillir 580 personnes et un orchestre symphonique – et de cinéma et qui ambitionne de devenir, selon le porte-parole de l’institution, Michal Przeperski, « l’endroit culturel où il faut être ». Conçu par le WXCA Architectural Design Studio, le complexe qui abrite également sur son esplanade le musée de l’armée et le futur musée de Katyn est, avec ses 44 000 m² l’un des plus grands d’Europe. Sa conception puise dans la métaphore de la pierre pour narrer l’histoire polonaise. Cela tombe bien puisque l’une des premières expositions temporaires s’attache à démontrer à travers le cinéma, la littérature ou les rites funéraires, le pouvoir du storytelling. Un pouvoir que s’évertuera également à dispenser, à partir de la création contemporaine, le nouveau musée d’art contemporain dont l’ouverture est prévue à la fin du mois d’octobre. Des pierres qui désormais ne résident plus sous les pieds des Varsoviens mais se dressent vers le ciel comme pour écrire une nouvelle histoire.

Si l’histoire se trouve dans les abysses d’un fleuve dictant à la ville son destin et dans ces épreuves qui ont été souvent tragiques, elle résonne également dans ce ciel que Frédéric Chopin et aujourd’hui le Cross-Culture Warsaw Festival illuminent de leurs musiques. Autant dire que les remous d’une ville toujours en effervescence n’ont pas fini de résonner et de séduire tous ceux qui voudraient se plonger dans ce fleuve multiculturel en perpétuel mouvement.

Par Laurent Pfaadt

Où dormir : Le Motel One Warsaw-Chopin situé en face du Musée Chopin offre d’excellents services et un excellent Urban Breakfast Bio qui vaut le détour. Chambre à partir de 73 euros.

Où manger : Les deux restaurants The Eater propose de merveilleux plats revisités de la cuisine polonaise notamment des pierogis, la spécialité nationale, ces succulents raviolis fourrés dans leur sauce au yaourt ou des panko crusted potatoes, des croquettes de pommes de terre fourrées au fromage.

Pour préparer votre voyage, consultez le site de l’office de tourisme polonais sur :https://www.pologne.travel/fr

Favoriser la tolérance entre les cultures et une ouverture d’esprit

Anna Wojtkowiak est la directrice adjointe de Stołeczna Estrada, l’institution culturelle qui organise et gère le Cross-Culture Festival de Varsovie. Pour Hebdoscope, elle revient sur l’histoire de ce festival devenu un rendez-vous incontournable de la world music en Pologne.


Anna Wojtkowiak
© Stołeczna Estrada

Quel est le but principal de ce festival ?

Vous savez, Varsovie a beaucoup changé et le festival a, lui aussi, beaucoup évolué. Mais nous ne nous sommes jamais éloignés de notre but premier qui est de favoriser la tolérance entre les cultures et une ouverture d’esprit. Les débuts en 2005 n’ont pas été faciles mais le festival s’est aujourd’hui imposé et dispose d’un public fidèle et important. En vingt ans, c’est 280 artistes venus de 77 pays et six continents qui se sont produits durant ce festival.

Un festival qui ne se résume pas uniquement qu’à la musique…

Oui, vous avez raison. Des tables rondes sont également organisées pour évoquer les grandes tendances qui traversent le monde. C’est important pour la ville et ses habitants d’être associés, via ce festival, à la marche du monde. C’est pourquoi nous organisons des échanges entre des artistes polonais et étrangers. Notre festival a contribué à sa façon, je pense, à faire de Varsovie une ville multiculturelle. Nous avons été, en quelque sorte, l’étincelle.

Un monde dans lequel Varsovie a toute sa place

Exactement. Il aide à déconstruire un certain nombre de stéréotypes en mettant l’accent sur la différence, l’altérité et surtout sur le fait que les autres, par-delà les continents, vivent et ressentent les mêmes choses que nous. Nous sommes certes différents mais nous nous rejoignons sur un certain nombre de choses, voilà le message que nous véhiculons à travers nos actions. Et quelques fois, le festival peut changer des vies.

Comment cela ?

Nous avons vécu une expérience incroyable avec un groupe d’enfants venu du Burkina Faso, en 2009. C’était leur premier déplacement hors du pays. Il sont venus ici, au festival et en rentrant, ils ont fondé un groupe de jeunes musiciens. Six ans plus tard, ils se sont produits lors d’un concert jeune public organisé par le festival. C’est ici que leur carrière internationale est née et cela nous rend très fiers.

Durant ces vingt années d’existence, si vous ne devez conserver qu’un seul souvenir, lequel choisiriez-vous ?

Quelle question difficile ! Mais je dirais tout de même cet artiste venu de Pakistan. Il s’est dégagé quelque chose, ce soir-là, qui est allé au-delà de la simple musique. Ce fut un moment de grâce absolue. Ce fut si incroyable, si mystique que j’en ai pleuré. Et je n’étais pas la seule ! Voilà ce que je garderai avec moi même s’il y a, chaque année, des moments, des émotions incroyables !

Interview Anna Wojtkowiak par Laurent Pfaadt