Lacrima

La théâtralisation d’un atelier de haute couture est en quelque sorte une aventure car il est   loin d’être un lieu coutumier pour une telle entreprise. C’est pourtant là que Caroline Guiela N’guyen a décidé de nous entraîner pour nous conter la fabuleuse confection de la robe de mariée de la princesse anglaise dont il nous restera à trouver quelle elle est en fait. Mais là n’est pas la question.


© Jean-Louis Fernandez

 Cette plongée dans la vie d’un atelier en pleine et constante effervescence constitue l’intérêt principal de cette création.

Quand le rideau s’ouvre nous sommes immédiatement au cœur de l’action, comme le prouvent les éléments du décor, sous une lumière blanche, apparaissent les tables de travail, les mannequins  qui portent déjà de magnifiques robes, celle de la mariée, blanche, brillante  extrêmement élégante et une rose tout aussi magnifique.

Et aussi le drame tout de suite, la première d’atelier épuisée, dépassée a avalé des cachets et meurt, malgré l’intervention des secours. 

Comment en est-on arrivé là ?

Le récit sera l’objet de cette représentation qui va montrer le cheminement complexe qui mène de la joie extrême à la négation de soi.

Tout commence en effet par cette annonce venue de Londres, c’est la maison de couture Beliana à Paris qui a été choisie pour exécuter la robe de mariage de la princesse.  Marion, la première d’atelier  (magnifique interprétation de Maud Le Grevellec) et toute son équipe se sentent honorées par ce choix, mais comprennent vite la responsabilité qu’elle leur fait endosser en entendant les exigences prononcées avec autorité et sans ménagement par le responsable de la cour en charge de faire exécuter au mieux et dans des délais relativement courts cette extraordinaire commande et ce en gardant le secret absolu sur cette réalisation.(Vasanth Selvam ). Marion souscrit à tout et met son monde au travail. On suit l’évolution de cette réalisation, les discussions entre Paris et Londres pour des mises au point nécessaires mais toujours impératives.

On apprend que pour cette robe sublime, le dos devra être brodé et que la longue traine sera  le fameux voile en dentelle d’Alençon, une vraie pièce de musée qui va nécessiter d’être restauré.

Habilement, la metteuse en scène nous propulse grâce à la vidéo auprès des dentellières  qui vont faire l’objet d’une émission  de radio qui leur permet de dire ce qu’est cet art de la dentelle ,la passion qu’elles éprouvent pour ce travail délicat et le perfectionnisme qu’il exige. 

De même, nous suivrons en vidéo dans l’atelier de MumbaÏ en Inde le travail minutieux d’Abdul, le brodeur de perles courbé sur son ouvrage, les yeux au plus près du tissu qu’il tient précautionneusement (Charles Vinoth lrudhayaraj).

C’est ainsi que la pièce met en valeur le travail professionnel, le savoir-faire de ceux qui restent souvent dans l’ombre et méritent toute notre admiration quand leurs travaux nous sont révélés.

A la manière des séries que nous suivons à la télévision, nous devenons témoins de l’évolution  de cette mise en chantier de la confection de la robe, de la fatigue, de l’angoisse qu’elle suscite  chez la directrice de l’atelier soumise à une pression constante et des tensions que cela  déclenche, scènes de ménage entre Marion et Julien (Dan Artus) son mari  devenant jaloux, soupçonneux et violent, arrivées impromptues de la fille frustrée de ne plus voir sa mère toujours occupée ,indisponible, des moments de pur réalisme qui ponctuent cette représentation. Et pour rester dans le réalisme on aborde  les problèmes de santé  liés à des travaux délicats, difficiles  qui épuisent la vue des dentellières comme celle du brodeur et visites médicales  à l’appui on met en évidence que  ceux qui s’adonnent sans compter à réaliser  de superbes objets peuvent se mettre en danger sans que les commanditaires en aient la moindre connaissance.

La dernière scène qui reprend la première en est la criante illustration, nous montrant comment la conscience professionnelle  mise à mal par un incident technique pousse Marion au suicide. Ainsi,  aura -t-elle payé de sa vie la splendeur qu’elle aura accepté de créer en dirigeant une équipe expérimentée et laborieuse.

Une véritable leçon de vie portée  par des comédiens à l’engagement indéniable  qu’ils soient professionnels ou amateurs  puisque Caroline Giuela Nguyen se plaît à les diriger ensemble réussissant  ainsi à créer  ce théâtre  qu’elle veut populaire.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 24 septembre au TNS

En salle  jusqu’au 4 octobre