Vilde Frang, Elgar, concerto pour violon

Le concerto d’Elgar est certainement le moins connu des grands concertos pour violon mais n’en est pas moins fascinant. Composé entre 1909 et 1910 et dédié au célèbre violoniste Fritz Kreisler, ses versions par le jeune Yehudi Menuhin en 1932 ou Jascha Heifetz avec le LSO en 1949 font encore aujourd’hui référence.

Vilde Frang, soliste norvégienne qui s’est imposée depuis quelques années sur la scène internationale s’est emparée de l’œuvre et il faut bien le dire, avec talent. D’emblée, elle laisse exploser sa virtuosité dans un premier mouvement très réussi avant d’entamer un dialogue musical assez subtil avec un orchestre tenu parfaitement par le chef Robin Ticciati. La fin du second mouvement vient matérialiser cette très belle rencontre qui prend des airs d’osmose.

Reste alors à Vilde Frang de conclure ce concerto dans un final étourdissant en lui instillant une magnifique dimension énigmatique, mystérieuse, rendant par là même un très bel hommage à ce  concerto en mémoire d’un autre ange.

Par Laurent Pfaadt

Vilde Frang, Elgar, concerto pour violon, Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, dir. Robin Ticciati
Chez Warner Classics

Soeurs de marbre

Le musée du Louvre célèbre les chefs-d’œuvre de la collection Torlonia

Une exposition en forme de voyage dans le temps et plus particulièrement sous la Rome antique. Voilà ce que l’on ressent immédiatement en pénétrant dans la très belle exposition que le musée du Louvre consacre au chefs d’œuvre de la collection Torlonia. Une collection élaborée au gré des acquisitions des collections de la noblesse romaine et plus particulièrement celle des familles Albani et Giustiniani pour la montrer ensuite à de petits groupes de visiteurs dans une institution appelée à un brillant avenir : un musée. Et il fallait bien un écrin royal avec ces appartements d’été d’Anne d’Autriche enfin restaurés pour accueillir ces empereurs qui vous contemplent, vous dévisagent, et semblent comme Hadrien, vous toiser. On pourrait citer Napoléon et ces quarante siècles qui vous contemple tant l’exceptionnelle qualité de ces portraits frappe par leur incroyable réalisme comme ce Septime Sévère aux traits marqués par l’âge ou les rides profondément incisées du vieillard d’Otricoli. Le visiteur regarde à deux fois les annotations et reste fasciné, subjugué. Oui, ces quelques portraits parmi les 109 de la collection ont bien été réalisés il y a près de mille huit cent ans.  


Lucius Verus 
© Fondazione Torlonia

Bien évidemment, nous n’avons pas été le seuls à subir le charme voire l’ensorcellement de ces sculptures. D’autres avant nous, et non des moindres notamment Le Bernin n’ont pu rester de marbre devant elles puisque le maître a restauré le fameux Caprone datant du IIe siècle après J-C. Surprenante est également l’irruption de la couleur avec ces marbres colorés, ce bigio morato noir et le porphyre du Dace captif qui donnent ainsi une puissance insoupçonnée à cette statuaire en la rendant plus vivante que jamais.

« Cette exposition s’attache donc à écrire une histoire de la sculpture romaine, qui procède à la fois d’un temps historique de réception et d’une rédaction contemporaine appuyée sur la science archéologique » estiment Carlo Gasparri, Salvatore Settis et Martin Szewczyk dans le très beau catalogue accompagnant l’exposition. Les diverses œuvres présentées permettent ainsi de mesurer les diverses influences qui traversèrent la sculpture romaine et notamment cette modernité hellénistique très populaire, véritable « révolution esthétique » selon Fabien Queyrel, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études, contributeur lui-aussi du catalogue. Une modernité hellénistique qui suscita d’abord des réactions hostiles avant d’être adoptée dans les hautes sphères militaires, politiques et culturelles de l’Empire et que l’on retrouve notamment dans les très beaux bas reliefs ornant les sarcophages présentés tels celui du centurion Lucius Pullius Peregrinus. Une modernité grecque qui attira à Rome les meilleurs sculpteurs grecs venus se mettre au service d’une intelligentsia romaine symbolisée par le sénateur Hérode Atticus (101-177). Professeur de rhétorique ayant eu notamment comme élève le futur empereur Marc-Aurèle devenu un homme politique influent et riche, Hérode Atticus favorisa dans ses diverses demeures et en particulier dans celle de la via Appia, une politique artistique emprunte d’influences hellénistiques et egyptisantes à l’image de cette incroyable statue de divinité assise : Hygie.

Statue Hygie
© Laurent Pfaadt

Les fouilles archéologique menées sur le site de la villa d’Hérode Atticus au XVIe siècle ont ainsi révélé des trésors qui ont ensuite rejoint la collection Borghèse qui elle-même, durant l’Empire, a été incorporée à celle du Louvre. Celle-ci s’est ensuite enrichie d’autres pièces par exemple le buste d’Hérode Atticus, découvert en 1819 par Louis-Ferdinand-Sébastien Fauvel et ayant appartenu à la collection du comte de Choiseul-Gouffier. Une villa qui, sous la pyramide du Louvre, abrite les retrouvailles de ces deux collections sœurs, permettant enfin de rattraper un temps perdu figé dans le marbre.

Par Laurent Pfaadt

Les chefs-d’œuvre de la collection Torlonia, Musée du Louvre jusqu’au 11 novembre 2024

Catalogue de l’exposition :
Chefs-d’oeuvre de la collection Torlonia, sous la direction de Martin Szewczyk, Carlo Gasparri et Salvatore Settis
Louvre éditions/Le Seuil, 340 p.

Pour les générations futures

Le 13 avril 2005, Simone Veil, alors membre du conseil constitutionnel, était invitée à donner une conférence à l’Ecole Normale Supérieure dans le cadre d’une semaine de commémoration et de réflexion sur la Shoah. L’intervention, enregistrée, donne aujourd’hui lieu à ce livre inédit. S’astreignant à une certaine réserve sur les questions européennes même si celle qui fut la première présidente élue au suffrage universel du Parlement européen finit par les aborder notamment la nécessité pour les ennemis d’hier de se réconcilier, Simone Veil évoque surtout dans cet ouvrage sa déportation.

A travers les grandes étapes de sa vie d’adolescente, de Nice à son retour de déportation en passant par Auschwitz, le lecteur retrouvera les grands thèmes défendus par l’ancienne ministre : le devoir de mémoire et le pouvoir que peut exercer la littérature sur sa défense, l’antisémitisme et la pensée nazie, et une condamnation du négationnisme. Ses mots sont emprunts d’une émotion palpable lorsqu’elle fait l’apologie des justes qui ont notamment sauvé des enfants juifs, et forcent le respect lorsqu’ils évoquent cette histoire coloniale, cette « histoire des relations avec la France, déchirées ensuite par la guerre. » « Il faut la connaître et apprendre à la vivre ensemble » dit-elle.

Mais surtout, en abordant ces questions devenues toujours plus actuelles, Simone Veil envoie une brûlante adresse à ces nouvelles générations pour se souvenir et ne pas céder aux extrêmes. Qu’il est bon de retrouver cette voix juste et sage surtout par les temps qui courent.

Par Laurent Pfaadt

Simone Veil, Pour les générations futures
Aux éditions Albin Michel, 160 p.

L’autre Reich de mille ans

Brillante synthèse du Saint Empire romain germanique par l’historienne allemande Barbara Stollberg-Rilinger

Voilà un ouvrage plus que salutaire et qui permet aux lecteurs d’entrer dans cette structure politique et confessionnelle qui a présidé aux destinées de l’Europe pendant près d’un millénaire. Sous la plume de la grande historienne allemande Barbara Stollberg-Rilinger, titulaire pendant longtemps de la chaire d’histoire moderne à l’université de Münster et dont les travaux font autorité, cette courte synthèse permet de rendre compréhensible non seulement l’organisation du Saint Empire romain germanique mais à travers lui, les grandes lignes de fracture qui ont traversé l’Europe et plus particulièrement celles de ses composantes germanique et slave.


Souhaitant ainsi « expliciter la singularité et la complexité spécifiquement prémodernes de l’Empire ancien », l’autrice parvient avec brio à dessiner les contours politiques, économiques, culturels et confessionnels de ce corps vivant, non figé qui a été capable de s’adapter aux différentes périodes historiques de l’Europe et a dû affronter des périls qui l’ont poussé à s’adapter et à passer des compromis.

Sa structuration et sa composition hiérarchie pyramidale se fondait sur une puissance universelle et transpersonnelle centrée autour de l’imperium c’est-à-dire de la figure de l’empereur « qui donnait à l’ensemble une unité et une légitimité essentiellement symboliques ». Car au départ, comme le rappelle Barbara Stollberg-Rilinger, le Saint Empire était un réseau d’intérêts de familles régnantes avant de devenir « une communauté politique cohérente ». Une communauté politique d’une plasticité assez stupéfiante, sorte de triple fédération juridique, financière et de paix. Une sorte d’anti État moderne sans frontières clairement définies et sans population homogène qui va cependant connaître un phénomène de territorialisation. Une structure qui fut malmenée par la Réforme et la financiarisation de l’économie européenne puis par la guerre de Trente ans. C’est finalement l’empereur Napoléon qui allait donner le coup de grâce à cet autre Reich de mille ans.

L’éclairage fort pertinent de Barbara Stollberg-Rilinger donne également à comprendre la genèse de cette culture du consensus qui imprégna le Saint Empire romain germanique et qui a laissé, comme une sorte d’atavisme, des traces dans les démocraties qui lui ont succédé.

Un livre plus actuel qu’il n’y paraît.

Par Laurent Pfaadt

Barbara Stollberg-Rilinger, Le Saint Empire romain germanique, de la fin du Moyen Age à 1806, traduit de l’allemand par Denis-Armand Canal,
Passés Composés, 192 p.

Rencontre au sommet

Le pianiste russe Mikhaïl Pletnev donnait à Paris l’intégrale des concertos pour piano de Serge Rachmaninov

Il est des concerts qui restent. Et au vu de la standing ovation que reçut Mikhaïl Pletnev après avoir achevé dans l’auditorium de Radio France son intégrale des concertos pour piano de son lointain prédécesseur, Serge Rachmaninov, il est certain que ceux-ci en feront partie.


Mikhaïl Pletnev 
©Edouard Brane

Mais pour que cela fut possible, il fallait au compositeur un interprète qui soit à la hauteur de son génie et il faut bien reconnaître, avec Mikhaïl Pletnev, Rachmaninov ne s’est pas trompé. Pianiste génial, fondateur et chef de l’Orchestre National de Russie, Mikhaïl Pletnev connaît bien la France qui le chérit à chacun de ses passages et surtout Rachmaninov qu’il a, à de nombreuses reprises, interprété et enregistré au disque, notamment dans une magnifique version avec son compatriote Mstislav Rostropovitch (DG, 2003) qui a vanté « sa technique phénoménale (qui) lui permet d’articuler les différentes notes avec une vitesse fantastique comme dans le final du troisième concerto ».

Après une première soirée consacrée aux deux premiers concertos, Mikhaïl Pletnev se retrouvait ainsi au pied de cet Everest pianistique, le Rach 3, qui constitue autant de passes obligées pour tout pianiste et qu’il a, à maintes reprises, gravés et gravis. Pour y parvenir, il a d’abord fallu parer l’orchestre philharmonique de Radio France de son manteau russe, ce qu’a parfaitement réussi le chef finlandais Dima Slobodeniouk afin de devenir ce magnifique sherpa montant avec le pianiste, sans précipitation et avec des équilibres sonores respectés et de merveilleuses pages orchestrales surtout dans un second mouvement très réussi. Restait alors à notre soliste à s’élancer à l’assaut du sommet. Avec une facilité déconcertante et cette virtuosité qui lui est coutumière, Mikhaïl Pletnev a progressivement escaladé la lente pente de ce troisième mouvement escarpé avant de livrer un final éblouissant sans effets superflus tout en gardant suffisamment de souffle jusqu’à la dernière note pour éviter de s’égarer dans ces tempêtes musicales qui tournoient tout en haut et menacent souvent d’emporter l’interprète. Rachmaninov l’y attendait assurément.

Il faut dire que notre homme s’était doté de l’équipement nécessaire à son succès. Sa technique sublimée par son traditionnel Kawaï a ainsi permis de gagner en intensité libérant parfaitement des émotions souvent bridées voire annihilées par des Steinway trop métalliques. Cette sensation fut surtout patente dans un quatrième concerto en forme de descente où il a fallu résister aux orages initiaux dans un premier mouvement tonitruant et piégeux. Avec assurance, la formidable complicité entre le soliste et l’orchestre a ainsi libéré des pages musicales cinématographiques où notre pianiste, contemplant cette chaîne musicale façonnée par Rachmaninov, est arrivé sans encombres dans le cirque du second mouvement. Là-bas régnait une quiétude seulement perturbée par de petits flocons de neige en noir et blanc et quelques éclaircies musicales irisées qui sont venues conclure une soirée où il y avait, dans les notes du pianiste russe et dans l’air, quelque chose de l’ordre du mystère, quelque chose d’assurément russe.

Par Laurent Pfaadt

Pour retrouver toute la programmation de l’Orchestre Philharmonique de Radio France :

https://www.radiofrance.com/les-concerts-de-radio-france

Le peuple est immortel

En cet été 1941, Vassili Grossman, écrivain apprécié par le régime se trouve sur le front. Les Allemands, depuis le 22 juin, ont renversé une Armée rouge en pleine débâcle et massacré russes et juifs dont la propre mère de Grossman à Berditchev. Journaliste pour l’Etoile rouge, le journal de l’armée, il écrit alors, à partir de son expérience un récit de guerre d’abord publié en feuilleton à l’été 1942 et qui va devenir le Peuple est immortel, premier roman soviétique sur la guerre. Il raconte ainsi l’encerclement par la Wehrmacht d’une brigade en Biélorussie. Le roman pourtant sélectionné pour le prix Staline en 1943 n’obtient pas ce dernier en raison de l’hostilité du dictateur pour un écrivain qui avait fait l’éloge de Lénine et de son internationalisme. Ce n’est qu’après la guerre, en 1946, que le public français allait découvrir ce roman mais dans une version censurée.

Poursuivant son entreprise de republication des œuvres de Vassili Grossman, les éditions Calmann-Levy donnent ainsi à voir un roman de guerre qui séduira les néophytes de l’œuvre du grand écrivain tout en offrant une porte d’entrée de l’univers de Grossman. Aux plus avertis, il constituera l’antichambre littéraire du génie à venir, la mue de papier d’un écrivain prêt à franchir le Rubicon soviétique lorsqu’il pointe notamment avec une incroyable insolence littéraire l’incurie du régime qui s’est effondré devant l’invasion allemande. Mais surtout, le Peuple est immortel doit être compris comme « un appel à demeurer unis face à la menace de destruction » selon Luna Jurgenson qui signe la préface. A travers sa glorification des nationalités qui composent l’URSS, sa prose emprunte d’un mysticisme religieux qui, en soit, est d’une audace incroyable avec sa dimension eschatologique, et la puissance de la description des hommes face à leurs destins annonçant les chefs d’œuvre à venir de Grossman, Le Peuple est immortel mérite assurément toutes les attentions.

Par Laurent Pfaadt

Vassili Grossman, Le peuple est immortel, traduit du russe par Claire Delaunay et Luba Jurgenson
Chez Calmann Levy, 352 p.

Festival Musica 2024

C’est le rendez-vous incontournable de la rentrée culturelle à Strasbourg et dans la région avec à son programme des œuvres inattendues et la découverte de nouveaux compositeurs et de remarquables interprètes à leur service.


C’est au Maillon qu’ont eu lieu les premiers rendez-vous dans un patio où se croisaient les « Anciens et fidèles de ce festival qui en est à sa 42ème édition et de plus jeunes ou nouveaux  spectateurs, les premiers plutôt décontenancés par le fait que le public quelque peu livré à lui-même  ne devait que se référer au plan distribué dans le programme de la soirée pour effectuer une déambulation qui le  conduisait à aller écouter un groupe de chanteurs, à être interpellés par de brusques éclats sonores et à détecter les messages inscrits sur différents panneaux,  propositions de treize artistes, prélude  et hommage  au compositeur néerlandais Louis Andriessen, dont l’œuvre « DE STAAT» fait l’objet  de la première partie du concert donné dans la grande salle vers laquelle les musiciens ont introduit le public. Cette œuvre peu interprétée a été composée en 1976 par Louis Andriessen, pour mettre en question les rapports de la musique et du politique, s’appuyant pour étayer cette thèse sur les écrits de Platon soutenant dans la « République » que des liens existaient entre les modes musicaux et l’état de la société et que pour ne pas le bouleverser  il fallait se garder de toute innovation ce qu’Andriessen réfute.

Ce sont les ensembles Asko Schönberg et Ensemble Klang sous la direction de Clark Rundell qui interprètent avec brio et conviction  cet « Etat de musique », les musiciens  se répondant parfois en parfaite symétrie et par blocs constitués par les deux pianistes, les deux harpes, les cors avec leur forte résonance, les trompettes et les trombones renforçant l’énergie que déploie une partition aux riches et multiples propositions que soulignent les groupes des haubois, des altos et des deux guitares, la basse et l’électrique, les textes étant chantés par les sopranos Els Mondelaers et Bauwien van der Meer et les mezzo-soprano Michaela Riener et Anna Trombetta Cette remarquable interprétation était suivie en deuxième partie d’une oeuvre  d’Oscar Bettison, un élève  d’Andriessen « The slow weather of dreams » composée en 2024.

Ce sont les mêmes ensembles que nous retrouvons pour le concert intitulé « LA PERSEVERANCE » traduction de « De Volharding » nom donné à une formation fondée en 1971 par Louis Andriessen et Willem Breuker, pour jouer dans les rues et sur le terrain des luttes sociales et se situant au croisement de la fanfare et de la musique contemporaine.

Quatre œuvres au programme

« Dance works » de Steve Martland, nous offre une musique très rythmée comme le soulignent les balancements du chef d’orchestre, de la pianiste et du guitariste, tous très impliqués.

Julia Wolfe dans “Arsenal of democracy” présente une partition où se succèdent sons aigus, bégaiements, accélérations et fortes montées en puissance.

Dans « Nautilus » d’Anna Meredith, on voit le chef Joey Marijs quitter son pupitre pour s’installer près de la batterie et de la grosse caisse et s’adonner à mettre en valeur cette partition marquée par la répétition.

Dans la dernière partie nous découvrons avec « Mis for Man, Music, Mozart ce qu’a produit la collaboration d’Andriessen avec le réalisateur Peter Greenaway, une sorte de ciné-concert où s’entrecroisent des images de corps nus qui dansent avec des images de chair sanguinole, pour évoquer d’une certaine façon une
« création » de l’homme, homme de chair, de paille, épouvantail le tout accompagné de cette musique répétitive, soulignant l’expressivité et l’étrangeté des images.

Deux grands moments ce dimanche 22 septembre, le matin avec le récital de piano de Ralph van Raat interprétant « THE PEOPLE  UNITED WILL NEVER BE  DEFEATED » Une œuvre signée Frederic  Rzewski  écrite en 1975, à partir d’un chant révolutionnaire chilien  dont les paroles furent écrites par les Quilapayùn et la musique par Sergio Ortega en  soutien à Salvador Allende, un chant qui nous tient particulièrement à cœur car nous en connaissons l’histoire et avons eu bien des occasions de le chanter lors de manifestations au cours desquelles il a galvanisé nos espoirs, d’autant  que  le compositeur y a adjoint  deux succès populaires le chant révolutionnaire italien
« Bandiera Rossa » et l’hymne antifasciste « Solidaritaslied ».

L’interprétation des trente-six variations qui en sont ici proposées souligne le côté engagé, la détermination des adeptes de la liberté. Le pianiste fait varier les rythmes pour mettre en évidence les moments de lutte, la joie d’être unis pour triompher et ne se départit pas d’un jeu ininterrompu et très expressif qui remporte l’enthousiasme du public à qui il accorde deux rappels.

Ce même jour, l’après-midi nous avions l’occasion avec le concert intitulé « CAVACAR » de retrouver une formation toujours très appréciée à Musica, l’Ensemble L’Imaginaire pour l’interprétation de trois morceaux écrits par le compositeur brésilien Sergio Rodrigo. Les trois musiciens, la flûtiste Keiko Murakami, le saxophoniste Olivier Duverger et la pianiste Carolina Santiago Martinez se révèlent d’une grande virtuosité pour mettre en valeur ce travail élaboré à partir de la transposition des sonorités et des rythmes qui caractérisent au Brésil l’usage d’une petite guitare, le cavaquinho.

Après le jeu subtil de la pianiste dans « Cobra arco-iris » pour piano seul nous sommes, comme toujours émerveillés par le talent de Keiko Murakami que nous connaissons bien. Dans ce morceau intitulé « Cosmogrammes pour flûte basse seule » elle développe un jeu très retenu, une tension faite de souffles mesurés, variés, étonnants qui nous tiennent en haleine .

Dans le troisième morceau « Cavacar » les trois interprètes se retrouvent autour du piano, jouant à frapper les cordes faisant alterner temps forts et accalmies, attentif, chacun à ce que proposent ses partenaires.

Le concert « RESONANZ» nous donne à entendre un ensemble de dix-huit cordes. Il est placé ce jour sous la direction de Peter Rundel pour, en première partie, une pièce de François Sarhan, en création mondiale, entre délicatesse et frénésie, monte en puissance, puis s’apaise d’un coup, offrant des battements répétitifs, des claquements de mains, une écriture qui s’enjolive, emplit l’espace, pratique le flux et le reflux à l’image des vagues. Création mondiale également pour « Residue » composée par Joanna Bailie qui demande à l’orchestre à cordes d’interpréter une partition qui nous plonge dans la rêverie et la méditation.

Enno Poppe avec « Wald » construit une musique bavarde, remplie d’échanges vifs, marqués par des coups d’archets, des éclats, des sons du quotidien, soulignant un empressement parfois frétillant, plein d’allégresse.

La soirée du 27 septembre est une de celles qui nous aura sans doute le plus touchés puisque nous avions la possibilité d’assister à deux représentations dans le cadre de la programmation du Maillon. D’abord « LA SOURCE» qui nous confrontait à des révélations faites par la lanceuse d’alerte Chelsea Manning concernant les guerres menées  par les Etats-Unis en Irak et en Afghanistan.

Un dispositif vidéo quadri frontal fait que nous ne cessons d’être entourés de visages de femmes, d’hommes de tous âges, de toutes origines, visages immobiles au regard fixe, visages projetés parfois en très gros plan. Derrière le rideau semi opaque se tient l’orchestre qui, sous la direction de Nathan Koci interprète la musique de Ted Hearne dans la mise en scène de Daniel Fish. C’est une œuvre complexe qui ne ménage ni nos yeux ni nos oreilles pour nous mettre au fait des exactions commises pendant ces guerres, alternance de voix graves, cris, martèlements, explosions, images de combats, de tueries, photos projetées de plans, de rapports. Nous sommes cernés, submergés, agressés, fascinés par cette mise en demeure de ne pouvoir échapper à ce qu’il faut bien appeler « les horreurs de la guerre ».

Certains dans le public disaient qu’ils auraient préféré s’en passer.

Quant à nous il nous parait utile et nécessaire que de telles œuvres puissent être créées et diffusées. Leur inventivité ne fait que rendre plus prégnant la force du témoignage qui les habite.

Avec « ALL RIGHT. GOOD NIGHT » une autre confrontation nous attendait, celle avec la disparition, une disparition qui se joue sur deux tableaux celui d’un avion, celui d’une mémoire.

Un spectacle conçu par Helgard Haug, membre fondatrice du collectif Rimini Protokoll pour ce qui est du texte et de la mise en scène auquel s’adjoint la composition musicale de Barbara Morgenstern interprétée par l’orchestre Zafraan Ensemble. C’est en entremêlant  deux histoires terribles et émouvantes que cette œuvre est conçue, celle de la disparition  de l’avion de la Malaysia Airlines le 8 mars 2014 et  les débuts de la démence dont son père est atteint. Les musiciens  tiendront les rôles des passagers prêts à l’envol et de différents personnages au gré d’un récit qui suit le déroulement du temps qui s’écoule entre la catastrophe, encore aujourd’hui inexpliquée et l’annonce officielle 6 ans après de sa disparition, émaillé d’annonces de recherche, de trouvailles de débris, de témoignages, de refus de la  cruelle réalité chez certaines familles, des fantasmes que cela suscite chez d’autres, le presque impossible deuil à faire pour ceux qui ont perdu un proche dans cet accident. Et en totale concomitance  l’irréversible diminution de la conscience du père, qu’on se refuse à voir, contre laquelle se mettent en place des stratégies pour la masquer, sauver les apparences mais  qui  ne peuvent, à la fin  aboutir qu’à l’irrémédiable. La contribution d’une scénographie, parfois à contretemps des drames en cours, signée Evi Bauer, comme cette plage où se prélassent des vacanciers au bord d’une mer houleuse qui rapporte quand même quelques débris supposés appartenir à l’avion disparu et surtout l’apport de la musique où vibraphone, batterie, contrebasse soulignent avec intensité une dramaturgie qui va du côté du réalisme, interpellant fortement nos capacités à  réaliser l’irréalisable, à accepter l’inacceptable, à refuser de se soumettre aux évidences quand elles sont pour nous mortifères.

Un spectacle très émouvant dans lequel les musiciens se sont révélés excellents comédiens.

Deux grands noms de la musique contemporaine sont à l’honneur dans ce Festival, Stockhausen avec »Sirius » et Schönberg auquel un film et un concert  sont dédiés.

Ce soir-là dans un Palais des Fêtes dont le plafond a été étoilé pour la circonstance nous sommes plongés dans une œuvre majestueuse, «  SIRIUS » de Karlheinz Stockhausen écrite en1975-1977, créée  à l’occasion du bicentenaire de l’indépendance des Etats-Unis et qui nous  propose une sorte de voyage dans le cosmos. Un dispositif particulier place musiciens et chanteurs aux quatre points cardinaux, le public lui-même placé suivant ces orientations. Sur les podiums s’installent au Nord la basse, Damien Pass, en face, au Sud, la soprano, Sophia Körber , à l’Est, la trompette, Paul Hübner et à l’Ouest, la clarinette basse, Johanna Stephens-Janning , visages maquillés, les  hommes en toges, les femmes en robes  de cérémonie à la romaine .

Une bande-son fait retentir des bruits d’avion qui décolle, des borborygmes puis s’élève la voix puissante extraordinairement basse du chanteur,  que l’on le voit s’appliquer à des regards perçants,  tournés vers le ciel ou dirigés vers la femme, à des gestes larges, comme ceux d’un prédicateur, doigt tendu en signe d’avertissement, à l’auditoire ou à la femme en face  à qui il s’adresse parfois avec véhémence, (on aurait aimé  avoir le livret pour comprendre leurs échanges) et qui lui répond sans retenue, apprêtant sa voix à d’étonnants registres. La bande-son continue à déverser des bruits de vent, de pluie diluvienne tandis que la trompette entame un magnifique solo avant de laisser la clarinette basse s’engager à son tour dans l’interprétation d’une mélodie nuancée et audacieuse.

Quand les sons de décollage reviennent envahir l’espace, nous savons que le temps est venu de quitter, non sans mal, le monde utopique dans lequel ce spectacle d’une très grande qualité artistique nous a plongés.

L’autre grand compositeur de la musique contemporaine, Arnold Schönberg était à l’honneur ce dimanche après-midi à la Cité de la musique et de la danse puisque le film d’Andreas Morell, produit par Arte  lui était consacré et nous permettait de découvrir comment ce pionnier de la musique contemporaine avait mené sa vie et son œuvre.

Un peu plus tard, au cours du concert donné par le Quatuor Diotima, c’est son « Quatuor à cordes n° 2 de 1907-1908 qui sera interprété . Ouvrant d’abord de larges horizons, la partition revient sur des tourments intérieurs sur lesquels elle semble méditer avant d’entamer un mouvement plus vif, plus sautillant et qu’ intervienne la  soprano Axelle Fanyo, à la voix puissante et nuancée  pour chanter un poème de Stefan George écrit en 1907.

Deux œuvres précédaient celle-ci, le Quatuor no 1 « Bobok » de François Sarhan de2002, au rythme syncopé, tout en contrastes où  se développe le jeu  tout en finesse et virtuose des interprètes, (violon, Yun-Peng Zhao et Léo Marillier,  alto, Franck Chevalier, violoncelle, Alexis Descharmes )

Le Quatuor à cordes no3 d’Helmut Lachenmann « Grido » de 2001 qui offre une musique très particulière avec frottements des cordes, cordes pincées, des sonorités parfois à peine audibles, tout en subtilité et en finesse.

De remarquables interprétations et un après-midi riche en émotions artistiques.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope