Beretta 68

Un court avertissement avant le début du spectacle nous met en garde contre une violence qui pourrait s’exprimer au cours de cette prestation, occasionner un malaise nous poussant à quitter la salle, les sorties nous étant indiquées ! Oh ! là là ! il va falloir être attentifs !


© Jean-Louis Fernandez

Et d’un coup, elles déboulent comme des furies, se précipitant, se bousculant, elles, ce sont les huit comédiennes, anciennes élèves du groupe 47 de l’Ecole du TNS, toutes formations confondues, Loïs Beauseigneur, Léa Bonhomme, Jeanne Daniel-Nguyen, Jade Emmanuel, Valentine Lê, Charlotte Moussié, Manon Poirier, Manon Xardel qui ont formé le Collectif FASP, (filles à son papa) et qui ont co-écrit et mis en scène ce spectacle, issu d’une carte blanche que l’école leur avait proposé en 3 ème année. Les voilà, aujourd’hui bien décidées à nous en remontrer quant à la condition masculine qu’elles ont manifestement placée dans leur collimateur. Il va s’agir à l’évidence d’un spectacle féministe car « ras -le -bol » de la suprématie des hommes et du patriarcat qui écrase les femmes depuis toujours et partout. Alors, leur tirer dessus, pourquoi pas ? Le titre de la pièce devient à ce propos fort suggestif et pertinent (le Beretta étant un célèbre pistolet semi-automatique). Légitimer la violence des femmes, une hypothèse qui pourrait faire consensus.

Mais voyons la manière de nous en convaincre.

Jouer un groupe de femmes qui se réunissent dans une laverie désaffectée pour élaborer, discuter de comment agir contre la prééminence des hommes. Toutes ne seront pas du même avis concernant l’usage de la violence mais d’abord pour nourrir leurs réflexions, pourquoi pas choisir au préalable une référence incontournable, le SCUM Manifesto, manifeste  de l’américaine Valérie Solanas , écrit en 1967,avant son coup d’éclat, en 1968, tirer sur le célèbre artiste Andy Warhol, ce qui lui valut de gros ennuis avec la justice.

Le spectacle nous embarque dans cette rétrospective pour faire vivre cette femme, icône des féministes les plus radicales en confiant ce rôle à la comédienne Jade Emmanuel qui clame haut et fort les extraits du Manifesto et avec une conviction inébranlable porte ce personnage, nous la montrant toujours en action, mettant les autres en demeure de reconnaitre sa valeur d’écrivaine et la justesse de ses engagements, sa capacité à se passer d’avocat et à vouloir se défendre elle-même quitte à passer pour folle.

On retrouve le groupe des activistes dans leur laverie où se manifeste leur désir d’agir sans parvenir à l’unanimité, l’une raconte tout en préparant des sandwiches comment sa mère lui a inculqué les principes à respecter pour devenir une femme parfaite, d’autres préparent  des cocktails Molotov en remplissant des petites canettes de bière avec de l’alcool à brûler, on les voit enfiler de grands manteaux sombres  ou accrocher une reproduction du tableau  d’Artemisia Gentileschi montrant Judith décapitant Holopherne, autant de petites actions qui soulignent leurs intentions d’affirmer qu’elles sont prêtes à se manifester sans exclure violence et désobéissance civile.

La violence légitime est aussi évoquée par le rappel de l’acte de Jacqueline Sauvage qui a tué son mari qui la persécutait, « a-t-elle eu tort ? » posent-elles comme question, pour d’autres, qui ont agi ainsi, même leitmotiv : « a-t-elle eu tort ? »

Porté avec conviction par de jeunes comédiennes pleines d’énergie et très habiles dans leurs prestations, ce spectacle interpelle d’autant que le sujet est des plus actuels, vu le procès en cours des violeurs en série, sans oublier bien d’autres forfaits commis par la gent masculine.

Un « Scum » bien vu, bien pensé, bien mené.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 8 octobre  au TNS  salle Gignoux  jusqu’au 18 octobre