Festival de musique de Bischwiller

Pour sa troisième édition, le festival de musique de Bischwiller offrait sept concerts avec des artistes de renom, dont le Trio Wanderer ou le pianiste Laurent Cabasso. Le jeudi 17 octobre, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg était placé sous la direction de son premier violon solo, Charlotte Juillard, dans un programme associant Bach, Haydn et Mendelssohn.


Charlotte Juillard

Le concert débute avec une grande œuvre de Jean-Sébastien Bach, le concerto pour violon et hautbois en ut mineur BWV1060. L’orchestre accueille, pour l’occasion, l’enfant du pays Marc Lachat, aujourd’hui hautbois solo au Los Angeles Philharmonic, et qui tient ici la partie soliste du concerto en compagnie de Charlotte Juillard au violon. L’orchestre aborde l’oeuvre de façon assez retenue, dans un tempo prudent car l’acoustique très mate de la salle ne pardonne rien. Le dialogue entre violon et hautbois témoigne d’une bonne entente entre les deux solistes pendant que le jeu de l’orchestre, différent des exécutions philologiques sur instruments d’époque telles qu’on les connaît aujourd’hui, penche du côté des interprétations classiques du siècle dernier, défendues alors par des chefs comme Karl Richter ou Karl Münchinger.

Grand changement d’atmosphère avec l’oeuvre suivante, le second concerto pour piano de Felix Mendelssohn écrit dans la tonalité assez sombre de ré mineur. L’orchestre s’étoffe d’une cinquantaine de musiciens avec un parterre de cordes approchant la quarantaine, ce qui épaissit peut-être un peu trop le son dans une acoustique assez rapidement saturée. L’oeuvre n’est surement pas la plus grande que Mendelssohn ait composée, mais elle n’en est pas moins parcourue d’une belle fièvre romantique, très audible sous les doigts de la pianiste Inga Kazantzeva, bien connue à Strasbourg depuis son intégrale des sonates de Beethoven en 2012. En bis avant l’entracte, la pianiste est rejointe par le hautboïste Marc Lachat et le violon de Charlotte Juillard, pour jouer en trio une transcription du lied de Mendelssohn, Im Herbst. Très beau moment de musique de chambre, sonnant particulièrement bien dans la salle.

Mendelssohn a écrit treize symphonies pour cordes entre 1821 et 1823, alors même qu’il n’avait qu’entre douze et quatorze ans ! Jolies petites œuvres de jeunesse, ce sont des exercices de style contrapuntique, dans le sillage de Carl Philipp Emmanuel Bach et même de Jean-Sébastien. Ne prétendant en rien à l’invention formelle et ignorant complètement l’extension beethovénienne de la forme symphonique, elles n’en sont pas moins fort plaisantes à l’écoute, à l’instar de la quatrième en do mineur, jouée avec une grande pureté de style lors de cette soirée du 17 octobre. Les cordes du philharmonique, réunies en petite formation, sont particulièrement belles.

La symphonie n°94 de Haydn en sol majeur est la deuxième de la série de ses douze londoniennes. Son sous-titre de ‘’Surprise’’ vient du soudain coup de timbales qui interrompt brusquement le deuxième exposé du thème principal, dans le mouvement lent andante. Avec entretempsl’évolution de l’écriture musicale et l’effet de surprise s’en trouvant quelque peu émoussé, certains interprètes parfois le revigorent, en faisant par exemple émettre un cri par tous les musiciens de l’orchestre. Charlotte Juillard a, pour sa part, ponctué la fin de ce mouvement lent d’une amusante petite improvisation au violon. On se souvient encore de l’inoubliable interprétation de la 101ème symphonie qu’elle avait obtenue de ses collègues musiciens, il y a deux ans, lors d’un concert au Palais Universitaire de Strasbourg. Cette fois encore, tout est admirable dans son approche de la 94ème : outre la pertinence des tempi, on est saisi par l’éloquence et l’évidence des phrasés, en même temps qu’emporté par une irrésistible vitalité. Les auditeurs qui ne connaissent pas l’oeuvre l’ont donc découverte dans des conditions idéales ; les mélomanes à qui elle est familière auront, comme moi-même, mesuré en quoi l’interprétation de ce soir soutient la comparaison avec les meilleures de la discographie. On espère que le premier violon du philharmonique aura l’occasion de continuer à explorer l’univers symphonique de Joseph Haydn auquel, de toute évidence, elle est si sensible.

Michel Le Gris