Un titre comme une assertion qui interroge mais laisse présumer d’une époque et peut-être d’une entrée dans un stand up.
Très vite nous en avons la confirmation car le comédien,
Éric Feldman qui nous attend avant de commencer son one-man show semble plein
de patience comme s’il se délectait simplement d’être là près de nous. Assis
sur un petit fauteuil, entre ses documents d’un côté, sa carafe et son verre
d’eau de l’autre, on le sent prêt à nous adresser la parole.
Avec modestie, il se présente à nous en coach qui attire notre attention sur la
respiration qui peut très simplement être un moyen d’atteindre une certaine
sagesse, il suffit d’inspirer le positif et d’expirer le négatif, le tour est
joué, il nous demande de pratiquer avec lui, illico cet exercice. Tout cela
dans le but de célébrer la vie sans oublier la mort. Nous obtempérons et ainsi
se crée, une proximité qui lui permet de se confier à nous dans une sorte de
conversation à bâtons rompus où, il nous conduit dans ses souvenirs, ses
pensées mêmes , en procédant par
association d’idées, méthode revendiquée par la psychanalyse thérapie dont il
nous dit faire partie de son parcours, découverte et utilisée pour se faire
réformer, prétextant son côté obsessionnel et le démontrant, nous raconte-t-il,
en se mettant à ranger le bureau de l’officier chargé d’écouter ses doléances.
La psychanalyse dont il pense que si Hitler l’avait pratiquée, ses fatales interventions n’auraient sans doute pas eu lieu. Parmi les digressions dont sont tissées ses propos il fait surgir le personnage d’Hitler d’une manière, là encore inopinée, quand, se souvient-t-il, après avoir fait l’amour, une jeune femme lui avait demandé « à quoi penses-tu ? » et qu’il lui avait répondu « à Hitler ». Ce genre d’effets décalés et plutôt jouissifs lui permet, en fait d’introduire un devoir de mémoire concernant La Shoah, car nécessité fait œuvre face à une génération, pour qui, selon lui, les âges des événements et leur importance se confondent et qu’on ne situe plus très bien, par exemple, la guerre de cent ans !
Alors, quid de La Shoah, comment l’aborder, par quels détours y arriver car il faut y arriver même s’il faut emprunter des chemins tortueux, ce qu’il met en pratique dans ce one man show dans lequel il fait surgir des membres de sa famille, comme tonton Lucien et Tata Sarah, les rendant vivants par des anecdotes parfois drôles à leur sujet. Ainsi apparaissent, les différentes générations, la sienne, celle de ses parents, enfants traumatisés rescapés de la Shoah et les grands-parents qui en furent victimes .
Dans ces digressions il cite le grand écrivain d’origine juive polonaise Isaac Bashevis Singer, ne résistant à faire un clin d’œil aux machines à coudre de la marque Singer !
Que de sujets en enfilade, où il semble passer du coq à l’âne, évoquant par exemple la prononciation souvent erronée du nom « Auschwitz », les commandements de Dieu dont le sixième est » Tu ne tueras pas », le meurtre d’Abel par son frère Caïn et sa réflexion « Suis-je le gardien de mon frère ? », le suicide…
En fait c’est l’art de sortir du sujet sans changer de sujet et nous y retrouvons l’art de l’humour qu’Éric Feldman pratique ici avec dextérité dans cette mise en scène d’Olivier Veillon.
Il nous parlera même de la création du Club Med qu’il voit comme une espèce de « contre camps » après ceux meurtriers de la guerre et terminera sur un chant et une danse en yiddish, la langue des Juifs d’Europe centrale.
Rappelons qu’au fil de ses pensées, bien plus cohérentes qu’il n’y paraît, il fait entendre cette phrase d’André Malraux « La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie ».
Si comme il le dit, il voulait « dans cette autofiction dépasser son histoire personnelle, toucher le cœur des gens et célébrer la joie d’être vivant » sa prestation est une parfaite réussite.
Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope
Représentation du12 novembre au TNS, en salle jusqu’au 22 novembre