Charles Pasqua, Dans l’ombre de la République

Personnage unique dans l’histoire de la Cinquième République, Charles Pasqua fut un savant mélange de Pagnol et de Machiavel. Adepte de coups tordus, stratège politique hors pair, ce personnage truculent toujours prêt au combat, ayant débuté sa carrière chez Ricard avant de connaître tous les secrets du pouvoir a fasciné autant qu’il a suscité des haines.


Près de dix ans après sa disparition, le temps de l’histoire est venu. Ayant eu accès aux archives privées de Charles Pasqua, Pierre Manenti, historien spécialiste reconnu du gaullisme avec sa biographie d’Albin Chalandon (Perrin, 2023) ou ses barons du gaullisme (Passés composés, 2024) et haut fonctionnaire, dessine avec brio le portrait composite et éminemment complexe de Charles Pasqua.

Avec sa gouaille incomparable assise sur une curiosité insatiable, cet adepte de bons mots était aimé de ses amis et craint de ses ennemis. Deux fois ministre de l’intérieur sous les cohabitations d’un François Mitterrand avec qui il entretint des rapports cordiaux – la bonne personne à la bonne place diraient certains – Charles Pasqua alterna échecs – la mort de Malek Oussekine en 1986 – et succès notamment lors de la prise d’otages sur le tarmac de l’aéroport de Marignane en décembre 1994.

Mais Charles Pasqua fut également l’homme des ruptures au nom d’un gaullisme originel et d’un général de Gaulle qu’il vénéra. « Flingueur des centristes et des gaullistes dissidents » écrit ainsi Pierre Manenti. La première fois en 1992 à l’occasion du référendum sur le traité de Maastricht où il choisit le camp du non, rompant avec sa famille politique qui le conduisit à fonder un parti souverainiste, le RPF (Rassemblement pour la France) avec Philippe de Villiers. Puis en 1994 lorsqu’il choisit, à l’instar d’un Nicolas Sarkozy qui lui chipa son fief de Neuilly-sur-Scène, Édouard Balladur plutôt que Jacques Chirac.

Pierre Manenti n’omet bien évidemment pas ces zones d’ombres que mania à merveille Charles Pasqua pour parvenir à ses fins. Une ombre dans laquelle il cacha également ses secrets, ses douleurs comme celle de la disparition de son fils unique. Des ombres qui composent ce livre en forme de portrait tout en clair-obscur, celui de ce joueur conservant toujours dans sa manche un atout pour gagner quitte à connaître à l’avance le jeu de son adversaire.

Par Laurent Pfaadt

Pierre Manenti, Charles Pasqua, Dans l’ombre de la République
Passés composés, 430 p.

Chang’an, cité ouverte

Le musée Guimet consacre une exposition exceptionnelle à la dynastie des Tang

Bien avant les Ming, il fut une dynastie qui marqua profondément l’histoire millénaire de la Chine. Arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’État en 618 – au même moment débute l’Hégire (622) tandis qu’en Europe règnent les Francs – Li Yuan devient ainsi Tang Gaozu, le premier empereur de la dynastie Tang qui allait régner depuis sa capitale Chang’an (actuelle Xi’an) pendant près de trois siècles sur la Chine.


Le musée Guimet invite ainsi dans une magnifique exposition immersive à pénétrer dans cette cité ouverte et cosmopolite, point d’orgue de la célébration du 60e anniversaire des relations diplomatiques entre la France et la Chine. Et pour célébrer cet anniversaire, la Chine a, pour la première fois, autorisé la sortie du pays de nombreux objets d’exception. Invité à passer les portes de la capitale, le visiteur découvre quant à lui une cité réputée pour le raffinement tant de son orfèvrerie avec ces merveilleuses épingles à cheveux à décors de grenades et d’oies sauvages et ce sublime coffret avec incrustation de nacre symbole de l’art traditionnel chinois, que de ces banquets garnis de mets fins célébrés par des poèmes offerts aux visiteurs. « La capitale était un lieu de vie collectif, ouvert sur le monde extérieur, où cohabitaient des expériences variées au quotidien » estiment ainsi Arnaud Bertrand et Huei-Chung Tsao, commissaires de l’exposition dans le catalogue, parfait prolongement de l’exposition.

Chang’an est alors, avec ses 110 quartiers et sa population de près d’un million d’habitants, la plus grande ville du monde. Le visiteur déambule tantôt dans ses deux marchés longs d’environ un kilomètre chacun ou dans les deux pagodes de l’Oie sauvage encore visibles de nos jours pour y découvrir la tolérance religieuse qui y régna et symbolisée par ce Guanyin aux onze visages ou cette stèle vantant la foi nestorienne. « Pendant trois siècles, la Chang’an des Tang fut l’une des très rares grandes métropoles de son temps ; elle attira les élites des pays et ethnies de tous les horizons, qui s’y installèrent pour laisser libre cours à leurs talents et profiter d’un certain art de vivre » rappelle Rong Xinjiang, professeur au département d’histoire de l’université de Pékin.

Les Tang favorisèrent également le développement du bouddhisme dans le royaume de Corée et au Japon grâce aux échanges commerciaux notamment celui de la céramique qu’ils développèrent et que l’on retrouve tout au long de l’exposition avec une série d’objets fascinants comme cette vaisselle de grès porcelaineux blanc d’une sobriété à faire palir les designers scandinaves ou ce Musicien sur un chameau venu de Bactriane (actuel Iran). Une dynastie qui intensifia ses échanges commerciaux sur la fameuse route de la soie en développant par la même occasion les interactions diplomatiques et culturelles avec les autres parties du monde connues et symbolisées par ces statues en terre cuite de personnages étrangers découverts en 2001 dans la tombe du général Mu Tai.

Car depuis le palais Daming et la cité impériale où résidaient la cour et une administration impériale centralisée, l’empereur bâtit un empire qui résista aux nombreuses menaces de l’époque. Un empire qui accorda également aux femmes une place prépondérante comme en témoigne ces fabuleuses joueuses de polo juchées sur ces chevaux qui sont, chez les Tang, synonyme de force et de rapidité et illustrés notamment par de magnifiques terres cuites à glaçure comme ce Cheval découvert en 1972. Des femmes qui atteignirent le sommet du pouvoir avec Yang Guifei, la favorite la plus célèbre de l’histoire chinoise, surnommée « Beauté de Jade » et plusieurs fois incarnée au cinéma et surtout Wu Zeitan, seule impératrice de Chine (690-705) qui s’entoura d’un gouvernement de femmes et résida à Luoyang, la seconde capitale de la dynastie.

Après avoir renversé l’impératrice qui tenta de fonder sa propre dynastie, les Tang atteignirent leur apogée avec l’empereur Xuanzong surnommé Minghuang (« Empereur Brillant, Glorieux Monarque ») dont le règne (712-756) est considéré comme l’âge d’or de la dynastie. C’est la grande époque de la poésie chinoise avec Li Bai et Du Fu mais surtout avec le musicien, poète et peintre Wang Wei, figure de proue d’artistes regroupés dans l’académie Hanlin, sorte d’académie française portée par un empereur lui-même poète et musicien. Des arts qui portèrent les Tang au firmament de l’histoire chinoise, magnifiquement restituée dans cette très belle exposition.

Par Laurent Pfaadt

La Chine des Tang, Une dynastie cosmopolite (7-10e siècle), Musée national des arts asiatiques-Guimet
Jusqu’au 3 mars 2025

A lire le catalogue :

La Chine des Tang. Une dynastie cosmopolite / Tang China. A Cosmopolitan Dynasty
Une coédition musée Guimet / GrandPalaisRmn, 304 p.