Antigone à Molenbeek & Tirésias

Par Guy Cassiers, directeur artistique du Toneelhuis d’Anvers,
pièce créée en octobre 2020 et recréée en version française.

Après l’adolescent Fritz  de  » L’étang  » nous retrouvons un autre personnage, jeune adulte dans  cette pièce écrite par Stefan Hertmans dont le titre nous intrigue en raison de l’alliance de ces noms Antigone, personnage de l’Antiquité et Mollenbeek, quartier mal famé de Bruxelles.

On comprend vite la possibilité de ce rapprochement quand on voit apparaître Nouria, étudiante en droit qui exprime avec force et véhémence le désir de trouver le corps  de son  » petit frère  » comme elle ne cesse de le nommer, pour pouvoir l’enterrer. Ce sera son leitmotiv.

A cette demande sans cesse réitérée auprès de la police il lui sera répondu systématiquement qu’on ne sait pas, qu’on n’a pas d’élément pour lui dire où il se trouve et que de toute façon, étant donné qu’il est un jihadiste donc un ennemi public, un traître, il ne mérite aucune attention. Elle refuse ce  » portrait  » qu’on fait de lui, maintenant qu’il est pour elle et restera son  » petit frère « .

Ayant perçu qu’il existe dans la ville un Institut Médicolégal, elle
réussit à s’y introduire. La vidéo de Charlotte Bouckaert nous
permet de suivre son exploration des lieux et de lire sur son visage
en gros plan l’émotion qu’elle ressent quand, ayant ouvert différents
tiroirs, elle y trouve les restes de son frère. Elle sera mise en procès,
punie d’avoir pénétré ces lieux par effraction et évoquera alors le
droit mémorial qui l’a conduite à rechercher ce corps pour lui rendre
les derniers hommages.

Ainsi revit-on à travers le parcours de cette jeune fille d’aujourd’hui
une histoire semblable à celle qui se produisit dans l’Antiquité où,
selon la mythologie, l’Antigone d’alors  mit sa vie en péril pour
donner une sépulture à son frère Polynice banni de la cité.

Cette tragédie ne cesse de nous bouleverser puisqu’elle met en
question notre rapport aux lois de la cité, les conflits qui en résulte.
Ce monologue a été confié à la comédienne Ghita Serraj qui en
donne une interprétation pleine d’authenticité, de sensibilité, de
ténacité. Sa prestation est soutenu et quasiment en dialogue avec la
musique de Dmitri Chostakovitch jouée sur scène par le Quatuor
Debussy.

La deuxième partie du spectacle est consacrée à la mise en scène de
« Tirésias » un poème écrit par Kae Tempest et qui évoque le parcours
d’un adolescent en pleine recherche de son identité.  Après s’être
transformé en femme puis redevenu homme, il devient à l’image du
personnage de l’Antiquité, le devin Tirésias, une sorte de prophète
qui alerte sur les problèmes de notre société sans être écouté.
L’interprétation de Valérie Dréville magnifie ce texte. Sa gestuelle
pertinente, farouche, audacieuse, la sublime expressivité de son
visage traduisent avec force la vérité profonde d’un être déchiré par
sa solitude.

Une inoubliable soirée de théâtre.

Par Marie-Françoise Grislin

Représentation  du 1er décembre2021
au Maillon