En novembre 1924, Thomas Mann publia La Montagne magique, chef d’œuvre de la littérature européenne qui valut à son auteur, avec notamment Les Buddenbrook (1901), le Prix Nobel de littérature en 1929.
Quatre ans plus tard, celui que l’écrivain irlandais qualifia, dans son roman magistral, de magicien, quitta une Allemagne qui venait de porter au pouvoir Adolf Hitler et les nazis. Déjà en octobre 1930 dans la salle Beethoven à Berlin, Thomas Mann lançait au peuple allemand, un appel à la raison pour prévenir du péril nazi. Un appel à la raison qu’il reprit onze ans plus tard, en novembre 1941 dans l’un de ses cinquante-six messages radiodiffusés et enregistrés aux Etats-Unis où il s’est réfugié depuis 1938 : « je vous ai mis en garde, alors qu’il n’était pas encore trop tard, contre les puissances réprouvées sous le joug desquelles vous êtes attelés aujourd’hui, impuissants, et qui vous mènent, à travers mille forfaits, à une ruine indescriptible ».
Publié une première fois en août 1945, ces messages sont aujourd’hui republiés dans la très belle collection Mémoires de guerre des éditions des Belles Lettres. Ils témoignent d’une lucidité précoce sur le Troisième Reich et son Führer dont l’esprit a « quelque chose de dérangé ». Thomas Mann met ainsi sa plume de génie au service d’une entreprise de destruction du régime nazi et de ses dirigeants. Dénonçant le « vol de l’idée d’Europe » ou « l’ordre nouveau » mis en place par Hitler, « ce charlatan de l’histoire », Thomas Mann dresse également une galerie de portraits au vitriol des compagnons du Führer parmi lesquels Goebbels, le « diable de la propagande » et « gueule vomissant le mensonge » ou Reinhard Heydrich, ce « valet assassin ».
Tour à tour, Thomas Mann évoque dans ces messages la défaite de Stalingrad, les massacres commis sur le front de l’Est et les exécutions de Hans et Sophie Scholl pour tenter d’ouvrir les yeux de ses compatriotes, les enjoindre à ne pas confondre l’Allemagne hitlérienne de celle de leurs ancêtres. Ses diatribes sont d’une beauté inouïe car nous les savons aujourd’hui vaines. Ainsi lorsqu’il évoque la destruction de la maison des Buddenbrook en avril 1942, l’écrivain formule ce vœu :« Puisse-t-il renaître de sa chute une Allemagne qui sache se souvenir et espérer, à laquelle il soit donné d’aimer, en regardant en arrière, ce qui a existé jadis et, en avant, vers l’avenir de l’humanité. Ainsi, au lieu d’une haine à mort, elle méritera l’amour des peuples. » Il faudra pour cela la destruction totale de cette Allemagne nazie. Sur les cendres de cette dernière demeurent encore aujourd’hui ces appels plus que jamais actuels et qu’il faut absolument lire comme pour, une nouvelle fois, ouvrir les yeux sur les dangers qui guettent l’Europe.
Par Laurent Pfaadt
Thomas Mann, Appels aux Allemands, Messages radiodiffusés 1940-1945, traduit de l’Allemand par Pierre Jundt, coll. Mémoires de Guerre
Les Belles Lettres, 232 p
A lire également :
Colm Toibin, Le Magicien, traduit de l’anglais (Irlande) par Anna Gibson, Le livre de poche, 672 p.
Portrait intime et incroyablement intense de Thomas Mann par ses proches et raconté par le grand écrivain Colm Toibin à partir du journal du Prix Nobel de littérature.