Au-delà de la mer

Après la beauté et le choc de Grâce, Paul Lynch nous emmène dans
son nouveau roman sur un vieux rafiot en plein océan Pacifique en
compagnie de Bolivar, pêcheur expérimenté, et du jeune Hector.
Bolivar a, contre l’avis de tous, décidé de prendre la mer. Et bientôt,
la tempête s’abat sur l’embarcation qui, privée de moteur, dérive.
Jour après jour, semaine après semaine, les deux hommes vont
devoir vivre ensemble et survivre.

Dans ce dialogue une fois de plus magnifiquement écrit, Paul Lynch
réduit notre civilisation à ces deux hommes pour dépeindre un
monde englouti par ses contradictions, d’une humanité rongée par
son autodestruction. Avec cette prose addictive que l’on chevauche
comme une vague, tantôt vertigineuse – les scènes de folie sont
absolument stupéfiantes – tantôt abyssale, Paul Lynch nous entraîne
au plus profond de l’océan, celui obscur qui réside au fond du cœur
de chaque homme. Tour à tour, la haine, la foi, la barbarie, la morale
ou plus surprenant le péril écologique – la grande surprise du livre –
sont pointés du doigt par Bolivar et Hector dont on ne finit par ne
plus savoir où se trouvent les portes de la mort et les interstices de la vie. « Que peut-on savoir de l’heure et des circonstances qui mènent un
homme à rencontrer sa vérité ? De la longueur de ce cheminement ? Tout
ce qui compte, c’est qu’il finisse par la trouver » écrit ainsi Paul Lynch.

D’un récit de survie, d’un roman d’aventures, Au-delà de la mer se
transforme alors en expérience métaphysique lorsque les deux
hommes dépassent la simple expérience sensible. L’auteur nous
dévoile alors avec fascination et, il faut bien le dire, horreur, le
dénuement progressif de l’âme humaine, débarrassée de ses
oripeaux conformistes et rangeant l’animalité au rang de
compliment. Être capable d’une telle chose en quelques 200 pages
relève non pas de la prouesse mais du génie.

Par Laurent Pfaadt

Paul Lynch, Au-delà de la mer, trad. Marina Boraso
Chez Albin Michel, 240 p.