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John Eliot Gardiner : « Bach était un homme qui doutait »

© Maciej Gozdzielewski
© Maciej Gozdzielewski

A l’occasion de la conclusion du Dixit Dominus tour de l’English Baroque Soloists et du Monteverdi Choir mais également profitant de la sortie de plusieurs enregistrements et de la parution de sa biographie de Jean-Sébastien Bach (Musique au château du ciel, Flammarion), le chef d’orchestre britannique John Eliot Gardiner était à Paris. Considéré comme l’un des plus grands chefs d’orchestre en activité, ancien directeur de l’opéra de Lyon et ayant dirigé les plus grandes formations musicales, ce grand spécialiste de la musique baroque revient sur Bach, la musique romantique et la France.

Comment est né ce livre ?

Je dois vous avouer tout d’abord qu’il est mille fois plus facile de diriger Bach que d’écrire sur lui. Ce travail d’écriture m’a pris douze ans. En tant que directeur de la fondation des archives Bach, j’ai également eu accès à certaines sources directes dans les librairies même si la vie de Bach est tellement difficile à cerner car il y a peu de sources écrites. Il a également caché beaucoup de choses sur sa vie privée. Par exemple, j’ai découvert qu’il était un mauvais élève, souvent absent. Mais une chose est certaine : mon approche de Bach a été complètement modifiée par ce travail. J’y ai découvert un être plus humain, très amical avec les jeunes musiciens. La demeure des Bach était ainsi un carrefour de tous les musiciens venant de Dresde ou d’Italie.

Bach vous accompagne donc depuis toutes ces années…

Oui et même depuis tout jeune car mes parents possédaient à la maison grâce à un concours de circonstances le seul portrait officiel de Jean-Sébastien Bach (celui d’Haussmann). Donc, il a partagé ma vie dès mon plus jeune âge. Puis, à partir de 12 ans, j’ai commencé à chanter ses motets. Mais c’est surtout durant mon pèlerinage où j’ai joué toutes les cantates en 2000 que j’ai commencé à envisager l’écriture de ce livre.

A quoi fait référence le titre de votre ouvrage, Musique au château du ciel ?

Il s’agit en fait de la chapelle dissimulée sous une coupole de l’église de Weimar où étaient interprétées ses œuvres et la musique descendait tel un parfum. J’ai d’ailleurs essayé de montrer dans mon livre combien les conditions de travail de Bach étaient difficiles à Leipzig entre le froid, le bruit perpétuel durant les interprétations de ses cantates. Mais c’est également une métaphore de sa musique, de cette vie après la mort où tout est parfait.

Votre biographie montre également à travers sa musique qu’il y a le croyant mais également l’homme.

Oui, tout à fait, Jean-Sébastien Bach était bien entendu croyant. D’ailleurs, le cœur de sa musique, c’est les cantates et il y a un intérêt particulier dans chacune d’entre elles. Il n’est d’ailleurs par étonnant que sa première nécrologie mentionne en premier lieu ses cantates. Mais Jean-Sébastien Bach était également un homme qui doutait et sa vie est une lutte permanente entre le croyant et le musicien car en bon luthérien, il aimait bien vivre, bien manger et pouvait sympathiser avec ceux qui avaient des doutes religieux.

Deux de ses fils étaient plus célèbres que lui de son vivant. Quels étaient les relations musicales qu’entretenaient Jean-Sébastien Bach avec ses fils ?

Leurs relations étaient pleines de respect mutuel. Dans le dernier volume des œuvres complètes, on retrouve ainsi une correspondance entre le père et Wilhelm Friedemann où les deux hommes composent à distance une fugue. N’oubliez pas que Bach a perdu ses parents, deux de ses frères et dix de ses vingt enfants. Et malgré ces deuils qui auraient pu marquer à jamais sa musique d’une certaine amertume, celle-ci, en particulier sa musique funéraire est d’une luminosité, d’un réconfort extrêmement touchant. Il y a véritablement une bénédiction dans cette musique que je trouve magnifique.

Vous fêtez également cette année le 25e anniversaire de l’Orchestre Révolutionnaire Romantique que vous avez fondé. On sait que vous êtes un ardent défenseur de Berlioz

Oui, j’ai toujours apprécié la musique romantique notamment Berlioz. Je fais partie en cela d’une tradition britannique de chefs d’orchestres qui va de Thomas Beecham à Colin Davis et qui ont toujours défendu avec passion la musique de Berlioz qui, avec celle de Rameau, ne sont pas appréciées à mon sens à leur juste valeur en France. J’ai d’ailleurs été le premier à donner dans son intégralité les Troyens en 2003 sur des instruments d’époque. Ce fut une aventure magnifique.

Les Français ont-ils des problèmes avec leur musique nationale ?

Peut-être. C’est d’ailleurs paradoxal pour un peuple réputé dans le monde entier comme le plus chauvin. Lorsqu’il s’agit de musique française, vous ne la défendez pas assez. Prenez par exemple l’œuvre de Jean-Philippe Rameau. Lorsque j’ai dirigé les Boréades par exemple, le public parisien a haussé les épaules. Maintenant tout le monde joue Rameau et je suis content !

Après Bach, avez-vous d’autres projets d’écriture ?

Oui (silence), j’aimerai écrire un ouvrage sur les Français (rire). Mais en cette année d’anniversaire du Monteverdi Choir, j’ai l’idée d’écrire sur la vie de Claudio Monteverdi.

A lire : John Eliot Gardiner, Musique au château du ciel, Flammarion, 2014
A écouter : Beethoven, Symphonies No.2 & 8, ORR, live at Cadogan Hall, Soli Deo Gloria, 2014
Mendelssohn, Symphonie No. 3 ; Schumann, Concerto pour piano (Marie Joao Pires), LSO, 2013
Vigilate ! œuvres de Peter Philips, Robert White, Thomas Tallis, William Byrd, Thomas Morley, Thomas Tomkins, Monteverdi Choir, John Eliot Gardiner, Soli Deo Gloria, 2014

Interview du chef d’orchestre britannique John Eliot Gardiner par Laurent Pfaadt pour hebdoscope, novembre 2014

« Hebdoscope présente ses excuses à Maciej Gozdzielewski pour avoir omis qu’il était l’auteur de cette photographie »

Les diamants sont éternels

NemoJosé-Marie Blas de Roblès signe l’un des meilleurs romans de cette rentrée littéraire.

Lire Blas de Roblès ne ressemble à rien d’autre. On avait déjà pu le mesurer avec son génial Là où les tigres sont chez eux, prix Médicis en 2008, roman total où se croisaient déjà plusieurs réalités. Dans son nouveau roman, l’Île du Point Nemo, le Périgord a remplacé le Brésil et l’Europe baroque du XVIIe siècle a cédé la place à l’univers de Jules Verne.

L’histoire débute dans le château écossais de Martial Canterel, fasciné par les conquêtes d’Alexandre le Grand. Cette tranquillité toute relative est rompue après le vol d’un fameux diamant, l’Ananké appartenant au seul amour de Canterel, Lady MacRae. En compagnie d’une fine équipe qui comprend son ami John Shylock Holmes, sorte d’hybride des deux personnages inséparables de Conan Doyle, Martial Canterel part à la poursuite de ce diamant, dans une quête qui ira bien au-delà de la simple course-poursuite à travers le globe.

Et pour réussir un bon roman d’aventures, quelques ingrédients sont nécessaires : trouver un bon méchant, crédible, impitoyable et si possible facétieux, un peu à la manière de ceux qui peuplent les James Bond. Sur ce point, l’auteur nous a fabriqué du sur-mesure avec l’Enjambeur Nô, cet assassin insaisissable. Et puis, il nous faut des péripéties ingénieuses et amusantes. Du transsibérien à Paris, à bord d’aéronefs et de dirigeables et en compagnie d’un chimpanzé ou d’un majordome, on peut dire que l’on n’a pas vraiment le temps de reprendre notre souffle.

Ce roman d’aventures vertigineux combine à merveille les changements de plans narratifs, entre cette fabrique de cigares où l’on reprend la tradition cubaine de lecture des œuvres classiques françaises et le récit d’aventures où les mots et les hommes courent dans tous les sens. Avec ces récits qui s’entremêlent, l’auteur compose une histoire à multiples facettes, sorte de prisme lumineux où la lumière de la réalité répond à la lumière de la fiction dans une sorte de jeu de miroirs permanent. Un peu comme ce fameux diamant de l’Ananké.

La thématique du progrès et les exploits de la science traversent ce roman foisonnant et les influences littéraires de l’auteur sont autant de petits chocolats que l’on déguste avec plaisir : il y a là les Voyages extraordinaires de Jules Verne mais également Arthur Conan Doyle ou Locus Solus de Raymond Roussel à qui Blas de Roblès reprend son héros principal, Martial Canterel. Ce roman d’aventure est un peu un condensé de toutes ces lectures que notre inconscient d’adolescent a absorbé et qui composent une histoire que l’on aurait non seulement aimé écrire, mais que l’on aurait surtout aimé vivre dans notre jeunesse. C’est pour cela que l’Île du Point Nemo est un grand roman.

José-Marie Blas de Roblès, L’Île du Point Nemo, édition Zulma, 2014

Par Laurent Pfaadt
Edition hebdoscope 1011, octobre 2014

Du sang, des larmes et de la sueur

Soccer - Football League Division One - Liverpool v Leicester CityFresque footballistique et lyrique signée
Davide Peace. Du grand art.

Le rouge qui macule les romans de David Peace ressemble en général au sang des victimes de ses assassins notamment celui de sa formidable trétralogie du Quatuor du Yorkshire. Alors lorsque ce même rouge désigne le maillot de l’équipe de football de Liverpool, on a été un peu surpris. Mais cette surprise ne dure qu’un temps car on a vite plongé avec avidité dans son nouveau roman.

Rouge ou Mort est avant tout l’histoire d’un homme, Bill Shankly, l’entraîneur écossais mythique des Reds, surnom donné au Liverpool Football Club, sorte d’Alex Ferguson des années 60-70 qui allait emmener entre 1959 et 1974 le club du ventre mou de la seconde division anglaise aux sommets européens. A travers cet homme singulier connu pour son franc-parler – « dans un club de football, il y a une Sainte Trinité : les joueurs, l’entraîneur et les supporters. Les présidents n’en font pas partie. Ils sont juste là pour signer les chèques » – le lecteur revit une époque dorée de ce club mythique qui a écrit quelques-unes des plus belles pages sportives du sport anglais et européen. Les amoureux du ballon rond trouveront à ce titre matière à rêver et à frissonner dans ces reconstitutions littéraires de matchs gagnés ou perdus sur la pelouse d’Anfield en compagnie des supporters face à Leeds United, le Borussia Dortmund ou l’Inter de Milan. Ils y croiseront Ron Yeats surnommé « Colossus », Kevin Keegan ou le jeune Johann Cruyff qui reprennent vie sous la plume de Peace.

Mais le roman n’est pas une simple histoire de Liverpool, il va bien au-delà et c’est là sa grande force et son universalité. Rouge ou mort retrace une aventure humaine collective faîte d’abnégation et de souffrance comme on en fabrique plus de nos jours. Dans cette équipe où les joueurs gagnaient tous le même salaire, David Peace a trempé sa plume dans le charbon de ces mines du Lancashire pour nous conter l’histoire d’une utopie moderne.

Le football s’efface alors derrière une expérience humaine et le collectif tant vanté dans ce sport prend tout son sens, toute sa pertinence. David Peace qui n’a jamais caché ses convictions de gauche, délivre alors un message optimiste sur l’être humain, sur sa nature et les valeurs qui sont véhiculées par le football et qui traversent ce livre grandiose.

On comprend alors que la devise de Liverpool, « you’ll never walk alone » (« tu ne marcheras jamais seul ») n’était pas qu’un simple slogan car elle plonge dans ces couloirs obscurs des mines de charbon où les hommes ont construit ensemble un destin qui les engageait tous. A l’heure où l’individualisme et l’argent gangrènent nos sociétés et où le football n’en est que la pathétique vitrine, ce livre est une belle leçon de vie et montre que ce sport, s’il est universel, véhicula aussi des valeurs d’égalité, de solidarité et d’humilité. Aux hommes de le vouloir. C’est ce qu’avait parfaitement compris Bill Shankly, mort en 1981 et dont le dernier mot lui revient : «  la pression, c’est travailler à la mine. La pression, c’est être au chômage. La pression, c’est d’essayer d’éviter la relégation pour 50 shillings par semaine. Cela n’a rien à voir avec la Coupe d’Europe, le championnat ou la finale de la Cup. Ça, c’est la récompense. »

Tout est dit.

David Peace, Rouge ou mort, éditions Payot & Rivages, 2014

Par Laurent Pfaadt
Edition hebdoscope 1011, octobre 2014

Veni, vidi, vici

romeUn ouvrage passionnant décrypte la guerre à Rome.

Le légionnaire romain à la conquête de la Méditerranée et le glaive comme instrument de la Pax Romana, voilà deux images qui demeurent à jamais indissociables de l’Empire romain. César, Vercingétorix, Attila, les Vandales, Carthage, les Germains ou la Judée sont autant de noms qui claquent à nos oreilles avec fureur et où le sang et les combats ont inscrit leurs mémoires dans celles des hommes.

La peinture, la littérature et le cinéma ont ainsi façonné une société romaine militarisée dans laquelle l’armée et la guerre ont occupé une place centrale. Qu’en est-il en réalité ? C’est tout l’intérêt de l’ouvrage de Yann Le Bohec, professeur à l’université et qui peut être considéré comme le plus grand spécialiste français de l’Antiquité romaine, surtout du Haut-Empire (jusqu’au milieu du IIIe siècle).

Dans cet ouvrage appelé à devenir indiscutablement une référence sur la guerre dans l’Antiquité romaine, l’auteur a convoqué les sources écrites et archéologiques pour analyser en profondeur le rapport de Rome à la guerre et à la conduite de cette dernière. Il ne s’agit pas d’un catalogue vide de sens recensant les grandes batailles. Ces dernières ne sont mentionnées que pour illustrer tel aspect du combat ou telle tactique utilisée.

Divisé en grandes thématiques (l’armée comme institution, vers le combat, la stratégie, la tactique), cet ouvrage permet de cerner la guerre dans toutes ses dimensions. Et ce qui surprend immédiatement, c’est qu’il bat en brèche certaines idées reçues. Ainsi selon Yann Le Bohec, l’impérialisme qui a façonné l’image que Rome a donné de sa civilisation à la postérité était « perçu comme honteux » et l’honneur des généraux romains était à géométrie variable, ces derniers n’hésitant pas à utiliser les ancêtres des armes chimiques et bactériologiques comme l’empoisonnement de l’eau, le poison ou les gaz issus de l’inflammation de la poix pour parvenir à leurs fins.

Alors oui, il y eut des empereurs guerriers tels que Tibère, Vespasien ou Septime Sévère, injustement oublié mais « l’empereur ne se livrait pas à une pratique solitaire de pouvoir », ce qui peut surprendre. Car très vite, l’empereur est secondé par le numéro deux du régime, le préfet du prétoire, ce qui ne fut pas sans risque pour le titulaire de la pourpre impériale. Rome affronta une multitude d’ennemis, différents et de niveau variable. Des Juifs, « ces adversaires redoutables pour les Romains, qui voyaient plus d’opiniâtreté et d’obstination que de courage dans leur comportement » aux Germains, en passant par les pirates, les Parthes ou les Daces, l’armée romaine devint protéiforme au fil des siècles.

Et c’est cela la grande leçon du livre de Yann Le Bohec, la très grande adaptabilité de l’armée romaine. On est bien loin de la tortue. Car Rome combattit sur terre, sur mer, en rase campagne ou en milieu urbain. Elle pratiqua la bataille rangée, la guérilla, la contre-guérilla, le siège. Cette expérience forgea un instrument de conquête redoutable qui reposait sur trois piliers : la complémentarité, la discipline et l’excellence car « les soldats qu’ils avaient (les empereurs) été les meilleurs ». On ne peut être plus clair.

Yann Le Bohec, la guerre romaine (58 avant J-C – 235 après J-C),
Tallandier, 2014

Par Laurent Pfaadt
Edition hebdoscope 1011, octobre 2014

Le père d’Indiana Jones

Allan_QuatermainLes œuvres de Henry Rider Haggard enfin rééditées.

Aujourd’hui, personne ou presque ne se souvient du nom de Henry Rider Haggard (1856-1925). Tout le monde connait en revanche le héros qu’il créa : Allan Quatermain, intrépide aventurier et chercheur de trésors luttant contre des forces obscures et des empires ennemis. Grâce aux éditions Omnibus, toujours promptes à sortir de l’anonymat des écrivains qui ont marqué la littérature mondiale, il nous est possible de redécouvrir cet auteur majeur du roman d’aventures.

L’écrivain britannique passa une partie importante de sa vie en Afrique notamment au Transvaal (Afrique du Sud) d’où il ramena une grande partie de l’univers qu’il allait développer dans ses nombreux romans. Avec la publication des Mines du roi Salomon en 1885, Rider Haggard devint célèbre et fut considéré avec Conan Doyle comme l’un des maîtres du roman populaire britannique.

L’ouvrage publié regroupe les grands romans (Les Mines du roi Salomon, Allan Quatermain, l’Epouse d’Allan) mettant en scène Allan Quatermain, cet aventurier né en 1817 et mort en 1885, parmi les 14 nouvelles et 4 romans qui composent cette série qui lui est consacrée dans l’œuvre de Rider Haggard. Bien entendu, ces romans s’inscrivent pleinement dans la société coloniale de l’époque et dans cette « course à l’Afrique » représentée par Richard Burton, David Livingstone ou Henry Morton Stanley et leur quête des sources du Nil. Comme le rappelle Claude Haziza dans sa préface, « le récit trouve ses racines au fond de l’Eden. A la dimension onirique s’ajoutent la splendeur des rois et reines bibliques, l’épopée des expéditions lointaines dans un monde encore si peu inexploré, la recherche de fabuleux trésors, les intermittences du cœur ».

Les Mines du roi Salomon sont parfois considérées comme le roman fondateur du genre littéraire dit des mondes perdus et au sein duquel on range les romans d’Edgar Rice Burroughs, souvent présenté comme l’héritier littéraire de Rider Hggard, l’homme qui voulut être roi de Kipling dont il fut l’ami et avec qui il a entretenu une abondante correspondance, certaines œuvres d’Abraham Merritt, de H. P. Lovecraft et plus près de nous, de Michael Crichton.

Si le nom d’Henry Rider Haggard a progressivement disparu des mémoires littéraires, ses œuvres et en particulier les aventures d’Allan Quatermain, connurent une éclatante postérité notamment au cinéma. Le personnage d’Allan Quatermain fut interprété dans plusieurs films par les acteurs Richard Chamberlain, Sean Connery ou Patrick Swayze et servit même de modèle au fameux aventurier Indiana Jones de Steven Spielberg.

Il faut donc s’empresser de relire les aventures d’Allan Quatermain pour y retrouver ce goût inimitable de l’aventure, de l’exotisme et ces sensations enfantines que l’on croyait à jamais perdues dans cette jungle africaine impénétrable et ces temples en ruines emplis de démons. La réédition par Omnibus des œuvres de Henry Rider Haggard n’est que la réparation d’une injustice, celle d’un auteur qui participa à l’élaboration d’une littérature qui fit rêver des milliers d’enfants et d’adultes.

Henry Rider Haggard, Les Aventures d’Allan Quatermain, édition Omnibus, 2014

Par Laurent Pfaadt
Edition hebdoscope 1011, octobre 2014

Une mazurka pour l’empereur

1812Nouvel ouvrage sur la campagne de Russie.

Episode mythique, tragique de l’épopée napoléonienne, la campagne de Russie de Napoléon ne cesse de passionner écrivains et historiens depuis plus de deux cent ans comme en témoigne ce nouvel ouvrage d’Adam Zamoyski publié par une toute nouvelle maison d’édition Piranha qui s’est donnée pour mission de faire découvrir des auteurs venus d’ailleurs et célébrés dans leur pays.

L’auteur en question, Adam Zamoyski, est, mis à part une lointaine biographie de Chopin (Perrin, 1986) un inconnu du public français. Mais surtout, l’auteur est un membre de l’illustre famille Zamoyski qui donna de nombreux hommes politiques nationalistes polonais. On peut donc se dire en lisant ce livre que l’auteur, se situant dans les pas de Marie Walewska, nous dira tout le bien qu’il pense de cette expédition menée par celui qui ressuscita le duché de Varsovie.

Cependant, dès la lecture de la préface, on est saisi par l’objectivité de l’auteur et par sa volonté comme il le dit lui-même « de reproduire la diversité des expériences ». Ainsi, il a compilé et croisé de nombreuses sources parfois inédites russes (notamment les sources primaires souvent négligées), allemandes, italiennes, polonaises et bien entendues françaises qui permettent de restituer une vision d’ensemble et surtout de pénétrer plus en profondeur cette armée multinationale qui s’est mise en marche le 22 juin 1812.

Bien entendu, l’ouvrage ne fait pas l’impasse sur les grands épisodes de la geste napoléonienne : Borodino « ce pire massacre répertorié dans l’histoire » que magnifia Tolstoï, l’arrivée dans Moscou et l’incendie du Kremlin puis la retraite qui occupe près de la moitié de l’ouvrage et culmine avec la traversée de la Bérézina. Si l’ouvrage fourmille de cartes expliquant parfaitement les tactiques militaires avec moult citations de Clausewitz qui participa à cette guerre dans les rangs de l’armée impériale russe, il reste toujours à hauteur d’hommes comme si on se retrouvait en permanence sur le cheval d’à côté ou dans les rues de Moscou à la recherche de ces fourrures tant convoitées par les femmes d’officiers.

Ainsi, le capitaine Heinrich von Brandt, de la légion de la Vistule, cette unité polonaise rattachée à la garde impériale se trouve en première ligne lors du franchissement du fameux pont de la Bérézina. « En tant qu’ouvrage d’art, ce pont était certainement des plus défectueux. Mais quand on considère dans quelles conditions il fut établi, quand on pense qu’il sauva l’honneur français d’un épouvantable naufrage (…) on est amené à reconnaître que la confection de ce pont a été l’œuvre la plus admirable de cette guerre, peut-être même de toutes les guerres ».

On a souvent l’impression de lire Antony Beevor et ses récits de Berlin et de Stalingrad, avec cette oscillation permanente entre les décisions de l’état-major et leurs répercussions sur les soldats de base et de ce fait, le récit s’en trouve magnifié.

Cet ouvrage permet également au lecteur français de prendre un peu de recul et d’aiguiser son objectivité en dehors de la multitude d’ouvrages français qui peuvent avoir tendance à se focaliser sur une seule vision du conflit centrée autour de la grande armée et de son empereur.

L’ouvrage constitue également une réflexion assez pertinente sur la guerre elle-même et sur sa mutation en 1812. Par l’utilisation massive de sa population, la Russie impériale fit des civils, les spectateurs non plus secondaires, périphériques mais des acteurs principaux du conflit. A ce titre, cette guerre totale préfigure déjà la grande guerre patriotique de 1941 menée par un autre tsar : Staline.

Au final, 1812 est un ouvrage à posséder dans sa bibliothèque pour sa fraîcheur, son sens critique, sa mise en perspective et son objectivité. Il montre que si les guerres sont les conséquences de choix idéologiques et géopolitiques, elles sont avant tout menées par des peuples, par des hommes.

Adam Zamoyski, 1812, la campagne tragique de Napoléon en Russie, Piranha, 2014.

Par Laurent Pfaadt
Edition hebdoscope 1011, octobre 2014

Un amour en noir et blanc

clarahaskilLe piano fait son entrée dans la célèbre collection des dictionnaires amoureux.

Il faut dire qu’en mélomane averti, cela faisait longtemps que l’on attendait ce livre. On s’était contenté de quelques entrées dans le dictionnaire amoureux de la musique d’André Tubeuf, de quelques bribes ici ou là (opéra, Venise) mais le piano attendait derrière le rideau de l’édition que justice lui soit rendue.

C’est désormais chose faîte avec ce dictionnaire amoureux du piano d’Olivier Bellamy qui n’est plus à présenter si ce n’est à ceux qui ne connaîtraient pas encore Passion classique sur les ondes. Comme d’habitude, l’ouvrage obéit au classement alphabétique des dictionnaires mais ses entrées sont fonction de l’amour et de l’humeur de son auteur. Et on sent bien, en ouvrant au hasard à telle entrée ou à telle page, que notre auteur aime passionnément son sujet.

Alors oui, il y a les entrées incontournables, celles des grands compositeurs qui ont donné au piano ses lettres de noblesses (Bach, Mozart, Beethoven, Brahms, Chopin, Liszt ou Schumann). A ce titre, il ne pouvait faire l’impasse sur l’histoire d’amour entre Clara et Robert Schumann où « cette fusion amoureuse donne de la passion, de la chair et de la tendresse à sa musique. Clara est partout, dans chaque phrase, dans chaque note » écrit ainsi Olivier Bellamy à propos de l’œuvre au piano de Robert Schuman qui, après son mariage avec Clara, ne composa plus rien au piano sauf au soir de sa vie.

Les solistes, ces génies du clavier, vivants ou morts ne sont pas oubliés, loin de là. D’Alfred Cortot à Evgueny Kissin en passant par Sviatoslav Richter, Martha Argerich, Vladimir Horowitz, Glenn Gould, Clara Haskil ou Arturo Benedetti Michelangeli, ils sont tous là. Olivier Bellamy, grâce à son incroyable culture musicale, les fait ainsi revivre sous nos yeux, dans tel concert mythique ou nous relate telle anecdote croustillante comme ce cadeau, une Ferrari 250 GT Pininfarina offerte à Michelangeli par Enzo Ferrari en personne ou les derniers mots émouvants de Clara Haskil sur le quai de la gare de Bruxelles.

Enfin, l’attrait majeur de ces dictionnaires réside dans leurs entrées inattendues parfois teintées d’humour qui interpellent et excitent notre curiosité. Et celui d’Olivier Bellamy en fourmille. Ainsi, Aveugle évoque la carrière de certains pianistes aveugles tels Thomas Wiggins ou George Sharing avant de préciser que « dès lors, quand on est privé de la vue, la partie la plus périlleuse d’un récital, c’est de parcourir le chemin qui mène du rideau de scène au piano ». Plus loin, Mains de pianiste s’ouvre ainsi : « l’expression populaire désigne des doigts longs et fins. Elle se trompe. » Et l’entrée de préciser que Frédéric Chopin, Alicia de Larrocha et même Glenn Gould n’avaient pas de prédispositions physiques pour le piano car ce qui compte affirme l’auteur, c’est la force et la souplesse du poignet.

«On s’habitue à tout, sauf à soi-même» disait Alfred Cortot. Il en va de même pour ce dictionnaire. Il faut l’ouvrir et l’ouvrir encore car des notes s’en échappent et résonnent en permanence à nos oreilles à chaque lecture.

Olivier Bellamy, Dictionnaire amoureux du piano, Plon, 2014

Par Laurent Pfaadt
Edition hebdoscope 1011, octobre 2014

Un fascisme hongrois

4.0.1Première biographie de l’amiral Horthy, l’un des acteurs majeurs de la seconde guerre mondiale.

Son nom est inconnu du grand public et pourtant Miklos Horthy joua un rôle déterminant durant la seconde guerre mondiale. C’est ce que révèle la passionnante biographie de Catherine Horel, directrice de recherche à l’université de Paris-I et spécialiste de la Hongrie.

On range bien souvent la Hongrie dans le camp des puissances de l’axe mais lorsque l’on s’aventure un peu plus loin dans l’analyse, on se rend compte que la conduite de la Hongrie sous la férule de son dirigeant, le régent Horthy – en tout cas jusqu’en 1944 et son remplacement par une créature du IIIe Reich – a été plus ambiguë.

Une chose est certaine : Miklos Horthy était un pur produit de la société conservatrice austro-hongroise. Aide de camp de l’empereur François-Joseph et envers lequel il manifesta toujours une admiration sans bornes, Miklos Horthy devint pendant la première guerre mondiale, chef d’état-major de la marine.

Son destin se joue dans ces années de l’immédiat après-guerre où les germes de la seconde guerre mondiale sont plantés. L’expérience bolchévique hongroise entre mars et août 1919 menée par Bela Kun ainsi que le dépeçage de l’empire austro-hongrois lors des traités de Saint-Germain (sept. 1919) et de Trianon (juin 1920) entraînent en Hongrie une réaction conservatrice qu’il va contribuer à mener en tant que chef des forces armées. Ce légitimiste s’opposa cependant au retour de l’empereur Charles Ier et se désigne régent.

Dans cet entre-deux-guerres troublé, Horthy établit alors une sorte de monarchie réactionnaire dans un « royaume sans roi » avec un système politique verrouillé au sommet de l’Etat tout en ménageant des espaces de liberté contrôlée. Mais le positionnement d’Horthy sur l’échiquier géopolitique de l’entre-deux-guerres le rapproche très vite de ses voisins fascistes et nazis. Sa proximité idéologique se double également d’une volonté de mener une politique expansionniste qui le pousse à s’engager dans un antisémitisme assumé.

Mais tout le travail de Catherine Horel – et c’est là l’une des parties les plus intéressantes du livre – a été de montrer que si Horthy a adopté une législation abjecte et fait de lui un antisémite au regard de l’histoire, il a tout fait dès 1942 pour retarder les projets allemands (il entame des négociations secrètes avec les alliés) notamment celui de la déportation des juifs hongrois, ce qui d’ailleurs le sauva du tribunal de Nuremberg. « Jusqu’à l’occupation allemande, le régent et ses gouvernements se sont opposés à ce que l’on porte atteinte autrement que par des lois certes humiliantes, mais qui ne remettaient pas en cause leur vie » écrit l’auteur.

Cette biographie permet ainsi de mesurer toute la complexité de ce personnage velléitaire et avide de pouvoir et les dilemmes tragiques auquel il dût faire face. Alors oui, il fut un fasciste ordinaire mais ne peut être taxé de criminel contre l’humanité. Ce fut là son seul titre de gloire.

Catherine Horel, l’amiral Horthy, régent de Hongrie, Perrin, 2014

Par Laurent Pfaadt
Edition hebdoscope 1011, octobre 2014

Le retour du space-opera

Premier tome d’une nouvelle saga de science-fiction appelée à faire date.

 Léveil-du-Léviathan

Avec ce premier tome de 600 pages d’une saga qui s’annonce monumentale (on annonce déjà neuf tomes), James S.A. Corey renoue avec un genre quelque peu délaissé et qui pourtant a fait la gloire de la science-fiction aussi bien en librairie qu’au cinéma, celui du space-opera. Il y a évidemment les indépassables, les  de Van Vogt et surtout Fondation d’Isaac Asimov côté livres et bien entendu Star Wars dont annonce pour 2015 un nouvel opus. Et certains ont depuis longtemps qualifié ce genre de SF de vieillotte, de dépassé pour ne jurer que par le steampunk ou Matrix.

L’éveil du Leviathan vient démontrer qu’il n’en est rien. Une fois de plus, la recette est bien suivie. Deux inconnus (Holden un capitaine en second d’un vaisseau de commerce et Miller, un flic) qui n’auraient jamais dû se croiser vont devoir unir leurs destins pour sauver celui de la galaxie (qui s’arrête au système solaire tel que nous le connaissons). Car Holden a découvert dans un vaisseau à l’abandon, le Scopuli (on reprend ici le thème du secret et de la conspiration) des informations qui mettent en péril la paix du système solaire et les périls à venir (ce Leviathan qui se réveille) tandis que Miller a remonté les traces d’une jeune femme disparue jusqu’à ce fameux vaisseau.

Le Scopuli constitue ainsi la clé de voûte d’une intrigue qui, si elle se veut classique avec l’écheveau des histoires personnelles et de la géopolitique interplanétaire avec son pouvoir en place, ses rebelles, ses frontières (la connaissance des planètes du système solaire) et ses mondes inexploités, fonctionne toujours aussi bien. A mesure que l’on tourne les pages, on pénètre dans l’intrigue et dans les divers vaisseaux à travers cette quête en construction et cette guerre en gestation qui ne font qu’exciter la curiosité des lecteurs assidus ou novices de ce genre littéraire mais qui en redemandent toujours encore.

Car, à la manière de Star Wars, la science-fiction n’est là dans cet ouvrage que pour habiller de costumes et d’histoires fantaisistes, des sentiments humains intemporels nés de la tragédie grecque et du récit homérique que sont l’amour, la vengeance, l’héroïsme ou l’homme face à son destin. Un auteur comme Dan Simmons (Ilium) par exemple, a su parfaitement exploiter ces thèmes en transposant la guerre de Troie à la science-fiction.

The Expanse va très vite devenir un classique à ranger au côté de ses brillants aînés dans les bibliothèques et mais également une série à succès. Car déjà la télévision s’est penchée sur cette saga et projette d’en faire une série. Il faut dire que sous le pseudonyme de James S.A. Corey se cache deux auteurs : Daniel Abraham et Ty Franck. Ce dernier a puisé son inspiration auprès de son maître dont il est l’assistant et qui n’est autre que George Martin, l’auteur de Game of Thrones. Tout est dit.

James S.A. Corey, The Expanse, L’éveil du Leviathan, Actes Sud, 2014.

Par Laurent Pfaadt

Edition hebdoscope 1010, septembre 2014

Requiem pour une légende

Warner Classics rend hommage à Herbert von Karajan dans une formidable série de coffrets.

Karajan

A l’occasion du 25e anniversaire de sa disparition, les principaux labels ressortent leurs enregistrements du célébrissime chef d’orchestre qui dirigea l’Orchestre philharmonique de Berlin jusqu’à sa mort. Véritable monstre de la direction d’orchestre, il laisse à la postérité un nombre absolument considérable d’enregistrements sur le disque composant un monument qui, selon ses propres mots, doit durer plus longtemps que les pyramides d’Egypte.

Parmi cette multitude de disques et d’enregistrements, le label Warner Classics édite de somptueux coffrets divisés à la fois chronologiquement et en fonction du répertoire joué. Héritier du label EMI avec lequel Karajan était personnellement engagé, Warner Classics a trouvé dans ses fonds d’archives matière à composer des disques qui révèlent de petits bijoux d’orchestration.

Il y en a pour tous les goûts : romantiques allemands, musique russe, française, contemporaine, etc. Ces coffrets superbement remasterisés sont intéressants et très précieux à plus d’un titre. D’abord, ils permettent d’entendre la direction de Karajan en dehors de son empire du philharmonique de Berlin. Car Karajan n’a pas que dirigé la phalange berlinoise. On l’entend ainsi à la tête du Philharmonia Orchestra – fondé par Walter Legge qui permit à Karajan de se refaire une virginité après son flirt avec le nazisme – dans ce que certains considèrent comme sa plus belle période ou du Lucerne Festival Orchestra sans oublier bien entendu le Philharmonique de Vienne, l’autre grand orchestre de sa vie.

Sur chaque orchestre, Karajan laissa sa marque, son empreinte indélébile. Seul dans Sibelius qu’il affectionnait ou en compagnie de solistes de génie comme Anne-Sophie Mutter, Alexis Weissenberg qu’il considérait comme l’un des plus grands pianistes de son temps dans ce magnifique premier concerto de Tchaïkovski ou Dinu Lipatti dans un émouvant concerto pour piano de Schuman, Karajan transcenda les œuvres et les musiciens.

Ensuite, ces coffrets donnent à écouter la conception, l’interprétation que le célèbre chef a de chaque œuvre. Evidemment, c’est le cas avec Beethoven où l’expressionisme de sa direction cache en réalité une rigueur hors du commun. Le Beethoven de Karajan se reconnaît d’ailleurs entre mille comme par exemple cette Neuvième Symphonie, toujours avec le Philharmonia et en compagnie d’Elisabeth Schwartzkopf. Si bien qu’aujourd’hui Karajan, c’est Beethoven et Beethoven, c’est Karajan. Le nombre absolument conséquent d’enregistrements permet également de découvrir certaines œuvres peu gravées comme la symphonie n°1 de Mili Balakirev ou l’intermezzo de l’opéra Notre Dame de Franz Schmidt.

La direction de Karajan est toujours impériale, toujours exacte même s’il est vrai, avec le temps, le legato a tendance à s’alourdir. Cependant, elle tape toujours juste. Tantôt furieuse et emportée, tantôt sensible et émotive, Herbert von Karajan ne laisse jamais indifférent. Avec Karajan, la musique n’est pas rejouée, elle est réinventée en permanence, si bien que de nombreux instrumentistes qui l’ont côtoyé ont le sentiment d’avoir vécu quelque chose d’unique, d’irremplaçable à ses côtés.


Retrouver tous les coffrets Karajan chez Warner Classics

Par Laurent Pfaadt

Edition hebdoscope 1010, septembre 2014