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Chang’an, cité ouverte

Le musée Guimet consacre une exposition exceptionnelle à la dynastie des Tang

Bien avant les Ming, il fut une dynastie qui marqua profondément l’histoire millénaire de la Chine. Arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’État en 618 – au même moment débute l’Hégire (622) tandis qu’en Europe règnent les Francs – Li Yuan devient ainsi Tang Gaozu, le premier empereur de la dynastie Tang qui allait régner depuis sa capitale Chang’an (actuelle Xi’an) pendant près de trois siècles sur la Chine.


Le musée Guimet invite ainsi dans une magnifique exposition immersive à pénétrer dans cette cité ouverte et cosmopolite, point d’orgue de la célébration du 60e anniversaire des relations diplomatiques entre la France et la Chine. Et pour célébrer cet anniversaire, la Chine a, pour la première fois, autorisé la sortie du pays de nombreux objets d’exception. Invité à passer les portes de la capitale, le visiteur découvre quant à lui une cité réputée pour le raffinement tant de son orfèvrerie avec ces merveilleuses épingles à cheveux à décors de grenades et d’oies sauvages et ce sublime coffret avec incrustation de nacre symbole de l’art traditionnel chinois, que de ces banquets garnis de mets fins célébrés par des poèmes offerts aux visiteurs. « La capitale était un lieu de vie collectif, ouvert sur le monde extérieur, où cohabitaient des expériences variées au quotidien » estiment ainsi Arnaud Bertrand et Huei-Chung Tsao, commissaires de l’exposition dans le catalogue, parfait prolongement de l’exposition.

Chang’an est alors, avec ses 110 quartiers et sa population de près d’un million d’habitants, la plus grande ville du monde. Le visiteur déambule tantôt dans ses deux marchés longs d’environ un kilomètre chacun ou dans les deux pagodes de l’Oie sauvage encore visibles de nos jours pour y découvrir la tolérance religieuse qui y régna et symbolisée par ce Guanyin aux onze visages ou cette stèle vantant la foi nestorienne. « Pendant trois siècles, la Chang’an des Tang fut l’une des très rares grandes métropoles de son temps ; elle attira les élites des pays et ethnies de tous les horizons, qui s’y installèrent pour laisser libre cours à leurs talents et profiter d’un certain art de vivre » rappelle Rong Xinjiang, professeur au département d’histoire de l’université de Pékin.

Les Tang favorisèrent également le développement du bouddhisme dans le royaume de Corée et au Japon grâce aux échanges commerciaux notamment celui de la céramique qu’ils développèrent et que l’on retrouve tout au long de l’exposition avec une série d’objets fascinants comme cette vaisselle de grès porcelaineux blanc d’une sobriété à faire palir les designers scandinaves ou ce Musicien sur un chameau venu de Bactriane (actuel Iran). Une dynastie qui intensifia ses échanges commerciaux sur la fameuse route de la soie en développant par la même occasion les interactions diplomatiques et culturelles avec les autres parties du monde connues et symbolisées par ces statues en terre cuite de personnages étrangers découverts en 2001 dans la tombe du général Mu Tai.

Car depuis le palais Daming et la cité impériale où résidaient la cour et une administration impériale centralisée, l’empereur bâtit un empire qui résista aux nombreuses menaces de l’époque. Un empire qui accorda également aux femmes une place prépondérante comme en témoigne ces fabuleuses joueuses de polo juchées sur ces chevaux qui sont, chez les Tang, synonyme de force et de rapidité et illustrés notamment par de magnifiques terres cuites à glaçure comme ce Cheval découvert en 1972. Des femmes qui atteignirent le sommet du pouvoir avec Yang Guifei, la favorite la plus célèbre de l’histoire chinoise, surnommée « Beauté de Jade » et plusieurs fois incarnée au cinéma et surtout Wu Zeitan, seule impératrice de Chine (690-705) qui s’entoura d’un gouvernement de femmes et résida à Luoyang, la seconde capitale de la dynastie.

Après avoir renversé l’impératrice qui tenta de fonder sa propre dynastie, les Tang atteignirent leur apogée avec l’empereur Xuanzong surnommé Minghuang (« Empereur Brillant, Glorieux Monarque ») dont le règne (712-756) est considéré comme l’âge d’or de la dynastie. C’est la grande époque de la poésie chinoise avec Li Bai et Du Fu mais surtout avec le musicien, poète et peintre Wang Wei, figure de proue d’artistes regroupés dans l’académie Hanlin, sorte d’académie française portée par un empereur lui-même poète et musicien. Des arts qui portèrent les Tang au firmament de l’histoire chinoise, magnifiquement restituée dans cette très belle exposition.

Par Laurent Pfaadt

La Chine des Tang, Une dynastie cosmopolite (7-10e siècle), Musée national des arts asiatiques-Guimet
Jusqu’au 3 mars 2025

A lire le catalogue :

La Chine des Tang. Une dynastie cosmopolite / Tang China. A Cosmopolitan Dynasty
Une coédition musée Guimet / GrandPalaisRmn, 304 p.

La pie voleuse

Un film de Robert Guédiguian

Depuis Les Neiges du Kilimandjaro en 2011, Robert Guédiguian n’avait plus tourné dans le quartier de l’Estaque pour décor, port de pêcheurs dans le nord de Marseille où il a grandi. Cependant, ce n’est pas la carte postale qu’il met en avant dans ses films mais ses habitants avec souvent leur déception d’avoir vu leurs rêves et idéaux trahis. La pie voleuse raconte le système D pour survivre et Guédiguian témoigne en sa confiance en l’humanité.


Les films de Guédiguian font l’effet de revoir des amis de toujours. Dans La pie voleuse il y a bien sûr Ariane, mais aussi Gérard et Jean-Pierre. Celui-ci a vieilli. Il se déplace désormais avec des béquilles et en fauteuil roulant. Grégoire Leprince-Ringuet est de la partie ainsi que Robinson Stévenin et une nouvelle venue, radieuse, Marilou Aussilloux. M. Moreau (Jean-Pierre Darroussin), emploie Maria (Ariane Ascaride) pour le ménage et les repas. Une grande bienveillance les lie, de même qu’elle s’entend très bien avec d’autres personnes âgées qui ont besoin d’elle physiquement et moralement. Une solitude pèse, réconfortée par le sourire de Maria. Et lorsque l’on apprend pourquoi elle leur dérobe l’un ou l’autre billet, difficile de ne pas la comprendre. Bruno, son mari (Gérard Meylan, acteur non professionnel toujours excellent chez Guédiguian) touche une retraite de misère car il a effectué beaucoup de travaux non-déclarés. Le couple s’est laissé charmer à l’époque par le modèle de la petite villa avec piscine et s’est endetté. Comme le dit Guédiguian : « Ils n’ont pas compris que le capitalisme était une machine à rêves bidons, des rêves non à vivre mais à consommer pour alimenter la course au profit, à la croissance… Tout à crédit : un salon, un canapé, une petite piscine, jolie et rafraîchissante pour l’été. Mais ils ne parviennent plus à l’entretenir, et l’eau stagne comme leur vie ». Alors Bruno joue de l’argent et Maria vole ses petits vieux.

Cependant, ils ont un petit fils qui joue admirablement du piano. Il aurait les capacités à passer le concours pour entrer au conservatoire. Mais encore faut-il qu’il ait un piano sur lequel s’entraîner et des cours particuliers pour progresser.

La pie voleuse charme par ses qualités scénaristiques. Guédiguian a foi dans le cinéma, à sa propension à raconter des histoires. Il dit avoir pensé à Ozu, avoir voulu placer son film sous le signe de la sincérité et de la douceur, avoir opté pour la simplicité, une simplicité qui cache une complexité profonde. Dans un dialogue avec M. Moreau, Maria s’étonne de la façon dont les rêves peuvent se construire. Et ainsi se tricote La pie voleuse avec la connivence du spectateur d’abord entraîné sur une fausse piste puis les éléments font sens et s’agencent par les effets du hasard en un puzzle dont on peut s’amuser. La pie voleuse est une comédie portée par une partition au piano qui donne le ton, depuis un cambriolage burlesque sur lequel s’ouvre le film et qui en sera la clef. Tout est grave et rien ne l’est finalement car l’Amour domine, un amour auquel rien ne résiste. « Aimons-nous les uns les autres ! » serait l’arme fatale qui dénoue tout conflit, même quand il s’agit d’une lutte des classes. Certes la naïveté l’emporte mais les bons sentiments font du bien en ces temps troublés. Ils sont devenus trop rares. Laissons-nous aller à y croire !

Par Elsa Nagel

Cécile

Ce n’est pas un spectacle, ce seul-en-scène de Cécile Laporte mis en scène de Marion Duval est une présence qui ne se dérobe pas et nous conduit dans les artefacts de son histoire là où elle s’est engagée avec ses convictions, ses doutes, ses essais, ses découvertes d’une vraie vie dont elle ne soupçonnait pas qu’elle serait aussi mouvementée. Et pourtant, une des premières expériences qu’elle tient à nous livrer nous la montre toute jeune qui, dans le besoin de trouver un emploi rémunéré accepte d’accompagner un groupe d’handicapés dans un refuge de montagne difficile d’accès alors qu’elle sait à peine conduire et qu’elle n’a pas vraiment l’expérience requise pour faire de l’animation. Et finalement grâce à eux tous elle s’en sort. Thèmes et moments forts viennent à être racontés, mimés parfois illustrés par des photos. Cécile va et vient le long de la scène, la quitte soudain pour aller au plus près des spectateurs.


© Mathilda Olmi

 Un grand moment sera celui où, revêtant sa tenue de clown, avec masque et perruque, elle évoquera ses interventions à l’hôpital auprès des enfants pour la plupart atteints d’un cancer. Grimaces et diction à l’appui, elle nous introduit dans ce monde difficile, complexe et parfois morbide, sachant être drôle et éviter toute sensiblerie tant et si bien que l’accompagner dans ce parcours crée en nous malaise et découverte.

Mais on est au-delà car on touche à la réalité qu’elle soit dure ou surprenante, elle est toujours une façon pour elle comme pour nous d’ouvrir les yeux et de nous inviter à poursuivre un chemin qui n’est ni droit, ni oblique, car il est de ceux que la vie nous oblige à emprunter avec sa part d’improvisation, de déceptions et d’espoir. 

Entre autres thème abordés, celui, délicat de la sexualité, sans pudibonderie mais avec une délicatesse qui laisse toute sa place à cette part d’ombre souvent cachée, si essentiellement vitale pour tous, la mêler à l’écologie et à la sauvegarde des forêts est assez prodigieux, vrai, efficace et ne manque pas d’humour. On en sort « laver du péché de la chair » et fermement écologiste.

Passer d’un thème à l’autre n’est pas un problème pour celle qui a pris le parti d’aller vers nous sans réserve, avec la sincérité qui anime bien de ses souvenirs, qu’elle nous livre en une sorte  de suites improvisées, et même s’ils peuvent la montrer dans la dernière partie de ce long parcours aux prises avec la folie et emprisonnée en HP, essayant d’échapper à  ces énormes marionnettes qui veulent la capturer.

Fort heureusement qu’elle s’en délivre et laisse place sur la scène à l’énorme tête carnavalesque qui crache sur nous ses confettis multicolores.

Nous venons de rencontrer une personne exceptionnelle que le public a fortement appréciée tant sa générosité à partager ses expériences nous a fait vibrer, nous a impliqué, réveillant nos propres souvenirs, un public qui n’a pas hésité à suggérer des mots et expressions familières à une comédienne ravie de ces échanges chaleureux et qui n’a pas hésité à le solliciter avant de partir à entrer dans la lutte anti colonialiste et à défendre La Palestine.

Marie -Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 22 janvier au TNS

En salle jusqu’au 1er février

les amants d’Auschwitz

Quatre-vingt ans après la libération du camp d’Auschwitz, des histoires incroyables semblent toujours traverser, intactes, le temps et parviennent encore à nous émouvoir et à revivifier une mémoire qui disparaît avec la mort des derniers témoins. Telle fut l’histoire de Zippi et de David, les amants d’Auschwitz.


Zippi fut une juive slovaque. David, un juif polonais. Tous les deux furent déportés à Auschwitz en 1942. Le camp est alors en construction, on doit y ajouter l’annexe de Birkenau pour pouvoir tuer en masse. Les Slovaques ont été parmi les premiers juifs à y être déportés. Là-bas Zippi intègre l’administration du camp et grâce à la protection de la terrible Maria Mandl, cette gardienne réputée pour sa férocité, elle aide un certain nombre de juifs, parvenant parfois à les sauver d’une mort certaine. Bientôt, son regard croise celui de David. Dans le reflet des crématoires s’allume alors, dans son coeur, au milieu des ténèbres, la flamme de l’amour. « Il était très jeune ; elle avait quelques années de plus. Il manquait d’expérience ; elle était avisée et sûre d’elle. Leurs regards se croisèrent ; elle le choisit. Alors que la mort et la destruction rôdaient autour d’eux, ils se hissèrent dans une alcôve improvisée et ouvrirent une fenêtre. L’un près de l’autre, ils n’étaient plus des numéros ; ensemble, ils n’étaient plus seuls » écrit ainsi Keren Blankfeld, journaliste qui excelle dans les récits de non-fiction et peint avec des mots d’une douceur inouïe cet amour prenant vie dans ce lieu de mort.

A Auschwitz tomber amoureux peut être une stratégie de survie. Elle peut aussi vous conduire à prendre des risques inconsidérés jusqu’au tombeau. Le lecteur, accroché à l’histoire de Zippi et de David, avale les pages pour savoir si nos deux amants vont s’en sortir car à chaque fois, le destin semble sourire aux amoureux. L’auteure entremêle ainsi à merveille les destins de nos deux amants et de ces personnages secondaires qui composent le roman. Zippi et David ont promis se retrouver à Varsovie sitôt la fin de la guerre. Ils ne se reverront que soixante-dix ans plus tard pour connaître les raisons de leur survie. Et nous lecteurs, nous étions là grâce à ce livre merveilleux et tendre.

Par Laurent Pfaadt

Keren Blankfeld, les amants d’Auschwitz, traduit de l’anglais par Karine Guerre
Aux éditions Albin Michel, 496 p.

Interview Alexandre Bande

« Ce lieu fut le plus meurtrier des centres de mises à mort »

Alexandre Bande est professeur de chaire supérieure en classes préparatoires littéraires au Lycée Janson de Sailly à Paris, intervenant à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, au Mémorial de la Shoah et à l’INSPE de Paris. Il a coordonné plusieurs ouvrages notamment la Nouvelle histoire de la Shoah (Passés composés, 2021) ou l’Histoire politique de l’antisémitisme en France (Robert Laffont, 2023). Pour Hebdoscope, il revient sur son dernier ouvrage, Auschwitz 1945 (Passés composés).


Quelle est la situation que découvre les Soviétiques en entrant dans le camp d’Auschwitz, le 21 janvier 1945 ?

Après de rudes combats, les soldats soviétiques prennent possession dans l’après-midi du 21 janvier 1945 d’un imposant complexe concentrationnaire composé de plusieurs camps et sous-camps et découvrent ce qu’il reste des chambres à gaz, des crématoires et des nombreux effets personnels volés aux déportés dès leur arrivée. Les soldats soviétiques qui entrent dans Auschwitz sont des combattants, ils ne sont pas préparés à affronter ce qu’ils découvrent. L’urgence est alors de nourrir, de soigner et de tenter de sauver les milliers de déportés dont plusieurs dizaines d’enfants encore vivants à leur arrivée. Ils vont mettre des jours, peut être des semaines, à saisir l’ampleur du crime et du drame qui se sont déroulés en ce lieu dont la « lecture » est particulièrement difficile en raison de son immensité, du froid, de la neige et des destructions. Il leur est logiquement impossible de percevoir immédiatement le nombre de victimes, la manière dont le complexe fonctionnait économiquement ainsi que les rouages du système de mise à mort. 

A la lecture de votre ouvrage, on découvre qu’Auschwitz fut plus qu’un simple camp, un complexe voire même un projet urbain

En effet, lorsque les autorités nazies décident d’implanter dans la ville d’Oswiecim (Auschwitz en allemand) un camp de concentration au début de l’année 1940, ils envisagent également de faire de cette ville un « avant-poste » de la colonisation allemande à l’Est. Rattachée au Reich, comme toute la partie occidentale de la Pologne, cette ville est vidée de la plupart de ses habitants (dont 60% étaient juifs avant la guerre) et un vaste projet d’aménagement urbain, de mise en valeur des terres agricoles et des richesses naturelles est mis en œuvre par la SS. Enchevêtrement d’usines, d’entrepôts, de fermes modèles et de structures concentrationnaires, le complexe d’Auschwitz s’étendait sur plusieurs dizaines de km². De grandes entreprises allemandes (IG Farben, Siemens) ont profité d’une main d’œuvre servile et « corvéable à merci » pendant plusieurs années, les SS ont même tenté de développer du caoutchouc synthétique. Si le nom d’Auschwitz est encore aussi fortement ancré dans les mémoires, 80 ans après, c’est que ce lieu ne fut pas seulement le plus peuplé des camps de concentration du Reich – plus de 100 000 déportés à l’été 1944 – mais aussi le plus meurtrier des centres de mises à mort puisqu’un million cent mille personnes dont près d’un million de Juifs y ont été assassinés. 

La libération du camp ne signifia pas pour autant la liberté pour de nombreux déportés

Lors de leur entrée dans les différentes parties du camp, les Soviétiques découvrent environ 7000 survivants abandonnés par les SS le 18 janvier précédent lors de l’évacuation de près de 60000 déportés valides. Ces déportés, très majoritairement juifs, étaient dans un état de santé fort précaire. Décharnés, épuisés, souvent malades ou gravement blessés (c’est pour cela qu’ils n’avaient pas été forcés à se déplacer à partir du 18 janvier 1945), ils sont pris en charge de toute urgence par les services de santé soviétiques et la Croix Rouge polonaise. Initialement, les malades sont soignés dans les trois parties du complexe du camp d’Auschwitz, à savoir l’ancien camp principal, Birkenau et Monowitz. Mais les conditions dans les hôpitaux n’étant pas bonnes, surtout dans les deux derniers camps, le manque de médecins et de personnels infirmiers, malgré l’investissement de plusieurs dizaines de déportés valides, rendent difficiles les déplacements entre hôpitaux. Rapidement, comme le relate Primo Levi, les malades des différents camps furent rapatriés dans l’hôpital principal situé au cœur d’Auschwitz I administré par les Soviétiques. Les plus faibles périssent, parfois plusieurs semaines après le 27 janvier, les autres se rétablissent, sont soignés et quittent progressivement les lieux. 

L’historiographie insiste rarement sur ces semaines, ces mois qui ont suivi la libération du camp, pourquoi ? 

En effet, les ouvrages existant sur l’histoire d’Auschwitz évoquent rapidement l’épisode du 27 janvier 1945 et le basculement vers le lieu de mémoire que devient une partie du camp dans les années qui suivent. Mais à l’exception de quelques historiens polonais, rares étaient ceux qui s’étaient penchés sur ces questions. L’ampleur du crime de masse qui s’est déroulé à Auschwitz, l’importance de la parole des survivants, la symbolique associée à ce lieu de mémoire si spécifique ont contribué à focaliser l’attention des historiens sur l’histoire du site, son fonctionnement, sur les spécificités du système concentrationnaire et exterminatoire sans équivalent dans le processus de la « Solution Finale ». 

Laurent Pfaadt

Dans le trou de la serrure

Une passionnante exposition explore l’évolution de l’intimité

A l’heure des réseaux sociaux et de l’exposition permanente de l’intimité, voire son dévoilement volontaire, existe-t-il encore une intimité ? C’est ce que tente d’explorer la brillante et instructive exposition des arts décoratifs qui emmène ses visiteurs des chambres à coucher aux réseaux sociaux en passant par les cosmétiques et autres sextoys.


Musée des arts décoratifs
©Sylvain Silleran

La notion d’intimité naît véritablement au XVIIIe siècle mais ce n’est qu’au XIXe qu’elle s’affirme comme un espace de division sociale d’une société qui voit l’émergence d’une classe bourgeoise partagée désormais entre sphères familiale et professionnelle où les femmes sont reléguées dans la première avant qu’elles ne s’en émancipent progressivement. Comme le rappelle Christine Macel, ancienne directrice du musée des arts décoratifs et qui a coordonné le catalogue qui accompagne l’exposition : « si aujourd’hui, les femmes ne sont plus recluses dans l’espace privé (…) l’intime constitue néanmoins  un espace dans lequel elles ont été et sont particulièrement actives : avec la remise en cause du mariage obligatoire, la demande d’égalité au sein du couple, la notion du consentement sexuel, elles ont, plus largement, contribué à la redéfinition de l’intime ».

S’introduisant dans les chambres à coucher, partagées ou non, et se singularisant, mais également dans les cabinets de toilettes, l’exposition convoque Michèle Perrot, le peintre Antoine Watteau ou la photographe Nan Goldin pour expliquer comment s’est formalisée l’appropriation d’un lieu à soi ou l’irruption des préoccupations liées à l’hygiène qui ont été des jalons de la construction d’une intimité jusqu’alors peu formalisée.

Cette intimité nouvellement créée va ainsi servir d’écrin à l’expression d’une beauté féminine et les pièces venues du mobilier national et ces magnifiques rouges à lèvres devant lesquels nombre de visiteuses tombent en pâmoison et parfums qui donnent une dimension olfactive fort agréable à l’exposition sont autant de témoignages d’une intimité qui s’entourent de codes et d’attributs.

D’attributs, il en est donc question, y compris sexuels car l’intimité est aussi liée à une sexualité qui s’expose dans la fameuse toile de Fragonard et la collection de sextoys et va connaître, comme le montre parfaitement l’exposition, nombre de mutations. Une exposition qui tombe finalement à point nommé alors que notre société s’interroge à nouveau sur la question du consentement, de savoir qui a le droit de décider de notre intimité, d’entrer dans cette dernière.

La dernière partie de l’exposition avance d’ailleurs prudemment sur ce terrain où l’intimité est désormais tantôt livrée, tantôt asservie aux nouvelles technologies. Sans apporter de réponses, elle se borne à constater qu’une fois de plus, l’évolution de l’intimité bouleverse le rapport entre les femmes et les hommes. Mais surtout, surfant sur les réseaux sociaux et naviguant à vue dans notre société de surveillance, elle met en garde sur les dangers d’un progrès qui peut se révéler destructeur pour les rapports humains. La société débattant sur les bienfaits de l’eau est bien loin, remplacée par celle des journaux intimes désormais partagés à la terre entière sur Instagram. Une exposition qui constitue une véritable prise de conscience.

Par Laurent Pfaadt

L’intime, de la chambre aux réseaux, Musée des arts décoratifs
Jusqu’au 30 mars 2025

Catalogue de l’exposition : L’intime, de la chambre aux réseaux, sous la direction de Christine Macel, coédition Gallimard/musée des Arts décoratifs, 288 p.

Oratorio de Noël

Rarement joué, l’Oratorio de Noël du compositeur français Camille Saint-Saëns fut plutôt à l’honneur en cette fin d’année 2024. Il se trouva à l’affiche du Philharmonique pour son concert de la mi-décembre à la salle Erasme après avoir été, quelques semaines plus tôt, donné par la Chorale strasbourgeoise au Palais des Fêtes.


© David Amiot

Pianiste et organiste virtuose, figure musicale du romantisme français, Camille Saint-Saëns, né à Paris dans les premiers temps de la Monarchie de Juillet (1835), aura vu sa longue carrière se dérouler d’abord durant le Second Empire, puis sous la Troisième République avant de s’éteindre à Alger en 1921. De son œuvre importante, on ne joue le plus souvent que ses concertos pianos n°2 et 4, son premier concerto pour violon et son troisième concerto pour violoncelle, sa symphonie n°3 « pour orgue », son Carnaval des animaux, sa Danse macabre et son opéra Samson et Dalila (parmi les treize qu’il a composés!). Avec son contemporain d’outre-Rhin Johannes Brahms, il a en commun, sinon le génie créateur, une connaissance encyclopédique de la musique et une très grande habileté d’écriture.

Créé à Paris en 1857, dans l’église de la Madeleine dont Saint-Saëns était devenu l’organiste titulaire, son Oratorio de Noël est donc l’oeuvre d’un compositeur de 23 ans. Ecrite pour un quintette de chanteurs solistes, un choeur mixte, un orgue et un orchestre à cordes, la partition comporte dix morceaux sur des textes de l’Ancien et du Nouveau Testament, dans un style musical assez composite, mêlant références baroques et mélodies d’époque. Elle s’achève dans un Alléluia triomphal, selon une posture caractéristique de la plupart des œuvres ultérieures du compositeur : à la différence de celles du romantisme allemand, les conclusions victorieuses ne sont jamais chez Saint-Saëns l’issue de quelque combat intérieur ou déchirure subjective, mais plutôt l’emblème d’un optimisme d’époque, dont témoignent les Expositions universelles, les réalisations architecturales comme la Tour Eiffel ou l’église du Sacré Coeur, les conquêtes d’une France coloniale. Sous cet angle, et quelles que soient les grandes qualités d’écriture de ses trois premiers mouvements, la conclusion de la symphonie avec orgue, donnée l’an passée à Strasbourg, va vraiment très loin dans cette esthétique triomphaliste.

© David Amiot

Pour cet Oratorio de Noël, Aziz Shokhakimov, le directeur de l’OPS, disposait de l’excellent choeur de l’Opéra du Rhin et d’un quintette de bons solistes. Il a choisi de le jouer avec un vaste tapis de cordes, quasiment tout le quatuor à cordes du philharmonique (plus de soixante musiciens). L’oeuvre évolua ainsi dans un climat de grande volupté sonore, la puissance instrumentale et vocale déployée mettant particulièrement en avant sa dimension opératique.

Ce concert, dédoublé en deux soirées – celles du 18 et
19 décembre –, s’achevait avec la Shéhérazade de Rimski-Korsakov, suite symphonique en quatre mouvements pour violon solo et grand orchestre dont le motif littéraire est l’évocation d’histoires contées par une jeune odalisque à un sultan misogyne et paranoïaque, afin de retarder la mise à mort à laquelle finalement elle échappera. L’OPS a toujours été très à l’aise dans cette œuvre techniquement exigeante, que ce soit sous la direction de Marko Letonja ou de celle, plus ancienne, de Kiril Karabitz ; mais, avec son jeune directeur Shokhakimov, il s’est cette fois littéralement surpassé. D’emblée, dans La mer et le vaisseau de Sinbad, le contraste entre la sévérité des accords cuivrés – évoquant la figure du terrible sultan – et la douceur mélodieuse du violon solo de Charlotte Juillard – incarnant la jeune Shéhérazade — s’avère magnifique, avant que l’atmosphère marine et le tumulte des flots ne prennent le dessus. Dans le second épisode, Le récit du prince Kalender, le violon solo et les solistes de l’orchestre rivalisent de phrasés poétiques et de beautés sonores. Le mouvement suivant — noté andantino quasi allegretto et intitulé Le jeune prince et la jeune princesse – m’a toujours paru le plus beau. Peut-être l’est-il aussi pour Shokhakimov qui y déploya des trésors d’éloquence amoureuse.L’ultime tableau, Fête à Bagdad et naufrage du bateau, grand moment de virtuosité orchestrale, requiert à la fois un très bon orchestre et beaucoup de rigueur et de doigté afin de ne pas sombrer dans les effets sonores gratuits. Du début à la fin, chef et orchestre y déployèrent une musicalité de haut-vol, avec notamment une bonne intégration des trombones dans l’épisode final du naufrage.

Ce très beau concert est entièrement disponible sur la boutique d’Arte. Il faut d’autant plus s’en réjouir que, si les enregistrements de Shéhérazade sont innombrables, assez peu rendent vraiment justice à l’oeuvre et même de grands musiciens s’y sont littéralement cassés les dents : Herbert von Karajan y a, si l’on peut dire, réussi son plus beau ratage entraînant ses Berliner dans le naufrage ; Jos van Immerseel, ambitionnant de « restaurer » l’oeuvre sur instruments d’époque, n’aura lui aussi fait qu’échouer, aux deux sens du mot. Pour les autres, si tout le monde s’accorde sur l’excellence du disque de Kiril Kondrachine avec le Concertgebouw d’Amsterdam, on peut aussi recommander les prestations d’Eugène Ormandy, de Léonard Bernstein, d’Igor Markevitch, de Ferenc Fricsay voire de Sergiu Celibidache si on aime les liqueurs particulièrement toxiques et envoûtantes.

Le dimanche 24 novembre 2024, la Chorale Strasbourgeoise donnait son concert bi-annuel dans la salle du Palais des fêtes. Elle se trouvait, pour l’occasion, associée au Collegium Cantorum de Strasbourg constituant ainsi une masse vocale d’une centaine de chanteurs. Avant l’Oratorio de Noël de Saint-Saëns qui figurait en seconde partie de programme, on eût le plaisir d’entendre la sixième et dernière des odes que le grand compositeur anglais Henry Purcell composa en 1694 pour l’anniversaire de la Reine Marie. Les petites approximations de la trompette au début du premier épisode, purement instrumental, n’ont rien enlevé au caractère particulièrement jovial et festif de l’exécution au cours des huit mouvements vocaux et chorals suivants. C’est Gaspard Gaget, le jeune chef de la Chorale Strasbourgeoise qui, ce dimanche-là, dirigeait l’ensemble ; son collègue, Nicolas Jean, chef du Collegium Cantorum, officiant pour sa part la veille au soir à l’Église protestante de Brumath. Pour la partie Purcell, Gaspard Gaget avait disposé l’ensemble du choeur non sur la scène mais de chaque côté du parterre de la salle du Palais des fêtes, favorisant ainsi une ambiance sonore particulièrement enveloppante.

L’Oratorio de Saint-Saëns, donné en seconde partie, fut restitué dans des conditions sonores assez particulières, une quinzaine d’instrumentistes à cordes (assurant, au demeurant, très bien leur partie) et une centaine de choristes, faisant preuve, compte tenu de leur masse vocale et des exigences de l’oeuvre, d’une cohésion et d’une musicalité admirables. En regard de la prestation du Philharmonique et du choeur de l’opéra, la dimension oratorio l’emporta ici sur le côté flamboyant et opératique. Un passage témoigne à lui tout seul du niveau de ce concert, c’est le choeur n°6 Quare fremuerunt gentes ? de loin le plus beau de cet oratorio : l’intensité et la précision obtenues dans ce mouvement si bien écrit ne passèrent pas inaperçues.

L’ensemble de ce concert bénéficia du concours d’un quatuor vocal (augmenté d’une alto dans Saint-Saëns), d’une puissance certes modérée, mais d’une très belle musicalité.

Michel Le Gris

Reclaim

Spectacle d’une rare intensité qui nous emmène loin de notre quotidien vers des pratiques hors normes autant sur le plan du récit qui a des rapports avec le chamanisme que sur le plan des performances physiques auxquelles des voltigeurs, des porteurs éblouissants, d’une parfaite technicité se livrent devant nous, au plus près de nous assis en rangs serrés autour de la piste et il faut le dire vite médusés, conquis.


© Christophe Raynaud de Lage

Est-ce le rituel de l’enfant mort ou du ressuscité ?

Il arrive tenu par une femme, c’est une marionnette (création Polina Borissova) aux grands yeux tristes, sur lesquels on pose un bandeau noir avant de l’envelopper dans une peau de mouton et de le poser au pied du totem érigé en fond de piste, où sont accrochés des crânes de loup. (scénographie Oria Puppo).

C’est bien un rituel qui commence là et qui se précise quand l’obscurité se fait et que d’elle surgissent des individus qui entreprennent une lourde marche, sorte de danse répétitive, martelant le sol avec vigueur, tout en poussant de puissants hurlements.(travail chorégraphique Dominique Duszynski)

On les voir réapparaître avec des masques de loup (Isis Hauben) et s’adonner à une lutte acharnée qui nous glace d’effroi. Ce sont les combats d’une extrême violence d’une meute déchainée où, se jeter à corps perdu sur l’autre, semble être d’une absolue nécessité.

Viennent ensuite ces extraordinaires voltiges et portés auxquels s’adonnent la voltigeuse Chloé Chevalier souvent envoyée dans les airs et comme rattrapée de justesse par ses deux acolytes César Mispelon et Franco Pelizzari Del Valle qui, eux-mêmes, se lancent dans de superbes figures, soutenus par les porteurs Lucas Elias et Paul Krügener. Nous suivons leurs évolutions d’une grande virtuosité, le souffle coupé et admirons la chanteuse lyrique Camille Brault qui les accompagne sur des airs entre autres de Purcell, Bach, magnifiquement interprétés bien que souvent les porteurs la hissent dans les hauteurs sans qu’elle se départisse de sa sérénité et de l’attention qu’elle prête à son chant. Deux violoncellistes, Ambre Tamagna et Claire Goldfarb,en partenaires musicales offrent un accompagnement soutenu à ces diverses prestations.

A la fin on redécouvre l’enfant-marionnette entre les mains porteuses et bienveillantes des femmes. Une renaissance en quelque sorte, un apaisement, comme un espoir que nous transmettent l’écriture et la mise en scène de Patrick Masset fondateur et directeur du Théâtre d’Un Jour, compagnie contrat-programmée par la Fédération Wallonie- Bruxelles.

Ce spectacle qui a été ici chaudement applaudi a reçu le Prix Maeterlinck de la Critique comme meilleur spectacle de cirque 2O22-2023.

Nous avons hautement apprécié cette alliance intelligente du théâtre, du cirque et de la musique.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 14 décembre au Maillon

Plumes de guerre

De nouvelles traductions d’Ernest Hemingway et de Norman Mailer permettent de se replonger dans ces monuments de la littérature

Aujourd’hui, L’Adieu aux armes d’Ernest Hemingway et Les Nus et les Morts de Norman Mailer sont considérés comme des chefs d’œuvre de la littérature non seulement de guerre mais du patrimoine littéraire de ce 20e siècle sanglant.


Celui-ci commença bien évidemment lors de la Première guerre mondiale. Sur le front italien, en juillet 1918, un jeune ambulancier américain de dix-neuf ans s’apprête à faire son entrée en littérature. Grièvement blessé, il passe près de trois mois dans un hôpital de Milan. Cette expérience lui servira de matériel pour son livreL’Adieu aux armes. Soixante-dix ans après son prix Nobel obtenu en 1954, cette nouvelle traduction permet ainsi de redécouvrir la puissance de ce grand roman de guerre et d’amour avec ces personnages devenus immortels au premier rang desquels le duo que composent Frederic Henry, ambulancier blessé lors de la bataille de Caporetto et son infirmière Catherine Barkley qu’incarneront plus tard Rock Hudson et Jennifer Jones dans le film de Charles Vidor et John Huston.

Norman Mailer n’a que six ans lorsque L’Adieu aux armes est publié en 1929. Près de vingt ans plus tard et une nouvelle guerre mondiale, l’autre sale gosse des lettres américaines, le gamin de Brooklyn qui a lu avec avidité les chefs d’œuvre d’Hemingway, égalera son modèle en publiant Les Nus et les Morts (1948) dont paraît ces jours-ci une nouvelle traduction admirable signée Clément Baude, également traducteur du formidable Sympathisant de Viet Thanh Nguyen (Belfond)

Si l’Europe a été le terrain de jeu d’Hemingway, celui de Mailer, comme des milliers de G.I. fut le Pacifique. A peine sorti d’Harvard, il s’engagea comme simple soldat dans le 112e régiment de blindés du général MacArthur et servit dans les Philippines. Il y campera l’action de son roman qui raconte ces hommes envoyés en mission derrière les lignes japonaises pour conquérir une petite île.

Bien évidemment il y a du Hemingway chez Mailer. Les deux écrivains ont cette fascination commune pour la lutte sempiternelle entre la vie et la mort, la guerre et la paix, l’amour et la douleur. Même si sa prose n’est pas aussi flamboyante que celle de son aîné, Mailer se livre, à travers ses différents personnages, a une analyse sans concession de la société américaine. Tous les deux, et ces deux nouvelles traductions le montrent à merveille, se sont réappropriés les narrations du 19e siècle pour créer quelque chose de neuf. En fidèle héritier de la génération perdue, Mailer emprunte ainsi parfaitement le feu du récit de guerre à Hemingway en l’articulant à la manière d’un John Dos Passos et d’un Tolstoï. On raconte qu’avant d’écrire, Norman Mailer lisait, chaque matin, des pages d’Anna Karenine pour s’imprégner du style de l’auteur de Guerre et Paix. Le résultat est un chef d’œuvre absolu qui valut aux Nus et les Morts tout comme L’Adieu aux armes de figurer parmi 100 plus grands romans du 20e siècle. Deux romans à redécouvrir absolument dans leurs nouveaux habits.

Par Laurent Pfaadt

Ernest Hemingway, L’Adieu aux armes, nouvelle traduction de l’anglais (Etats-Unis) par Philippe Jaworski
Chez Gallimard, 416 p.

Norman Mailer, Les Nus et les Morts, nouvelle traduction de l’anglais (Etats-Unis) par Clément Baude
Chez Albin Michel, 784 p.

L’Empire du dragon d’or

Les trésors de la dynastie Ming sont à l’honneur au musée Guimet

En évoquant la dynastie Ming (1368-1644), de nombreux visiteurs ne connaissent que sa céramique et elurs fameux vases bleus et blancs quand d’autres se souviennent peut-être que les Ming édifièrent la portion de la grande muraille de Chine figurant sur les cartes postales. Personne en revanche ne sait que la dynastie Ming représenta l’âge d’or de l’orfèvrerie impériale chinoise. D’où l’intérêt de l’exposition du musée Guimet.


Organisée en partenariat avec le musée des beaux-arts de Quijang à Xi’an, l’ancienne Chang’an, capitale de la Chine sous plusieurs dynasties notamment celle des Tang qui fait également l’objet d’une fantastique exposition au musée Guimet, dans une province où fut découverte il y a un demi-siècle, l’armée de terre cuite, l’exposition l’Or des Ming a des allures de chasse aux trésors en même temps qu’elle se veut une formidable histoire économique mondiale des matières premières. Si l’argent servit très vite de moyen de paiement à une dynastie ouverte sur un commerce international symbolisé par les voyages de Zheng He, le Colomb chinois, l’or fut quant à lui « restreint aux désirs de somptuosité » selon Arnaud Bertrand, l’un des deux commissaires de l’exposition, conservateur en charge des collections coréennes et de Chine ancienne au musée Guimet dans le très beau catalogue qui accompagne cette exposition. Les artisans de la dynastie Ming développèrent ainsi une gamme de techniques parfaitement détaillées en ouverture de l’exposition pour créer des bijoux et des vases d’une beauté stupéfiante.

Epingle à cheveux

Exposant des pièces sorties exceptionnellement de Chine comme on dévoile un trésor offert pour célébrer le 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la République populaire de Chine et la France du général de Gaulle, le musée Guimet rayonne ainsi de l’éclat de ces merveilleuses parures et de ces vases ouvragés qui traduisent un raffinement et un sens du détail éblouissants avec par exemple cette aiguière à décor de dragon et de lion jouant avec une balle ou ces boucles d’oreilles serties d’ambre. Le point d’orgue est atteint avec une magnifique collection d’épingles à cheveux en or serti de jade, de rubis ou d’émeraudes et figurant des animaux fantastiques ou des symboles qui servent, à travers ces coiffes et autres ornements, à installer socialement celles qui les portent.

Car dans cette cité interdite que vient d’achever Yongle (1402-1424) l’un des empereurs Ming, il faut voir et être vu. Et l’épingle insérée dans un chignon dont il existe mille et un modèles pose chaque personnage à la cour. « Il s’agissait avant tout d’objets d’apparat, dont l’une des fonctions essentielles consistait à révéler le statut, la richesse et le goût de leur propriétaire » complète Hélène Gascuel, l’autre commissaire, par ailleurs conservatrice en charge des collections textiles et du mobilier chinois au musée Guimet dans un chapitre fascinant du catalogue consacré aux codes et à la symbolique des bijoux. Ainsi, le dragon et le phénix étaient réservés aux membres de la famille impériale et de leurs proches parents.

Un tel luxe nécessitait bien évidemment des matières premières en abondance notamment cet or et cet argent venu du Nouveau Monde. On estimait ainsi que la Chine, au début du 17e siècle importait un tiers de l’argent en provenance du Mexique et du Pérou. Face à cette inflation, le roi d’Espagne Philippe IV fit alors adopter des lois restreignant le commerce de l’argent avec la Chine. Les jours de la dynastie Ming étaient comptés. Renversés en 1644, les Ming furent remplacés par les Qing. Mais à l’image de cet or qui ne s’oxyde jamais, l’éclat de leur civilisation ne s’est jamais terni comme en témoigne cette merveilleuse exposition.

Par Laurent Pfaadt

L’Or des Ming, Fastes et beautés de la Chine impériale (14e-17e siècles), Musée des arts asiatiques-  Guimet,
jusqu’au 13 janvier 2025

A lire le catalogue :

L’Or des Ming, Fastes et beautés de la Chine impériale (14e-17e siècles) sous la direction d’Hélène Gascuel , Coédition Musée national des arts asiatiques-Guimet, Paris / In Fine éditions d’art, 216 p.