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la modernité avant la modernité

Picasso – El Greco au Kunstmuseum Basel

Si pour L’Enterrement de Casagemas (Évocation) de 1901, Picasso revendique la filiation du Greco, l’affirmation, peu après avec Les Demoiselles d’Avignon (1907), de son style si singulier évacue instinctivement dans l’esprit du public toute référence aux anciens. La réalité est bien différente : il pratique le nu, le portrait, la nature morte et transcrit son admiration pour le vieux maître jusqu’à la fin de sa vie (Le Mousquetaire, 1967 ou Buste d’homme, 1970).
En proposant, avec presque quatre-vingts pièces des deux artistes, plus d’une trentaine de rapprochements entre l’illustre Crétois et Picasso – couvrant toute la carrière de ce dernier –, le Kunstmuseum de Bâle initie aussi l’hommage pour le cinquantième anniversaire de la mort du peintre franco-espagnol en 1973.


L’exposition privilégie les portraits même si quelques grands formats sont présentés. Cette intimité avec le sujet met l’accent sur la grande liberté stylistique du Greco : ces ciels de tourmente atmosphérique (La Pénitente Magdalène, ca. 1580-85) ou au contraire l’épure des fonds sombres (série des Apôtres, 1610-14) concentrant l’attention sur les visages, les jeux de mains (celui admirable du Christ prenant congé de sa Mère, ca. 1595 avec cette ombre animale qui mange le cœur de Jésus…) et toujours la délicatesse du geste qui se pose sur la poitrine, un livre, un crâne avec quelquefois un doigt d’attention dressé et aussi la luxuriante cascade des drapés (cette déclinaison des blancs du Saint-Barthélemy, 1610-14).

Un style, une densité et une tension narrative* qui fascine et que s’approprie Picasso d’abord par l’assimilation du geste – nombreux croquis de ses débuts dans la première salle – avec des fraises, des barbichettes ou ces visages légèrement allongés. Un univers à la Don Quichotte qu’il s’amuse à mettre en scène dans un bar de Montmartre (Pepe Romeu et autres croquis ca. 1899). En 1962, il linogravera même le cadre assorti de L’homme à la fraise et du Portrait de Jacqueline à la fraise. S’il transfère les nuées du siècle d’or dans les cieux des funérailles de son ami, ses « anges » nus évoquent sans ambiguïté des prostituées. À Bâle, cette Évocation est mise en regard avec L’Adoration du Nom de Jésus (1577-79) dont la composition est plus proche que celle de L’enterrement du comte d’Orgaz (1586-88) souvent cité : sur la droite, le porche de la toile de Picasso rappelle la gueule d’enfer du Greco et les nuages articulent terre et ciel de façon comparable.

Par-delà les anecdotes, c’est la structure qui intéresse Picasso dans les œuvres du Greco : autant l’articulation posturale des corps que l’organisation générale de ses toiles. Sans oublier la vitalité interne : comment la puissance de la composition surgit de l’énergie du sujet. Dans le Christ chassant les marchands du Temple (1610-14), le tourbillon des corps flagellés amplifie le mouvement du geste christique et le traitement de la couleur le renforce – le carmin central glacé de blanc de Jésus s’évaporant en grisaille vers la périphérie. La Crucifixion (1930) de Picasso est légitimement mise en parallèle en dépit de choix inverses : des tons vifs et chauds qui sont absorbés comme dans un trou noir par la grisaille centrale du crucifié.

Pablo Picasso, Nu assis, 1909-1910, huile sur toile, 92.1 x 73 cm
(Tate Modern, London)

Dans les toiles cubistes, le sujet se détache moins du fond que chez le Greco, mais sa quête d’épure retrouve la grâce souvent méditative des poses du XVIe (Nu assis ou Femme assise dans un fauteuil, 1910).
Et comment ne pas imaginer que l’exigeante pureté du geste, la netteté éloquente des mains peintes par le Crétois ne se prolongent pas dans celles brutes et impératives omniprésentes chez Picasso ? de même, que les vastes amandes des yeux implorants (comme chez cette Magdalène déjà citée) ne lui inspirent ces grands yeux dont l’implantation sur le même profil renforce l’abyssale détresse ou l’arrogance ?
Des caractéristiques bien présentes également dans le célébrissime Guernica (1937, non présenté à Bâle) – il convient d’y ajouter les bouches hurlantes.

« Toute image est une maison hantée, toute maison est hantée par les images » comme l’écrit Jean-Christophe Bailly (L’imagement, 2020). Et El Greco est le bienheureux fantôme de la maison Picasso !

El Greco, Christ prenant congé de sa Mère, ca.1595, huile sur toile, 131 x 92 cm
Property of the parish church of San Nicolás de Bari – Archdiocese de Toledo, Spain; on permanent loan to the Museo de Santa Cruz de Toledo
El Greco, Christ prenant congé de sa Mère, ca.1595, huile sur toile, 131 x 92 cm
Property of the parish church of San Nicolás de Bari – Archdiocese de Toledo, Spain; on permanent loan to the Museo de Santa Cruz de Toledo

*Dans ce Christ prenant congé de sa Mère, l’envoûtant jeu de
mains n’est pas jeu de vilains, mais vecteur de narration.
La lumière du visage de Marie impose le récit (et la gueule d’ombre sur le cœur du Christ) : « même si tu montes au ciel, ton départ me mange le cœur ! » Si le velouté des ombres dissimule les stigmates du Ressuscité, le geste de la mère – à main gauche – ravive la douleur de la malemort.
Mains… et regards.
Des regards qui se voient… ailleurs !
Un temps infime entre deux Temps et, malgré la Résurrection, un Temps de douleur et de séparation. S’esquisse une chorégraphie de partage pour le Temps à venir où les regards ne se toucheront plus et les mains ne se verront plus.
Ce rectangle des mains à la fois scelle et circonscrit l’accordance et la proximité de la Mère et du Fils dans un autre espace, un autre Temps. À venir…

Luc Maechel

Commissariat : Carmen Giménez,
avec Gabriel Dette, Josef Helfenstein et Ana Mingot
Kunstmuseum Basel | Neubau / 11.06. – 25.09.2022
du mardi au dimanche de 10h à 18h (jusqu’à 20h le mercredi)
http:// https://kunstmuseumbasel.ch/fr/
catalogue 44 €

Image de l’entête : El Greco (atelier), Mater Dolorosa, ca. 1587–90, huile sur toile, 62 x 42 cm & Pablo Picasso, Tête de femme, 1908, aquarelle et crayon sur papier, 34 x 21 cm (Staatlische Museum zu Berlin, Preussischer Kulturbesitz)

Violin Concerto

A l’occasion de son dixième anniversaire et après 35 enregistrements, Il Pomo d’Oro, ensemble musical absolument fascinant où chaque disque réserve toujours des surprises, nous propose ce nouvel enregistrement remarquable qui ressuscite de nouvelles œuvres oubliées et des compositeurs méconnus mis à part peut-être ici, le chevalier de Saint-Georges qui fut ce qu’on appelle aujourd’hui une véritable « star » à la cour de Louis XV et de Louis XVI. Son concerto en ré majeur, ici enregistré étonnamment pour la première fois, témoigne de son incroyable talent, sublimé par celui de la violoniste bulgare Zefira Valova, concertmaster d’Il Pomo d’Oro et que les fans du contreténor argentin Franco Fagioli ont pu apprécier dans les disques de ce dernier chez Deutsche Grammophon.

L’œuvre de celui qui mania l’archet aussi bien que le fleuret cohabite avec d’autres concertos pour le moins stupéfiants. On est autant admiratif devant la technicité déployée dans la pièce de Johan Gottlieb Graun que face au charme du concerto en si bémol majeur de Maddalena Lombardini Sirmen qui tenta de s’imposer dans une Europe musicale dominée par les hommes. Ces derniers ne manquèrent d’ailleurs pas, notamment dans le Mercure de France, de la critiquer. Ainsi en 1785 après une représentation au Concert Spirituel où elle tenta de revenir sur le devant de la scène, la revue écrivait que « son style a extrêmement vieilli. Si elle peut encore charmer l’oreille, elle ne peut plus étonner ». Il lui fallut attendre plus de deux siècles pour qu’une autre violoniste de grand talent, Zefira Valova, lui rende dans ce disque admirable, enfin justice.

Par Laurent Pfaadt

Violin Concerto, Benda, Graun, Sirmen, Saint-Georges, Zefira Valova, Il Pomo d’Oro
Chez Aparté

Le président est-il devenu fou ?

Le livre de Patrick Weil, universitaire spécialiste de l’immigration et ancien membre du Haut Conseil à l’Intégration, est une aventure à plusieurs titres. D’abord une aventure éditoriale assez incroyable. Mais surtout une aventure psychologique dans le cerveau de ceux qui nous gouvernent et ont le pouvoir d’infléchir le sort du monde et son histoire.

L’aventure éditoriale d’abord. Celle du manuscrit d’un diplomate, William Bullitt, proche collaborateur du président américain Woodrow Wilson qui exerça une influence majeure sur le traité de Versailles en instaurant des idées telles que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ou la société des nations, ancêtre des Nations-Unies. Des idées qui structurent toujours en partie notre géopolitique. Pourtant, à la surprise générale, le président Wilson, de retour aux Etats-Unis, va saborder le projet qu’il a conçu. Pourquoi ? Sentant que quelque chose ne tourne pas rond, Bullitt contacte alors le psychiatre le plus important de son temps, Sigmund Freud, afin écrire avec lui le portrait psychologique du président américain. L’explosif manuscrit connaîtra de nombreuses vicissitudes durant l’entre-deux guerres et pendant le second conflit mondial lorsque Bullitt occupa les postes stratégiques d’ambassadeur en URSS puis à Paris. Mais c’était sans compter Patrick Weil, devenu visiting professor à Yale, qui tomba sur ce manuscrit censuré qui parut en 1967 en France.

Son livre, nourri de sources inédites, est effrayant car il évoque les questions de la santé psychologique de ceux qui nous gouvernent et de l’objectivité que doit manifester un homme capable d’infléchir le cours de l’histoire. Ici, celle conduisant à la seconde guerre mondiale liée en partie aux conséquences de la non-ratification du traité de Versailles par le Sénat américain en 1920, non-ratification voulue par Wilson.

Ce dernier, coupé de la réalité, s’est bel et bien isolé dans un complotisme et une schizophrénie induite d’après Freud, par une homosexualité refoulée. Plus effrayant encore, l’ouvrage montre que les fous ne se trouvent pas seulement du côté des régimes totalitaires mais également à la tête de nos démocraties. Livre fascinant car mettant en lumière la face cachée d’un vainqueur devenu un mythe, il pointe également la nécessité de la séparation des pouvoirs dans une démocratie afin d’éviter qu’un homme placé au sommet de l’Etat ne précipite, sous l’emprise de ses névroses, son pays et le monde dans l’abîme. A ce titre, le livre de Patrick Weil est moins un essai historique qu’un avertissement terriblement actuel.

Par Laurent Pfaadt

Patrick Weil, Le président est-il devenu fou ? Le diplomate, le psychanalyste et le chef de l’Etat
Chez Grasset, 480 p.

Shalom Europa

14ème édition du festival du film israélien en Alsace

Avec une programmation réduite mais riche de films visibles là, et pas ailleurs, le festival  devrait attirer les spectateurs curieux d’un cinéma exigeant, miroir de la société israélienne dans sa diversité. Les équipes de films seront présentes. Du 12 au 16 juin, 8 films seront projetés au cinéma Star à Strasbourg, ainsi qu’au Trèfle à Dorlisheim et au Bel Air à Mulhouse.

La société israélienne est composite et plurielle, enrichie par la venue de communautés juives du monde entier. L’intégration ne s’est pas toujours faite sans peine. Deux documentaires donnent la parole aux femmes et aux hommes qui ont souvent tout quitté de leur pays d’origine pour s’installer en Israël. Qui sait que les juifs d’Ethiopie sont partis de villages en cases, ont quitté leur maison en terre battue ? Quel courage leur a-t-il fallu pour partir et quel combat ont-ils dû mener une fois en Israël ? « Tous ceux qui l’ont vu ont été scotchés par Yerusalem » nous a confié l’organisatrice du festival. La rencontre sera  assurément passionnante pour en débattre avec Levi Zini, le réalisateur. Quant aux Mizrahim, les juifs sépharades venus du Maghreb et les orientaux, ils ont eu beaucoup de mal à être acceptés comme citoyens à part entière dans la société israélienne dirigée par l’élite ashkénaze. Ils ont tôt perdu leurs illusions. La Terre promise n’était pas si accueillante. Projeté en exclusivité le 12 juin, en présence de la réalisatrice Michale Boganim, Mizrahim est un documentaire intéressant sur l’histoire et la mémoire d’un passé qu’Israël voudrait oublier.

L’audace est au rendez-vous quand l’histoire est visitée par l’humour. La bataille tragique de Nitzanim pendant la guerre d’Indépendance a été traitée contre toute attente de manière loufoque. Le grand réalisateur israélien Avi Nesher  a opté pour un ton gai et explosif dans Image of Victory ou comment pour rattraper leur défaite, un groupe de Frères musulmans égyptiens veut éradiquer la colonie juive et c’est un cinéaste égyptien en dépression qui a participé aux événements qui en fait le récit, trente ans plus tard.

Quand c’est la fiction qui traite de l’histoire d’Israël et de l’apport de ses communautés qui en constituent la société, l’intime touche à l’universel. Quid des migrants quand ils arrivent dans un pays où ils sont mal accueillis ? Qui sait que les juifs de l’ex union soviétique sont venus à leur tour en Israël, rencontrant des difficultés pour se faire accepter ? C’est le cas de Tamara, immigrée ukrainienne, dans More than I deserve. Elle vit seule avec Pinhas. Tamara n’est pas pratiquante alors que son fils veut faire sa Bar Mitzvah. La rencontre de leur voisin, le très religieux Shimon va changer leur vie. C’est l’émotion qui l’emporte avec les Cahiers noirs que présentera aux strasbourgeois Shlomi Elkabetz, le frère de la grande et regrettée Ronit ElKabetz, souvent mise à l’honneur dans les précédentes éditions du festival et qui nous a quittés en 2016. En deux volets, intitulés Viviane et Ronit, qui seront projetés dans la foulée, Shlomi ElKabetz parle de l’histoire de sa famille et de sa sœur. Pour les afficionados de l’actrice, c’est un film ovni, mêlant images d’archives, fiction et réalité, passé et présent.

L’édition 2020 du festival avait été annulée à cause de la Covid et deux films réalisés en 2019 avaient retenu l’attention des organisateurs : God of the piano et Back to Maracana. Jamais distribués en France, c’est l’occasion ici de les découvrir. Le réalisateur Itay Tal viendra à Strasbourg avec son actrice Naama Preis. Dans ce film, elle joue une pianiste virtuose qui ne supporte pas de mettre au monde une fille atteinte de surdité, allant jusqu’à échanger son bébé à la maternité. Il serait dommage d’en déflorer l’intrigue et son incroyable fin ! Très bon film également que ce road movie motivé par la passion du football pour trois générations de garçons, grand-père atteint d’une grave maladie, père et fils en conflit, entraînés dans un voyage mouvementé  vers le Brésil pour assister à la Coupe du Monde de foot, à l’été 2014. L’acteur Asaf Goldstein accompagne ce film pour une rencontre avec les spectateurs.

Par Elsa Nagel

Le programme complet et la grille des projections est disponible dans les cinémas Star et Star St Ex. Pour les projections au Trèfle et au Bel Air, se connecter à leur site :
http://www.cinemadutrefle.com
https://www.cinebelair.org

Ils nous ont oubliés  » La Plâtrière « 

C’est un de ses premiers écrits mais sa plume acerbe est déjà à l’œuvre dans ce texte de Thomas Bernhard publié en 1970 que Séverine Chavrier adapte après avoir travaillé sur d’autres textes de cet auteur, entre autres « Déjeuner chez Wittgenstein » adapté en 2016 sous le titre « Nous sommes repus mais pas repentis ».

Dans ce roman, « La Plâtrière » Thomas Bernhard raconte l’histoire sordide d’un couple qui se solde par ce que l’on nomme aujourd’hui « un féminicide » suivi du suicide du mari.

Quand la représentation commence on assiste à la découverte des cadavres par des vagabonds étranges personnages masqués qui boivent le vin trouvé dans la cave tout en se plaignant de l’odeur pestilentielle, bientôt décidés à prévenir la police et à quitter les lieux pour ne pas être accusés.

Suite à cette scène assez grotesque, on va revenir sur l’histoire désolante des dernières années de ce couple.

Lui, Konrad, est en mal de son grand œuvre un traité sur l’ouïe qui rassemblerait ses observations, ses hypothèses, ses recherches, un véritable travail scientifique qui se veut unique mais dont il n’a pas encore écrit la première ligne.

Et pour cause, ne doit-il s’occuper de son épouse invalide, d’une extrême exigence qui le traite comme un valet à son service.

Pourtant, le couple a fait l’acquisition d’une ancienne fabrique, une plâtrière, isolée dans la forêt, l’endroit calme propice au travail intellectuel auquel veut s’adonner Konrad. Mais il arrive que des curieux viennent à passer ou des ouvriers pour quelques travaux indispensables, sans oublier les chasseurs qui se déploient parfois très près de la maison et font retentir leurs coups de fusil. Autant dire que tout cela est perturbant et empêche Konrad de se mettre à l’ouvrage. Alors, déçu, il soupire s’énerve et remet à plus tard, dans l’attente du moment favorable qui, bien sûr ne se présente qu’avec une perturbation à la clé. Tout cela ne peut aboutir qu’à une catastrophe. Elle arrive le soir de Noël quand Konrad tue sa femme et se donne la mort.

C’est le traitement de cette histoire qui se révèle original et intrigant dans cette mise en scène de Séverine Chavrier. Elle y convoque une scénographie pertinente qui rend compte de l’isolement de la maison en dressant, côté cour, quelques sapins squelettiques à proximité desquels s’élève une sorte de mirador pour guetter les possibles intrus.

Quant à l’intérieur, il nous sera révélé par des prises de vue, filmées par vidéo et projetées sur les trois écrans prévus à cet effet. Nous découvrons ainsi les lieux de chacun, la chambre de madame Konrad encombrée d’objets divers dont plusieurs statuettes de la vierge Marie, son énorme fauteuil roulant qu’elle ne quitte que rarement et ses innombrables paquets de cigarettes dans lesquels elle ne cesse de puiser. Autre lieu, tout autant en désordre le « bureau » de Konrad, au sous- sol où s’accumulent les papiers censés représentés les notes prises pour sa thèse et qui ne font que souligner son incapacité à clarifier ses idées.

C’est là, dans ce lieu insalubre que visitent inopinément les pigeons ou les corneilles (dressage des oiseaux, Tristan Plot) que vont et viennent les personnages, elle, le houspillant sans cesse, pour avoir son repas, lui, accourant, mécontent de ne pouvoir « travailler » mais la persécutant par d’absurdes exercices de langage. Leur comportement obsessionnel, répétitif finit par les rendre comiques.

Les comédiens s’impliquent avec conviction dans ces rôles de composition. Laurent Papot joue à merveille le looser toujours agité qui s’attendrit sur lui-même au point de le rendre touchant et Marijke Pinoy sait se montrer intransigeante, dominatrice et nostalgique d’un passé aisé et heureux. Le personnage de l’aide-soignante inventé par Séverine Chavrier et interprété par Camille Voglaire , fait ressortir par le bon sens dont elle est habitée, par son inquiétude aussi la « folie »  de ses employeurs, le grotesque des situations dans lesquelles ils se complaisent.

De plus la mise en scène joue sur un paradoxe celui du son, ici traité en live et avec maestria par le percussionniste Florian Satche qui n’hésite pas à pousser son jeu jusqu’à la saturation alors que l’on a appris combien il importune Konrad qui ne peut créer que dans le silence alors que toutes ses prétentions de recherche concernent l’ouïe.

Pièce visuelle et musicale, surprenante par la richesse des images et un intrépide langage sonore qui rend compte à sa manière de la complexité de l’œuvre de Thomas Bernhard qui sait habilement glisser l’humour dans le sordide.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 3 juin au TNS

Jusqu’au 11 juin

vent de liberté

Deux concerts de l’OPS durant le mois de mai nous ont fait découvrir un chef invité, particulièrement apprécié du public comme de l’orchestre et une jeune violoniste de talent, tous deux se produisant pour la première fois à Strasbourg.

Le jeudi 12 mai au soir, dès les premières mesures du Don Juan de Richard Strauss, on est saisi par la puissance, la clarté, la beauté du son de l’orchestre. D’origine finlandaise, Hannu Lintu déploie une battue de large envergure, assortie d’une main gauche donnant des indications très efficaces. Toutes les voix de l’orchestre sont magistralement travaillées, du quatuor à cordes souple et virtuose aux pupitres de cuivre rutilants, sans oublier une petite harmonie particulièrement soignée et volontairement mise en avant. L’interprétation du chef souligne le côté grandiose, mais sans exagération ni grandiloquence. On retrouve cette même musicalité éloquente et brillante dans Mort et transfiguration, le chef d’œuvre de jeunesse de Richard Straussjoué en fin de concert. Dans l’immense crescendo qui conclut ce poème symphonique, la noblesse de timbre et l’opulence du son émises ce soir-là par les musiciens du philar sont vraiment prodigieuses. Directeur de l’Orchestre de la radio finlandaise, invité de grands orchestres comme le London Philharmonic, le National de Russie ou le Symphonique de Chicago, Hannu Lintu, peu connu en France, va prochainement diriger Der fliegende Holländer à l’Opéra de Paris. On aimerait bien réentendre ce chef dans d’autres répertoires.

Encadrées par ces deux poèmes symphoniques de Strauss, deux œuvres de musique contemporaine figuraient à l’affiche du concert. Ciel d’hiver de la finlandaise Kaija Saariaho est un fort agréable morceau contemplatif, enveloppant l’auditeur dans un kaléidoscope de timbres très colorés. Créé à Londres en 1970 par Mstislav Rostropovitch, le commanditaire de l’œuvre, le concerto pour violoncelle de Witold Lutoslawski est une œuvre assez énigmatique mais plutôt prenante, où le  soliste semble vouloir faire souffler un vent de liberté cherchant à entraîner les autres instruments d’un orchestre dont les cuivres opposent une autre attitude, aux allures autoritaires et tranchantes. Le soir du 12 mai 2022, ce concerto bénéficie du soutien de la grande violoncelliste Sol Gabetta, tout juste auréolée de son titre de ‘’soliste instrumentale de l’année’’ aux Victoires de la musique classique 2022.

Une semaine plus tard, le jeudi 19, la violoniste néerlandaise Simone Lamsma remplaçait sa consoeur souffrante, Patricia Kopatchinskaja, dans ce chef d’œuvre de la littérature concertante qu’est le premier concerto pour violon de Dimitri Chostakovitch. D’une extrême difficulté technique, cette partition est loin de lui être inconnue puisqu’elle l’a enregistrée, il y a déjà quelques années. Avec une virtuosité confondante, elle opte, de la première à la dernière note,  pour une vision  d’une grande noirceur, partagée par un orchestre dirigé par son jeune directeur, Aziz Shokhakimov. On garde aussi le souvenir d’une autre belle prestation d’il y a une quinzaine d’années, celle de Christian Tetzlaff et de l’orchestre alors dirigé par Marc Albrecht, jouant quant à eux la carte d’un dernier mouvement lumineux et libérateur.

Le reste du programme était entièrement consacré à Prokofiev, avec une symphonie classique ouvrant la soirée et les deux suites tirées du ballet Roméo et Juliette qui la concluaient. D’un style d’ensemble excellent, faisant bien la part du côté pastiche et de la modernité de cette étonnante composition, la symphonie classique pâtissait cependant d’un jeu d’orchestre un peu imprécis et manquant de flamme, dans le premier mouvement notamment. Il est vrai que débuter un concert avec cette œuvre si périlleuse est toujours un pari risqué. Le programme Prokofiev faisant l’objet d’un enregistrement pour Warner, les musiciens et les techniciens du son auront eu tout le samedi suivant pour parfaire le travail.

Entendues dans le cadre d’un concert, les deux suites de Roméo et Juliette furent un très beau moment. Dans la perspective d’une publication discographique, compte tenu du nombre de grandes interprétations existantes (soit sous forme du ballet complet, soit sous forme des suites n°1 et 2 ou, comme souvent, d’un assemblage personnel du chef d’orchestre), on se dit que certains moments seraient sûrement à reprendre, voire peut-être à approfondir. Si Shokhakimov obtient des musiciens un jeu vraiment remarquable dans ces grands moments d’action que sont la scène du bal ou encore la Mort de Tybalt, dont la marche funèbre énoncée par l’excellent pupitre des cors vous cloue dans le fauteuil, en revanche d’autres épisodes emportent moins l’adhésion : d’une froide perfection, le tableau conclusif de Roméo sur la tombe de Juliette pourrait néanmoins gagner en puissance dramatique et émotionnelle. Dans les épisodes lyriques comme la scène du balcon ou celle de la séparation entre les deux amants, Shokhakimov tourne heureusement le dos à toute espèce de mièvrerie. Reste cependant que le sentiment n’y est  nullement absent. Dans son génie, Prokofiev a conçu une forme d’expression sentimentale dénuée de tout romantisme ; il importe de parvenir à la restituer. C’est l’un des enjeux de l’interprétation de cette partition extraordinaire. Dans un passé discographique déjà lointain, deux chefs, au demeurant bien différents – le tchèque Karel Ancerl et le Suisse Ernest Ansermet — étaient parvenus, chacun à leur manière, à faire entendre ce lyrisme épuré. Aziz Shokhakimov retrouvera vers la fin de l’été l’ensemble de ses musiciens pour parfaire ce travail bien commencé. Le CD devrait paraître au printemps 2023.

Michel Le Gris

Saison 2022-2O23 du TNS

Moment toujours très attendu, celui qui nous annonce la future saison. Stanislas Nordey nous l’a détaillée, avec son enthousiasme habituel, lui qui, après l’avoir concoctée, va quitter cette maison, arrivé au bout de ces deux mandats. Le ministère n’ayant encore nommé personne pour le remplacer, il sera encore présent lors de la rentrée et jusqu’au 31 décembre .

Au programme dix-huit pièces dont plusieurs créations et une parité bien respectée.

Afin de souligner le lien très fort, vital entre l’école et le TNS la programmation commencera et se terminera par une pièce d’élèves.

Fin septembre « Donnez-moi une raison de vous croire » sera le spectacle d’entrée dans la vie professionnelle du Groupe 46 de l’Ecole du TNS sorti en juin 2022.Le texte et la dramaturgie sont signés Marion Stenton de la section Dramaturgie, la mise en scène, Martin Bauer et Sylvain Cartigny, deux musiciens fondateurs de la Cie Sentimental Bourreau. La musique a un rôle important dans cette pièce qui, d’ailleurs, fait partie du programme du Festival Musica. La pièce qui s’inspire de « L’Amérique » de Franz Kafka, évoque les problèmes rencontrés par ceux qui ont été évincés du rêve américain par une absurde bureaucratie.

Et puis, la dernière pièce de la saison « L’Esthétique de la résistance » de l’écrivain allemand Peter Weiss (1937-1982) constituera le spectacle d’entrée dans la vie professionnelle du Groupe 47 de l’Ecole du TNS. La mise en scène est du très connu Sylvain Creuzevault qui a présenté cette dernière saison « Les frères Karamazov ».  Il s’agit d’un grand texte initiatique sur la jeunesse allemande anti fasciste des années 1937-1945 qui s’éveille au monde et à la résistance grâce à l’art.

De plus en début de saison le public se verra offert gratuitement la possibilité d’assister à une pièce écrite par Sonia Chiambretto « La Taïga court » dont le texte a été augmenté à la demande de Stanislas Nordey afin d’en monter quatre mises en scène différentes confiées à quatre metteurs en scène de Groupes 46 et 47, le thème étant le dérèglement climatique.

D’autre part, le TNS ayant la particularité d’avoir des auteur-rices associés ceux- ci signeront quelques- unes de leur production. Il en sera ainsi avec :

Falk Richter qui a écrit et mis en scène « The Silence » un texte très autobiographique sur le silence observé dans certaines familles à propos de sujets considérés comme tabous. Un texte, nous dit Stanislas Nordey,à la fois poétique et politique.

Marie Ndiaye, qui, après plusieurs reports dus à la Covid, peut enfin nous présenter « Berlin mon garçon », l’histoire d’une mère à la recherche de son fils, pièce initiée par Stanislas Nordey et interprétée par d’excellents comédiens. (Hélène Alexandridis, Claude Duparfait, Annie Mercier, Mélody Pini,  la pièce  Mihran, Laurent Sauvage).

Elle présente aussi « Un pas de chat sauvage » mise en scène de Blandine Savetier, artiste associée au TNS, une pièce pour un duo de femmes avec Natalie Dessay et Nancy Nkusi qui raconte la rencontre entre une universitaire blanche et une artiste noire.

Claudine Galea propose « Un sentiment de vie », un texte inspiré par son expérience montrant comment de grands événements comme les guerres viennent interférer dans la vie familiale selon les opinions des uns et des autres sur ces conflits. Une grande comédienne, Valérie Dréville, artiste associée au TNS en sera l’interprète dans la mise en scène d’Emilie Charriot, elle-même devenue célèbre avec la création de « King Kong Théorie » de Virginie Despentes en 2014.

Pascal Rambert qui a présenté plusieurs pièces au TNS, la dernière étant « Mont Vérité » avec le groupe 44 de l’Ecole, (spectacle d’entrée dans la vie professionnelle) répond avec « Mon absente » à une commande de Stanislas Nordey. A propos de la disparition d’une personne aimée, cinq comédiennes et cinq comédiens sont rassemblés la faisant en quelque sorte revivre par les souvenirs évoqués. Cette pièce chorale est un hommage à la mère de Stanislas Nordey , Véronique Nordey  qui fut actrice associée au TNS.

Lors de cette saison, nous allons retrouver quelques grands noms de la mise en scène comme Anne Théron, artiste associée au TNS qui s’attaque à une « Iphigénie » d’Euripide réécrite par Tiago Rodigues, le futur directeur du Festival d’Avignon dont nous avons vu  récemment une de ses pièces « Dans la mesure de l’impossible » au Maillon.

Marie-Christine Soma qui a présenté ici « La pomme dans le noir » en 2018 met en scène « La septième » du philosophe et écrivain Tristan Garcia qui raconte comment un narrateur se remémore ces différentes vies passées.

Marguerite Bordat et Pierre Meunier que nous connaissons bien grâce aux spectacles toujours originaux qu’ils savent concevoir et interpréter arrivent avec « Bachelard Quartet rêverie sur les éléments » à partir de l’œuvre de Gaston Bachelard le titre est assez explicite pour qu’on comprenne qu’il s’agit d’un regard émerveillé sur la nature, un spectacle poétique qui, sans aucun doute saura nous embarquer. Il est présenté avec le TJP.

Le Théâtre du Radeau nous revient avec « par autan », du nom de ce vent que les gens du sud-ouest disent qu’il peut rendre fou, excellent prétexte pour le metteur en scène François Tanguy et ses comédiens de proposer du jeu, des sensations, de la musique fussent-ils hétéroclites aux yeux de certains… 

Retour de Stéphane Braunschweig dans ce lieu qu’il a dirigé de 2000 à 2008 avec la très belle mise en scène de « Comme tu me veux » de Luigi Pirandello, un auteur dont il a monté plusieurs pièces dont l’inoubliable « Vêtir ceux qui sont nus » en 2006. C’est une pièce magnifique sur la disparition et l’éventuelle réapparition d’un être qui n’est peut-être pas celui que l’on espérait retrouver.

Sur ce même thème, nous pourrons voir une pièce écrite par Laurent Mauvignier « Tout mon amour » qui est l’histoire d’une famille qui croit voir réapparaître leur fille disparue dix ans auparavant, Anne Brochet y tient remarquablement le rôle de la mère.

C’est aussi une metteure en scène qui nous a bouleversés, Caroline Guiela Nguyen avec « Saïgon » en 2018 qui revient pour un spectacle de sa Cie « Les Hommes Approximatifs » auxquels elle adjoint des amateurs parlant différentes langues. Intitulé « Fraternité, Conte fantastique » l’histoire est celle de la disparition d’une partie de l’humanité lors d’une éclipse et de comment remédier à la douleur des survivants.

Rencontre par delà la mort dans « Grand Palais ». L’écriture à quatre mains de Julien Gaillard et Frédéric Vossier fait dialoguer le peintre Francis Bacon et son amant et modèle George Dyer qui  vient de se suicider juste avant l’exposition  au grand Palais. Une mise en scène de Pascal Kirsch avec d’excellents comédiens.

 Autres spectacles qui mettent en valeur les écritures contemporaines : « Ilôts » de Sonia Chiambretto et  Yoann Thommerel. Il s’agit d’un théâtre documentaire issu du Groupe d’information sur les ghettos ,à propos des personnes qui pour diverses raisons se sentent marginalisées.

Pièce d’anticipation aussi, « Nostalgie 2175 » écrite par l’autrice allemande Anja Hilling, mise en scène par Anne Monfort montre la capacité de survie des êtres humains après une catastrophe écologique.

Et puis « Odile et l’eau »,un spectacle singulier de et avec Anne Brochet qui évoque l’expérience d’une femme seule qui se rend régulièrement à la piscine et veut en rendre compte.

C’est donc une programmation riche, diverse et prometteuse qui est ainsi réservée au public qui, l’espère vivement l’équipe du TNS continuera, comme il a repris à le faire à revenir nombreux au Théâtre.

La présentation de la saison en présence des artistes aura lieu
le 20 juin à 20h.

Pour la troisième année consécutive un programme estival itinérant se déroulera au mois de juillet avec 45 artistes et 115 événements gratuits. C’est « La  traversée de l’été » une manière ludique  de faire découvrir le théâtre au plus grand nombre .

Marie-Françoise Grislin

Conférence de presse  du 30 mai au TNS

Prince parmi les princes

A l’occasion de la Mozartfest de Würzburg, Jorg Widmann a sublimé le concerto pour clarinette de Mozart

Jorg Widmann
© Dita Vollmond

Assister à un concert dans la Résidence du prince-évêque de Würzburg, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1981, est assurément une expérience unique. Assis sous les fresques du grand Tiepolo, le regard du spectateur oscille entre la beauté des œuvres d’art et celle d’un orchestre au sommet. On imagine aisément ce que devait ressentir les invités du prince lors des concerts privés qu’il donna sous le regard d’un Fréderic Barberousse à genoux au moment d’épouser Béatrice de Bourgogne.

Chaque fin de printemps, le prince des lieux se nomme Wolfgang Amadeus Mozart. Cette année, l’un des points d’orgue du festival qui lui est consacré, fut bel et bien son fameux concerto pour clarinette qu’il composa au crépuscule de sa vie (octobre 1791). Et pour l’interpréter, le festival a invité l’un de ses plus grands interprètes, Jorg Widmann, également compositeur et chef d’orchestre d’un soir du Mozarteumorchester de Salzbourg, orchestre qui a fait d’Amadeus son saint patron. Autant dire, ce qui se fait de mieux.

Tout était donc réuni pour vivre une soirée d’anthologie. Et ce fut le cas. Convoquant un Felix Mendelssohn et l’andante de sa sonate pour clarinette qu’il arrangea pour orchestre, Jorg Widmann donna le ton. Celui de l’entrée dans un songe voluptueux, bercés par une harpe et un célesta de toute beauté. Vint ensuite le concerto pour clarinette. L’orchestre, en fin connaisseur de la geste mozartienne, entra parfaitement dans l’oeuvre. Le ton demeura juste, les équilibres sonores posés par le chef. Puis vint le second mouvement et d’un coup, en l’espace d’un instant, la grâce s’empara de la salle. Les personnages peints ont certainement détourné, le temps d’un instant, leurs regards pour admirer notre prodige délivrant ses fabuleuses notes tirées du génie. Car tous avaient les yeux rivés sur la clarinette de Widmann, sceptre musical brandi devant le roi Mozart. Le soliste et son orchestre demeurèrent ainsi en parfaite harmonie, Jorg Widmann rayonnant de lyrisme et de justesse. Un clignement de paupières ramena l’assistance à la réalité sans briser pour autant un charme dispensé par un soleil déclinant qui nimbait de ses rayons de bronze statues et dorures de la Kaisersaal.

A l’heure de la pause, personne ne vit qu’un orage grondait au-dessus des jardins de la Résidence. Celui de la première symphonie en ut mineur d’un jeune Mendelssohn de quinze ans recouvrant l’auguste édifice. Comme un Dieu descendu du plafond peint, Jorg Widmann lança ses éclairs vers un orchestre qu’il conduisit tel un quadrige lancé à vive allure. La symphonie, menée tambour battant, acheva une soirée où princes et dieux mis au service de la musique n’étaient pas seulement sur les murs et les plafonds mais bel et bien sur la scène de la Mozartfest.

Par Laurent Pfaadt

La Mozartfest de Würzburg se poursuit jusqu’au 19 juin. Retrouvez sa programmation : http://www.mozartfest.de

Violeta y el jazz

Il y a cinquante-cinq ans disparaissait Violeta Parra, musicienne autodidacte chilienne considérée comme la pionnière de la musique folklorique latino-américaine. Cet album du ténor Emiliano Gonzalez Toro et du pianiste Thomas Enhco qui signe les arrangements et toujours prompt à transmettre des musiques venues d’ailleurs, lui rend ainsi l’hommage mérité.

Avec des accents qui rappellent parfois ceux du grand Caetano Velloso notamment dans Porque les pobres no tienen et surtout dans le célèbre Volver a los 17, Emiliano Gonzalez Toro ensorcèle littéralement avec ses interprétations tantôt sensibles, tantôt endiablées. Le ténor est accompagné d’une pléiade de voix magnifiques notamment celle de Paloma Pradal dans le très beau Maldigo dela alto cielo. Ensemble, ils permettent de découvrir, de la plus belle des manières, cette artiste quelque peu oubliée.

Par Laurent Pfaadt

Emiliano Gonzalez Toro & Thomas Enhco, Violeta y el jazz
Gemelli factory

Napoléon, l’homme derrière le mythe

Si Napoléon savait que deux cents ans après sa mort, un historien de cette Pologne à qui rendit la liberté et qui lui consacre toujours une place à Varsovie, s’emploierait à détruire sa statue, il aurait peut-être tenu un autre discours au tsar Alexandre II lors de leur entrevue à Tilsit en 1807.

Certains y verront une attaque historique inacceptable. D’autres plus mesurés se réjouiront qu’enfin, l’Empereur puisse descendre de son piédestal et être enfin analysé à hauteur d’homme, libéré de toute mythologie. Car pénétrer l’homme pour mieux comprendre l’Empereur est devenu plus que salutaire. Il fallait pour cela un historien étranger, ici en l’occurrence Adam Zamoyski, déjà auteur d’un 1812 remarqué (Piranha, 2014) pour remettre non l’Eglise mais bel et bien l’Arc de triomphe au centre du cimetière.

« Napoléon est un homme et, même si je peux comprendre que certains aient vu en lui quelque chose de surhumain, ce n’est pas mon cas » écrit l’auteur dans sa préface. Combinant un nombre assez conséquent d’archives et écartant celles jugées hagiographiques, Adam Zamoyski fait le pari de libérer son sujet à la fois des tenants du mythe et de ceux, surtout anglo-saxons, de la légende noire. Le résultat centré sur les années de formation de Napoléon est très convaincant et trace une voie médiane qui devrait assurément trouver sa place dans la bibliothèque napoléonienne idéale.

Par Laurent Pfaadt

Adam Zamoyski, Napoléon, l’homme derrière le mythe, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Laurent Bury
Chez Piranha, 857 p.