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Le soldat britannique

Soldats de la Wehrmacht contre combattants de l’Armée Rouge,
Forces Françaises Libres ou GI américains débarquant sur les plages
de Normandie et engagés dans une lutte à mort contre des soldats
japonais fanatisés, le mythe du soldat de la Seconde guerre mondiale
s’est largement construit en omettant le soldat britannique. Et
pourtant, celui-ci peut se prévaloir de faits d’armes d’importance : il
défit, dans le désert, le plus intrépide des généraux allemands et
évita aux Alliés de perdre la guerre où, selon les mots de Winston
Churchill, « jamais dans l’histoire des conflits tant de gens n’ont dû autant à si peu », en référence aux aviateurs de la Royal Air France qui
gagnèrent la bataille d’Angleterre.

Le livre de Benoît Rondeau répare enfin cette injustice, cet oubli de
l’historiographie française. Sur quoi se base-t-elle ? A l’impossibilité
de définir une identité ? L’auteur il montre qu’il n’y a pas un soldat
britannique mais des soldats britanniques, un soldat impérial entre
Irlandais, Ecossais, Kiwis Néo-Zélandais, Gurkhas du Népal
considérés comme l’élite de l’armée des Indes ou Juifs de Palestine.
Cela tient-il au respect profond et à l’honneur que ce soldat
manifesta à l’égard des lois de la guerre quand le conflit se définissait
par le nombre de massacres exercés de part et d’autre de la ligne de
front ? Peut-être même si les bombardements à outrance des villes
allemandes, dont certains peuvent être considérés comme des  
crimes de guerre notamment à Dresde en février 1945, ont été le
fait de la RAF.

Ces réponses se trouvent assurément dans le livre de Benoît
Rondeau. Explorant toutes les caractéristiques du soldat
britannique avec comme à son habitude, une extraordinaire
exhaustivité et reprenant sa méthode déjà exposée avec brio dans
son livre sur la Wehrmacht (Etre soldat de Hitler, Perrin, 2019),
l’auteur nous emmène dans les cercles d’officiers, les arsenaux, sur
mer et en compagnie des fameux génies de Bletchley Park qui
cassèrent les codes nazis. Le livre se lit presque comme un
dictionnaire, c’est-à-dire en l’ouvrant au chapitre souhaité. Il
fourmille d’anecdotes tantôt drôles comme ce piano amené par le
général Philip « Pip » Roberts sur lequel l’officier jouait du jazz lors de la campagne de Tunisie ou la découverte du harem du bey de
Tunis, tantôt tragiques comme l’entrée dans le camp de
concentration de Bergen-Belsen. Mais à chaque fois, elles servent à
cerner la mentalité du soldat et à appréhender la construction de
son mythe.

Sans faire un livre d’histoire de l’armée britannique durant le second
conflit mondial, l’auteur s’attache à suivre le soldat dans son
quotidien et parvient, assez subtilement à nous présenter, du point
de vue du soldat de base ou du général, les grands affrontements
(guerre du désert que connaît particulièrement bien l’auteur, les
campagnes d’Italie ou de Birmanie) dans lesquels les Britanniques
furent impliqués. Les lacunes ne sont pas omises comme les défaites
du début du conflit, le manque de coordination interarmes ou les
carences en sous-marins, Benoît Rondeau explore également dans
des chapitres passionnants la conception de la guerre propre aux
soldats britanniques – croyance dans la victoire finale au sein de la
troupe, nécessité de limiter les pertes humaines chez les officiers –  
ainsi que les rapports sociaux au sein de l’armée et avec l’ennemi. Au
final, la démonstration du livre important de Benoit Rondeau permet
de prendre toute la mesure de la contribution majeure de l’armée
britannique à la victoire finale.

Par Laurent Pfaadt

Benoît Rondeau, Le soldat britannique
Chez Perrin, 512 p.

Regards en abîme

Yan Pei-Ming aux Unterlinden  
Photo Luc Maechel

Yan Pei-Ming – Au nom du père

Après Corpus Baselitz en 2018, c’est la deuxième grande monographie
d’un artiste contemporain que les Unterlinden accueillent dans la
nouvelle nef de l’Ackerhof à l’initiative de la commissaire Frédérique
Goerig-Hergott, conservatrice en chef au Musée. Lors de l’inauguration,
l’artiste a rencontré la presse, mais regrettait que, jusqu’à nouvel ordre, le
public reste confiné à l’extérieur ou derrière ses écrans. Pouvoir approcher
intimement ses toiles, puis reprendre du recul est indispensable pour
appréhender son travail (et les si vastes espaces du musée s’y prêtent
aisément).

Par Luc Maechel

Parution dans le magazine hebdoscope n° 1072 Mai/juin 2021

Retrouvez la suite de l’article sur :

https://racinesnomades.net/regards/regards-en-abime/

The Life and Passion of the Christ

Augustin Pfleger (1635-1686), compositeur de Bohème sort enfin
de l’oubli. Grace à l’Orkester Nord et à son chef, Martin Wahlberg, ce
contemporain de Dietrich Buxtehude entré au service du duc du
Schleswig-Holstein revient, plus de trois siècles après sa mort, de ce
purgatoire où résonnait certainement son incroyable Vie et Passion
du Christ.

Très ancré dans la tradition musicale baroque du nord de
l’Allemagne très bien mise en lumière par l’orchestre, ce dernier
nous raconte une histoire, presque un film musical. Le caractère
fascinant et biographique assez révolutionnaire pour l’époque de
l’œuvre nous dépeint ainsi Jésus en six épisodes. Avec la beauté des
voix et du chœur Vox Nidrosiensis, on a l’impression de se trouver devant un retable en perpétuel mouvement où se meuvent les
personnages du Nouveau Testament. Les équilibres sonores sont
parfaits et l’Orkester Nord et son chef nous offrent la sensation
d’être les seuls, au fond d’une chapelle, à écouter cette musique
d’une beauté, pour l’occasion, divine. Une belle découverte donc.

Par Laurent Pfaadt

Augustin Pfleger, The Life and Passion of the Christ, Orkester Nord, Martin Wahlberg, Vox Nidrosiensis, Aparté

Napoléon Bonaparte, quel héritage ?

Il y a deux siècles disparaissait Napoléon Bonaparte, celui qui,
« vivant, (il) a manqué le monde ; mort, il le possède » selon les mots
de Chateaubriand. Depuis 1821 – et même déjà avant – les
publications célébrant l’Empereur n’ont eu de cesse de se multiplier.
Un engouement qui ne s’est pas tari. Sa jeunesse, son ascension, son
mariage, sa famille, ses conquêtes, ses victoires, ses exils et même sa
mort mystérieuse ont suscité commentaires, livres et exégèses en
tout genre jusqu’à aborder des thématiques inattendues telles que
Napoléon et Jésus, l’avènement d’un Messie (Cerf, 2021) ou Les
goûts de Napoléon (Grasset, 2021).

Aujourd’hui, Napoléon continue à fasciner. Pourquoi ? Et possède-t-
il toujours autant le monde ? Oui, car il demeure cet homme de la
petite bourgeoisie corse qui tint tête aux puissants de son époque
jusqu’au pape. Car il est celui qui instaura certaines institutions
comme la Banque de France, le Code civil ou le Conseil d’Etat qui
continuent à régir nos vies. Car il est enfin celui qui comprit, bien
avant tout le monde, l’importance de la propagande et de la mise en
scène de ses actions. « Son héritage, français et européen, est encore
bien vivant chez les peuples qu’il a gouvernés ou combattus. Il
touche même à notre intimité par les règles politiques,
institutionnelles et sociales qu’il a laissées » estime ainsi Thierry
Lentz, président de la fondation Napoléon et auteur d’un récent
plaidoyer en faveur de l’Empereur. Même son de cloche chez Charles
Zorgbibe, professeur émérite de droit public et auteur de plusieurs
ouvrages sur la période napoléonienne (éditions de Fallois) : « Il y a
un côté « Mahomet de l’Occident » dans l’épopée napoléonienne.
Lorsque Napoléon entre en Russie à la tête de 400.000 hommes, il
commande une armée multinationale, composée de Français,
d’Allemands, de Polonais etc… L’engouement n’est pas seulement
français. »

Et si on sortait un peu du prisme franco-français pour prendre un
peu de hauteur ? Si les Anglais se sont évertués dès le vivant de
l’Empereur à dépeindre une légende noire de l’Aigle et que les cours
européennes ont mal vécu le fait que celui qu’elles considéraient
comme un parvenu installa sur leurs trônes les membres de sa
famille, Napoléon demeure néanmoins celui qui a tout de même
laissé sur les champs de bataille, des centaines de milliers de soldats.
Il est celui qui a rétabli l’esclavage et qui, pour reprendre les mots de
l’écrivain autrichien Joseph Roth, introduisit la peste nationale dans
le corps européen. Pour autant, « les vues me semblent assez
équilibrées aujourd’hui. Jacques Bainville, en conclusion de sa
biographie de Napoléon hésite : il admire l’homme et se demande si
son bilan n’est pas finalement négatif » poursuit Charles Zorgbibe.

Il n’en demeure pas moins que cette période historique, l’Empire,
coincée entre le feu de la Révolution et la pâle Restauration et
inscrite dans le marbre de notre histoire par les romantiques, et son
héros, ont suscité depuis deux siècles nombre d’histoires et de
romans. « Napoléon est au cœur du roman classique français depuis
les années 1820. Stendhal, Vigny, Balzac, Hugo et des dizaines
d’autres se sont servis de son mythe, de sa légende, mais aussi de ses
hauts faits pour le faire apparaître, au premier comme au second
plan, de leurs œuvres. Aujourd’hui encore, la veine continue d’être
exploitée et à avoir du succès. Il n’est qu’à voir le succès des
ouvrages de Patrick Rambaud ou de Jean-Marie Rouart, dans
lesquels Napoléon est toujours quelque part » rappelle Thierry
Lentz. Une affirmation que ne conteste pas Jean Dufaux, auteur avec
le dessinateur Martin Jamar de la formidable série de bande-
dessinée Double masque, dont l’intégrale est republiée à l’occasion
de ce bicentenaire : « Au-delà des rappels historiques, le personnage
de Bonaparte se détache très vite pour vivre sa vie de fiction ».

« Quel roman que ma vie » reconnaissait Napoléon dans le Mémorial
de Saint-Hélène. Le pouvoir qu’il exerce sur l’imaginaire collectif,
celui des écrivains, des scénaristes est ainsi demeuré intact (lire
également l’interview de Jean Dufaux). Et même dans l’esprit des
citoyens – si on en croit les polémiques nées avec cet anniversaire –
qui se demandent s’il faut célébrer la mort de l’empereur. A l’heure
de Blacklivesmatter, certains contestent en effet ce choix, voyant
dans Napoléon l’artisan des maux du 20 siècle. Mais derrière la
cancel culture qui a tendance à vouloir gommer les aspérités de
l’histoire, de nombreux historiens appellent à replacer l’épopée
napoléonienne dans son époque. Car il s’agit là peut-être de la
meilleure manière de pérenniser le mythe, celui ne pas tomber dans la caricature. Preuve que Napoléon, deux siècles après sa mort,
continue toujours à posséder le monde.

Par Laurent Pfaadt

A voir, à partir du 28 mai, à la Grande Halle de La Villette, l’exposition Napoléon

A lire quelques ouvrages anciens ou récents :

Thierry Lentz, Pour Napoléon,
Chez Perrin, 2021, 200p.
– Charles Zorgbibe,
Le Choc des Empires, Napoléon et le tsar Alexandre
Aux éditions de Fallois, 2012, 400p.
– Jacques Bainville,
Napoléon, Texto,
Chez Tallandier, 2020, 528p.
– Jean Dufaux, Martin Jamar,
Double masque l’intégrale,
Editions Dargaud, 2021, 312 p.
– Patrick Rambaud,
La Bataille, Prix Goncourt 1997,
Chez Grasset et Livre de poche
– Charles-Eloi Vial, Histoire des Cent-jours,
Editions mai-novembre 1815, 2021, 672 p.


Diffraction migratoire

Donal Ryan et Milena Agus reviennent chacun à leur manière sur la crise des migrants


La COVID-19 a relégué leur triste sort à l’oubli médiatique. Mais la
pandémie, pas plus que la guerre et l’oppression, ne leur ont fait
renoncer à leurs odyssées de fortune. Ils sont encore des milliers à
tenter leur chance sur les mers européennes, à mourir dans
l’indifférence générale et à accoster sur des terres étrangères. A la
manière d’une lumière diffractée rencontrant un obstacle, leur
quête se poursuit, jusqu’à trouver une terre où vivre. Quelques
écrivains de grand talent, l’Irlandais Donal Ryan et la Sarde Milena
Agus, nous rappellent combien leur sort ne doit pas être oublié.

Quels sont les fils inextricables du destin qui relient Farouk le
médecin syrien arrivé en Irlande à Saïd Amal, perdu avec les siens
dans la campagne sarde ? D’avoir été poussé sur le chemin de l’exil.
D’avoir subi le déclassement, la tragédie, la haine. D’être, comme le
dit avec humour Milena Agus mais pas tant que cela, des
« envahisseurs ».

Chez Donal Ryan et Milena Agus, point de caricatures sauf celles
pointées du doigt chez leurs hôtes. Ces migrants ne sont pas de
dangereux islamistes ou des terroristes, juste des hommes et des
femmes comme vous et moi qui quittent à regret une vie, une famille
pour un avenir meilleur en laissant la mer avaler leurs proches et
leurs espoirs. Et parfois ces derniers cèdent la place à la déception.
Ainsi, mis à part un premier sentiment de soulagement, les migrants
déchantent ainsi vite dans ce hameau perdu de Sardaigne. Dans
cette comédie loufoque brillante qui doit à l’incroyable talent
littéraire de Milena Agus, connue mondialement pour son Mal de
pierres, cette dernière renverse astucieusement la perception de la
crise migratoire et donne une voix aux migrants. L’humanité est là,
contenue dans ces regards hagards et désabusés, dans cette
promesse déçue. Farouk aurait-il fui s’il avait su qu’il perdrait sa
femme et sa fille ? Peut-être pas. Alors l’Europe se doit d’être à la
hauteur et de ne pas laisser désenchantement et amertume
s’installer dans leurs esprits en pensant qu’ils s’en contenteront.

Chez Milena Agus et Donal Ryan point de tragédies mais une
volonté commune de se réinventer une vie. Etre un bon amant, un
bon père, un bon fils, une bonne fille. Donal Ryan et Milena Agus
nous montrent que nous sommes finalement tous des migrants, tous
embarqués dans ces odyssées de vie vers un avenir meilleur, qu’il
faut vaincre les démons de la mer ou de notre condition pour vivre
heureux. Que monter dans un bateau de fortune, dans une
camionnette pour un métier qu’on exerce qu’à regret ou vaincre les
préjugés sont aussi périlleux que d’affronter le regard des autres, de
l’étranger comme de nos proches. Et ceux qui prennent le plus de
risques ne sont parfois pas ceux que l’on croit.

Chacun à leur manière, à travers leurs deux très beaux livres, nous
rappellent, aujourd’hui plus qu’hier, ce qui fait humanité. L’humanité
c’est considérer l’autre comme s’il s’agissait de soi. L’humanité c’est
plus que de la simple empathie. Car au final, on gagne tous à mieux
se connaître. Comme le dit justement la femme de Saïd Amal : « Les
peuples sont bien obtus de refuser de comprendre qu’un destin
commun les unit, et que ni la guerre ni les représailles ne pourront
jamais changer cette réalité : aujourd’hui nous sommes chassés de
chez nous, et demain, ce sera votre tour ». Donal Ryan et Milena
Agus nous montrent ainsi avec leurs mots que les mers que nous
devons tous traverser pour vaincre les infortunes du destin sont
quotidiennes. Mais qu’au final, notre volonté finira par avoir le
dessus. A l’image d’une lumière diffractée.

Par Laurent Pfaadt

Donal Ryan, Par une mer basse et tranquille,
Chez Albin Michel, 256 p.
A noter la parution en poche de
Tout ce que nous allons savoir, 10/18, 260 p.
Milen Agus,
Saison douce, Liana Levi, 176 p.
A noter la parution en poche de
Quand le requin dort, Liana Levi
« Piccolo », 168p.

la Musique creuse le ciel

Brigitte Engerer a toujours été une pianiste à part. Une héroïne du
piano, comme échappée d’un roman russe. L’Anna Karénine de la
musique. C’est ce que nous dit Nathalie Depadt-Renvoisé dans sa
biographie délicate et touchante. Et nul besoin de s’attarder sur
l’empathie de l’auteur pour son sujet quand on se souvient de la
chaleur des interprétations de Brigitte Engerer et de la générosité
qu’elle mit dans sa musique et dans ses rapports aux autres.

Alors, on se laisse prendre par la main et on parcoure sans s’arrêter
cette vie faite de sonates, de préludes et de concertos, d’amour et de
drames, de son enfance à Tunis au dernier concert au Théâtre des
Champs-Elysées, une dizaine de jours avant sa mort, en passant par
la Folle journée de Nantes et le conservatoire Tchaïkovski. Car c’est
bien là-bas, en se plongeant dans la musique et l’âme russe, qu’elle
devint la pianiste d’exception et la femme inoubliable qu’elle fut. Elle
y croisa Rostropovitch, Oïstrakh ou Richter mais surtout Stanislas
Neuhaus, son professeur et mentor dont elle devint la muse cachée.
Sous le regard du grand Pasternak, beau-père de Neuhaus, Brigitte
Engerer se rêva à raison en Lara Antipova.

Avec ses mots si touchants, l’auteur trace le portrait d’une artiste à
la fois fragile et courageuse, prise au piège de sa passion mais qui a
su opérer des choix difficiles. Auréolée de sa victoire au concours
international Reine Elisabeth et revêtue du « Sehr gut ! » karajanien,
elle triompha sur les scènes du monde entier en parfaite
ambassadrice du romantisme avec son jeu plein de couleurs et de
poésie notamment dans ce Schumann qu’elle sublima jusqu’à la fin.
Puis, la vie fit son œuvre et elle se mua en une sorte d’aristocrate
russe blanche en exil, attentive, jusqu’aux portes de la mort, aux
autres. Le récital laissa la place à la musique de chambre. Le
printemps russe céda à l’hiver de la matriarche. Quel beau destin
que celui de Brigitte Engerer, plus personnage de roman que sujet de
biographie, tour à tour Anna Karénine, Lara Antipova, Lioubov
Ranevskaïa. Le livre de Nathalie Depadt-Renvoisé se glisse ainsi
merveilleusement dans cet entre-deux comme la goutte d’eau de ce
15e prélude qui fut moins une larme dans cette vie que ce ruisseau
reliant la France à la Russie et qui ne cesse, encore aujourd’hui, de
couler.

Par Laurent Pfaadt

Nathalie Depadt-Renvoisé, Brigitte Engerer, la Musique creuse le ciel,
Chez Buchet-Chastel, 272 p.

Rencontre avec Jean Dufaux

« Avec Bonaparte, on ne sait jamais où situe l’ombre et la lumière »

On ne présente plus Jean Dufaux. Véritable légende vivante dans le
monde de la bande-dessinée, on lui doit notamment deux albums de
Blake et Mortimer (L’onde Septimus et Le Cri du Moloch) mais
également les séries Jessica Blandy, Murena ou Djinn. A l’occasion
de la reparution de l’intégrale de Double masque chez Dargaud,
thriller haletant qui voit le Premier consul confier à un voleur
professionnel, la Torpille, le soin de récupérer un objet d’une
importance capitale, Jean Dufaux revient pour nous sur le pouvoir
que suscite Napoléon Bonaparte sur l’imaginaire des créateurs.

Ce pouvoir ne naît-il pas de la rencontre entre un homme et son
époque ?

Effectivement, c’est une époque en mouvement, une époque qui
bascule et comme toujours, il y a un reflet dans le miroir, ce côté
ombre et lumière que j’ai voulu explorer dans Double masque. Et
avec Bonaparte, on ne sait jamais où se situe l’ombre et la lumière.
C’est pour cela que le masque est blanc dans l’album. L’Histoire a
ainsi toujours un reflet. Il y a l’interprétation dite classique de
l’Histoire mais il en existe une autre. Et nous avons plusieurs regards sur Bonaparte. Il y a la légende dorée et la légende de sang. Il y a des
gens qui détestent qu’on puisse fêter Bonaparte et d’autres lui
rendent grâce pour son œuvre majeure dans l’histoire de France.

Qui s’est transposée à la littérature…

Oui notamment chez Balzac ou Musset. Pourquoi ? Parce que
l’image qu’il a véhiculé dans cette jeunesse qui lui a succédé, entre
1815 et 1830, s’est heurtée – et ce fut l’un des grands cris de Balzac
– au retour d’une époque bourgeoise très codifiée où les jeunes
n’ont plus eu de place. Pour moi, l’épopée napoléonienne demeure
prodigieuse dans le sens où les jeunes y ont trouvé leur place. On
pouvait accéder au pouvoir, aux responsabilités même si on avait
vingt, vingt-cinq ans. C’est une chose dont Balzac a souffert et qu’il a
évoqué dans ses romans. Cette jeunesse de Bonaparte et de ceux
qui l’entouraient a toujours été pour moi très intéressante à
explorer.

Cela vous a-t-il inspiré pour Double masque ?

Exactement. Cette dimension m’a conduit à mettre dans le cycle
Double masque, de l’humour, du décalage que l’on rencontre
finalement assez peu dans l’épopée napoléonienne. On peut se
permettre de l’humour, de bousculer les conventions, presque de
blaguer quand on est avec des jeunes gens de vingt-cinq ans. Rien
n’est encore figé, on peut donc se moquer de Bonaparte, de son
épouse, de Cambacérès, des gens autour de lui. Car il s’agit d’une
époque nouvelle succédant aux années de plomb de la Révolution
française et de la Terreur. C’est quelque chose de vivant, permettant
à notre imagination de s’abandonner.

Par Laurent Pfaadt

25ES JOURNÉES CULTURELLES EUROPÉENNES 2021

L’EUROPE, UNE PROMESSE

Après avoir dû annuler les JCE:2020 à cause du Covid-19, les
organisateurs lancent une deuxième tentative : du 2 au 16 mai 2021,
des artistes venus d’Europe et d’ailleurs se pencheront sur le thème
« L’Europe, une promesse ». La crise du coronavirus nous a montré de
manière dramatique la fragilité de l’idée d’une Europe unie et
ouverte en temps de crise. Il est plus important que jamais
d’examiner avec un œil neuf les promesses de l’Europe – le sujet
initial des JCE:2020 – et de chercher des inspirations pour une
nouvelle Europe basée sur la solidarité et la coopération.

L’Europe, que représente-t-elle ? Quelles espérances portent encore
notre continent ? En luttant contre la pandémie, l’Europe a-t-elle
remis en question ses propres promesses ? L’Europe, est-elle prête à
se battre pour faire respecter les droits fondamentaux et les droits
de l’Homme ? Est-elle capable de les protéger contre les menaces
permanentes ? Après 70 ans d’intégration économique, politique
et surtout culturelle, l’Europe se divise-t-elle ? Nous voulons
réfléchir ensemble sur ces questions et éclairer « L’Europe, une
promesse » par le biais de l’art et de la culture.

Pour de plus amples informations, consultez le site web www.europaeische-kulturtage.de

NO ELEPHANTS

Freiburger Zirkustage

Samstag 08. Mai – Sonntag 16. Mai | E-WERK Freiburg

Bildmarke NO Elefants
Illu. Silvia Wagner

Mit NO ELEPHANTS entsteht in Freiburg ein neues Festival für
aktuelle Zirkuskunst.

Die rasante Entwicklung des zeitgenössischen Zirkus in
Deutschland ruft nach der Sichtbarmachung der Kunstform. Die
Freiburger Zirkustage werden ein Schaufenster für die aktuelle
künstlerische Entwicklung im Südwesten sein. NO ELEPHANTS
wird vom Freiburger E-WERK produziert, Kurator ist Stefan
Schönfeld. Das Festival soll biennal stattfinden und sowohl
Programme aus der Region als auch Gastspiele präsentieren.

Pandemiebedingt können leider nur Live-Streams stattfinden, so
dass nicht auf das ursprünglich geplante „große“ Programm
zurückgegriffen werden kann. Gestreamt werden können jedoch die
neue Produktion von momentlabor „HYRRÄ PARATIISI“, ein Abend
mit Freiburger Kurzstücken „SHORTS“ sowie die Performance „O“
von und mit Sandra Hanschitz.

Aktuelle Informationen zu den Veranstaltungen und deren Formate
erscheinen kurzfristig auf www.ewerk-freiburg.de

Livestreams über #infreiburgzuhause:
Sa 08.05. | « hyrrä paratiisi“ | 20:00 Uhr
Sa 15.05. | « Freiburger shorts » | 20:30 Uhr
So 16.05. | « O » Sandra Hanschitz | 18:00 Uhr

Entre Hitler et Staline, Russes blancs et Soviétiques en Europe durant la Seconde Guerre mondiale

Nous avions quitté Nicolas Ross en plein Paris de la fin des années
30, lorsque les agents du NKVD kidnappaient Yevgueni Miller, le
chef de l’émigration russe blanche opposé à Staline que ce dernier fit
d’ailleurs exécuté le 11 mai 1939. Moins de quatre mois plus tard, la
Wehrmacht envahissait la Pologne, entraînant l’Europe et le monde
dans la seconde guerre mondiale, et préparant moins de deux ans
plus tard, l’invasion de l’URSS.

Le cours de l’histoire venait de basculer et les anciens partisans du
tsar pensaient alors tenir leur revanche et chasser la peste
bolchevique de leur Russie éternelle. Sauf que leurs stratégies
divergaient : attendre la chute du régime soviétique ou le provoquer,
quitte à collaborer avec l’occupant. Avec l’érudition et la fluidité qui
caractérisent son récit, Nicolas Ross nous emmène ainsi au sein de la
diaspora russe blanche, dans chaque cercle, chaque officine, de la
Yougoslavie à la Pologne en passant par la France. Dans ce pays qui
compta la plus forte concentration d’émigrés  – près de 100 000 –
les anciens partisans du tsar eurent malheureusement à subir
l’amalgame d’une population voyant dans chaque russe, un espion
potentiel de Staline. 

Mois après mois, année après année, leurs initiatives convergèrent
vers « l’incontournable » Andreï Vlassov, héros soviétique de la
défense de Moscou en décembre 1941 qui constitua, avec l’aide d’un
Führer et d’un Himmler réticents, une armée de libération nationale
(ROA). S’y retrouvèrent selon le vieil adage voulant que « les ennemis de mes ennemis sont mes amis », anciens partisans de Wrangel et de
Trotski. Nicolas Ross brosse ainsi une fascinante galerie de portraits,
entre ataman cosaque supplétif de la Wehrmacht et prince russe
engagé dans la LVF. Cependant, rappelle-t-il, leurs espoirs
demeurèrent finalement vains : « Vlassov ne fut qu’un nom et un
emblème sans pouvoir réel autour duquel s’organisait la propagande
allemande ». Entre désillusions – les Russes blancs restèrent
cantonnés à la guerre contre les partisans russes ou yougoslaves – et
répressions, ces diverses résistances s’achevèrent au goulag ou avec
une balle dans la nuque dans les caves de la Loubianka. Le récit de
Ross s’achève, lui, dans l’enceinte de la prison de Boutyrka, le 2 août 1946, lors de l’exécution de Vlassov et de ses compagnons avec
cette même constatation : à la fin, c’est toujours Staline qui gagne.

Par Laurent Pfaadt

Nicolas Ross, Entre Hitler et Staline, Russes blancs et Soviétiques
en Europe durant la Seconde Guerre mondiale
Aux Editions des Syrtes, 397 p.