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MAHLER Das Lied von der Erde

A l’occasion de son
85e anniversaire, l’un
des plus grands chefs
français, Jean-Claude
Casadesus célèbre
Mahler et son Lied
von der Erde dans ce
formidable hommage
musical.

Avec ce son poli par
leur chef durant
toutes ces années,
l’orchestre national de Lille délivre une interprétation tout en justesse et en émotion,
exaltant magnifiquement la dimension tellurique de l’œuvre. Dans
cette performance collective, on notera tout particulièrement des
bois de haute volée, capable de passer d’une ambiance bucolique à
un son très langoureux, très « trauerische ». Les voix n’ont aucune
difficulté à s’insérer dans ce temple musical magnifique. Et lorsque
celle de la mezzo-soprano lituanienne, Violeta Urmana prend des
airs de pythie antique, la musique semble alors passer au second
plan.

Par Laurent Pfaadt

Mahler, Das Lied von der Erde, Orchestre national de Lille,
dir. Jean-Claude Casadesus, Evidence

Alexandra Conunova

Il faut le dire
d’emblée : on a vu
arriver ce disque
avec suspicion. Un
énième Quatre
saisons de Vivaldi
venant s’ajouter à
une production déjà
saturée. Et puis, on a
écouté. Dehors, les
arbres se balançaient
dans cet automne de
confinement. Et la
magie a opéré. Indiscutablement. La faute à Alexandra Conunova, merveilleuse
interprète de ce Guadagnini de 1735 qui vous tire des frissons. La
faute à Paolo Corsi et à son incroyable clavecin, compagnon de jeu
de la soliste comme un chat avec une pelote. La faute enfin à une
prise de son remarquable signée Nicolas Bartholomée et Hugo
Scremin.

Pas de démonstration sonore mais une succession de tableaux où le
violon se fait tour à tour vent d’automne, blizzard d’hiver, pluie
printanière et bien évidemment orage d’été dans ce morceau si
connu pour ensuite se muer en arc-en-ciel. Et parvenu à la fin du CD,
on le remet au début pour que cet incroyable voyage ne cesse pas.

Par Laurent Pfaadt

Alexandra Conunova, Vivaldi – Le Quattro Stagioni
Chez Aparté

Mariss Jansons

Voilà plus d’un an, le
30 novembre 2019,
Mariss Jansons, l’un
des plus grands chefs
d’orchestre de la fin
du 20e et du début du
21e siècle, était
emporté par une
crise cardiaque. Trois
semaines plus tôt, il
donnait son dernier
concert à la tête de
cet orchestre qu’il
affectionnait tant, le Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, l’orchestre de la
radio bavaroise, à New York dans le magnifique écrin du
Carnegie Hall.

Avec Strauss et Brahms, Jansons avait choisi le répertoire
germanique. Le ton y est toujours juste, les équilibres sont parfaits,
notamment dans cette quatrième de Brahms où les cuivres donnent
une respiration très vivante. Quant à son Strauss, il est brillant. Pas
inventif mais intense tel qu’il devait l’être à l’origine. Il y a là la
marque d’une grande baguette, celle qui a côtoyé le grand
Mravinsky à Leningrad et qui a fait du Concertgebouw et du
Bayerischen Rundfunks, des phalanges musicales admirées et
acclamées. A l’image de cette symphonie de Brahms, Jansons
raconte plus qu’il n’interprète. Sa musique tisse un hymne à l’histoire
de cette musique qu’il servit admirablement, inscrivant là ses pas
dans ceux du grand Giulini qu’il est allé rejoindre dans notre
mémoire.

Par Laurent Pfaadt

Mariss Jansons, His Last Concert, Live at Carnegie Hall,
BR-Klassik

The Cleveland Orchestra

Dès les premières
notes du cor de la 9e
symphonie de
Schubert, on sent
qu’il va se passer
quelque chose.
Enregistré
jusqu’avant la crise
du coronavirus, ce
second disque du
Cleveland Orchestra
mêle la dernière
symphonie de Franz
Schubert à une œuvre moderne, Static et Ecstatic d’Ernst Krenek.

La puissance et l’intensité de l’orchestre américain rayonnent
littéralement. A l’aise aussi bien dans cette œuvre classique que
dans le registre moderne, ce disque permet de mesurer
l’extraordinaire plasticité de l’un des meilleurs orchestres du monde.
Une valeur sûre donc.

Par Laurent Pfaadt

Schubert, Krenek, The Cleveland Orchestra,
dir. Franz Welser-Möst , Cleveland recordings

Rencontre/interview Dominique de Rivaz

« Kaliningrad et ses
huit cents ans
d’existence révèle à
chaque pas un tesson
d’Histoire »

Avec Dmitri
Leltschuk, la cinéaste
suisse Dominique de Rivaz est partie à la découverte de l’enclave russe de Kaliningrad.
Elle en est revenue avec un certain nombre de clichés qui se
retrouvent dans ce très beau livre. Pour Hebdoscope, elle revient
sur cette expérience.

Dans votre ouvrage, vous dites avoir arpenté longuement
Kaliningrad 

Oui, nous avons arpenté l’enclave de Kaliningrad, et sa capitale,
Kaliningrad, caméra en bandoulière, à chaque saison, le photographe
biélorusse Dmitri Leltschuk en 2012, et moi-même entre 2017 et
2019. Le livre, Kaliningrad, la petite Russie d’Europe, offre d’ailleurs un
reportage pédestre et joyeux le long de la côte balte par le reporter
allemand, Maik Brandenburg, ainsi qu’un texte passionnant de
Cédric Gras sur cet « Extrême-Ouest » russe, qui permet de mieux
comprendre comment la (P)russe a perdu son « P ».

Avez-vous eu le sentiment que l’histoire aussi bien allemande que
soviétique s’y est dédoublée, figée, cristallisée ? 

Kaliningrad est tiraillée entre le passé et le présent, elle est marquée
par l’architecture gothique prussienne et la démesure, voire la
décadence, soviétique. Tant de choses rendent l’enclave de
Kaliningrad singulière… Son passé allemand hante les lieux, par ses
grandeurs (on pense à Kant, par exemple, qui y vécut et y enseigna)
et ses abjections (le massacre de Palmnicken où en janvier 1945
trois mille femmes juives chassées des camps furent mitraillées).
Mais au temps arrêté se tisse également le temps en marche. Si
Kaliningrad et ses huit cents ans d’existence révèle à chaque pas un
tesson d’Histoire, elle subit jour après jour l’influence de l’Europe
qui l’encercle.

Comment avez-vous ressenti ce dédoublement chez les gens que
vous avez rencontré ?

Pour les intellectuels, ce dédoublement Prusse / Allemagne / Russie
reste fascinant, ils s’y intéressent, en étudient l’histoire, en parlent,
supputent de futurs changements. Les gens plus simples, sont
profondément russes, certains parfois hélas, très nationalistes.

Le livre propose un effet de miroir très intéressant au niveau
iconographique, entre les photos en noir/blanc de Dimitri
Leltschuk et les vôtres, en couleurs. Quels sentiments avez-vous
voulu provoquer chez le lecteur ? 

Nos démarches et nos photos se complètent. Dmitri a exploré les
côtes de l’enclave le long de la mer Baltique. Moi-même j’ai
davantage exploré l’intérieur des terres, de la frontière lituanienne à
la frontière polonaise. Le choix de ces deux méthodes de travail n’a
pas pour but de provoquer des réactions, mais d’offrir plutôt un
ressenti différent.

À y regarder de près, paradoxalement, les images noir/blanc
semblent plus vivantes, plus tournées vers l’avenir, plus en
mouvements, alors que plusieurs de vos clichés veulent semblent
capter une Histoire arrêtée…

Les photos de Dmitri, à une ou deux exceptions près, ont toutes pour
motif des personnes en activité, c’est exact. Les miennes, outre de
nombreux moments de vie quotidienne, donnent aussi à voir des
lieux pour eux-mêmes, des lieux uniques en Europe. J’invite
d’ailleurs vivement chacun à aller les découvrir… dès que les
frontières rouvriront après la pandémie.

Par Laurent Pfaadt

A l’écoute des quatuors de Beethoven

Un petit conseil avant d’ouvrir ce
livre : préparez votre playlist.
Convoquez les grands noms de la
musique de chambre : Quatuors de
Budapest, de Cleveland, Borodine
et bien entendu Beethoven. Depuis
plus de deux cents ans les quatuors
de Beethoven font l’objet d’une
vénération sans faille de la part de
musiciens et d’amateurs de
musique classique. Pourquoi ?
L’essence même du génie de Bonn
réside-t-il vraiment, comme le
disent certains, dans ces compositions ? Pour mieux les comprendre, Bernard Fournier,
ancien professeur de musicologie à l’université Paris VIII et grand
spécialiste de Beethoven, nous invite dans cet ouvrage passionnant
à un voyage littéraire et musical à la découverte des seize quatuors
et de la Grande fugue.

Ce livre est une barque musicale que chaque lecteur doit mener à sa
guise, permettant ainsi d’appréhender et d’aimer « son » quatuor. De
la navigation tumultueuse des six quatuors de l’opus 18 aux voyages
intérieurs des derniers, chacun y trouvera sa voie et cette voix qui
pénètre au plus profond de l’âme comme dans cette cavatine du 13e,
composée dans les « pleurs de l’angoisse » selon Beethoven lui-même
qui semble dialoguer avec Dieu. Ici, comme le rappelle  Bernard
Fournier, « se révèle quelque chose de secret, d’imprévu, qui nous
rapproche de cette énigme indéchiffrable qui est peut-être le ferment et
l’enjeu de la création de tout grand chef d’œuvre »
.

Ce livre referme ainsi avec érudition et émotion cette année
Beethoven qui, à l’image de ce dernier, demeurera longtemps dans
nos mémoires.

Par Laurent Pfaadt

Bernard Fournier, A l’écoute des quatuors de Beethoven,
Buchet-Chastel, 304 p.

A lire également : Beethoven par lui-même présenté par Nathalie Krafft, Buchet-Chastel, 176 p, 2019.

Les espions sortent de l’ombre

Entre mythes et
réalités, plusieurs
ouvrages rappellent
le pouvoir fascinant
des espions

Pour eux l’anonymat
est une qualité. N’être
connu que de
quelques-uns un
exploit ; de personne
confère à la légende
comme Markus Wolf,
ancien chef des services secrets est-allemands dont il ne subsista qu’une unique
photo prise à Stockholm. Mais à l’heure des réseaux sociaux, de la
cybercriminalité et de l’omniprésence des caméras, les temps ont
changé. Ainsi « le BND – Bundesnachritendienst -, le service allemand de
renseignement extérieur, s’est récemment converti aux vertus de la
communication et a produit une petite vidéo pour expliquer son action »

assurent Pierre Gastineau et Philippe Vasset dans Conversations
secrètes
, livre extrêmement instructif et didactique qui réalise le tour
de force de faire un état des lieux de l’espionnage mondial en moins
de 200 pages à travers les voix de leurs principaux responsables.

L’ouvrage évoque ainsi les services d’espionnage des grandes
puissances et de quelques autres nations notamment un chapitre
passionnant sur l’Algérie, qualifiée de « pays où les espions ont
été rois ». Avec ses airs d’atlas mêlant cartes, schémas et même
suggestions littéraires et télévisuels, Conversations secrètes convie
ainsi son lecteur à une plongée dans l’histoire de la seconde guerre
mondiale et bien entendu de la guerre froide, âge d’or de
l’espionnage magnifié par le cinéma et John Le Carré même si la
réalité demeure nettement plus banale. Il aborde également les
grands défis auxquels est confronté notre monde et dans lequel les
espions se retrouvent souvent en première ligne. Rapports de
défiance avec les politiques en Allemagne, importance de la 5G pour
les services secrets chinois ou répercussions du Brexit sur le MI6
sont ainsi quelques-uns des dossiers brûlants évoqués dans le livre.

Et si le temps vient à manquer à nos maître-espions, ces derniers
trouveront toujours un public fasciné par leurs exploits et ceux de
leurs aînés. Ils pourront compter sur d’autres maître-espions,
littéraires, prêts à révéler leur identité à la postérité. Ainsi, après
Oleg Gordievsky dans son best-seller précédent (L’Espion et le Traître,
éditions de Fallois, 2018), Ben Macintyre revient avec l’histoire
d’Ursula Kuckzinski, le fameux agent Sonya qui transmit,
notamment via le scientifique Klaus Fuchs, des centaines de
documents permettant à l’URSS de concevoir sa bombe nucléaire.

Débutant sa carrière dans les années 30, Sonya – qui doit son nom
au fameux Richard Sorge, le maître-espion soviétique qu’elle
rencontra à Shanghai et dont elle fut l’amant – constitua en Grande-
Bretagne, un réseau tentaculaire d’espionnage à la solde de Staline,
envoyant à ce dernier informations militaires, scientifiques et
politiques de premier ordre.

Avec son style très enlevé et très anglo-saxon, Ben Macintyre nous
fait revivre la destinée incroyable d’Ursula Kuckzinski, devenue
colonel du GRU. Le livre se mue parfois en roman d’espionnage. Ainsi
c’est une autre femme, Milicent Bagot, fin limier du MI5, qui allait
démasquer Sonya car, écrit Ben Macintyre, « seule une femme aurait
pu percer Ursula à jour. La branche contre-espionnage du MI5 disposait
d’une telle femme. Et elle avait Ursula dans le collimateur »
. Les pages
qui suivent semblent alors tout droit sorties d’un roman de John Le
Carré comme lorsque les interrogateurs du MI5 tentent de
déstabiliser Sonya, chez elle, autour d’un thé ou devant ses rosiers.
Mais l’espionne résista et parvint à s’enfuir vers l’Allemagne de l’Est
où elle devint, sous le nom de Ruth Werner, une romancière à
succès. Comme John Le Carré. Façon de dire avec ces deux ouvrages
passionnants que les espions n’ont rien perdu de leur pouvoir de
séduction sur notre imaginaire collectif. Anonymes ou pas.

Par Laurent Pfaadt

Pierre Gastineau et Philippe Vasset dans Conversations secrètes,
Fayard/France Culture, 192 p.

Ben Macintyre, Agent Sonya, la plus grande espionne soviétique,
éditions de Fallois, 416 p.

A lire également : 

Julian Semenov, La taupe rouge, 10/18, 408 p.

Lee Child, Formation d’élite, Livre de poche, 480 p.

Un morceau de papier bleu

Benn Steil signe l’ouvrage de
référence sur le plan Marshall

Qu’il s’agisse de l’économie
française, du système de santé,
d’élèves en difficulté ou des
langues, tout le monde réclame un
plan Marshall. Celui-ci, portant le
nom d’un général américain
devenu après la seconde guerre
mondiale, secrétaire d’Etat du
président Truman, possède cette
caractéristique rare d’être passé
dans le langage courant comme signifiant une vaste opération de soutien, de relance à un ou
plusieurs secteurs de nos sociétés contemporaines.

Mis à part cela, que recouvre-t-il à l’origine ? C’est le but de l’ouvrage
extrêmement fouillé et instructif de Benn Steil, ancien directeur du
département international d’économie du Council on Foreign
Relations, un think tank influent de la politique étrangère
américaine. Coincé entre la fin de la seconde guerre mondiale et la
guerre froide, c’est-à-dire à un moment où l’Union soviétique n’était
plus complètement une alliée mais pas encore l’ennemi numéro un
de l’Europe occidentale, le plan Marshall explicité dans le fameux
discours de George Marshall à Harvard le 5 juin 1947 et signé le 3
avril 1948 consista en un vaste plan d’aides économiques à une
Europe ruinée par six longues années de guerre. Ce plan se doubla
d’une intention difficile à évaluer, celle de maintenir l’influence des
Etats-Unis, grands vainqueurs de la guerre et tenants du libre-
échangisme, face à celle de l’URSS que certains percevaient déjà
comme néfaste, notamment George Kennan, conseiller de George
Marshall et cerveau du plan. Ainsi note Benn Steil, « l’un des
éléments-clés qui sous-tendait le plan était qu’on ne peut tenir pour
acquis un engagement populaire en faveur de la démocratie et du libre-
échange »
. Autrement dit, il fallait créer les conditions nécessaires
pour assurer la sécurité et la prospérité européennes qui ne
manqueraient pas de profiter aux Etats-Unis.

C’est là que le livre éclairant de pédagogie de Benn Stein nous aide à
y voir plus clair. Ne se limitant pas aux questions économiques, il
nous emmène, durant ces deux années et demie, de la Maison
Blanche au Kremlin en passant par Paris, Londres ou Berlin où tout
s’est joué. A partir d’archives inédites américaines, russes,
allemandes et tchèques, il nous fait pénétrer avec brio dans l’intimité
de négociations secrètes en compagnie de ceux qui allaient pendant
près de quarante ans façonner la géopolitique mondiale comme lors
de ce voyage incroyable d’avril 1947 lorsque George Marshall
rencontra Staline à Moscou ou lors de la conférence de Paris dans
les salons du quai d’Orsay en juillet 1947 pour assister à la volte-
face, sous la pression de l’URSS, de la République tchèque qui refusa
le plan Marshall au grand dam d’un Jan Masaryk qui allait mourir
quelques semaines après le fameux coup de Prague (février 1948).
L’auteur n’omet pas d’expliciter les querelles internes à chaque camp
notamment au sein de la Maison Blanche ainsi que l’évolution,
presque quotidienne, du blocus de Berlin qui faillit causer une
nouvelle guerre mondiale.

Au cœur de ce vaste jeu de dupes politique, diplomatique et culturel
se trouvait une nouvelle fois une Allemagne que chaque camp
espérait attirer à lui et dont la division en 1949 allait préfigurer celle
de la guerre froide pendant quarante ans. Ainsi, nul doute que même
George Marshall ne se doutait certainement pas que ce morceau de
papier bleu transmis par un diplomate britannique à propos du
désengagement du Royaume-Uni de la Grèce allait entraîner une
transformation irréversible de l’Europe.

Par Laurent Pfaadt

Benn Steil, Le Plan Marshall, à l’aube de la guerre froide,
Les Belles Lettres, 684 p.

Une fenêtre sur l’Europe

© Dmitri Leltschuk

Magnifique livre de
photographies sur
Kaliningrad

Sarajevo. Odessa.
Kaliningrad. A la
simple évocation de
leurs noms, ces villes
continuent à exciter
notre imaginaire. Car
elles sont chargées d’histoire, de mémoires et de quelque chose difficilement
définissable. Peut-être parce qu’elles ont raconté l’histoire avec un
grand H. L’ouvrage de la réalisatrice suisse Dominique de Rivaz et du
photographe biélorusse Dmitri Leltschuk raconte cela. Leurs
photographies en noir et blanc et en couleurs nous emmènent sur
les rivages de ce port de la Baltique, de cette enclave de 205
kilomètres sur 108 coincée entre Lituanie et Pologne mais
également dans ces villages « où la guerre semble s’être arrêtée
la veille »
.

Il y a dans la beauté de ces photos à la fois les traces de ces
mémoires d’empires comme ces douilles allemandes ou cette faucille
et ce marteau qui attestent du passage sanglant des grands empires
totalitaires du 20e siècle. Dans ces rues, sur ces paysages où le kitsch
rivalise avec le sublime se propagent encore les souvenirs des
balades d’Emmanuel Kant ou de la Shoah mais également la vitalité
de cette jeunesse immortalisée par Dmitri Leltschuk et de ces
maisons colorées rappelant les Pays-Bas. La présence prussienne est
partout, dans ces villas Art Nouveau ou sur ces routes de campagne.
« Ici s’est conservée une matrice qui parlait d’une autre vie, d’un autre
ordre des choses et d’une autre culture »
note ainsi Iouri Bouida,
écrivain russe originaire de Kaliningrad. La Prusse a perdu son P
pour laisser sa place à la Russe, à la Soviétique qui a échoué à se
débarrasser de cet héritage qui prend des airs de dispute
permanente entre Kant et Lénine.

Ce cosmopolitisme, à l’instar d’une Sarajevo et d’une Odessa,
constitue à n’en point douter la singularité de Kaliningrad et
continue de faire rêver écrivains, cinéastes et photographes comme
en témoigne ce très beau livre.

Par Laurent Pfaadt

Dominique de Rivaz & Dmitri Leltschuk,
Kaliningrad, la petite Russie d’Europe
les éditions Noir sur Blanc, 232 p.

#Lecturesconfinement : Mes Mémoires d’Alexandre Dumas par Christiane Rancé

Lire et relire Mes Mémoires d’Alexandre Dumas. Quelle vie ! Elle
dépasse en tout le prodige de ses propres romans. « Le maître du plus
vrai que le vrai »
 comme le qualifie Jean Cocteau ; celui qui a écrit,
avec Les Trois mousquetaires « le seul, et le plus beau roman sur
l’amitié jamais composé en langue française »
 comme le souligne
Jacques Laurent, nous fait entrer dans ses aventures tumultueuses
avec sa jeunesse éternelle et son enthousiasme inépuisable. Quels
voyages ! La Russie, le Caucase, l’Italie, l’Espagne l’Autriche,
l’Allemagne, en fait toute l’Europe, et le Maghreb. Quels
engagements ! Aux côtés de Victor Hugo en exil ou de Garibaldi
dans son expédition des Mille, en Sicile puis à Naples où il dirige les
fouilles de Pompéi… Quelles amours ! Quels délicieux scandales !
C’est joyeux, riche, souvent drôle,historique. On sort, de cette
autobiographie rajeuni, ragaillardi, émerveillé. « Mon père est un
grand enfant que j’ai eu quand j’étais tout petit »
 a dit son fils de ce
génie des lettres, de la vie et de l’enfance. Pour nous, il reste un
grand ami, et depuis notre plus jeune âge.
Christiane Rancé est journaliste,
éditrice et écrivaine. Auteure de
nombreux ouvrages, elle a
récemment publié le Dictionnaire
amoureux des saints
 (Plon, 2019)
Mes Mémoires d’Alexandre Dumas (Robert Laffont)
par Christiane Rancé