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#Lecturesconfinement : Price de Steve Tesich par Joseph d’Anvers

Daniel Price a dix huit ans. Il
habite East Chicago et rêve
de se tirer de là.

C’est l’été. Son dernier dans
ce trou à rats industriel. 

Il traine avec ses amis de
toujours en attendant la
rentrée qui les séparera
inéluctablement, quand
surgit Rachel, une jeune et
mystérieuse fille qui va tout
bouleverser.

Price est un grand roman. Un roman d’adolescence, un roman
initiatique, qui nous ramène à la fois dans les années 60 et dans
notre propre jeunesse. Tout y est juste, sensible et puissant, fragile
et maitrisé à la fois. 

Ce premier livre de Steve Tesich (qui écrira Karoo quelques années
plus tard) explore les méandres de cette période si particulière
qu’est l’entrée dans l’âge adulte, et décortique avec minutie les
sentiments, les doutes, les affres, les questionnements, les pulsions
et les désirs qui nous torturent alors, avec ce souffle épique et cette
fluidité propres aux grands romans américains.

Joseph d’Anvers est auteur-compositeur-interprète et écrivain. Dernier livre paru : Juste Une Balle Perdue (Rivages)

Price
de Steve Tesich (Monsieur Toussaint Louverture)
par Joseph d’Anvers

#Lecturesconfinement : Sous le ciel des hommes de Diane Meur par Louis-Philippe Dalembert

Le grand-duché, imaginaire,
d’Éponne : luxe, calme, sans
volupté, sinon clandestine. Une
femme, Sylvie, qui tente de fuir
la routine de la vie conjugale.
Des jeunes déterminés à
combattre « la déraison
capitaliste »
. Un journaliste
vedette qui tente de se
racheter une conscience en
accueillant un migrant sous son
toit.  

Voilà brossé à grands traits le paysage de Sous le ciel des hommes.
L’écriture plurielle, tour à tour fluide et poétique de Diane Meur, sa
capacité à fouiller l’âme humaine, à en interroger les ressorts secrets
achèvent d’en faire un roman exigeant, très agréable à lire. Une
manière belle de distiller l’espoir, malgré tous les vents contraires de
l’actualité.

Louis-Philippe Dalembert est poète (Cantique du balbutiement,
Bruno Doucey, 2020) et romancier : Mur Méditerranée (Sabine
Wespieser, 2019), prix de la langue française, choix Goncourt de la
Suisse et de la Pologne, finaliste du Prix Goncourt des lycéens.

Sous le ciel des hommes
 de Diane Meur (Sabine Wespieser éditeur)
par Louis-Philippe Dalembert

#Lecturesconfinement : Tu seras un homme mon fils suivi de lettres à son fils de Rudyard Kipling par Laurent Pfaadt

Le temps passe et la beauté de ce
poème demeure et inspire toujours
autant. Tu seras un homme mon fils est
l’une de ses merveilles de la
littérature, avec peut-être le Prophète
de Khalil Gibran, à avoir conservé
intacte cette puissance évocatrice
dans la relation parents/enfants. Le
poème est ici rejoint par ces lettres,
traduites pour la première fois en
français, que Kipling adressa à son fils
lors de la Première guerre mondiale.

Celui que Rudyard Kipling appelle
« Mon Vieux », son fils John, intégra les Irish guards un peu la fleur au
fusil. On parle de banalités, d’automobiles, de connaissances, de
chocolat. Lentement pourtant, la guerre se rapproche et celle du
père, déconnectée de la réalité du front, tranche avec celle de John
et de ses milliers de soldats qui attendent le feu. Et, inexorablement,
ce dernier arrive, engloutissant les hommes, les idéaux. Le 25 août
1915, Kipling écrivit à son fils : « Mon cœur (…) est tien à jamais. Et moi
aussi, par conséquent »
. Un mois plus tard, John disparaissait lors de la
bataille de Loos. Kipling ne retrouva jamais son fils, restant seul au
milieu de ces mots sublimes qui ont traversé le temps.

Tu seras un homme mon fils suivi de Lettres à son fils
de Rudyard Kipling (1001 nuits)
par Laurent Pfaadt

#Lecturesconfinement : Mur Méditerranée de Louis-Philippe Dalembert par Wilfried N’Sondé

Cette année j’ai eu un coup de
cœur pour le livre Mur
Méditerranée
 de Louis-Philippe
Dalembert, publiéaux éditions
Sabine Wespieser. Ce roman
choral est porté par une
narration haletante qui nous
plonge dansla complexité de la
migration massive de l’Afrique
vers l’Europe. Un texte sans
manichéisme, une
écriturefluide et riche pour
interroger l’humain et ses
contradictions.
Wilfried N’Sondé est l’auteur de plusieurs romans dont Le coeur des
enfants léopards
 (Actes Sud), prix des cinq continents de la
francophonie (2007) et Un océan, deux mers et trois continents (Actes
Sud, 2018)

Mur Méditerranée
de Louis-Philippe Dalembert (Sabine Wespieser éditeur)
par Wilfried N’Sondé

#Lecturesconfinement : Bambi de Felix Salten et Benjamin Lacombe par Laurent Marsick

En 1933 les Nazi brulaient
Bambi, histoire publiée en 1923
écrite par Felix Salten qui
dénonçait là, l’exclusion et les
discriminations à l’égard des juifs
en Europe. Livre interdit que
Benjamin Lacombe fait ressurgir
et illustre de façon magistrale.
C’est une explosion de couleurs
où se mêlent aquarelles,
gouaches, feutres et coups de
crayons d’un génie de
l’illustration. Il est le Renoir de
nos rêves, le Picasso de nos angoisses, il est Benjamin Lacombe et Bambi devient un livre
essentiel.
Laurent Marsick est journaliste au service culture de RTL,
spécialiste de littérature jeunesse et chroniqueur dans l’émission

Bambi
de Felix Salten et Benjamin Lacombe (Albin Michel jeunesse)
par Laurent Marsick

#Lecturesconfinement : Vernon Subutex de Luz-Despentes par Pierre Lungheretti

C’était l’une des
sorties BD les plus
attendues. Un pari
gonflé, celui
d’adapter l’un des
romans cultes de ces
dix dernières années.

Le roman-fleuve de
Despentes, en trois
tomes, décrit la
dérive dans Paris d’un ancien disquaire expulsé de chez lui, qui s’incruste chez ceux
qui étaient ses amis, des lointaines connaissances ou des clients. A
partir d’une situation de dénuement extrême et de dégringolade
sociale, Despentes se livre à une dissection de la société
contemporaine. Le marginal flamboyant, sur fond de mythologie
rock, est lentement broyé par les mutations économiques et sociales
du monde contemporain qui anéantissent les fondations sur
lesquelles reposait son univers.

Dans ce premier volume d’un projet qui en comportera deux, Luz, le
génial dessinateur de Charlie Hebdo, de Catharsis et des Indélébiles,
a réussi un véritable tour de force avec la complicité de la
romancière, Virginie Despentes, qui l’a délibérément choisi.

Dans cette adaptation fidèle, l’expressivité graphique de Luz, qui
donne un visage, une allure et une présence à cette galaxie de
personnages, est à son sommet. Il dépeint une jungle urbaine,
peuplée de personnages corrompus, aigris, désenchantés ou
dépressifs. Vernon s’immisce dans ces univers intimes, qui derrière
des façades bravaches ou d’un glamour vaguement décati, sont
marqués par les échecs existentiels, les frustrations et les
désillusions croqués par Luz avec finesse et empathie. Sa virtuosité
restitue la tension entre une narration tourbillonnante et la lente
décomposition d’un monde. L’utilisation magistrale des couleurs
avec une dominante différente pour chaque séquence, fait vivre au
lecteur l’intensité des situations et des émotions de Vernon.
L’attente du second tome n’en est que plus vive.

Peter Lungheretti est le directeur général de la cité internationale
de la bande-dessinée et de l’image d’Angoulême
Vernon Subutex de Luz-Despentes (Albin Michel)
par Pierre Lungheretti

#Lecturesconfinement : Pour l’amour de Beyrouth, collectif de trente-cinq personnalités sous la direction de Sarah Briand par Diane Mazloum

Si Pour l’amour de Beyrouth, le collectif
conçu par Sarah Briand en hommage
à Beyrouth suite à l’explosion du 4
août 2020, est un recueil de plusieurs
voix libanaises et françaises, il n’en
est pas moins un même et long cri
d’amour et de désespoir à l’encontre
de cette capitale mille fois malmenée,
mille fois revécue, pour reprendre les
termes de la poétesse Nadia Tueni. À
l’image d’une ville riche et contrastée
au point d’en devenir presque
insaisissable, ce livre regorge de
témoignages de différentes tailles, formes, verves et couleurs. Fût-il un poème ou un récit, une prière
ou une lettre, chaque texte ajoute une nouvelle facette à cette
capitale déjà si contradictoire, tout en y apportant, en retour, un
certain éclairage.
C’est un livre qui tout en donnant un avant-goût de la complexité
fascinante du Liban, laisse longtemps encore le goût persistant et
addictif du grand gâchis. On en sort la tête hantée, le cœur pressé,
broyé, mais le corps revitalisé d’une nouvelle énergie. Exactement
comme si on s’était laissé immerger dans Beyrouth.
Beyrouth, fille ou femme ? Féminine ou au masculin ?
Organique, chaotique, bruyante mais attachante comme un enfant,
d’une naïveté attendrissante, envoûtante, tour à tour charmant et
colérique, violent, cruel. Beyrouth, si petite mais insaisissable,
fuyante, duplice, incompréhensible, alors fantasmée, rêvée, devenue
désormais cauchemardesque, insupportable, à présent violée,
violentée, bientôt abandonnée, dépeuplée, voire occultée.
Pourquoi Beyrouth ? Parce qu’il fut un jour où Beyrouth concentrait
le meilleur de ce que l’Occident et l’Orient avaient à offrir, et
qu’aujourd’hui, Beyrouth concentre le meilleur comme le pire de ce
que peut offrir la race humaine.
Les bénéfices seront reversés à l’association OffreJoie qui travaille à
la reconstruction de la ville et panse les traumatismes de ses
habitants.
Diane Mazloum est une romancière libanaise, auteure de plusieurs
ouvrages dont une piscine dans le désert qui a figuré sur les listes des
principaux prix en 2020.

Pour l’amour de Beyrouth
, collectif de trente-cinq personnalités sous la direction de Sarah Briand (Fayard)
par Diane Mazloum

#Lecturesconfinement : Tais toi! de Anne Gruwez par Nadine Monfils

Anne Gruwez est belge et célèbre
depuis le documentaire (Strip Tease)
« Ni juge ni soumise » (César et
Magritte du meilleur documentaire
et prix de la meilleure actrice au
festival de San Sebastian). Son livre
est un brûlot qui relate son parcours
de juge, avec cette saveur et cette
verve qui la caractérisent. Il reflète
exactement sa personnalité si
attachante et atypique, haute en
couleurs ! On savoure sa manière
d’écrire et ses anecdotes
croustillantes. Cette femme généreuse, drôle et si proche des gens nous livre sa vision de la
justice et elle sait de quoi elle parle !

Nadine
 Monfils a écrit près de 80 romans et pièces de théâtre.
Son thriller Babylone Dream(Belfond) a obtenu le Prix Polar de
Cognac en 2007. Également cinéaste, elle a réalisé Madame
Edouard avec notamment Michel Blanc, Josiane Balasko et
Dominique Lavanant.

Tais toi! 
de Anne Gruwez (éditions Racine)
par Nadine Monfils

#Lecturesconfinement : La Taupe rouge de Julian Semenov par Laurent Pfaadt

Préparez-vous à une plongée en eaux
troubles. Celles du Berlin de la fin de
la seconde guerre mondiale
gouvernée par le chaos où règnent
véritables et faux espions. Dans cette
atmosphère apocalyptique, le lecteur
suit la taupe rouge, Maxime Issaiev,
alias Max von Stierlitz, agent du
NKVD infiltré dans les plus hautes
sphères nazies. Sa mission : empêcher
un complot fomenté par les sbires
d’Himmler pour négocier une paix
séparée avec les Alliés qui nuirait à
Staline.

Cette réédition de ce classique de la littérature d’espionnage russe
est une véritable aubaine littéraire. Sous la plume de ce John Le
Carré soviétique qu’il convient sans attendre de redécouvrir,
véritable « cocktail de Hemingway, Saint-Exupéry et Georges Simenon
pimenté d’interrogations dostoïevskiennes »
 selon l’écrivain russe
Zakhar Prilepine qui signe la préface, les différentes intrigues de ce
grand jeu se déploient avec brio. Leurs acteurs se nomment Walter
Schellenberg ou Alan Foster Dulles. Grâce à un rythme qui ne faiblit
jamais et qui ferait une excellente série télé, Julian Semenov
accroche son lecteur sans lui laisser de répit. Ses chapitres
ressemblent parfois à des rapports secrets. Il faut dire que l’auteur
puisa directement à la source puisqu’il fut le protégé de Iouri
Andropov, chef du KGB devenu le maître de l’URSS. Stierlitz est un
personnage de la trempe littéraire de George Smiley ou de Bernie
Gunther. Le livre refermé, une seule question nous taraude : à quand
le prochain épisode ?

La Taupe rouge
de Julian Semenov (10/18)
par Laurent Pfaadt

#Lecturesconfinement : Les enfants vont bien de Nathalie Quintane par Arnaud Laporte

Dans ses premiers livres, Nathalie
Quintane se faisait orfèvre, en
montant et assemblant des
fragments, des phrases, des bouts
de récits, pour évoquer des
éléments constitutifs de notre
imaginaire commun, de Jeanne
d’Arc à l’autobiographie, en
passant par le monde du
commerce.

Quintane s’intéresse tout
particulièrement à ce que l’on
appellera, pour faire simple, les
injustices sociales. Ce que je trouve particulièrement
impressionnant avec Nathalie Quintane, c’est sa capacité à trouver
la forme adéquate avec son propos, une forme sans cesse en
mouvement, d’un livre à l’autre, mais toujours la plus juste possible.

Les enfants vont bien est sorti en novembre 2019. C’est un livre de
montage.

Il y a, bien entendu, une différence de taille entre telle ou telle
phrase des présidents de la République ou de leurs ministres de
l’Intérieur déclarant tous, invariablement, année après année et
quelle que soit leur « couleur » politique officielle, qu’il faut « faire
preuve de fermeté » et les batailles incessantes auxquelles se livrent
les réseaux d’aide pour obtenir de quoi chausser, de quoi nourrir, de
quoi mettre à l’abri, ne serait-ce que pour quelques jours, une
famille. Tout le monde n’est pas à mettre dans le même sac – ce livre,
aussi bien, n’est pas un sac.

Chaque fragment a, sur la page et selon sa provenance, une place et
une typographie attribuées : le cynisme et l’opportunisme sans frein
des hommes politiques ont la leur, tout en haut ; puis,
successivement, l’apparente neutralité des textes de loi ; la gestion
administrative à la fois débonnaire et implacablement
bureaucratique et dirigiste des centres d’accueil ; la routine
éditoriale de la presse quotidienne ; et, un peu à part – parce que le
vocabulaire, la syntaxe, la ponctuation n’ont pas le même ton et
témoignent d’une vision réellement différente de la situation –,
l’expression de la ténacité, de la fatigue, du découragement des
réseaux d’aide a sa place, en bas de page…

Ce livre n’est donc pas un récit, il ne raconte pas l’histoire des
réfugiés en France entre 2014 et 2018 ; pourtant, vous pourrez, à la
lecture, suivre sans peine une progression lacunaire, une
chronologie trouée, commençant par l’ouverture d’un centre
d’accueil en province.

L’essentiel se joue, comme pour les réfugiés (et pour nous tous), dans
l’implicite, dans ce qui n’est pas dit – l’officieux, le négociable et le
non négociable, le papier qu’on a, qu’on n’a pas, dont on vous dit que
vous l’aurez et qui ne vient jamais et dont, parfois, vous doutez de
l’existence même.

Ceci posé, qu’est-ce que ce dispotifif procure comme sensation pour
le lecteur ?

Il procure d’abord de la liberté.

On peut le lire page après page

On peut aussi choisir de lire section par section, en commençant par
le haut, par le bas, ou par le milieu.

C’est une autre sorte de ruissellement qui est montré, noir sur blanc,
sur la page. Il y a la parole politique, qui vient d’en haut, et qui écrase
tout le reste, car en dessous, on trouvera des textes de lois ou de
réglementation, les discours médiatiques puis en bas, en tout petit,
les mots de celles et ceux qui sont sur le terrain, au plus près des
migrants.

Parce que ce livre montre en creux une parole absente : celle des
migrants. Une parole absente pour dire aussi une invisibilité, alors
même que tant et tant de gens ne parlent que de ces personnes.
Pourtant, on ne les entend pas, ou si peu. Personne ne leur donne la
parole, ou si peu.

Ils obsèdent notre société, et c’est en même temps comme si leur
existence, leur être été niés.

Et ces autres paroles, celles relevées par Nathalie Quintane, les
assignent à cette place, la plus mauvaise, celle du coupable, mais un
coupable qui est aussi une victime.

C’est donc un livre politique, en ceci qu’il montre combien la parole
d’en bas est inaudible pour les étages d’au-dessus, ceux-là même qui
sont en capacité de changer le réel. Mais de ce réel, ils sont
déconnectés.

C’est un livre politique, poétique, littéraire.

C’est à vrai dire très difficile de parler de ce livre, tant il agite de
questions.

Mais c’est bien cela que l’on attend d’un livre, non ?

Il me faut aussi dire, ce qui n’est pas évident si vous ne l’avez jamais
lu, et que vous la découvrez au travers de mes propos, que les livres
de Nathalie Quintane sont drôles, à leur façon. Drôle d’une ironie
mordante, drôle d’un humour très noir.

Ici, il y a des phrases tellement hors-sol, comparées à la réalité du
bas de page, que l’on ne peut parfois qu’en rire, avec un énorme
frisson dans le dos.

Arnaud Laporte est journaliste, producteur de l’émission La Dispute
sur France Culture.

Les enfants vont bien de Nathalie Quintane (P.O.L)
par Arnaud Laporte